Le législateur aurait été inspiré d’instituer la règle de prix rémunérateurs, afin de garantir à tous les agriculteurs un droit au revenu.
Ce projet de loi aurait dû être aussi l’occasion de s’attaquer au problème de l’accès au métier et au statut de l’exploitant.
L’accès au métier de paysan est conditionné par l’accès au statut social de chef d’exploitation. Celui-ci confère une reconnaissance de l’activité agricole de la personne, et donne accès aux droits spécifiques des paysans. Le problème réside dans le fait que l’accès au statut est conditionné par la direction d’une ferme, dont l’importance doit être au minimum d’une demie SMI, ou surface minimum d’installation.
Cette référence pose de nombreux problèmes : elle ne permet pas les installations progressives dans une période où la pression foncière s’est fortement accentuée. Elle diffère fortement d’un département à l’autre, provoquant de fortes inégalités sur les territoires. Elle revient à nier l’existence des pluriactifs pour lesquels l’activité agricole est secondaire, et elle ne permet pas de prendre en compte les projets à haute valeur ajoutée à l’hectare, car intégrant la valorisation, la transformation ou la commercialisation des produits de l’exploitation.
Nous proposons donc de faire dépendre l’octroi du statut, non plus à une taille minimum d’exploitation, mais à une déclaration d’heures de travail, comme cela existe déjà pour certaines activités.
Nous dénonçons par ailleurs le statut de cotisant solidaire, qui n’ouvre aucun droit professionnel à des paysans en activité. Les cotisants solidaires non retraités exerçant une activité agricole sont environ 100 000 en France. Les pouvoirs publics ont reconnu implicitement la réalité de leur activité en leur accordant en 2008 des droits pour les accidents du travail, les maladies professionnelles, et prochainement pour la formation professionnelle. Il est désormais nécessaire d’aller plus loin en ouvrant l’accès au statut de chef d’exploitation à ces cotisants solidaires. Voilà ce qui serait une décision de justice sociale !
Il est consternant de constater que cette loi ne mentionne nullement l’inscription du modèle agricole français au sein d’un environnement international, particulièrement européen, surtout dans la perspective de l’échéance de 2013 pour la politique agricole commune.
Deux crises additionnent aujourd’hui leurs effets : la crise écologique, qui disqualifie notre modèle de développement économique basé sur le productivisme ; la crise économique causée par le néolibéralisme mondialisé, qui a partout dérégulé les échanges.
L’agriculture se trouve au confluent de ces deux crises, et il devient urgent d’y porter remède. Le modèle productiviste d’agriculture intensive doit laisser la place à une agriculture soucieuse de l’environnement, avec des productions relocalisées. Les crises successives que l’agriculture a connues ces dernières années, je pense à la crise du lait, montrent que les politiques de dérégulation, initiées par l’Organisation mondiale du commerce et soutenues par l’Union européenne, doivent prendre fin.
La France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, à savoir la mise en place d’un prix minimum indicatif européen pour chaque production, l’activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, une politique douanière européenne garantissant que les produits importés sont fabriqués dans des conditions sociales et environnementales acceptables, et sont payés à un juste prix aux producteurs.
De même, la France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de mécanismes de production pour certaines productions, et l’activation, en cas de crise exceptionnelle, d’outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.
Enfin, nous devons mettre en place les outils permettant une véritable planification de la transition écologique de l’agriculture. Nous devons tendre vers une agriculture beaucoup plus diversifiée, réintégrant activité agricole et élevage, rapprochant les cycles du carbone et de l’azote. Nous devons tendre vers une agriculture relocalisée, autonome, valorisant la richesse potentielle des écosystèmes cultivés, en lieu et place de systèmes basés sur l’usage intensif d’engrais chimiques et de pesticides, et sur la motorisation à outrance.
Cette agriculture que nous devons promouvoir nous permettra donc de contribuer à la lutte contre le changement climatique, de diminuer l’utilisation de carbone fossile et des autres ressources non renouvelables, de produire des aliments de meilleure qualité, de protéger l’environnement des contaminations diverses, et de restaurer la biodiversité.
Mais cela implique une agriculture plus intensive en temps de travail et en emplois et donc, à la fois, des prix rémunérateurs pour que le travail agricole soit payé à son juste prix, et une véritable politique foncière volontariste permettant de stopper la course à l’agrandissement des exploitations, voire, dans certaines régions, d’inverser ce phénomène en facilitant l’installation d’agriculteurs.
Une loi qui ne prendrait pas en compte l’ensemble des aspects que je viens d’évoquer ne répondrait pas aux enjeux lancés par l’agriculture du XXIe siècle.
Loin d’améliorer la situation, elle ne ferait que retarder la date ou il nous faudra prendre des décisions drastiques pour réparer les dégâts sociaux et environnementaux du libéralisme, et du modèle d’agriculture productiviste qui lui est lié.
Une disposition législative adéquate pourrait encadrer efficacement les plans régionaux de développement de l’agriculture durable, et l’action des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, de telle sorte qu’ils soient dans l’obligation de répondre à certains de ces objectifs, notamment en matière de politique foncière et de transition écologique de l’agriculture.
Malheureusement, le Gouvernement est trop soucieux d’enjeux électoraux à court terme. Il est pris en tenaille par ses dogmes libéraux de dérégulation entière de l’économie, qui nous ont pourtant menés au bord du gouffre. Nombreux sont les parlementaires, y compris au sein de la majorité, qui savent que cette loi ne résoudra rien. Mais c’est parce qu’en outre nous la jugeons anticonstitutionnelle au regard de la Charte de l’environnement que nous vous appelons, mes chers collègues, à voter la motion d’irrecevabilité que nous avons déposée.