Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 16 novembre 2005 à 15h00
Prorogation de l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 — Article 1er

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Or l'état d'urgence et son régime, c'est une déclaration de guerre !

Au préalable, revenons un bref instant sur cette situation, car il ne suffit pas de condamner puis de réprimer : il faut comprendre pour agir efficacement.

Permettez-moi de vous rapporter quelques bribes des discussions que j'ai eues ces dernières nuits avec les jeunes de mon quartier : « On nous traite pire que des chiens, même les animaux, ici, ont plus de droits que nous ! Tous les jours, c'est l'humiliation... Tu attends ton train à la gare, on te contrôle, t'as pas le droit d'attendre à la gare, c'est le plan vigipirate, il paraît. Tu marches sur le trottoir, on te contrôle, au faciès, pour rien ! Bientôt, on va même nous interdire de respirer parce qu'on vole l'oxygène des Français, car, pour eux, on n'est pas des Français ! À quoi servent tes papiers, y'a pas de travail, pas de logement décent, pas d'activités, ou elles sont trop chères. Les salles du quartier sont fermées, nos associations sont étouffées, même dans le hall de l'immeuble, tu ne peux pas discuter ! Alors, que fait-on ? Où va-t-on ? Tu le sais, toi, en me parlant, en m'interpellant, tu es d'ici, avec nous, de notre quartier, tu le vois, on n'existe pas ! Même toi, tu as réussi, tu as fait des études, mais ça donne quoi ? Tu nous connais, tu sais qu'on n'est pas des voyous, mais qui t'écoute ? Qui te donne la parole ? Même les médias te méprisent, car tu ne veux pas dire ce qu'ils veulent entendre ! On n'est pas des esclaves, on n'est pas des bêtes ! Alors ça brûle, car on n'existe que quand on brûle ! Et on brûle quoi ? L'école qui ne sert plus à rien et nous exclut, nos logements insalubres où ils nous ont parqués, nos quartiers où ils nous ont abandonnés... On est des pauvres et ils n'aiment pas les pauvres. C'est la relégation ici... le bagne des pauvres et des exclus ! »

Et je pourrais continuer ainsi pendant longtemps ! Non, ce n'est pas de la haine, c'est la rage qu'ils ont ! Depuis des années, ils crient leurs douleurs mais personne ne les écoute, personne ne veut les entendre !

Les violences, ce n'est pas une solution, me direz-vous. Vous avez raison, mais que voulez-vous ? S'ils produisent de la violence, c'est qu'ils ne connaissent que la violence. Ils ne vivent que des violences, au quotidien, sous diverses formes : exclusions, discriminations, racisme, humiliation, chômage...

Et aujourd'hui encore, ils sont victimes de leur propre violence, mais ils n'ont plus rien à perdre. C'est leur désespérance, c'est leur mal-être qu'ils brûlent également, comme pour exorciser toutes ces violences qu'ils subissent !

Ne vous y trompez pas, ce n'est pas du misérabilisme, c'est leur réalité, leur quotidien. Et leur révolte, c'est leurs mots pour dire non. C'est aussi le cri de la vie et un cri d'espoir pour un avenir meilleur !

Ne vous trompez pas de cibles ! Arrêtez les amalgames qui feraient croire que la France est en guerre civile, et que les étrangers en mal d'intégration seraient coupables.

Les mafias ne sont pas dans les quartiers en feu. Non, monsieur le ministre, ces mafias maintiennent le calme, car elles ne veulent ni des médias, ni de la police.

Ce conflit est social, il n'a rien à voir avec nos origines, nos cultures ou nos religions. Comme je l'ai déjà dit, il puise ses racines dans l'injustice, dans les discriminations et l'humiliation.

Ne tombez pas dans la facilité, en appelant au secours les organisations musulmanes ou en trouvant des boucs émissaires !

Regardons en face nos responsabilités, si vous voulez nous redonner confiance. Essayons surtout de ne pas faire sur cette question de la politique politicienne, ou de la démagogie populiste.

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