En effet, je perçois, sur le terrain, comme un sentiment d'abandon, de désespérance, et un climat extrêmement tendu, ce qui m'inquiète au plus haut point.
« Nous ne tiendrons pas deux ans, pas même un seul », nous ont lancé, à M. Raymond Courrière et à moi-même, à plusieurs reprises, nombre de viticulteurs. Ces propos-là n'ont rien d'exagéré, monsieur le ministre, je vous le certifie ! Abattement chez les uns, froide colère chez les autres : je crains des actes désespérés.
Bref, le feu est dans la maison.
La plupart d'entre eux ont accompli d'immenses efforts pour la qualité de leurs produits. Ils ont investi dans les caves, dans les vignobles ; ils ont emprunté, se sont endettés, et tout cela pour aboutir à quoi ? Leurs revenus ont été amputés de 30 % à 40 % ! Qui, dans ce pays, accepterait sans réagir une telle amputation de ses ressources ?
Il est à craindre, monsieur le ministre - c'est là l'essentiel de mon message - que, dans un tel contexte, cette profonde désespérance ne dégénère en drames.
Le Midi n'a pas oublié certaines heures douloureuses : les événements tragiques de 1907, à Narbonne, sont bien présents dans nos mémoires, et ceux de 1976, à Montredon-des-Corbières, plus encore.
La crise frappe, les revenus sont essorés, mais aucun répit n'est laissé aux vignerons pour faire face aux remboursements des dettes, au paiement des charges sociales ou des impôts, tandis qu'ils ne sont guère épargnés par la multiplication des contrôles ou les pressions de la grande distribution.
Vous avez annoncé des mesures, monsieur le ministre, et vous vous y êtes, d'ailleurs, pris à deux fois.
Permettez-moi de vous dire - c'est un avis qui recueille l'unanimité, dans nos campagnes - que lesdites mesures ne sont en aucune manière adaptées à la détresse matérielle et morale des viticulteurs et de leurs familles, car elles ne sont pas à la hauteur de l'ampleur de la crise qui les frappe.
Soyons clairs : aujourd'hui, il y va de la vie ou de la mort d'un grand nombre d'exploitations situées sur des territoires souvent fragiles et où, parfois, seule la culture de la vigne est possible. Oui, aujourd'hui, il y va du maintien ou de la disparition de pans entiers de notre économie.
Dans le département de l'Aude, la part de la viticulture, dans le produit brut agricole, avoisine les 400 millions d'euros, et, en Languedoc-Roussillon, plus d'un milliard d'euros. A l'échelon national, la viticulture pèse, en valeur, plus de 9 milliards d'euros et génère quelque 800 000 emplois directs ou indirects. Qui oserait laisser sacrifier un tel secteur ? L'on aurait donc grandement tort de sous-estimer l'ampleur de la crise dont il est atteint.
Depuis ces quatre dernières années, je n'ai cessé de sensibiliser les ministres de l'agriculture successifs sur les dangers d'une crise viticole qui perdure. Ainsi, en août dernier, j'ai alerté votre prédécesseur, monsieur le ministre, sur la nécessité d'anticiper par des mesures ciblées la crise qui s'annonçait. J'ai récidivé en octobre dernier, mais, apparemment, en vain.
Aujourd'hui, la situation est catastrophique, alors que s'annonce déjà la prochaine campagne.
Nous connaissons les causes de la crise, je n'insisterai donc pas davantage. Nous les avons cernées, voilà trois ans déjà, dans le rapport sur l'avenir de la viticulture française que nous avons rédigé, ici même, au Sénat, au terme d'une année de travail.
Nous avons dégagé cinq grands axes de propositions. Malheureusement, peu d'entre elles ont été reprises.
J'ai là un récapitulatif des propositions de la profession, ou des jeunes viticulteurs audois, ou encore de certaines caves coopératives. Plusieurs de ces suggestions sont connues de vos services, d'autres vous seront transmises par mes soins, n'ayez crainte !
Par ailleurs, un contrat d'objectif en Languedoc-Roussillon vous sera soumis prochainement.
Monsieur le ministre, vous avez toutes les cartes en main pour inverser la tendance, pour peu que vous preniez des mesures d'envergure permettant de passer ce cap très difficile.
Au nombre de ces mesures figurent - je le rappelle - celles qui touchent à l'urgence, c'est-à-dire à des problèmes humains et à la survie d'un grand nombre d'exploitations, qui est une priorité.
Viennent ensuite les initiatives à prendre à très court terme, dans la perspective de la prochaine campagne, car il serait catastrophique qu'elle aussi soit compromise.
Il faut redonner confiance à ce secteur, fleuron de notre économie.
Enfin, des mesures concernent le moyen terme et la sortie durable de cette longue crise.
Je vous renvoie, monsieur le ministre, à l'ensemble de nos propositions, en ce qui concerne tant la relance du marché intérieur que le développement de nos exportations, d'autant que les études prospectives, à l'horizon 2008, sont encourageantes par rapport à l'augmentation de la consommation mondiale et à l'apparition de nouveaux marchés. Je tiens à votre disposition des chiffres significatifs.
Toute la question est de savoir si nous allons laisser ces marchés à nos concurrents et si, au plan intérieur, nous allons continuer à considérer que la baisse continue de la consommation est une fatalité. A ce titre, je vous invite à regarder du côté de l'Espagne.
J'aimerais bien, monsieur le ministre, connaître vos intentions.