Le premier objectif du projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd’hui est donc de garantir aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre dignement de leur travail.
Il n’est pas acceptable que des milliers de producteurs, en France, vendent leurs produits au-dessous de leur coût de revient. Il n’est pas acceptable que des biens agricoles qui ont demandé de la patience, du temps et de l’énergie soient produits à perte.
Pour atteindre cet objectif, nous devons changer de modèle économique. Trop de producteurs investissent des sommes considérables pour moderniser leur exploitation, pour se doter d’équipements performants, sans savoir ce qu’ils vont toucher à la fin du mois. Pour leur donner de la visibilité sur leurs revenus, nous allons mettre en en place des contrats écrits obligatoires mentionnant un prix, un volume et une durée.
Je connais, bien entendu, les inquiétudes des producteurs par rapport aux contrats. Je veux leur dire que nous avons entouré ceux-ci de toutes les garanties nécessaires.
Première garantie : ce sont les interprofessions qui négocieront en première instance les contrats, afin que les particularités de chaque filière soient respectées.
Deuxième garantie : les pouvoirs publics garderont une capacité d’examen concernant la mise en œuvre de ces contrats.
Troisième garantie : les interprofessions pourront fixer des indicateurs de tendance de marché qui serviront à la conclusion des contrats.
Ce modèle de contrat ne se limitera pas, j’en suis convaincu, au seul territoire français. Il deviendra une référence en Europe. Il a d’ailleurs déjà fait l’objet d’une réflexion approfondie au sein de la Commission européenne.
Je veux également être clair sur un point : les contrats seuls ne feront pas tout. Ils devront s’appuyer sur une régulation des marchés à l’échelle européenne pour stabiliser les prix et nous permettre de réagir en cas de crise. Un observatoire des volumes, de nouveaux outils de gestion des marchés, des instruments d’intervention plus flexibles et plus efficaces me paraissent donc indispensables. Nous avons engagé ce combat pour la régulation des marchés, à l’échelle européenne ; nous le mènerons jusqu’au bout.
Face à la multiplication des aléas économiques, climatiques et sanitaires, nous devons aussi offrir des garanties plus solides aux producteurs.
Les dérèglements climatiques, l’intensification des échanges et la spéculation sur les marchés des matières premières ont conduit, depuis quelques années, à des phénomènes de sécheresse ou d’inondation de plus en plus fréquents, à des crises sanitaires multiples et à l’accroissement de la volatilité des prix. Il ne s’agit pas de nier cette réalité, mais de donner aux agriculteurs les moyens d’y faire face.
Pour cela, il est indispensable de renforcer les dispositifs assurantiels. Pour la première fois dans l’histoire de notre agriculture, nous allons donc mettre en place des dispositifs assurantiels pour l’ensemble des filières agricoles, sans exception. Le Gouvernement étudiera un mécanisme de réassurance publique qui avait été écarté jusqu’à présent. Avec l’aide de l’Europe, il maintiendra également un niveau élevé de subvention des assurances, à hauteur de 65 %, de façon à inciter le plus grand nombre d’agriculteurs possible à s’engager dans cette voie.
Cet engagement de l’État signifie que l’assurance sera de la responsabilité de tous, pour une meilleure répartition des responsabilités entre les producteurs et la puissance publique.
Ces garanties plus solides passent aussi par une refondation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, qui continuera à indemniser les dégâts climatiques, mais dont le champ d’intervention sera élargi aux risques sanitaires et environnementaux. Cela ne dispensera cependant pas les agriculteurs de mettre en place des fonds de mutualisation, qui seront soutenus par l’État. Donner plus de responsabilités à chacun contribuera aussi à assurer l’avenir de l’agriculture.
Les aléas touchent également la forêt, et ce de manière plus fréquente. La tempête de 1999 devait être la « tempête du siècle ». Or, nous l’avons vu, dix ans plus tard, la tempête Klaus s’est révélée plus grave encore. Nous développerons donc aussi des assurances destinées à couvrir le risque de tempête en forêt, pour que les forestiers disposent des mêmes outils que les autres agriculteurs.
Avec ces nouveaux instruments économiques, nous pourrons engager une profonde rénovation des circuits de commercialisation des produits agricoles.
Les producteurs doivent d’abord se regrouper en organisations de producteurs et au sein d’interprofessions : plus ils sont dispersés, plus ils sont en position de faiblesse pour négocier les prix avec l’aval de la filière ; plus ils seront unis et organisés, plus ils seront forts. La future loi nous permettra donc de dresser le bilan de l’organisation économique des producteurs, pour en tirer toutes les conséquences. Nous continuerons les négociations avec la Commission européenne afin d’obtenir les aménagements nécessaires au droit de la concurrence et de permettre aux producteurs de mieux se regrouper face aux industriels et aux distributeurs.
Nous voulons aussi rééquilibrer le partage de la valeur au sein de la filière alimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes.
Nous supprimerons totalement les pratiques de remises, rabais et ristournes. Nous encadrerons le prix après vente : plus aucun fruit ou légume qui n’aura pas été commandé ne pourra se retrouver sur un marché ; plus aucun fruit ou légume ne pourra quitter une exploitation sans que les modalités de fixation de son prix aient fait l’objet d’un contrat écrit.
La grande distribution appliquera enfin une baisse automatique de ses marges en période de crise, sur la base de l’accord signé hier sous l’égide du Président de la République et qui sera applicable dès cet été.
Pour nous assurer que ces instruments donneront des résultats, nous renforcerons l’Observatoire des prix et des marges. Ce dernier étudiera tous les produits agricoles, sans exception, et analysera les coûts de production. Il rendra un rapport au Parlement. Son président aura la responsabilité d’analyser les données et de procéder aux interprétations nécessaires.
Toutes ces décisions dessinent une nouvelle organisation des filières agricoles. Elles expriment une solidarité nouvelle et indispensable entre leurs différents acteurs : distributeurs, industriels et producteurs. Car nous devons tous en avoir conscience : ce n’est pas en opposant les uns aux autres que nous trouverons des solutions aux difficultés actuelles. C’est au contraire en travaillant ensemble, en répartissant les efforts de manière équitable, en améliorant notre organisation économique et en rééquilibrant les rapports de force au profit des producteurs que nous dégagerons des voies d’avenir.
La France est la première puissance agricole européenne. Elle ne le restera que si elle préserve ses terres agricoles.
Dans cette perspective, le projet de loi tend à mettre en place un observatoire national chargé d’étudier la consommation des terres agricoles, d’identifier les zones de plus grande perte et de proposer des moyens pour éviter une telle situation. Nous ne pouvons pas continuer à perdre 200 hectares de terres agricoles chaque jour, soit l’équivalent d’un département tous les dix ans.
Nous créerons des commissions départementales, composées de professionnels et d’élus des collectivités, ayant pour mission de donner un avis sur les déclassements de terres agricoles.
Nous proposons enfin d’instaurer une taxe sur la spéculation des terres agricoles. Je souhaite que son produit soit affecté en priorité à l’installation des jeunes agriculteurs.