Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 18 mai 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, l’agriculture traverse une crise dont on ne perçoit pas l’issue, tant elle est profonde, durable et générale.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la baisse des revenus atteint 32 % en moyenne pour toutes les productions, et même 53 % pour la filière arboricole !

Si quelques secteurs, comme celui des céréales, ont connu récemment deux années fastes avec une montée des cours en 2006 et en 2007, l’agriculture est en permanence soumise à des turbulences, et ce depuis de nombreuses années.

Déjà, en 2005, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation agricole, nous cherchions à donner à ce secteur les moyens de faire face à des difficultés conjoncturelles récurrentes. Depuis, chaque année, lors du débat budgétaire, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », nous faisons le constat de fortes incertitudes économiques.

Bien qu’il soit très combatif et toujours prêt à s’adapter et à se moderniser, le monde agricole est gagné par le désespoir. Comment pourrait-il en être autrement alors que le travail des agriculteurs est en permanence remis en cause ? Quand ce ne sont pas les aléas climatiques qui mettent régulièrement en danger leurs récoltes, ce sont les aléas sanitaires qui frappent brutalement leurs exploitations, avec, pour couronner le tout, la menace permanente de la volatilité des cours ! Quel autre secteur de la vie économique cumule autant de handicaps venus de l’extérieur et vit ainsi dans une insécurité permanente et la peur du lendemain ? Aucun !

Le soutien des pouvoirs publics est donc indispensable afin de ne pas laisser disparaître un monde qui, malgré tout, continue de revêtir une importante dimension stratégique.

En effet, mes chers collègues, la production agricole française porte l’industrie agroalimentaire, dont le chiffre d’affaires a tout de même atteint 138 milliards d’euros en 2007 et qui contribue de façon essentielle aux exportations de notre pays.

L’agriculture est en outre garante de l’équilibre et de l’aménagement du territoire. Elle est le poumon de plusieurs milliers de communes dont la vie économique est totalement dépendante de cette activité. N’oublions pas, par ailleurs, que le défi alimentaire que nous aurons à relever demain impose de créer les conditions du maintien du plus grand nombre d’exploitations possible.

Dans cette perspective, que nous proposez-vous, monsieur le ministre ? Une loi de modernisation agricole.

Ce texte est naturellement bienvenu sur le plan du principe, même si son intitulé surprend : en matière de « modernisation », voilà longtemps que les exploitants font preuve d’une grande capacité d’innovation. Ainsi, au cours des dernières années, malgré un contexte économique défavorable, les rendements se sont améliorés dans quasiment toutes les filières. C’est une simple question sémantique, me direz-vous, mais il me semble important de veiller à donner du monde agricole l’image la plus précise et la meilleure possible.

Aujourd’hui, les agriculteurs ont surtout besoin d’une palette d’outils leur permettant de contrebalancer la libéralisation des marchés agricoles. Je regrette que le projet de loi n’aille pas vraiment dans cette direction. Certes, il contient quelques pistes, en matière de régulation interne, soutenables quant à leurs objectifs.

Oui, monsieur le ministre, il est utile de renforcer la contractualisation afin d’inscrire l’agriculteur dans une relation transparente et équilibrée avec ses acheteurs. Les producteurs de fruits et légumes attendent la suppression des remises, rabais et ristournes, la fin des « prix après-vente » et l’encadrement des annonces de prix hors lieu de vente. À cet égard, un premier pas a été franchi hier soir, avec la signature d’un accord de modération des marges et des prix ; on peut s’en féliciter.

Oui, il est également souhaitable d’encourager l’action des interprofessions pour une organisation plus solide des filières.

Oui, on peut aussi débattre de la façon dont sont organisés les producteurs.

Mais une fois que tous ces points auront été examinés, nous n’aurons pas répondu au problème de la dérégulation progressive de l’agriculture à l’échelle internationale, contexte dans lequel le modèle agricole français, soucieux de performances économiques mais aussi sociales et environnementales, a bien du mal à s’imposer.

Monsieur le ministre, l’Appel de Paris, que vous avez lancé le 10 décembre 2009, a-t-il été bien entendu par nos partenaires européens ? Que nous réserve la PAC après 2013 ? La France recherche un nouveau mode de régulation, tenant compte des efforts des uns et des carences des autres. Nos agriculteurs ne redouteraient pas la concurrence si celle-ci était loyale, nous le savons tous. Mais comment accepter que, dans un marché de plus en plus ouvert, les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs soient différentes d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre ? L’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, sous prétexte d’assurer l’accès aux marchés, ne fait qu’organiser une grande braderie agricole. Dans ces conditions, les agriculteurs français souffrent d’un véritable désavantage compétitif. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ne me paraît pas, hélas, de nature à inverser le cours des choses.

Pour apporter une réponse plus immédiate à la crise, il aurait été par exemple utile de prolonger l’effort consenti dans la loi de finances rectificative pour 2009 en faveur de l’allègement des charges, qui est un facteur clé de la compétitivité de l’agriculture. Cependant, monsieur le ministre, j’ai cru comprendre, au travers des propos que vous avez tenus hier, que telle n’était pas la direction dans laquelle nous nous engagions.

Mes chers collègues, la situation de l’agriculture est alarmante. Des milliers d’emplois vont encore disparaître si les bonnes réponses ne sont pas apportées dès aujourd’hui. Or, malgré quelques avancées, le présent projet de loi est globalement décevant, et les solutions franco-françaises qu’il comporte seront vite dépassées si notre modèle n’est pas mieux défendu au sein des instances internationales.

En tout cas, monsieur le ministre, les radicaux de gauche considèrent que ce texte ne permettra pas de répondre à la gravité de la crise que subissent les agriculteurs français.

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