Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 16 novembre 2005 à 15h00
Prorogation de l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 — Exception d'irrecevabilité

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Il porte gravement atteinte au principe de légalité, il ne respecte pas l'obligation selon laquelle doivent être réunies des circonstances exceptionnelles.

« S'agissant d'atteintes à des libertés, les règles doivent être définies par le législateur de manière que le principe de légalité soit respecté dans toute la mesure du possible » : cette phrase est extraite de la saisine du Conseil constitutionnel, cosignée par le député Jacques Chirac lui-même, le 25 janvier 1985, à l'encontre de la loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle- Calédonie et dépendances, dernière application hors métropole de la loi de 1955.

La droite parlementaire considère-t-elle que ce qui était attentatoire aux libertés fondamentales en Nouvelle-Calédonie ne l'est pas aujourd'hui en France métropolitaine ?

C'est la théorie des « circonstances exceptionnelles » qui justifie juridiquement les lois d'exception.

Selon le manuel universitaire de M. René Chapus, professeur à l'Université Panthéon-Assas, plusieurs exigences doivent être réunies pour établir une circonstance exceptionnelle.

« Il est nécessaire que les mesures aient été prises pour répondre à une situation réellement exceptionnelle, ce caractère étant concrètement apprécié. Les événements les plus divers peuvent être créateurs de circonstances exceptionnelles : guerre, insurrection, cataclysme naturel (par exemple séisme ou éruption volcanique) [...] Mais les pouvoirs de l'administration ne sont étendus que pendant le temps et dans les lieux où les circonstances ont effectivement un caractère exceptionnel. »

Je formulerai une première remarque : même si nous considérons que les événements passés équivalaient à une éruption volcanique, nous ne sommes plus aujourd'hui en situation exceptionnelle. La loi d'exception n'est donc pas justifiée.

M. Chapus poursuit : « En second lieu, il faut que l'administration ait été, du fait des circonstances, dans l'impossibilité d'agir conformément au principe de légalité. L'urgence à agir sera souvent de nature à établir cette impossibilité. »

Vous me permettrez donc de faire cette seconde remarque : l'état d'urgence n'ayant pas été nécessaire pour le retour au calme - qui peut dire ici le contraire ? - et l'étant encore moins aujourd'hui, l'administration pouvait tout à fait agir conformément au principe de légalité. En clair, les moyens légaux habituels ont suffi et suffisent au maintien de l'ordre.

La loi d'exception n'est donc pas justifiée et, par conséquent, les libertés fondamentales prévues par la Constitution sont mises en cause abusivement.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les constitutionnalistes s'interrogent sur la décision du Gouvernement, comme M. Jean Giquel, quand ils ne la dénoncent pas, comme M. Dominique Rousseau.

Il est un dernier point majeur d'inconstitutionnalité.

Comme l'indique le recueil des fondements de la jurisprudence administrative : « Le Conseil constitutionnel, lorsqu'il est appelé à connaître avant leur promulgation de lois restreignant l'exercice d'une liberté publique recherche, dans la ligne de la jurisprudence Benjamin du Conseil d'État, si les dispositions arrêtées par le législateur sont proportionnées à l'objectif à atteindre, c'est-à-dire à la nécessité d'assurer la sauvegarde de l'ordre public. »

On ne peut être plus clair !

Le Conseil constitutionnel ne va pas se prononcer sur la loi de 1955, mais il peut se prononcer sur la loi que vous entendez nous faire adopter aujourd'hui, et j'appelle les parlementaires à être plus vigilants sur la constitutionnalité des textes législatifs.

Monsieur le garde des sceaux, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'état d'urgence est irrecevable parce qu'il participe d'un calcul politique éminemment dangereux.

Le 21 avril 2002 fut un véritable séisme démocratique. Depuis votre arrivée au pouvoir, vous n'avez eu de cesse de casser les socles de la cohésion sociale par une politique ultralibérale. Le peuple s'exaspère !

Vous n'entendez rien, ni les mouvements sociaux, ni les urnes. Le 29 mai, les Français ont exprimé très largement leur refus du libéralisme en France et en Europe. Rien n'y fait, vous ne répondez qu'aux sollicitations du MEDEF et des actionnaires. Aussi, il vous faut manier la peur et le bâton.

Vous n'avez eu de cesse de stigmatiser les plus pauvres, de désigner des boucs émissaires, de criminaliser l'action militante et revendicative.

Vous avez beaucoup fait pour punir : la loi pénale n'en finit plus d'être durcie au gré des circonstances. Vous jouez avec le feu !

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