J’en viens au périmètre de la loi.
Le problème des retraites agricoles a été évoqué, à juste titre, par des orateurs de toutes tendances. Il s’agit effectivement d’un sujet important, qui mérite d’être traité.
Nous avons été reçus par Éric Woerth afin d’examiner le moyen de poursuivre la revalorisation des petites retraites agricoles, que nous avons engagée voilà deux ans. Nous étudions actuellement la mise en place de dispositifs qui permettront à tous les agriculteurs de bénéficier du minimum vieillesse.
Vous avez raison, monsieur Le Cam, il s’agit d’un sujet majeur. Trop d’agriculteurs touchent, encore aujourd’hui, une retraite de l’ordre de 510, 520 ou 530 euros, alors que le minimum vieillesse s’élève à plus de 700 euros. Ce n’est pas acceptable ! Nous trouverons des solutions concrètes pour remédier à cette situation.
S’agissant des négociations internationales, la loi n’a évidemment pas pour rôle de définir l’orientation des positions françaises. Mais je tiens à répondre à Jean-Michel Baylet, qui a abordé cette question, que nous continuerons à défendre vigoureusement la position qui est la nôtre : nous avons atteint la limite extrême des concessions possibles en matière agricole dans le cadre de l’OMC, et nous n’irons pas plus loin.
J’ajoute, monsieur Le Cam, que nous sommes opposés à toute concession supplémentaire dans le domaine agricole, dans le cadre de l’OMC ou dans celui des négociations avec le MERCOSUR, car elle se solderait inévitablement, comme vous l’avez dit, par de nouvelles difficultés pour plusieurs filières, notamment celle de l’élevage.
Toutes les promesses faites par le Gouvernement en matière d’aides agricoles et de cohérence entre ces aides et la politique gouvernementale de rétablissement des finances publiques seront tenues, et toutes les aides promises seront versées. Mais, s’agissant des aides supplémentaires, je préfère consacrer les moyens dont nous disposons à des dépenses d’investissement et d’avenir plutôt qu’à de nouvelles aides immédiates qui disparaîtront « dans le sable », et j’assume cette décision.
Mieux vaut consacrer 100 millions d’euros à la modernisation des exploitations, et notamment à des investissements en matière de diagnostic énergétique, plutôt qu’à la prise en charge d’une nouvelle tranche d’intérêts d’emprunt, qui n’aura aucun effet à long terme sur la situation des agriculteurs. Bien entendu, j’aimerais pouvoir faire les deux. Mais il me semble plus raisonnable, dans le contexte budgétaire actuel, d’assumer une décision claire pour toute nouvelle dépense.
Mme Odette Herviaux a longuement parlé des prix, et à juste titre. Cette question majeure pour l’agriculture de demain fera l’objet du troisième point de mon intervention.
Comment définir des prix qui soient suffisamment rémunérateurs pour les agriculteurs français, c’est-à-dire qui leur permettent de couvrir les coûts de production ? La crise ne se définit pas seulement d’un point de vue statistique ou administratif. Il y a crise lorsque les prix agricoles ne couvrent plus les coûts de production.
Comme l’ont dit Didier Guillaume et Alain Fauconnier, pour sortir de la crise, il faut réévaluer les prix afin qu’ils soient suffisamment rémunérateurs pour les agriculteurs français.
Permettez-moi de préciser quel cap nous nous sommes fixé au travers de ce texte.
Contrairement à d’autres pays européens, notre objectif n’est pas de rechercher le prix le plus bas possible. C’est une voie que nous avons trop longtemps empruntée. Or tirer le plus possible ce prix vers le bas, c’est oublier que la production agricole a un coût, qui est supporté par les agriculteurs. Je préfère, pour ma part, un prix juste et rémunérateur, et j’assume ce choix. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, mais elles sont indispensables si nous voulons préserver l’agriculture française.
Je souhaite que nous parvenions à établir un prix qui soit le plus juste possible, c’est-à-dire compatible avec les coûts de production assumés par les agriculteurs, et que l’Observatoire des prix et des marges devrait permettre de définir. Je souhaite également que nous modifiions les règles de la commercialisation afin de faire bénéficier les producteurs agricoles de l’augmentation du prix. C’est une preuve supplémentaire du fait que cette loi n’est pas une boîte à outils !
La question de la compétitivité a été abordée à plusieurs reprises. Cette question, que nos partenaires européens nous posent aussi, ne saurait être écartée d’un revers de la main, comme si elle n’existait pas. Elle conditionne en effet la préservation de nos marchés, de nos parts de marché, et donc des débouchés pour nos produits agricoles.
Si nous faisions l’impasse sur la compétitivité, en estimant que ce problème n’est pas idéologiquement acceptable, les importations augmenteraient encore davantage. Je rappelle que les importations de lait frais en provenance d’Allemagne ont augmenté de 70 % depuis janvier 2010, que la production française de fruits et légumes a diminué au profit de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne, et que notre filière porcine souffre terriblement de la concurrence imposée par nos voisins allemands. En Allemagne, par exemple, 50 % des porcs sont abattus dans trois abattoirs seulement !
