Intervention de Élisabeth Lamure

Réunion du 21 novembre 2007 à 21h30
Marché vitivinicole — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France serait-elle la France, sans sa diversité à laquelle nous sommes tous attachés ?

Sans doute est-ce l'une des raisons pour lesquelles le projet de réforme en profondeur du secteur viticole, présenté par la Commission européenne en juillet dernier, a soulevé un tollé général chez les viticulteurs.

Il est vrai que la plupart des propositions qui sont faites par Mme Fischer Boel, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, ne peuvent recueillir notre adhésion. Ce projet de réforme divise les vingt-sept ; il se heurte au refus de l'ensemble des pays producteurs, alors que les autres États membres souhaitent aller encore plus loin pour réduire le coût des crédits alloués à ce secteur par l'Union européenne.

Les propositions de la Commission européenne sont, en effet, fondées sur une analyse partiellement erronée de la situation de la filière vitivinicole, conduisant à des propositions mal adaptées.

Certes, l'augmentation des stocks européens est réelle, mais elle est liée davantage à une perte de parts de marché qu'à une baisse de la consommation. En effet, la consommation mondiale de vin a repris son ascension et augmente de l'ordre de 5 % par an. La nouvelle 0CM vitivinicole devrait donc non pas être axée sur une politique massive d'arrachage, mais plutôt sur une politique de communication, de promotion et d'accompagnement, pour une adaptation des produits aux consommateurs.

Si la nécessité d'une nouvelle réforme de l'OCM vitivinicole fait aujourd'hui consensus chez l'ensemble des acteurs de la filière à l'échelle européenne, la France, premier pays viticole de l'Union européenne, doit faire entendre sa voix pour s'opposer à un certain nombre de dispositions de la réforme qui vont clairement à l'encontre des intérêts de la viticulture française et européenne ainsi que des objectifs de compétitivité.

Face aux propositions de la Commission européenne, la commission des affaires économiques du Sénat a décidé d'établir un rapport d'information sur le sujet. Elle l'a confié à notre collègue Gérard César, président du groupe d'études de la vigne et du vin, à qui je tiens à rendre hommage pour l'important travail qu'il a réalisé, avec la grande compétence qu'on lui connaît.

En ma qualité de vice-présidente de ce groupe d'études, de représentante d'un département de viticulture, le Rhône, et aussi d'élue locale du Beaujolais, je veux, aux côtés de mon collègue Gérard César, plaider pour le maintien d'une OCM spécifique au secteur vitivinicole.

Les observations critiques et les propositions du rapport d'information sénatorial ont été soutenues par nos collègues devant la Commission européenne à Bruxelles, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, et ont permis d'entrevoir des possibilités de négociation sur certains sujets. Néanmoins, de nombreuses divergences d'approche ont été confirmées sur la majorité des éléments de réforme. C'est la raison du dépôt de la proposition de résolution que le Sénat s'apprête à adopter ce soir, qui réaffirme les positions françaises sur le projet de réforme de la Commission européenne, et à laquelle le groupe UMP apporte son entier soutien.

On ne peut pas dire que la Commission européenne n'ait tenu aucun compte des observations qui lui ont été adressées par le Sénat ; elle n'a cependant que très partiellement amendé ses propositions par rapport aux précédentes.

Ainsi, si l'on considère ses nouvelles suggestions sur l'arrachage, on observe que son ampleur est sensiblement réduite, l'objectif retenu passant de 400 000 à 200 000 hectares. Des outils sont désormais prévus pour éviter la disparition des vignes de coteaux, le mitage des vignes, l'atteinte aux paysages. La réforme paraît donc moins exclusivement orientée vers la réduction du potentiel de production ; c'est une satisfaction.

S'agissant de la promotion, pratiquement négligée jusqu'à présent, des moyens apparaissent désormais, mais il ne s'agit que de promotion collective, pas très efficace, si ce n'est en complément d'une meilleure structuration de la filière vers la commercialisation.

Si ces avancées sont louables, elles restent toutefois largement insuffisantes au regard des besoins de soutien des produits vitivinicoles européens et des objectifs fixés par la Commission européenne, celle-ci ayant motivé la réduction de certaines aides par sa volonté d'augmenter substantiellement les moyens alloués à la conquête de nouveaux marchés.

Avec les AOC, la France possède un immense atout commercial pour gagner des marchés dans le monde. Elles constituent la locomotive du système viticole français, fondé sur une longue pratique qui a permis, au cours des siècles, d'identifier les meilleures zones aptes à la culture de la vigne et les cépages les mieux adaptés. Il importe donc qu'elles soient reconnues et protégées.

Alors que le marché mondial du vin se développe, les vignerons français doivent avoir les moyens de faire connaître et apprécier leur travail, grâce à une politique nationale et européenne de soutien à la promotion et à l'éducation au vin sans commune mesure avec ce qui a été fait jusqu'à aujourd'hui, afin de pouvoir résister à la pression des lobbies agro-industriels mondiaux du vin.

