Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les moyens. Monsieur le ministre, vos prédécesseurs ont eu à assumer de grands bouleversements dans le secteur agricole, mais ils s’étaient donné les outils et les moyens de leur politique. Je sais que vous n’aimez pas que l’on aborde la question des moyens et vous avez le mérite de la franchise !
Vous savez le rôle qu’a joué l’enseignement agricole dans la modernisation de notre agriculture, grâce la vulgarisation agricole, au travers de son maillage de techniciens et d’ingénieurs. Vous savez encore le rôle qu’ont joué les fonctionnaires de votre ministère dans les départements et dans les régions. Il vous reste quelques minces troupes, écrasées par la tâche, croulant sous la réglementation, pour la plupart d’entre eux vacataires, contractuels démotivés, otages de la RGPP. Il ne se passe pas un jour sans qu’une structure utile vienne frapper à la porte de la région ou du département pour se faire payer, ici un technicien, afin d’éviter son licenciement, là une subvention, pour mener à bien ses actions. Telle est la dure réalité du contexte dans lequel vous allez devoir mettre en œuvre votre loi !
Mon troisième point porte sur le pluralisme. Je suis élu du bassin de production du Roquefort : l’organisation interprofessionnelle y est donnée comme exemplaire. Nous y avons connu l’époque du refus de la diversité et de la défense intenable du monopole syndical dans l’interprofession. Puis, face à l’arrivée d’un grand groupe industriel représentant 80 % de la transformation, le bon sens l’a très vite emporté. Aujourd’hui, le syndicat majoritaire et la minorité travaillent de concert et dégagent des consensus pour affronter le géant de l’agroalimentaire avec quelque succès.
La recherche de l’unité dans la diversité est toujours plus efficace que le monopole syndical, taxé de tous les maux et, en fin de compte, à tort ou à raison, de toutes les compromissions. Alors, il faut que votre projet de loi sorte enfin des faux-semblants sur ce sujet.
Je conclurai sur ce témoignage d’Edgard Pisani, qui écrivait en 2004 : « J’ai été quant à moi productiviste... hier. Cela répondait à des exigences. Je n’en ai pas de regret. J’ai la hâte obsédante de voir naître d’autres accomplissements : il nous faut intégrer toutes les variables, assumer les nouvelles complexités : participer à la civilisation moderne, contribuer aux équilibres économiques nationaux, offrir un véritable avenir aux sociétés “paysannes”, sauvegarder la nature et animer l’espace rural, venir à bout de la faim qui accable des centaines de millions d’êtres, assumer, poursuivre le progrès en le passant au filtre d’une sagesse nouvelle. »
Monsieur le ministre, cinquante ans après votre prédécesseur, vous devez relever les mêmes défis. Certes, vous arrivez au pire des moments pour l’agriculture, alors que l’Europe agricole, qui a fait notre prospérité et devrait être notre avenir, doute d’elle-même. Je crains que, malgré votre talent, les remèdes contenus dans votre projet de loi ne suffisent pas à redonner à une profession qui a perdu tout espoir l’espérance en des jours meilleurs. Les débats à venir nous montreront si nous pouvons améliorer cette situation !