Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 18 mai 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l’économie, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise agricole que nous vivons marque la fin de trente ans d’histoire agricole française et européenne. Elle constitue un tournant majeur pour notre agriculture.

Notre responsabilité à tous, parlementaires ou membres du Gouvernement, est de défendre un secteur stratégique pour notre nation. Je veux dire ici, au moment où nous commençons l’examen d’un projet de loi d’une importance décisive pour elle, que je crois dans les forces et les atouts de l’agriculture française.

Agriculture ne veut pas dire seulement tradition et passé ; agriculture veut dire aussi innovation, recherche, compétitivité, développement durable et, tout simplement, pour la France, avenir.

Encore faut-il que nous soyons lucides sur la nouvelle donne agricole mondiale qui est en train de se dessiner. Cette dernière est source d’une volatilité des prix insupportable pour la grande majorité des agriculteurs. En un an, le prix du blé peut passer de près de 300 euros la tonne à 100 euros à peine ; en un an, le prix du lait peut passer de plus de 400 euros la tonne à moins de 230 euros ; en un an le prix des matières premières peut varier selon une fourchette de 50 % à 80 %.

Dans cette nouvelle donne agricole mondiale, on voit aussi apparaître de nouveaux acteurs, comme l’Inde, la Chine, le Brésil ou la Russie.

Hier, nous n’avions que peu de concurrents quand nous exportions du blé à destination de l’Égypte, du Maroc, de l’Algérie ou d’autre pays africains. Aujourd’hui, nous devons compter avec tous les pays du bassin de la mer Noire.

Hier, nous n’avions pas à nous soucier de la production de beurre et de poudre de lait dans les pays éloignés, comme la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, nous savons qu’une production excédentaire dans ce pays peut déstabiliser l’ensemble du marché laitier mondial.

Hier, nous étions seuls à maîtriser certaines techniques de production agricole. Nous savons aujourd’hui que le Brésil, la Chine ou l’Inde sont sur le point de les dominer aussi bien que nous, si tel n’est pas déjà le cas. Certains pays sont même parfois capables d’aller plus loin.

Cette nouvelle donne agricole mondiale, c’est aussi une politique agricole commune en cours de redéfinition.

En 1957, notre seul objectif était de produire le plus possible pour nourrir chacun. Pour l’atteindre, le seul moyen était une gestion administrée de l’offre. Demain, nous devrons répondre à la demande. Demain, nous devrons nous adapter toujours davantage aux exigences du consommateur.

À monde nouveau, agriculture nouvelle. Il est temps de donner les moyens à notre agriculture de relever les défis immenses auxquels elle doit faire face : le défi de la volatilité, pour stabiliser les revenus des agriculteurs ; le défi de la compétitivité, pour redonner de la puissance à notre agriculture face à la concurrence de nouveaux acteurs ; le défi de l’environnement et de la sécurité sanitaire, enfin, pour répondre aux attentes des consommateurs et prendre en compte les impératifs de développement durable et de sécurité sanitaire.

La présentation de ce projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche intervient donc à un moment décisif pour notre agriculture. Ce texte donnera aux agriculteurs les instruments nécessaires pour faire face à cette nouvelle donne agricole mondiale.

Notre agriculture a d’abord besoin d’un cap politique : ce cap, c’est celui de l’alimentation.

C’est une évidence, la fonction première de l’agriculture est de nourrir. La légitimité de notre agriculture tient à la qualité de l’alimentation qu’elle apporte à tous les Français. C’est pour cela que le Gouvernement a tenu à ce que le titre Ier du projet de loi vise à mettre en place une politique publique de l’alimentation.

Cette politique publique doit garantir une alimentation saine à tous les Français, en rassemblant des instruments d’intervention jusque-là dispersés. Elle reposera sur des objectifs nutritionnels contraignants et contrôlés pour la restauration collective, en particulier scolaire et universitaire.

Personne ne peut se résigner à l’augmentation de l’obésité en France, même si ce phénomène est mieux contenu que dans d’autres pays développés ; personne ne peut se résigner à ce que ce problème de santé publique se concentre sur les personnes aux revenus les plus faibles : la question de l’alimentation est avant tout une question sociale.

Cette politique publique de l’alimentation défendra aussi un nouveau modèle de commercialisation des produits, pour mettre fin aux aberrations que nous constatons tous. Il n’est pas raisonnable, en effet, que les produits agricoles parcourent en moyenne 2 000 kilomètres, avant de se retrouver sur la table du consommateur ! Nous développerons donc les circuits courts, en modifiant le code des marchés publics et en préservant les terres agricoles à proximité des grandes agglomérations.

Au-delà de ces mesures, c’est un modèle alimentaire que nous voulons défendre : contre l’uniformisation des produits, nous défendons la diversité du goût ; contre la confusion de l’origine et des labels, nous défendons la transparence et l’identification des produits.

Mais il n’y aura pas d’alimentation sans agriculteurs, et pas d’agriculteurs sans un revenu stable et décent pour chacun d’entre eux.

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