Intervention de Gérard César

Réunion du 18 mai 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Gérard CésarGérard César, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins de cinq ans, nous adoptions, dans cette enceinte, la loi d’orientation agricole pour donner à notre agriculture de nouveaux instruments de développement : regroupement des producteurs, modernisation du cadre juridique et fiscal applicable aux exploitations, encouragement à la diversification.

Peu d’entre nous imaginaient alors que le monde agricole connaîtrait tant de bouleversements en quelques années. En raison de la hausse des cours, il a vécu deux années exceptionnelles, le sommet ayant été atteint en 2007, essentiellement pour les grandes cultures ou le lait. Mais la chute n’en a été que plus brutale : depuis la mi-2008, les prix sont orientés à la baisse et la quasi-totalité des productions sont aujourd’hui en crise.

Notre agriculture connaît une situation inédite : après une première baisse de revenu de 23 % en 2008, les exploitants en ont enregistré une de 32 % en 2009. Aucun autre secteur de l’économie n’est aussi durement touché.

Le secteur du lait est emblématique. La vie des éleveurs laitiers est contraignante, mais leur revenu était considéré comme relativement stable. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, et, depuis maintenant deux ans, les acteurs du marché n’arrivent pas à se mettre d’accord.

Les apports de la loi d’orientation agricole n’ont pas été balayés, mais la situation actuelle justifie que le législateur intervienne de nouveau, par le biais de l’examen du présent projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

Ce texte fait suite au grand débat sur l’agriculture lancé à l’automne dernier. Il est marqué par un double impératif : à court terme, répondre à l’urgence de la crise agricole ; à moyen terme, préparer notre agriculture aux changements prévisibles de la politique agricole commune après 2013.

L’urgence est telle qu’elle a été prise en compte avant même la discussion du présent projet de loi : le plan de soutien exceptionnel à l’agriculture a permis d’injecter plus de 1, 6 milliard d’euros dans les exploitations, selon un bilan établi le mois dernier par notre collègue député Nicolas Forissier, nommé médiateur national pour le plan précité.

Par ailleurs, la loi de finances rectificative pour 2010 votée au mois de février dernier a prévu l’application, au 1er janvier de cette année, d’une exonération des charges patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels, ce qui donnera une bouffée d’air aux producteurs de fruits et légumes et aux exploitants viticoles, en particulier.

Le texte qui nous est soumis vise donc non seulement à répondre aux enjeux de court terme, mais aussi à fournir les instruments d’une politique agricole ambitieuse et rénovée.

Je salue au passage le choix du Gouvernement de saisir en premier le Sénat du présent projet de loi. Monsieur le ministre, nous y sommes très sensibles.

Ce choix est une marque de confiance en la qualité du travail sénatorial. Il montre aussi que, lorsqu’il y a urgence, le Sénat sait répondre présent.

La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné sur ce texte plus de cent-dix représentants d’entreprises ou d’organisations professionnelles, afin d’établir un diagnostic et une analyse partagés.

L’ensemble des personnalités rencontrées se sont accordées sur un point : le fonctionnement de l’économie agricole est aujourd’hui gravement perturbé, comme en témoignent les trois caractéristiques suivantes.

Première caractéristique : l’instabilité des prix est devenue extrêmement forte, d’une campagne à l’autre, mais aussi au cours d’une même année. L’agriculteur n’a plus de visibilité, plus de repères, tant les prix varient. Et ce phénomène concerne non plus les seules productions saisonnières très marquées par les conditions climatiques, comme les fruits d’été, mais toutes les filières.

Deuxième caractéristique, moins nouvelle : le producteur a peu de pouvoir pour influer sur les cours. Malgré des efforts d’organisation, qui doivent encore être poursuivis, les agriculteurs restent petits et faibles face à l’aval des filières, beaucoup plus concentré.

