Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 30 mai 2006 à 16h00
Gestion durable des matières et des déchets radioactifs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur du Conseil économique et social, mes chers collègues, après l'examen du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, le Sénat étudie aujourd'hui un texte qui tend à renforcer la sûreté de nos installations nucléaires.

Avec près de 80 % de sa production électrique d'origine nucléaire, la France est une exception dans le monde. Nul autre pays n'a privilégié de cette façon l'industrie du nucléaire civil. Ce choix a été dicté dès la fin des années soixante et renforcé au début des années soixante-dix par la volonté d'assurer l'indépendance énergétique de notre pays, volonté d'autant plus justifiée que l'ensemble des pays importateurs d'hydrocarbures ont été touchés à deux reprises dans les années soixante-dix par les crises pétrolières.

Le nucléaire demeure pourtant un sujet tabou et a même parfois présenté un caractère de repoussoir. Il a fallu attendre les années quatre-vingt pour qu'un certain nombre de parlementaires, de toutes tendances politiques, se saisissent sans arrière-pensée de ce débat, avec un esprit de responsabilité et d'anticipation des enjeux qui se présentent à nous aujourd'hui. Cette démarche aboutit à l'adoption, à l'unanimité, comme l'a rappelé M. le rapporteur, de la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Cette dernière a confié au Parlement la définition du cadre des recherches et des décisions en matière de gestion des déchets de haute activité à vie longue.

Le premier mérite de cette loi fut d'inscrire en principe la responsabilité des décideurs de l'époque vis-à-vis des générations futures, principe décliné autour de trois axes, à savoir la réduction de la nocivité des déchets, le stockage en formations géologiques profondes, et enfin le stockage et l'entreposage de longue durée en surface.

La loi Bataille fut également exemplaire dans la mesure où elle institua une véritable transparence par le biais de la création de la Commission nationale d'évaluation des résultats obtenus pour la recherche sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue. Le principe d'information du grand public se concrétisa également au niveau local par l'institution d'un comité local d'information et de suivi.

Le débat démocratique reprend aujourd'hui ses droits, puisque c'est en application de l'article 4 de la loi de 1991 que nous sommes amenés à discuter du nouveau cadre légal des déchets radioactifs.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est d'abord nécessaire pour ne pas remettre en cause le processus amorcé en 1991. Il est de plus indispensable pour valider certains choix qui vont engager la France au moins pour les quinze ou vingt prochaines années. Je pense en particulier à la création d'un centre de stockage géologique. En toute hypothèse, l'ensemble de ces choix devra se faire en fonction de toutes les données dont nous disposons aujourd'hui, et en toute objectivité.

Il revient à notre génération, première bénéficiaire de l'énergie nucléaire, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, de chercher les solutions les plus sûres afin que les générations futures n'aient pas à pâtir d'un manque d'impartialité de leurs prédécesseurs.

Au terme de ces quinze années, la question nucléaire s'est dépassionnée. Grâce aux nombreux rapports de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de la Commission nationale d'évaluation, du Conseil économique et social ou de 1'ANDRA, nos concitoyens disposent aujourd'hui d'une information claire et objective qui met en évidence les enjeux de long terme engendrés par le choix de l'électricité nucléaire. Cette transparence est en pleine harmonie avec l'article 7 de la Charte de l'environnement, intégrée dans notre Constitution en 2005.

Le temps de la réflexion a fait son oeuvre. L'avancement des données scientifiques a conforté les éléments concrets sur lesquels vont s'appuyer nos choix ou va en infirmer d'autres. Je tiens ici à saluer la qualité remarquable des travaux menés par notre communauté scientifique, travaux dont les résultats ont permis la constitution d'un socle technique et scientifique fiable. Ainsi, nous savons maintenant que la couche d'argile, vieille de 150 millions d'années, étudiée par le laboratoire de Bure dans la Meuse, possède toutes les caractéristiques nécessaires pour recevoir des substances radioactives de haute activité et à vie longue dans des conditions de sécurité optimales.

Cette longue période fut propice à l'insertion de la France dans un mouvement regroupant de nombreux États et évoluant vers la solution du stockage géologique.

Ce mouvement ne nous a cependant pas empêchés de différencier notre approche, notamment sur la question de la transmutation, où nous sommes à l'avant-garde. Aujourd'hui, les pays possédant une industrie électronucléaire privilégient désormais la solution du stockage. C'est le cas, par exemple, de la Suède, de la Finlande, de la Suisse et du Japon, autant de pays dont on ne peut contester les exigences en matière nucléaire.

Toutefois, le projet de loi dont nous allons discuter ne clôt pas le débat, bien au contraire. En optant pour la réversibilité de notre politique de gestion des déchets radioactifs, le Gouvernement fait preuve de responsabilité en s'appuyant sur les travaux scientifiques très rigoureux encadrant strictement la surveillance et le contrôle des installations classées.

Ce texte contient d'importantes dispositions qui sont autant d'avancées nécessaires.

En premier lieu, il vise à introduire, après tant d'années d'attente, un plan national et un programme de recherches qui seront confortés par une évaluation totalement indépendante et le renforcement de la transparence des informations données à nos concitoyens.

En deuxième lieu, il tend à confirmer le rôle clef de l'ANDRA en augmentant ses moyens financiers et décisionnaires en vue d'assurer l'efficacité de sa mission, qui, nous le savons, est cruciale, comme tout ce qui touche au domaine nucléaire. L'ANDRA verra ses missions élargies et précisées, notamment en matière de recherche sur l'entreposage et le stockage, ainsi que sur la spécification du conditionnement des déchets.

La crédibilité de l'action de l'ANDRA ne sera confortée que par un financement individualisé, transparent et pérenne.

Ainsi, il est créé, au sein de l'ANDRA, un fonds destiné à faire face aux charges de recherches et d'études sur l'entreposage et le stockage profond, alimenté par une taxe spécifique « recherche » additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base.

De plus, il est créé un second fonds destiné au financement de la construction et de l'exploitation des installations, abondé par les contributions des exploitants propriétaires des colis de déchets.

Enfin, il est prévu un financement au profit des actions de développement dans la zone de proximité.

L'ensemble de ces dispositions me semble pleinement satisfaisant pour asseoir la capacité d'expertise et d'action de l'ANDRA.

En troisième lieu, ce texte tend à définir le régime juridique des installations de stockage : la définition posée par le projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire pour ce qui concerne la gestion de l'installation et du démantèlement des activités électronucléaires y est complétée.

Le présent projet de loi permet de finaliser l'ensemble du cadre juridique de l'activité électronucléaire française, parallèlement au projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire. De l'autorisation de mise en service au traitement des déchets, en passant par le contrôle permanent des installations, les sujétions légales mises à la charge des exploitants soulignent une très forte exigence de sécurité et de transparence.

Nombre de pays de l'Union européenne s'interrogent sur la reprise de leurs activités électronucléaires. La France peut constituer un modèle, grâce à l'excellence de sa filière. Bien sûr, nous pouvons raisonner en termes de parts de marché, d'exportations et de créations d'emplois, mais cela n'exclut pas un principe d'éthique s'imposant à tous.

Monsieur le ministre, ce projet de loi a le mérite de donner au Parlement les moyens de faire des choix fondamentaux sur l'avenir énergétique de la France au cours des prochaines décennies. Nous saisissons l'opportunité de partager cette grande responsabilité. Une importante majorité, sinon l'unanimité du groupe du RDSE, votera ce texte.

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