Telle est la réalité de la concurrence à laquelle nous devons faire face. On peut la nier ou estimer que ce sujet n’est pas intéressant. Les producteurs savent bien, quant à eux, que nous devrons traiter cette question. C’est ce que nous ferons, grâce au plan de développement des filières.
Vous ne pouvez pas, monsieur Muller, écarter la question de la compétitivité, même si c’est intellectuellement satisfaisant. Les agriculteurs savent pertinemment qu’ils doivent affronter des concurrents, et nous devons leur donner les moyens de lutter à armes égales.
Je vous rejoins toutefois sur un point : la compétitivité n’est pas incompatible avec le développement durable, bien au contraire.
Vous dites que le projet de loi ne prévoit aucune disposition permettant de concilier compétitivité des agriculteurs et développement durable. C’est faux ! Le Gouvernement consacre, cette année, 30 millions d’euros pour aider les agriculteurs à établir un diagnostic énergétique et à financer des installations de méthanisation. Grâce à ces mesures concrètes, nous pourrons concilier les impératifs de compétitivité, de prix agricoles rémunérateurs et de développement durable.
Le quatrième point de mon propos, qu’a longuement évoqué Daniel Soulage, concerne l’assurance agricole, chère au cœur de Jean-Paul Emorine.
Ce projet de loi pose le principe de la réassurance publique dans l’agriculture. C’est un changement de cap majeur ! Cela montre bien, là encore, que ce texte n’est pas une boîte à outils. Aucun gouvernement précédent, de droite ou de gauche, n’a réussi à imposer ce principe.
Les agriculteurs pourront désormais bénéficier d’instruments assurantiels, quelles que soient les filières concernées, y compris celles de l’élevage ou des fourrages. Toutes les filières agricoles auront donc les moyens de s’assurer, comme c’est déjà le cas dans les autres pays européens. Cette réforme importante et utile permettra aux agriculteurs de se prémunir contre les aléas que j’ai eu l’occasion de mentionner.
Gérard Le Cam a souligné, avec beaucoup de justesse, qu’il fallait éviter les effets d’aubaine. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne met pas en place immédiatement le dispositif de réassurance publique, mais en pose seulement le principe. Nous voulons en effet étudier, au préalable, les voies et moyens permettant aux assureurs privés de faire de la réassurance, avant que l’assurance publique puisse jouer.
En d’autres termes, nous calquerons le dispositif sur le modèle en vigueur pour le risque terroriste. Ce sera aux assureurs privés de prévoir un dispositif de réassurance en cas de risque important. Ainsi, la réassurance publique n’interviendra qu’en cas de circonstances exceptionnelles, par exemple si l’ensemble du territoire français était touché par la sècheresse.
Mais, je le répète, il faut éviter les effets d’aubaine. Les assureurs privés doivent exercer toutes leurs responsabilités. La réassurance publique ne doit jouer qu’en toute dernière instance. Ces remarques s’adressent à Gérard Le Cam et à Yannick Botrel.
Le caractère obligatoire de l’assurance a été évoqué à plusieurs reprises, notamment par Didier Guillaume, Daniel Soulage, Jean-Paul Emorine et Aymeri de Montesquiou. Sur ce point, mon opposition est non pas de principe, mais pragmatique.
En effet, en l’espèce, je veux bien essayer de faire modifier les règles européennes, mais j’ai l’humilité de reconnaître que ce sera probablement l’un de mes successeurs qui, s’il le veut également, y parviendra. Si j’échoue dans cette voie et si la France met en place un système d’assurance obligatoire, le principe de subsidiarité jouera à plein et notre pays perdra les 100 millions d’euros de subventions européennes dont il bénéficie au titre de l’assurance. Très concrètement, la mise en place d’un tel dispositif assurantiel coûtera chaque année 380 millions d’euros au budget de l’État, avec un niveau de subvention de 50 %, au lieu du taux de 65 % que nous permet d’atteindre l’Union européenne.
C’est pour cette raison toute pragmatique que je préfère renoncer, pour le moment, à l’assurance obligatoire et mettre sur pied un dispositif fortement incitatif, avec un taux de subvention de 65 %.
Monsieur Muller, je vous le répète : il ne s’agit absolument pas d’un dispositif néolibéral. Les néolibéraux seraient-ils prêts à subventionner des primes assurantielles à hauteur de 65 % ? Je suis sûr et certain qu’un véritable néolibéral n’accepterait jamais de mettre en place un dispositif de réassurance publique, une telle démarche étant opposée à sa doctrine. C’est au contraire un principe de régulation majeure que nous posons dans le présent projet de loi.
Un cinquième point est au cœur de nos discussions, celui des contrats. Jean-Michel Baylet a utilisé une belle expression, disant que les contrats sont nécessaires à une relation transparente et équilibrée entre les acteurs de la filière. C’est ce que nous voulons justement construire. Comme Didier Guillaume et Jean-Pierre Raffarin l’ont affirmé, ce système est inspiré du modèle coopératif, aux vertus duquel je continue à croire, indépendamment des critiques que j’entends ici ou là.