Mes chers collègues, voilà quelques semaines, au mois de juillet dernier, nous adoptions à l'unanimité, en commission des affaires économiques, une proposition de résolution que je vous avais soumise, portant une appréciation très critique sur la réforme de l'organisation commune de marché, OCM, vitivinicole.
Pourquoi donc réexaminer aujourd'hui un nouveau texte de ce type sur le même sujet ? La raison en est que la phase finale des négociations est en cours à Bruxelles et que le Gouvernement a besoin d'y être soutenu, tant les enjeux sont grands pour la filière et les rapports de force tendus entre la Commission européenne et les États membres, ainsi qu'au sein des États membres.
Revenons un peu en arrière, pour mieux comprendre la situation actuelle. L'Europe du vin traverse depuis plusieurs années une véritable crise : la montée en puissance des pays producteurs dits du « nouveau monde » et la diminution de la consommation sur notre continent engendrent des surproductions chroniques ainsi qu'une baisse des prix, et donc des revenus des producteurs.
Devant ce constat unanimement partagé, la Commission européenne a pris l'initiative, en juin de l'année dernière, de réformer l'OCM vitivinicole, qui date de 1999, afin d'adapter l'encadrement réglementaire du secteur aux évolutions qui l'ont marqué depuis une dizaine d'années.
Ces propositions de réforme d'inspiration très libérale - trop libérale, à mon avis -, qui vont à l'encontre de notre conception équilibrée de l'OCM, ont suscité de vives réactions d'hostilité. Pour notre part, nous avons adopté au mois de juin dernier, en commission des affaires économiques, le rapport d'information que j'avais présenté et qui était très critique à l'encontre de ce projet de réforme.
Après nous avoir assuré qu'elle avait entendu ces reproches, le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, Mme Mariann Fischer Boel, a présenté, au début du mois de juillet, une version révisée de ses propositions de réforme. Or celle-ci ne donnait toujours pas satisfaction, car elle ne revenait pas sur les points les plus fondamentaux de la réforme. En réaction, notre commission des affaires économiques a adopté, toujours au mois de juillet, une proposition de résolution réaffirmant notre hostilité au projet de réforme et contenant des mesures alternatives.
Fort de ce texte, adopté à l'unanimité, je me suis rendu plusieurs fois à Bruxelles, accompagné de mon collègue Roland Courteau. Nous avons rencontré les principaux acteurs du dossier : Mme Fischer Boel, sa directrice de cabinet, Mme Lene Naesager, le directeur général de l'agriculture et du développement rural au sein de la Commission européenne, M. Jean-Luc Demarty, ainsi que le rapporteur italien du Parlement européen sur le texte, M. Giuseppe Castiglione. Si ce dernier nous a semblé être en concordance avec les positions françaises sur la plupart des points abordés, les responsables de la Commission, au cours d'entretiens, nous ont confirmé, en revanche, leur réticence à l'égard de toute inflexion notable du projet de réforme.
Certes, nous avons relevé certaines avancées concernant l'obligation d'arrachage : celle-ci ne concerne plus que quelque 200 000 hectares, au lieu des 400 000 hectares prévus par Mme Fischer Boel. En revanche, sur des points aussi importants que la distillation de crise, les prestations viniques ou l'enrichissement, nos interlocuteurs ne nous ont pas semblé prêts à évoluer.
Plus récemment encore, nous avons reçu, dans le cadre du groupe de travail « vigne et vin » de la commission des affaires économiques, les responsables du suivi du dossier au sein du ministère de l'agriculture. Ils nous ont confirmé que les négociations en cours étaient extrêmement serrées entre la Commission, qui cherche autant que possible à préserver son projet de réforme initiale, et les États membres, lesquels défendent des positions très variables, allant de la libéralisation totale du secteur au maintien d'une véritable OCM, et n'hésitent pas à faire ou défaire des alliances - je ne vous apprends rien, monsieur le ministre -, selon les circonstances et les sujets abordés. Au milieu se trouve la France, qui continue de défendre, par votre voix, monsieur le ministre, le modèle d'organisation de marché équilibré et durable pour lequel nous avions plaidé dans notre rapport d'information.
Le souhait de la Commission européenne est aujourd'hui de parvenir à un compromis pendant la présidence portugaise, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année 2007, avec la mise en place rapide, dès la prochaine récolte 2008, de cet OCM. Cela implique que des concessions soient faites de part et d'autre. Dans cette perspective, il nous a semblé utile, et même indispensable, de soutenir les représentants français, et tout d'abord vous-même, monsieur le ministre, dans les discussions.
Tel est l'objet de la présente proposition de résolution, que nous examinons le jour même où la commission de l'agriculture et du développement rural du Parlement européen débat du sujet. Après avoir rappelé l'importance et la spécificité de la filière, qui commandent le maintien d'une OCM particulière, notre texte énumère des prescriptions autour de cinq axes.
Le premier axe est la gestion du potentiel de production.
S'agissant du volet « arrachage » de la réforme, la résolution prend acte de la réduction à 200 000 hectares environ des surfaces visées et reconnaît l'opportunité de maintenir un dispositif d'incitation à l'arrachage incitatif, fondé sur le volontariat et géré à l'échelon régional. Elle rappelle également avec insistance la nécessité d'une régularisation des dizaines de milliers d'hectares illicitement plantés, tant en Espagne qu'en Italie, qui constituerait d'ores et déjà une première réponse à la situation actuelle de surproduction.
Sur le volet « libéralisation des droits », nous nous opposons catégoriquement à l'ouverture des droits à planter, en tant qu'elle serait incohérente et totalement contradictoire avec la politique d'arrachage, et risquerait de provoquer de nouvelles surproductions, qui ne pourraient qu'être distillées... bien sûr aux frais de l'Europe.
Le deuxième axe concerne les mécanismes de régulation des marchés. Réaffirmant très clairement notre hostilité au projet de suppression des différents régimes de distillation, la proposition de résolution insiste sur l'attachement de notre pays à conserver des dispositifs permettant de prévenir et de gérer les périodes de crise, récurrentes dans la filière vitivinicole. Elle rappelle également avec vigueur le nécessaire maintien, sur financement en partie communautaire, d'un dispositif de prestations viniques, indispensable pour garantir des pratiques vitivinicoles durables, respectueuses de l'environnement, notamment du point de vue du tourisme et de la protection des nappes phréatiques.
Le troisième axe porte sur les enveloppes nationales. Notre texte prend acte du projet de la Commission d'affecter une partie significative du budget de l'OCM à l'abondement d'enveloppes dont la gestion serait réservée aux États membres. Il plaide pour un gel de leur répartition entre les États, conformément aux dernières propositions, positives pour la France, de la Commission, qui préconise une ouverture maximale des types d'utilisation de ces fonds.
Le quatrième axe concerne l'enrichissement. Profondément hostile à l'interdiction de la chaptalisation, le texte prévoit de maintenir cette pratique ancestrale dans les régions où elle est traditionnellement pratiquée, comme alternative à l'adjonction de moûts concentrés qui devraient continuer à être financés par l'Union européenne.
Le cinquième et dernier axe a trait à la promotion. Soulignant à nouveau la notoire insuffisance des crédits mobilisés à cet effet, tout particulièrement à l'échelon intracommunautaire, nous demandons, dans cette proposition de résolution, la création d'instruments de suivi du marché, la mise en place d'une campagne de promotion et d'information sur une consommation modérée, ainsi que l'ouverture de crédits pour reprendre des parts de marché dans les pays tiers concernés par nos exportations. Mme Fischer Boel avait proposé de consacrer 3 millions d'euros à la promotion du vin au niveau de l'Europe, somme ridicule et tout à fait insuffisante pour un marché qui représente 70 % de la consommation des vins européens.
Je disais, au début de mon intervention, que la viticulture européenne était en danger. J'ajoute, en conclusion, qu'elle n'en reste pas moins la première au monde en termes de production, de consommation et de prestige, et que nous pouvons conserver bon espoir de la maintenir à ce niveau d'excellence, dès lors que nous nous en serons donné les moyens, notamment financiers. La présente proposition de résolution, que nous avons adoptée à l'unanimité, ce matin, en commission des affaires économiques, après l'avoir enrichie grâce aux apports très opportuns de mes collègues Roland Courteau et Gérard Le Cam, tend à y contribuer.