Vous touchez à un acquis social historique, au mépris de la volonté exprimée par les Français, notamment ceux d’entre eux qui ont manifesté, en mettant en scène des comparaisons internationales biaisées qui, si on en étudiait tous les dispositifs, montreraient que ce que vous préparez pour la France nous placera, sous couvert d’une prétendue audace, au rang des plus rétrogrades.
Vous détruisez ce seuil de 60 ans, base éthique, sans un regard pour la société du travail, que vous avez dégradée. Jamais la souffrance au travail n’a été aussi prégnante dans le vécu quotidien : inquiétudes, angoisses, consommation d’anxiolytiques, rivalité entre collègues, hiérarchie aveugle et autoritaire, injonctions contradictoires, compression du temps qui empêche les salariés d’exercer correctement leur mission.
France Télécom, des hôpitaux et même France Télévisions deviennent le lieu de suicides. Ceux qui tiennent vivent en apnée durant leur temps de travail. Pour ces salariés, qui ont tant été pris dans l’étau, vous n’avez pas le droit de reculer l’horizon de la pause méritée...
Je ne paraphraserai pas Pierre Mauroy, décrivant avec talent et émotion les ouvriers qui « ne peuvent plus arquer ». Je vous lirai simplement quelques vers de Prévert :
« L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statutaire
l’imbécile illusion
de la joie [...]
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois [...]
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons ».
J’évoquerai ceux qui, parfois, semblent ne pas avoir souffert, ceux des solvants, ceux des éthers de glycol, des fibres céramiques, ceux des sels de métaux lourds, ceux à qui le médecin dit un jour que cette fatigue est un lymphome, que cette boule est un cancer, ou que ce désordre urinaire est non pas une affaire de vieillesse, mais la destruction des deux reins.
La « troisième vie » évoquée par M. Virapoullé, ce n’est pas un conte de fée, c’est quelquefois les perfusions et l’hôpital.