Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à M. le rapporteur et M. le ministre, je souscris à l’argumentation développée par ma collègue Marie-Agnès Labarre pour défendre cette motion, qu’il s’agisse de l’irrecevabilité en matière de respect environnemental et des points qu’elle a soulevés concernant la gestion forestière, ou encore des problèmes liés à la contractualisation, qui reste, et vous le savez bien, une épreuve de force entre deux parties bien inégales… Nous ferons à cet égard des propositions au cours du débat.
Marie Agnès Labarre a également dénoncé les lacunes par lesquels s’illustre votre texte. Pour ma part, je souhaiterais insister sur une lacune particulièrement criante : ce texte ne donne au monde agricole, et surtout aux agricultrices et agriculteurs, aucune perspective d’avenir à moyen terme dans la pratique de leur métier.
En effet, malgré les avancées effectuées par la commission, trop d’incertitudes, trop de flou persistent quant à la lisibilité de ce métier.
Rien n’est prévu, par exemple, pour lutter contre la volatilité des prix agricoles, qui a pour conséquence la baisse du revenu des agriculteurs : en Rhône-Alpes, elle était en moyenne de 20 % en 2008 et de 34 % en 2009. Dans cette même région, 1 500 agriculteurs touchent le revenu de solidarité active, dont plus de 600 dans mon seul département de l’Isère.
Le poids des traditions n’est pas non plus pris en compte dans l’évolution proposée par ce texte. Bien sûr, personne ne conteste que chacune, chacun doit « vivre avec son temps », mais le temps de l’agriculture ne rime sans doute pas avec celui voulu par la PAC, dont les nombreux contrôles et formalités imposent aux agriculteurs de passer plus de temps dans leurs dossiers que sur leur exploitation !
C’est en tout cas ce que nous a fait savoir M. Jean-Bernard Bayard, membre du bureau de la FNSEA lors de son audition devant la mission « mal être » du Sénat, soulignant les conséquences néfastes de cet état de fait sur la santé des exploitants, dans la mesure où « ils vivent dans la crainte que leurs ressources diminuent encore un peu plus parce qu’ils n’auraient pas correctement rempli tel ou tel document »…
Selon M. Jean-Pierre Grillet, médecin chef de l’échelon national de santé au travail de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, on enregistre environ 400 suicides d’agriculteurs par an. Bien sûr, l’isolement, le célibat, la précarité favorisent le passage à l’acte, mais la perte de la terre que l’on a héritée de sa famille est vécue dramatiquement, surtout lorsqu’elle fait suite à une faillite.
Pourtant, ce qui a failli, ce n’est pas l’agriculteur, mais bien le système économique actuel, fondé sur la compétitivité, la libre concurrence et la volatilité des prix. C’est ce système qui est à l’origine de la crise que traverse notre agriculture, alors même que la question alimentaire n’a jamais été aussi prégnante : les prix agricoles baissent en Europe et, à nos portes mêmes, la famine menace.
Aujourd'hui, 70 % des agriculteurs ont un revenu inférieur au SMIC et, je l’ai dit, beaucoup touchent le RSA. Pourtant, ces femmes et ces hommes ne demandent pas plus à toucher cette allocation qu’à recevoir des aides de l’Europe ! Elles et ils veulent pouvoir vivre de leur travail, qu’il soit justement rémunéré et mieux considéré !
Je voudrais, pour conclure, évoquer le regard que porte la société sur nos agricultrices et agriculteurs, qui se sentent parfois culpabilisés parce qu’ils exerceraient une activité polluante, qu’ils toucheraient d’innombrables primes, qu’ils feraient du bruit, que sais-je encore…
Sans doute ces griefs sont-ils fondés, mais les agriculteurs en portent-ils l’entière responsabilité ? Vous aurez deviné ma réponse : les agriculteurs n’ont fait que s’adapter au progrès technique et ont eu recours aux modes de production recommandés à chaque époque.
Je suis persuadée de l’utilité de notre agriculture non seulement parce qu’elle constitue un secteur économique important, chacun l’a souligné, mais aussi parce qu’elle contribue à l’aménagement de notre territoire. C’est tout particulièrement le cas dans mon département, l’Isère, où la montagne tient une grande place. En zone de montagne, l’agriculture joue un rôle essentiel dans la préservation du milieu – maintien des alpages, conservation des prairies sèches et des zones humides, etc. – et l’entretien du paysage. Pourtant, rien dans ce texte ne répond à cet enjeu !
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion.