Séance en hémicycle du 30 mai 2006 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • axe
  • déchet
  • déchets radioactifs
  • génération
  • géologique
  • laboratoire
  • longue
  • radioactif
  • stockage

La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le président, mon intervention a trait à l'organisation de nos travaux et s'adresse au représentant du Gouvernement ici présent ainsi qu'à vous-même.

Le groupe CRC est préoccupé quant au bon déroulement de nos travaux d'ici au 30 juin prochain, date de la fin de la session ordinaire.

La dernière conférence des présidents a fixé l'ordre du jour des travaux du Sénat jusqu'au mercredi 14 juin ; après cette date, c'est l'inconnu, la prochaine conférence des présidents devant se tenir le 7 juin, c'est-à-dire la semaine prochaine.

Or, si rien n'est officiel, nous détenons tout de même des informations plus qu'officieuses. Dès lors, je vous interroge, monsieur le président : est-il normal que la commission des affaires sociales entame des auditions sur le projet de loi relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance qui n'est inscrit ni à l'ordre du jour officiel - la conférence des présidents n'en a en effet pas été saisie - ni même à l'ordre du jour prévisionnel ?

De la même façon, la représentation nationale peut-elle admettre que la presse et les organisations syndicales annoncent la présentation d'un projet de loi de privatisation de Gaz de France avant le mois de juillet, c'est-à-dire avant la fin de la session ordinaire, sans que la représentation nationale ou, tout au moins la conférence des présidents, en ait là non plus jamais été informée ?

Par ailleurs, monsieur le président, nous avons ouï dire que le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques qui, cette fois, figure à l'ordre du jour prévisionnel serait retiré pour être reporté aux calendes grecques, alors que les sénateurs y travaillent déjà depuis quelque temps.

Enfin, nous avons été étonnés de constater que les séances de réponses aux questions budgétaires se tiendraient hors de l'hémicycle, faute de temps en séance publique. Cette pratique, qui fut inaugurée à la veille du débat sur le CPE, ne saurait, à notre sens, être reconduite, tant il est vrai qu'elle ne respecte pas les règles de publicité qui font la force du débat parlementaire.

Telles sont les remarques que je souhaitais présenter en cet instant, en espérant qu'elles seront transmises par le représentant du Gouvernement ici présent à qui de droit et que vous en tiendrez également compte, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Ma chère collègue, en ce qui concerne Gaz de France, je n'ai encore, à ce jour, reçu aucune précision concernant le dépôt d'un texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Précisément, s'agissant de la protection de l'enfance, je sais que la commission des affaires sociales réfléchit actuellement à ce sujet et procède à des consultations. La commission est libre de son ordre du jour, et je n'ai nullement l'intention de m'immiscer dans ses affaires intérieures.

Peut-être, par précaution, afin d'être parfaitement informée au moment du dépôt du texte, a-t-elle pris l'initiative d'examiner certains sujets propres à ce projet de loi ? Quoi qu'il en soit, je le répète, le dépôt du projet de loi relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance n'est pas annoncé comme prochain, ce qui n'interdit bien entendu pas à la commission des affaires sociales de préparer dès à présent ses travaux.

S'agissant du contrôle budgétaire, si mes souvenirs sont exacts, M. Arthuis a effectivement annoncé en conférence des présidents qu'il allait réfléchir à de nouvelles méthodes de débat budgétaire, compte tenu de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, ce dont, au demeurant, je ne saurais l'empêcher.

Il s'agit là d'une démarche particulière au président de la commission des finances, qui conduira peut-être ce dernier à proposer une modification du règlement sur laquelle nous aurons alors à nous prononcer. Toujours est-il que je ne puis lui interdire d'y réfléchir dès maintenant.

Je profite d'ailleurs de l'occasion qui m'est donnée, monsieur le ministre, pour vous rappeler ce qui a été dit en conférence des présidents, à savoir que le Sénat souhaite qu'il n'y ait pas de session extraordinaire. Je le dis et je le répète pour que le président du Sénat ne soit pas accusé, au terme de la session ordinaire, de ne pas avoir sensibilisé le Gouvernement à cet égard. Par conséquent, je saurais gré à chacun d'en prendre bonne note afin que, si certaines critiques devaient être émises, elles ne visent pas le président du Sénat !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Vous avez notre soutien, monsieur le président !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programme, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs (315, 358).

Avant d'ouvrir la discussion, je dois vous rappeler, mes chers collègues, que le Conseil économique et social a demandé que, conformément aux dispositions de l'article 69 de la Constitution, Mme Anne Duthilleul, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social, puisse, pour ce texte, exposer l'avis du Conseil économique et social devant le Sénat.

Huissiers, veuillez faire entrer Mme Anne Duthilleul.

Mme Anne Duthilleul, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, est introduite dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 4, du règlement, le représentant du Conseil économique et social expose devant le Sénat l'avis du Conseil avant la présentation du rapport de la commission saisie au fond.

Par ailleurs, le représentant du Conseil économique et social a accès dans l'hémicycle pendant toute la durée de la discussion en séance publique. À la demande du président de la commission saisie au fond, la parole lui est accordée pour donner le point de vue du Conseil sur tel ou tel amendement ou sur tel ou tel point particulier de la discussion.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué à l'industrie

Monsieur le président, madame le rapporteur du Conseil économique et social, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de présenter au Sénat, au nom du Gouvernement, le projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, qui a été adopté par l'Assemblée nationale le 12 avril dernier et qu'il appartient maintenant à la Haute Assemblée d'examiner.

Grâce à l'implication des établissements de recherche, de leurs évaluateurs et des parlementaires qui se sont beaucoup investis dans ce domaine, nous sommes aujourd'hui en mesure de marquer une étape décisive vers une solution sûre et à très long terme concernant tous les déchets radioactifs, et je me réjouis de pouvoir le faire avec vous.

S'agissant d'un sujet un peu complexe, je commencerai par un rappel des faits.

L'énergie nucléaire est utilisée en France à des fins aussi variées que l'électricité nucléaire, qui réduit notre dépendance à l'égard du pétrole, la médecine nucléaire, qui a permis des avancées majeures dans le diagnostic et le traitement des maladies, ou encore la dissuasion nucléaire, qui joue évidemment un rôle décisif dans notre défense nationale.

Cela étant dit, comme toute industrie, le nucléaire produit des déchets, qu'il convient de gérer avec la plus grande rigueur compte tenu de leur caractère radioactif.

Il est nécessaire de chercher des solutions de gestion à long terme, quelle que soit la place occupée par le nucléaire dans notre politique énergétique.

En effet, des déchets ont été produits depuis quarante ans ; ils sont là, et il nous appartient de les gérer. Il en va de même pour toutes les nations qui ont choisi cette énergie. Aux États-Unis, en Finlande, en Suède, en Allemagne, les mêmes questions se sont posées et les mêmes types de démarches ont été engagés pour leur apporter des réponses.

Des solutions définitives existent déjà pour 85 % du volume des déchets, qui sont stockés en surface sur des sites exploités par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, dans les départements de la Manche et de l'Aube.

Les 15 % restants, qui concentrent en fait 99, 9 % de la radioactivité, sont entreposés de façon sûre dans des installations de surface à La Hague, dans la Manche, à Marcoule, dans le Gard, et à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône.

Toutefois, ces installations n'ont pas été conçues pour stocker définitivement ces résidus dont la radioactivité peut durer des centaines de milliers d'années, compte tenu des périodes de décroissance naturelle.

Afin de définir des solutions de gestion à long terme des déchets de haute activité et à vie longue, seuls trois axes de recherche scientifique semblent possibles, une fois écartés l'envoi dans l'espace, trop hasardeux, et l'injection dans des failles de subduction sous-marines, interdite par les conventions internationales.

Un premier axe de recherche porte sur la séparation des différents produits contenus dans les combustibles usés et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Il s'agit de réduire le volume et la toxicité des déchets, en distinguant les éléments les plus toxiques et à vie longue pour les transformer en éléments radioactifs à durée de vie plus courte. Des études sont actuellement menées en ce sens à Marcoule, dans le Gard.

Le stockage, irréversible ou réversible, des déchets en couche géologique profonde constitue un deuxième axe de recherche. Il a été étudié, notamment, grâce au laboratoire de Bure, dans une couche géologique vieille de 150 millions d'années, profonde et stable, à la frontière des départements de la Meuse et de la Haute-Marne.

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué

Effectivement, monsieur Longuet, à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne !

Un troisième axe de recherche porte sur l'étude de procédés de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface pour les déchets. Il vise à développer des installations qui permettraient de conserver les déchets en surface de façon sûre pendant cent à trois cents ans, contre cinquante à cent ans pour les entreposages exploités actuellement.

Toutefois, quelle que soit la durée du stockage, un entreposage reste, par définition, temporaire. Il n'est pas conçu pour apporter une solution définitive. Au terme de sa période de fonctionnement, les déchets doivent être retirés. Ce troisième axe de recherche est également suivi à Marcoule.

Pour réaliser ce projet de loi, nous nous sommes fondés sur les résultats de ces recherches, mais pas uniquement. Nous nous sommes appuyés aussi sur les rapports des établissements de recherche ainsi que sur les avis rendus par les organismes indépendants qui ont évalué ces études.

Tout d'abord, le 30 juin dernier, le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, et I'ANDRA m'ont remis, ainsi qu'à mon collègue en charge de la recherche au sein du Gouvernement, des rapports synthétisant leurs études et les résultats acquis.

Ces recherches ont été soumises à une évaluation continue par la Commission nationale d'évaluation créée par la loi de 1991. Elles ont également été confrontées aux meilleures connaissances acquises au niveau international. Ainsi, des revues ont été organisées sous l'égide de l'OCDE. Enfin, l'Autorité de sûreté nucléaire a émis un avis sur ces résultats

De même, je veux souligner l'apport très précieux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, notamment au travers des recommandations formulées dans le cadre de son dernier rapport sur le sujet. Celui-ci a été adopté en mars 2005, sous la présidence de M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques sur ce projet de loi.

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué

Nous avons complété ces éléments grâce à un débat public. Celui-ci, organisé de façon remarquable par la Commission nationale du débat public au dernier trimestre de 2005, a permis à nos concitoyens de s'informer sur ce sujet et d'exprimer leurs préoccupations. Il a éclairé le Gouvernement en lui apportant un « panorama des arguments ». Enfin, nous avons reçu le 15 mars dernier l'avis du Conseil économique et social.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai choisi de vous présenter les principaux objectifs et dispositions de ce projet de loi. La discussion générale et surtout l'examen des amendements qui la suivra nous permettront d'entrer davantage dans les détails.

En premier lieu, ce projet de loi institue un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, qui concernera non seulement les résidus de haute activité et à vie longue mais aussi, comme le recommandaient de nombreux participants au débat public, toutes les autres substances radioactives issues des activités nucléaires, c'est-à-dire les sources scellées utilisées dans la radiographie industrielle ou la médecine, les déchets issus des activités militaires, les résidus des mines d'uranium ou encore les anciens paratonnerres au radium.

Le projet de loi fixe trois principes essentiels, qui fonderont le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.

Tout d'abord, afin de réduire la quantité et la nocivité des déchets, les combustibles nucléaires usés qui sont issus des centrales électriques seront traités pour être recyclés dans des centrales.

Ensuite, les déchets qui ne peuvent être recyclés seront conditionnés dans des matrices robustes et stables et entreposés temporairement en surface.

Enfin, après entreposage, ceux des déchets ultimes qui ne pourraient être gardés définitivement en surface ou à faible profondeur seront stockés en couche géologique profonde, de façon réversible pendant une première période.

Pour le Gouvernement, il s'agit là d'une question de responsabilité. Notre génération, qui bénéficie de l'énergie nucléaire, a le devoir de définir des solutions sûres et de long terme pour tous les déchets radioactifs.

Avec le traitement des combustibles usés, le conditionnement et l'entreposage en surface pour refroidissement des déchets, enfin le stockage réversible en couche géologique profonde de ces derniers, nous choisissons une solution sûre, un schéma de référence dans lequel chacun des trois axes de recherche que j'ai énoncés joue un rôle important. Tel est l'objet de ce plan.

Un autre grand principe s'ajoute aux précédents : le projet de loi confirme l'interdiction de stocker en France des déchets étrangers et renforce la législation sur le sujet. Il prévoit que le traitement des combustibles usés en provenance de l'étranger sera encadré par des accords intergouvernementaux, qui fixeront des délais limités pour l'entreposage de ces matières et des déchets qui en sont issus après traitement.

Ces délais seront fixés au cas par cas, en fonction des contraintes techniques liées au traitement et au transport de ces substances. Le projet de loi institue un régime de contrôles et de sanctions, qui n'avait pas été prévu en 1991.

En second lieu, le projet de loi fixe un programme de recherches et de travaux, assorti d'un calendrier, afin de mettre en oeuvre le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.

Les recherches seront poursuivies selon les trois axes que j'ai indiqués, en fonction de leur degré de maturité respectif.

L'entreposage, tout d'abord, constitue déjà une réalité industrielle, même si nous pouvons encore l'améliorer afin de concevoir des installations pour lesquelles nous pourrons garantir des durées de fonctionnement plus longues.

Le stockage en couche géologique, ensuite, a été reconnu par les évaluateurs comme « faisable » et « incontournable ». L'ANDRA, dont les travaux ont été corroborés par des expertises nationales et internationales, a démontré sa faisabilité. Il faudra quelques années à l'ANDRA pour conforter les études, tester des maquettes à l'échelle 1/1, choisir un site précis et déposer une demande d'autorisation de construction.

La transmutation, enfin, reste un objectif de plus long terme, puisqu'il faut développer une nouvelle génération de réacteurs nucléaires afin d'aller encore plus loin dans le recyclage des combustibles et la réduction des déchets ultimes. Un prototype sera mis en service vers 2020.

Ces trois axes de recherche sont complémentaires. Il n'y a pas lieu de les opposer. Chacun a son utilité, mais pas au même moment ni pour les mêmes déchets. Le projet de loi dresse ainsi le bilan des quinze dernières années de la recherche scientifique et fixe des orientations pour la poursuite des investigations et des études jusqu'à la réalisation d'installations.

En troisième lieu, le projet de loi renforce l'évaluation indépendante des recherches, l'information du public et la concertation sur ce sujet, en prévoyant des procédures particulièrement complètes.

Tout d'abord, la Commission nationale d'évaluation voit son indépendance, qui était déjà totale, réaffirmée, sa composition élargie et ses prérogatives renforcées. Elle continuera de rendre chaque année un rapport public sur le programme de recherche.

Le comité local d'information et de suivi est maintenu, mais il devra plus que par le passé s'adresser au grand public. Sa mission est précisée et sa présidence confiée au président du conseil général. Son financement est rendu indépendant des producteurs de déchets.

Le projet de loi prévoit que le stockage pourra être autorisé par décret, après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, débat et enquête publics, et avis des collectivités locales concernées. Aucune installation industrielle ne fait l'objet d'une procédure aussi complète !

La décision effective de construction d'un centre de stockage ne pourra intervenir que lorsque toutes les conditions de sûreté et de consultation prévues auront été remplies. D'ici là, des entreposages sûrs continueront d'accueillir les déchets.

Au cas où les études menées dans les prochaines années mettraient en évidence une difficulté technique - je n'ai aujourd'hui aucune raison de le penser -, ces entreposages continueront de jouer leur rôle aussi longtemps que nécessaire.

Sur ce sujet emblématique des débats entre science et société, la recherche est nécessaire mais elle ne suffit pas. Nous poursuivrons et renforcerons donc les évaluations indépendantes, l'information et la concertation, afin que chacun puisse se forger une opinion et s'assurer de la sûreté des solutions proposées.

