Intervention de Bernard Cazeau

Réunion du 18 mai 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est en proie au doute et l’agriculture ne fait pas exception.

Dans mon département, la Dordogne, qui est un bon exemple d’agriculture familiale, 10 % des exploitants agricoles perçoivent le revenu de solidarité active minimal, dit RSA socle, et cette proportion devrait atteindre 20 % des exploitants agricoles à la fin de l’année.

Un paysan sur cinq perçoit le RSA, tout en travaillant cinquante à soixante heures par semaine ; cela signifie que son travail ne lui rapporte pas même 1, 50 euro de l’heure ! Voilà ce que gagnent les agriculteurs les plus à la peine en ce moment. Ils se lèvent tôt et, comme cela a déjà été dit, travaillent à perte. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement quand les revenus globaux ont chuté en moyenne de 30 % en l’espace de quelques mois ?

Le plan d’urgence exceptionnel annoncé par le Chef de l’État en octobre dernier, essentiellement constitué des classiques prêts bonifiés, a fait long feu et n’a rien résolu des problèmes de fond.

Aussi, en abordant votre texte, monsieur le ministre, et compte tenu des cinq minutes qui me sont imparties, je n’entrerai pas dans les détails, par ailleurs exposés par certains de mes collègues, et ne poserai qu’une seule question : le cours dramatique que prend l’évolution économique de l’agriculture peut-il être inversé par les mesures que vous envisagez ? En d’autres termes, la boîte à outils proposée par M. le rapporteur Gérard César est-elle adaptée et crédible ?

Nous constatons à regret que le projet de loi qui nous est soumis est trop partiel, trop incertain et trop imprécis pour être à la hauteur de cet enjeu.

Je ne parle pas des généralités bienveillantes de l’article 1er concernant la vocation de l’agriculture dans la société française contemporaine. Nous en partageons la plupart et leur rappel n’est pas inutile. À ce propos, je vous renvoie d’ailleurs à la loi du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, qui évoquait déjà ces points.

Je veux plutôt parler du décalage entre les intentions que vous affichez et la réalité de votre politique, hier comme aujourd’hui.

Par exemple, monsieur le ministre, vous prétendez endiguer l’urbanisation galopante à la périphérie des villes pour conserver des surfaces agricoles, mais votre gouvernement continue à défiscaliser l’investissement au travers des dispositifs Scellier et Robien, ce qui multiplie à l’envie la construction, parfois dans des secteurs où elle n’est pas tout à fait utile.

Vous prétendez freiner la conversion des terres agricoles en zones à bâtir, mais vous ne faites rien pour les retraités agricoles depuis dix ans. Croyez-vous que les agriculteurs vendent leur patrimoine par plaisir ? Ne croyez-vous pas qu’ils le font aussi par nécessité, alors qu’ils touchent des retraites de misère ? Ne fallait-il pas faire l’inverse et suivre l’exemple du gouvernement de Lionel Jospin, c’est-à-dire s’occuper des retraites – c’est effectivement sous ce gouvernement qu’elles ont véritablement remonté – avant d’envisager des mesures en faveur du maintien des surfaces agricoles ?

Vous prétendez réglementer les contrats commerciaux entre acheteurs et fournisseurs. Mais, en 2008, votre gouvernement faisait voter la loi de modernisation de l’économie, réprouvée par l’ensemble du monde agricole. Cette loi légalisait les marges arrière, instaurait la liberté intégrale des prix et assouplissait les règles de l’urbanisme commercial à tel point qu’aujourd’hui les supermarchés se multiplient comme des petits pains.

Vous prétendez mettre en place des aides publiques à l’acquisition de primes d’assurance tandis que le Premier ministre ne cesse de parler d’une austérité imminente et annonce une baisse des dépenses de fonctionnement et d’intervention de 10 % pour tous les ministères sans exclusive. La rigueur s’arrêtera-t-elle aux portes de la Rue de Varenne ?

Enfin, vous déclarez être prêt à bousculer les règles du jeu européen, alors que le commissaire Dacian Ciolos, qui appartient à votre large majorité européenne, est venu affirmer ici, devant le Sénat, que la prochaine réforme de la PAC ne contrarierait pas l’ouverture à la concurrence. Or, nous le savons bien et vous l’avez dit vous-même, cette ouverture à la concurrence est insoutenable pour l’agriculture familiale de notre pays.

L’enjeu est là, monsieur le ministre, dans les limites qu’il faut apporter à la compétition internationale. Nous produisons globalement trop cher parce que nous n’avons pas basculé dans le productivisme intégral et que nous recherchons – comme vous – la qualité et la sûreté des aliments. C’est justement cela qu’il faut défendre et il vous appartiendra de le faire, dès le mois de juillet, lors de la mise en œuvre du processus de réforme de la PAC !

En effet, ne nous leurrons pas, si la réforme de la PAC vise à préparer la diminution du budget de l’agriculture en Europe et si la France perd ne serait-ce qu’une fraction des aides dont elle bénéficie à ce titre – de l’ordre de 10 milliards d’euros par an tout de même –, nous n’aurons plus les moyens d’agir de quelque façon que ce soit.

Monsieur le ministre, les agriculteurs ne croient plus aux textes qui, pour l’essentiel, sont des textes d’affichage. Ils veulent désormais, comme ils vous le rappellent tous les jours, des propositions concrètes qui soient efficaces, crédibles et rassurantes pour leur avenir et celui de leurs enfants.

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