Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise affecte durement, depuis plus d’un an, toutes les filières de l’agriculture française. Elle ne doit cependant pas nous occulter l’évolution, voire la mutation préoccupante de la dernière décennie.
À titre d’exemple, la diminution du nombre d’exploitations au niveau national, en moyenne de 19 300 par an de 2000 à 2005, s’est accélérée de 2005 à 2007, passant à 30 000 disparitions annuelles. Aujourd’hui, la simple observation locale des conséquences de la crise que nous traversons montre que le phénomène s’est amplifié et que la concentration se poursuit.
Concernant la crise elle-même, l’analyse est largement partagée. L’Europe, initialement ambitieuse dans la place accordée à l’agriculture, s’est détournée de ce qui était alors sa priorité, renvoyant aux États sa gestion courante. L’idée selon laquelle les marchés s’autorégulent dans l’harmonie, dont on perçoit aujourd’hui la naïveté, a placé les producteurs en position de faiblesse.
Quelles ont été les conséquences de la loi de modernisation de l’économie au plan national ? Qui a bénéficié de son application? On peut déjà affirmer que ce ne sont ni les producteurs ni les consommateurs !
C’est dans ce contexte, régi par la crise conjoncturelle, que le Président de la République a annoncé le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
C’est un projet de loi composite, abordant de nombreux sujets, qui se justifie par les réponses ponctuelles qu’il apporte à une profession terriblement ébranlée. C’est un projet de loi de temporisation également, en attendant 2013 avec la réforme de la PAC et 2015 avec la fin des quotas laitiers.
La LMAP est une réponse dictée par les circonstances aux attentes d’une profession désormais sans perspectives.
La commission de l’économie a procédé à de nombreuses auditions. De même, dans nos régions, nous avons noué des contacts avec des représentants professionnels de toutes sensibilités syndicales.
Nous pouvons en tirer un constat : tous jugent le cadre européen pertinent, nécessaire, voire indispensable pour l’avenir de l’agriculture. Ils font également état de l’urgence qui existe à mettre en place des règles d’équité véritablement communes et rétablissant l’égalité des chances entre les producteurs.
Il faut croire que cette nécessité est réelle et urgente puisque le Président de la République en personne s’est déclaré prêt à soutenir une épreuve de force sur le sujet.
Cependant, dans l’immédiat, qu’attendent les agriculteurs ? Ils souhaitent des prix suffisamment rémunérateurs pour assurer l’équilibre économique des exploitations ; leur stabilité et la lisibilité dans la durée, seul moyen de faire des choix de gestion sans avoir le sentiment de jouer au casino ; l’équité dans les rapports commerciaux au sein des filières, car l’asymétrie est évidente. La variable d’ajustement est toujours la production, au bénéfice de la distribution.
Le cœur de ce projet de loi est donc le titre II consacré à la compétitivité, clé de voûte de la régulation vue par le Gouvernement.
J’aborderai en premier lieu la contractualisation qui, c’est le moins que l’on puisse dire, soulève à juste titre les interrogations des agriculteurs. La crainte existe qu’elle puisse déboucher sur l’intégration. Une inquiétude s’exprime également sur la nature du transfert de propriété induite et son extension possible aux droits à produire.
Par exemple, quelle sera la nature exacte de l’obligation d’un industriel à contractualiser ? Dans la perspective de la suppression des quotas, sur quels volumes porteront les contrats ? Qu’adviendra-t-il après 2015 ? Autre grande question : le contrat prévoira-t-il que soit incluse dans les coûts de production la rémunération du producteur ? Quels moyens d’arbitrage seront mis en place pour régler les conflits ?
L’État est attendu sur les moyens qu’il entend se donner afin de veiller au respect de l’équilibre entre les contractants. Enfin, il importe que le contrat soit collectif et non pas individualisé.
Le renforcement des organisations de producteurs est le deuxième point que je souhaite aborder. Si sur le principe personne ne s’y oppose, c’est sur leur organisation, leurs compétences et leur représentativité que portent les interrogations.
L’exemple suisse justifie de telles inquiétudes. Dans ce pays, depuis la fin du système des quotas en 2009, les organisations de producteurs se livrent à une concurrence effrénée. Incapables de parvenir à un accord, elles produisent désormais des volumes de lait supérieurs aux besoins du marché, provoquant par là même la baisse des prix payés aux producteurs. Dans ce contexte, les organisations interprofessionnelles s’avèrent à leur tour incapables d’arbitrer les conflits.
Il convient donc de placer les organisations de producteurs au niveau pertinent que constituent les bassins de production, mais également d’introduire le pluralisme syndical dans les différentes instances, seul moyen de les rendre incontestables.
Cette idée, sensée et évidente, fait son chemin dans les esprits. Le moindre des paradoxes ne serait pas que ce qui se pratique partout ailleurs dans le fonctionnement des relations sociales soit considéré comme non applicable à l’agriculture.