Dans cet esprit, j'ai souhaité que le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs ainsi que l'inventaire national de ces substances soient régulièrement mis à jour, transmis au Parlement et rendus publics.

L'Assemblée nationale a souhaité aller encore plus loin, en prévoyant un nouveau rendez-vous parlementaire, afin que les conditions de réversibilité d'un stockage en couche géologique soient fixées avant qu'une autorisation individuelle ne puisse être accordée par décret, conformément à la répartition des pouvoirs prévue par la Constitution.

En inscrivant ce programme de recherches, d'études et de réalisations dans un calendrier d'objectifs, nous progressons dans la mise en oeuvre de solutions de gestion sûres et pérennes pour chaque type de déchets radioactifs, de façon contrôlée sur les plans technique, administratif et financier.

Confrontés à des durées si longues, nous devons éviter les deux écueils que sont la précipitation et l'indécision. En fixant ce programme, cette feuille de route, nous nous gardons de l'attitude facile qui consiste à toujours poursuivre les recherches sans jamais en dresser le bilan ni en tirer les conclusions. En inscrivant ce programme dans la durée, en laissant aux recherches et aux études le temps et les moyens qui leur sont nécessaires, nous nous gardons d'aller trop vite.

En dernier lieu, le présent projet de loi apporte les outils qui garantiront le financement de la gestion des déchets.

Deux taxes additionnelles sur les exploitants d'installations nucléaires financeront les recherches sur la gestion des déchets radioactifs ainsi que les actions de développement économique dans les départements concernés. Jusqu'à présent, en effet, ces dépenses étaient couvertes grâce à des conventions signées volontairement par les industriels. À l'avenir, ces derniers continueront à les financer, mais par le biais d'une taxe dont le niveau sera déterminé par la loi de finances.

L'accompagnement économique avait été introduit par la loi de 1991, afin de marquer la reconnaissance de la Nation à l'égard des départements concernés. Il devra être maintenu dans la transparence et l'efficacité, mais sans ostentation.

La protection de leur santé et de l'environnement est naturellement primordiale pour nos concitoyens. Le débat public a montré que l'accompagnement économique ne venait qu'ensuite dans leurs préoccupations, mais qu'il restait très attendu, ce qui ne doit pas nous étonner.

En effet, même lorsque l'on est rassuré sur la sûreté des solutions proposées, on peut encore, naturellement, préférer que le stockage soit réalisé chez le voisin plutôt que chez soi et demander un accompagnement économique.

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué

Au-delà des coûts de la recherche et de l'accompagnement économique, le projet de loi contient un dispositif de sécurisation du financement des charges de démantèlement et de gestion industrielle des déchets. Du fait, d'une part, des montants en jeu, qui s'élèvent, selon un rapport de la Cour des comptes, à plus de 30 milliards d'euros provisionnés dans les comptes d'EDF, d'AREVA et du CEA, et, d'autre part, de l'éloignement de certaines dépenses, une telle sécurisation est primordiale. Le coût du stockage lui-même est estimé à environ 15 milliards d'euros en valeur brute et à 4 milliards d'euros en valeur actualisée.

Les industriels du nucléaire devront non seulement évaluer périodiquement, de manière prudente, l'ensemble de leurs charges nucléaires et constituer les provisions correspondantes, mais également disposer d'actifs financiers pour couvrir intégralement ces provisions. Ces actifs seront affectés exclusivement à la couverture des frais de démantèlement et de gestion des déchets, ce qui signifie qu'ils ne pourront être utilisés pour aucun autre objet par les exploitants et qu'ils ne pourront en aucun cas faire l'objet d'une quelconque revendication par un créancier. Par ailleurs, ces actifs devront avoir un degré de sécurité, de diversification et de liquidité suffisant. Le contrôle de ces dispositions sera assuré par les pouvoirs publics.

Mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd'hui, le coût prévisionnel de la gestion des déchets est déjà pris en compte dans la fixation du prix de l'électricité. Pour vous donner un ordre de grandeur, la facture moyenne d'électricité d'un foyer est de six cents euros par an ; sur cette facture, le coût de la gestion des déchets correspondants représente dix euros. Bien gérées, les sommes ainsi collectées pourront financer, le moment venu, les charges de long terme.

Ce dispositif permet de garantir le financement du démantèlement et de la gestion des déchets sans procéder à un transfert prématuré de ces charges, et donc des risques financiers, à l'État.

Si l'urgence a été déclarée sur ce texte, à ce stade, je n'ai pas l'intention d'user de cette faculté. Je souhaite seulement que le projet de loi soit voté avant la fin de l'été prochain, ainsi que l'a expressément recommandé le Président de la République lors de la présentation de ses voeux aux forces vives de la nation.

Par nos choix, en fixant le cadre, les étapes et les moyens de la gestion des déchets radioactifs, nous pourrons apporter une solution à ce problème. Si ce texte a déjà été enrichi en profondeur lors de son examen par l'Assemblée nationale, je ne doute pas que le travail du Sénat l'améliorera encore.

J'ai d'ailleurs noté que la commission des affaires économiques de la Haute Assemblée a proposé des amendements importants, notamment pour clarifier les définitions des termes employés, préciser le rôle du Parlement dans la procédure d'autorisation d'un centre de stockage en couche géologique ou, encore, élargir les compétences de l'ANDRA à la gestion des sites orphelins pollués par des substances radioactives. Je puis d'ores et déjà vous dire, au risque de tuer le suspens, que le Gouvernement y sera favorable !

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué

À l'instar de l'ensemble de mon action dans le domaine de l'énergie nucléaire, j'ai souhaité que ce sujet des déchets radioactifs, qui, je le répète, nous concerne tous en tant que consommateurs d'électricité et en tant que citoyens attentifs à la protection de la santé et de l'environnement, soit abordé sans tabou et que chacun puisse s'en informer complètement et en discuter.

À cette fin, un site Internet dédié - www.loi-dechets-radioactifs.industrie.gouv.fr - a été ouvert. Nos concitoyens peuvent y retrouver tous les éléments et contributions qui nous ont aidés à élaborer ce projet de loi, ainsi que l'intégralité des interventions faites à l'Assemblée nationale lors de la discussion du texte.

L'industrie nucléaire procure des avantages importants à notre pays, en réduisant notre dépendance à l'égard des énergies fossiles importées, en produisant 80 % de notre électricité à un coût compétitif et en participant à la maîtrise de nos émissions de gaz à effet de serre. Grâce à cela, nous émettons par habitant 40 % de CO2 de moins que nos voisins allemands ou danois.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement propose au Parlement de prendre nos responsabilités L'électricité « irrigue » toutes les activités économiques et sociales : nous devons en assumer toutes les conséquences, sans reporter la charge de ces questions sur les générations futures. C'est aussi cela le développement durable. Tel est l'objet de ce texte de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est dans cet esprit de responsabilité vis-à-vis des générations futures et de transparence à l'égard du public que le Gouvernement soumet ce texte au Parlement. C'est aux scientifiques de trouver des solutions sûres, c'est aux experts indépendants de les évaluer, et c'est à l'État de prendre les décisions, en veillant à l'information du public et à la concertation. Avec ce texte, c'est bien ce que nous faisons.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à Mme le rapporteur du Conseil économique et social.

Debut de section - Permalien
Anne Duthilleul, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est pour moi un très grand honneur que d'être appelée à cette tribune pour vous présenter l'avis du Conseil économique et social sur le projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, dont vous engagez aujourd'hui l'examen au Sénat.

Le Gouvernement avait saisi le Conseil économique et social de ce texte le 15 février dernier, en lui demandant de fournir un avis avant la fin du mois de mars. Nous nous sommes efforcés de relever ce défi sans rien obérer de la capacité d'information, de discussion et de réflexion en amont des projets, qui est l'apanage de notre institution. Il me revient, en tant que rapporteur, de vous commenter ce travail, qui est avant tout collectif.