Troisième caractéristique : l’agriculture est désormais pleinement exposée à la concurrence internationale. Après les réformes successives de la PAC, les prix mondiaux guident les marchés et s’imposent désormais aux agriculteurs européens. Il est illusoire de penser construire une quelconque digue pour y échapper. Si nous sommes trop chers, l’industrie ou la distribution se fourniront à l’étranger, comme c’est parfois déjà le cas aujourd’hui.

Face à ces évolutions, le monde agricole porte une double demande d’organisation et de régulation.

La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMAP, sera l’un des leviers d’une stratégie globale consistant à orienter la politique agricole vers plus de régulation. Je constate avec intérêt l’évolution des jugements sur ce texte. Ne nous faisons pas d’illusion : la LMAP n’est pas une baguette magique qui résoudra d’un seul coup l’ensemble des problèmes de la filière agricole. Aucune loi nationale concernant l’agriculture ne saurait l’être, d’ailleurs.

Il faut juger le texte pour ce qu’il est : une boîte à outils qui met en place des instruments utiles par leur combinaison : contrats, interprofessions, moralisation des relations commerciales pour la filière des fruits et légumes, assurance, plan régional de l’agriculture durable et foncier agricole. Toutes les mesures proposées vont dans le bon sens : celui du rééquilibrage des forces par une meilleure organisation des producteurs, la restructuration des marchés et l’organisation des filières.

La commission n’a pas remis en cause l’équilibre général du texte. Elle l’a toutefois beaucoup modifié, adoptant 123 amendements, provenant de tous les groupes. Elle a aussi réduit le nombre des ordonnances prévues par le projet de loi. De même, elle souhaite très clairement que le nombre de rapports soit le plus faible possible.

S’agissant du titre Ier, la commission a approuvé l’orientation prise en faveur d’une politique de l’alimentation, nouveau fondement de la légitimité d’une intervention publique dans le domaine de l’agriculture. Nous vous remercions, monsieur le ministre, d’avoir choisi de poser les fondements d’une politique publique de l’alimentation dans ce texte. En effet, tout est lié en matière d’agriculture et de consommation.

Le contenu du programme national pour l’alimentation a été enrichi, notamment pour permettre des actions en faveur des circuits courts.

L’alimentation passe par la connaissance des produits consommés. Aussi, la commission a ajouté un article 1er bis, qui fournit une base juridique pour imposer l’étiquetage obligatoire de l’origine des produits alimentaires, bruts ou transformés.

Les modalités d’application sont renvoyées à un décret, mais cet article permettra d’avancer. La commission appuie, par son texte, la position de la France dans les négociations menées actuellement au niveau européen pour modifier le règlement sur l’étiquetage des denrées alimentaires. Connaître la provenance de ce qu’il mange est un droit fondamental du consommateur.

La commission a également ajouté, au sein du titre Ier, un article concernant la formation obligatoire des professionnels en matière d’hygiène alimentaire et, sur proposition de notre collègue Françoise Férat, un article visant à moderniser l’enseignement agricole.

Le titre II est le cœur du texte. Nous avons souhaité en améliorer la rédaction pour que chacun des outils qu’il contient soit plus efficace.

À l’article 3, relatif aux contrats obligatoires, le texte de la commission tend à mettre en place un principe de subsidiarité : l’intervention des pouvoirs publics pour imposer le contrat ne sera possible que si l’interprofession n’arrive pas à s’entendre. Ce point me paraît très important.

Aux articles 4 et 5, la commission a souhaité renforcer l’encadrement des pratiques commerciales dans le secteur des fruits et légumes, en décidant, d’une part, que toute vente de fruits et légumes devrait faire l’objet d’un accord de prix conclu à l’avance, interdisant de fait la pratique du prix après vente et, d’autre part, que la pratique des trois « R » – remises, rabais et ristournes – serait désormais totalement proscrite, alors que votre texte, monsieur le ministre, ne prévoyait une telle interdiction qu’en cas de crise conjoncturelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion