Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 21 novembre 2007 à 15h00
Réforme de la prescription en matière civile — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comme vient de le dire Jean-Jacques Hyest, l'excellent président de la mission d'information de la commission des lois sur le régime des prescriptions civiles et pénales, le code civil présente des dispositions obsolètes. Nous sommes donc déjà intervenus sur bien des chapitres du texte de 1804, car, depuis l'époque napoléonienne, où la France était encore rurale et où l'on se déplaçait difficilement, les choses ont évolué.

Le législateur s'est penché à plusieurs reprises sur le régime des prescriptions. Il a ainsi ajouté de nouveaux délais, considérant que le délai de droit commun était inapplicable en de nombreuses matières. Résultat : les délais varient de un mois à trente ans ! La plupart du temps, l'homme de la rue ne sait pas quand l'obligation qu'il a souscrite sera prescrite. Il faut donc pratiquement chaque fois consulter un avocat pour connaître les délais applicables.

Il était temps d'intervenir dans ce domaine. Les travaux qui ont été réalisés nous y aident grandement. Je pense à l'avant-projet du professeur Malaurie et du professeur Catala, ainsi qu'au diagnostic et aux dix-sept propositions figurant dans le rapport de la mission de la commission des lois.

Dans un souci pédagogique, le texte retenu par la commission des lois procède à une réécriture complète tant de la proposition de loi que des dispositions du code civil relatives à la prescription.

Cette réécriture ne remet pas en cause, sur le fond, les dispositions de la proposition de loi, à deux exceptions près : la commission a jugé préférable de maintenir l'effet interruptif de la demande en justice et de ne pas modifier les règles relatives à la prescription des dettes des personnes publiques.

On pouvait être tenté - je pense que l'objectif reste envisageable - d'unifier les délais de prescription en matière administrative et en matière civile. Pour autant, il ne suffisait pas d'aligner les délais : encore fallait-il en unifier le régime et faire en sorte que le point de départ soit le même, ce qui n'est pas le cas actuellement.

En matière administrative, les prescriptions obéissent à la règle de l'annualité budgétaire : la prescription le 1er janvier de l'année suivant la naissance de la dette de la personne publique. Par conséquent, lorsque cette dette est contractée au mois de janvier, le délai de prescription est allongé de onze mois.

Le régime de ces prescriptions aurait donc dû être modifié, mais cela dépassait quelque peu la mission que nous nous étions fixée.

Mes chers collègues, le texte qui vous est présenté distingue de manière claire la prescription acquisitive et la prescription extinctive, et il s'agit bien de deux notions différentes : la prescription acquisitive permet au possesseur d'une chose d'en devenir propriétaire au bout d'un certain laps de temps tandis que la prescription extinctive met fin à une possibilité d'action dans des matières où l'on réclame le paiement ou l'exécution d'une obligation. Ce sont donc deux notions qu'il valait mieux distinguer, d'autant que les délais sont eux-mêmes différents.

Nous avons également distingué les délais préfix, c'est-à-dire ces dispositions qui font le plus souvent exception à la règle générale. Ces délais de forclusion ne seront donc pas soumis au régime de la prescription extinctive, sauf dispositions contraires.

Je le confesse, j'ai un peu hésité à propos de cette disposition. Compte tenu du nombre d'exceptions, il aurait vraiment fallu procéder à un examen au cas par cas afin de savoir si l'alignement sur le régime général était justifié ou non. Cependant, là encore, cette question débordait quelque peu le cadre que nous avions retenu.

Le texte adopté par la commission des lois réduit le nombre des prescriptions extinctives particulières. Cette démarche répond à un souci d'unification et de simplification. En matière personnelle ou mobilière, la prescription de droit commun est désormais alignée sur le délai quinquennal, qui s'applique déjà à toutes les créances périodiques, c'est-à-dire les salaires, les intérêts d'emprunt, les loyers ou les charges locatives.

De la même façon, il n'y a pas de raison de maintenir les délais de six mois qui s'appliquent à l'action des maîtres et instituteurs des sciences et arts pour les leçons qu'ils donnent au mois ou à celle des hôteliers, ni les délais d'un an pour l'action des huissiers ou celle des maîtres de pension, pour le prix de pension de leurs élèves, et des autres maîtres, pour le prix de l'apprentissage, ni les délais de deux ans pour l'action des médecins ou celle des avocats, pour le paiement de leurs frais et salaires. Tout cela constituant un maquis épouvantable, nous en venons au régime de droit commun de cinq ans dans tous ces domaines.

En revanche, pour protéger les personnes en situation de faiblesse, il ne nous a pas paru opportun de supprimer le délai de prescription de l'action des marchands pour les marchandises qu'ils vendent aux non marchands. Le commerçant restera donc enfermé dans un délai de deux ans pour agir en justice contre un consommateur et, ainsi, ne bénéficiera pas du délai de droit commun de cinq ans.

En ce qui concerne l'exécution des titres exécutoires que sont les décisions judiciaires et les sentences arbitrales, la commission propose de prévoir un délai de dix ans.

Par ailleurs, il nous a paru nécessaire de sécuriser les règles relatives au cours de la prescription. La commission propose donc de consacrer dans la loi la jurisprudence relative au point de départ de la prescription extinctive, en retenant non le fait générateur, qui est parfois inconnu du créancier, mais le jour où le créancier a connu l'existence de sa créance ou aurait dû la connaître.

Par ailleurs, nous vous proposons d'instaurer un délai butoir en matière de prescription extinctive.

Quelques rares délais butoirs existaient déjà.

Le texte adopté par la commission prévoit, d'une manière générale, que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription extinctive ne peut avoir pour effet de porter son délai au-delà de vingt ans à compter de la naissance du droit, conformément à l'impératif de sécurisation qui sous-tend cette proposition de loi. En effet, on ne peut, plus de vingt ans après, intenter une action à l'encontre d'un débiteur supposé, voire à l'encontre de ses héritiers, alors que, clairement, toutes les justifications de paiement ont été détruites ! Il faut donc inciter les créanciers à agir dans un délai raisonnable.

Toutefois, plusieurs dérogations absolument nécessaires sont prévues, notamment pour les dommages corporels. De fait, des aggravations peuvent se produire bien des années après et, dès lors, il ne faut pas prévoir un délai de recours trop bref.

Enfin, il nous a paru nécessaire de préciser les conditions dans lesquelles la prescription est suspendue en cas de négociation entre les parties ou de recours à une mesure d'instruction ou de médiation, de façon que ces délais soient clairs dans l'esprit de tous et que l'on garde la trace de la négociation pour éviter tout contentieux sur la date de la suspension de la prescription.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile issue de ses travaux.

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