Du reste, je dois vous le dire, j’assume totalement le fait que nous abandonnions les quotas laitiers ; et je n’ai pas l’habitude de me cacher derrière mon petit doigt quand j’assume une décision ! En effet, les quotas laitiers, nous les avons connus… et nous avons subi la crise laitière la plus grave en dix ans ! C’est bien la preuve que les quotas ne constituent pas la réponse au problème de la production laitière en Europe.
J’assume également cette décision parce que l’Européen convaincu que je suis ne pense pas que les quotas soient défendables auprès des autres pays de l’Union. Allez donc expliquer aux Suédois qu’ils n’ont pas le droit de produire plus de 1 000 ou 2 000 Saab par an sous prétexte que leur pays est moins peuplé que d’autres ! Or c’est la logique des quotas : vous êtes un petit pays, vous produisez peu de lait ; vous êtes un grand pays, vous produisez beaucoup de lait.
Une telle argumentation est indéfendable aujourd’hui en Europe. Si le ministre de l’agriculture s’était amusé à faire preuve de populisme en disant qu’il allait continuer à défendre les quotas laitiers, il aurait certainement été plus populaire, mais il aurait tout aussi certainement été battu ! Je préfère défendre la régulation du marché du lait, l’application de nouveaux instruments rendant possible des évolutions, que rester attaché à des instruments anciens comme les quotas laitiers.
Monsieur Bel, vous regrettez que le projet de loi ne propose pas d’outils nouveaux. Permettez-moi de vous dire que votre argumentation est un peu contradictoire ! En effet, vous reprochez à la fois à ce projet à la fois d’aller trop loin sur certains sujets, d’être trop audacieux, et de ne pas fournir d’outils nouveaux et concrets !
Je ne dresserai pas ici la liste de tous ceux que le projet contient, mais permettez-moi d’en citer quelques-uns. La réassurance publique, c’est nouveau et c’est concret ! Tous les gouvernements, droite et gauche confondues, ont voulu mettre sur pied la réassurance publique dans l’agriculture ; aucun n’y est parvenu. J’espère sincèrement que vous voterez la disposition qui s’y rapporte, car cette mesure me paraît dépasser de loin les clivages entre droite et gauche.
Par ailleurs, je suis évidemment favorable à la taxation de la spéculation foncière – c’est concret ! – et je souhaite que le produit de cette taxe soit affecté à l’installation des jeunes agriculteurs, sujet dont vous vous souciez raison, monsieur Bel.
Les contrats systématiques, l’assurance forêt, la réduction des marges en période de crise, la suppression des remises, rabais et ristournes : autant de mesures concrètes ! La modification des règles du code des marchés publics pour favoriser les circuits – c’est d’ailleurs une proposition que le groupe socialiste a faite et que je soutiens totalement –, c’est encore une disposition très concrète !
Sur le bio non plus, on ne peut pas dire que nous ne faisons rien ! Chaque jour, en France, grâce aux mesures fiscales mises en place par le Gouvernement, ce sont dix nouvelles installations en bio qu’on enregistre. La filière connaît une ascension fulgurante, même si elle continue de ne représenter qu’une part très marginale de la production.
Tout cela – et je pourrais multiplier les exemples dans le même sens – pour vous dire que ce projet de loi peut se voir opposer tous les reproches possibles, sauf celui de manquer de dispositions concrètes !
Quant à la philosophie générale que nous défendons au travers de ce texte, croyez-le bien, elle n’est en rien celle de la libéralisation et de la dérégulation ; telle n’est d’ailleurs pas ma vision de l’action politique. Ce que nous prônons, c’est la responsabilité : celle de l’État, au travers du mécanisme de la réassurance publique et de la possibilité qui lui est offerte d’être assureur en dernier recours ; celle des agriculteurs, pour qu’ils se dotent des instruments leur permettant de faire face à la crise.
Sur l’alimentation, je rejoins vos propos. Nous avons fixé un cadre général et annoncé une politique publique de l’alimentation. Toutes les propositions de nature à en favoriser la mise en place seront les bienvenues.
J’en viens maintenant aux perspectives de long terme et aux négociations internationales. Bien entendu, celles-ci sortent du cadre du présent projet de loi puisqu’elles se jouent à une autre échelle et en d’autres lieux. Mais je tiens tout de même, là aussi, à rappeler certains faits.
La Commission européenne a déposé au mois de novembre dernier un projet de texte visant à réduire de 40 % le budget de la politique agricole commune. Quel est l’État qui a su réagir, rassembler ses partenaires et lancer, dès le mois de décembre, l’Appel de Paris pour refuser une telle réduction ? C’est la France ! Voilà des faits tangibles, et non des affirmations en l’air !
Le gouvernement français a fait de même sur la régulation européenne des marchés agricoles. Lorsque j’en ai parlé en août, tous mes homologues m’ont regardé comme si j’étais un martien prônant un retour à l’orthodoxie marxiste !