Les crédits mobilisés pour la promotion dans le secteur du vin sur le marché intracommunautaire sont notoirement insuffisants et nous demandons leur revalorisation substantielle afin de mener, à l'échelle européenne, une campagne de communication pour une consommation responsable et modérée. Nous demandons également une revalorisation des crédits affectés à la promotion vers les pays tiers, ainsi que la possibilité de les utiliser en vue de financer directement des projets d'entreprises.

Par ailleurs, la Commission européenne ne propose plus de lever l'interdiction de vinifier des moûts importés, ni d`autoriser le coupage entre vins communautaires et vins non communautaires. Cette évolution significative fait suite, encore une fois, aux observations très pertinentes du Sénat

Il s'agit là de quelques sujets de satisfaction pour le Sénat, la commission des affaires économiques et le groupe sénatorial d'études de la vigne et du vin.

Malheureusement, plusieurs aspects des autres propositions définitives restent très préoccupants, et donc inacceptables pour la filière vitivinicole française.

C'est le cas, notamment, de la suppression du régime des droits de plantation à partir de 2013.

Cette dérégulation complète nous semble très dangereuse. Le système des droits de plantation est nécessaire et doit absolument être maintenu, sinon on s'acheminera très rapidement vers un déséquilibre du marché. Avec une dérégulation complète en 2013, on verra rapidement la production des nouveaux vignobles s'ajouter brutalement à celle des vignobles existants et l'on connaîtra une nouvelle crise de surproduction. De plus, on risque d'assister à une délocalisation des vignes pour profiter de la réputation de certaines zones.

Le deuxième sujet très controversé est celui de l'interdiction de la chaptalisation. L'enrichissement en saccharose constitue pourtant une pratique traditionnelle, quasi immémoriale, dans de nombreuses régions de l'Union européenne. Cette méthode, qui permet de doser très finement l'augmentation du degré d'alcool souhaité, entre dans le processus qualitatif. Son abandon conduirait à de substantiels surcoûts pour des producteurs déjà confrontés à d'importantes contraintes économiques et impliquerait d'y substituer un enrichissement par moûts concentrés, dont la majeure partie proviendrait d'autres pays que la France. Il ne paraît donc pas opportun de modifier la législation sur le sujet.

Enfin, il est impératif de conserver un filet de sécurité en cas de crise conjoncturelle, c'est-à-dire de garder un dispositif de distillation de crise obligatoire, complété par des instruments préventifs propres à amortir les chocs conjoncturels du secteur et les conséquences des aléas climatiques. La suppression de la totalité des distillations empêcherait la souplesse nécessaire liée à ces variations de production. Abandonner les instruments majeurs de gestion de la production viticole européenne relève d'une politique absurde.

Avec mes collègues, nous estimons totalement inopportun de vouloir supprimer l'ensemble des mesures de régulation du marché, qui plus est de façon brutale et radicale. Il n'est pas pensable de faire peser sur les exploitations des risques lourds et imprévisibles que des mécanismes de régulation des marchés adaptés permettent de prévenir.

Je voudrais, pour terminer, évoquer l'aspect environnemental, qu'il me semble important de faire valoir dans les négociations.

La Commission européenne veut supprimer le régime des prestations viniques, système obligatoire de traitement des sous-produits. Ce projet nous paraît en tout point critiquable. Ce mécanisme est, en effet, indispensable à la qualité et au respect de l'environnement : d'une part, il préserve la qualité des vins en évitant le sur-pressurage des raisins et la filtration excessive des lies ; d'autre part, il préserve l'environnement en évitant la dispersion dans la nature et dans l'atmosphère des sous-produits de vinification, qui sont très polluants. Ce dernier point est essentiel.

A l'heure où l'Union européenne s'oriente résolument vers des modes de production respectueux de l'environnement et qu'elle est en passe d'adopter une directive visant à garantir l'absence de pollution des sols, il serait pour le moins malvenu que la viticulture communautaire s'engage sur une telle voie. Mme Fischer Boel porte pourtant bien le titre de commissaire européen à l'agriculture et au développement durable...

Ainsi, le projet de réforme de la Commission européenne constitue, pour nous, une remise en cause des efforts du monde viticole, notamment français, en matière de qualité. Jusqu'au début des années quatre-vingts, les vins de table représentaient près de la moitié de la production de la région Rhône-Alpes. La récolte est aujourd'hui composée de 90 % de produits sous signe de qualité, dont 70 % en AOC, ce qui traduit bien la reconversion qualitative de l'encépagement engagé dans les principaux vignobles et l'évolution maîtrisée du potentiel de production dans les zones d'appellation.

Loin de résoudre la crise viticole, le projet de réforme de la Commission européenne risque de nous conduire au désastre économique, social et territorial. Les seuls bénéficiaires de cette réforme seront les pays producteurs du Nouveau monde, les sociétés de négoce international, la grande distribution et, sans doute aussi, les spéculateurs fonciers.

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