Comme vous le savez, et en grande partie grâce aux travaux parlementaires menés continûment depuis plus de quinze ans, le projet de loi initial qui nous a été soumis avait déjà une histoire, ce qui a facilité la prise de connaissance du sujet, les auditions, puis l'élaboration, la discussion et le vote de l'avis du Conseil qui vous est aujourd'hui présenté.

J'ai eu l'honneur de rapporter cet avis devant l'Assemblée nationale le 6 avril dernier. Je remercie le rapporteur du Sénat, M. Henri Revol, de m'avoir invitée à m'exprimer, préalablement à cette séance solennelle, au cours d'une réunion avec les membres du groupe d'études de l'énergie de la commission des affaires économiques de la Haute Assemblée.

Sans reprendre tout le contenu détaillé de l'avis du Conseil, je tiens à en souligner ici les points essentiels, en signalant les changements déjà introduits par le Gouvernement et par les députés à l'occasion de la première lecture de ce texte à l'Assemblée nationale.

Le sujet, soigneusement encadré par la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », est technique, complexe et sensible. Il a cependant été suivi de façon exemplaire, et, en mesurant le chemin parcouru depuis quinze ans, il nous semble évident que les mêmes principes doivent continuer à le guider : évaluation technique et scientifique, clarté et progressivité des travaux et des décisions, le tout sous un contrôle démocratique exceptionnel.

Premièrement, sur le plan technique et scientifique, comme cela vient d'être rappelé, le développement des études et recherches s'est poursuivi pendant quinze ans sur les trois axes de recherche fixés par la loi de 1991, à savoir la séparation-transmutation, le stockage en couche géologique profonde et l'entreposage, et a donné lieu à une évaluation régulière et contradictoire par nombre d'instances. À l'époque, ces trois axes avaient été retenus pour éviter de précipiter des choix qui auraient été prématurés et non suffisamment fondés. Le résultat est positif, le travail sur chacun des axes ayant avancé à son rythme et devant encore se prolonger.

Le Conseil économique et social a insisté sur la nécessité de poursuivre en parallèle les recherches et études sur ces trois axes de façon active et en s'appuyant sur les compétences acquises, même si le rôle de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, est étendu en vue d'une meilleure coordination des travaux.

En termes de programme, l'article 1er du projet de loi a été précisé par l'Assemblée nationale et met bien sur le même plan les différents axes de recherches et études, désormais qualifiés de « complémentaires » et non plus considérés comme alternatifs. En effet, aucun ne peut et ne doit être abandonné à ce stade ni n'a atteint l'ensemble des résultats utiles pour une optimisation du traitement des déchets radioactifs. Je ne détaillerai pas ce programme, dont l'essentiel est désormais bien connu, mais je reviendrai plus loin sur les observations que nous avons pu formuler sur des points sensibles.

La poursuite de la démarche d'évaluation engagée en 1991 sera renforcée par l'apport des sciences morales et politiques au sein de la Commission nationale d'évaluation et par la publication systématique de ses rapports. Cela participe du caractère exemplaire de ce processus, que soutient notre assemblée.

Deuxièmement, s'agissant de la clarté et de la progressivité des opérations, de tels sujets sont en effet complexes à gérer et nécessitent toute une série de dispositions législatives ou réglementaires en termes d'organisation et d'orientation. Le présent projet de loi en est la représentation : il découle de la volonté politique de traiter les questions non encore tranchées, au fur et à mesure que cela devient possible, par une démarche progressive, et de ne pas en laisser la charge aux générations suivantes, ce que notre assemblée approuve.

De ce point de vue, nous avons relevé dans le texte qui nous était soumis bon nombre d'avancées et quelques imprécisions ou lacunes que nous avons tenu à souligner.

Au nombre des avancées, quatre points sont à rappeler : tout d'abord, l'élargissement du champ de la loi à la gestion de toutes les matières radioactives, au-delà donc des seuls déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, et la mise en place d'un plan national de gestion à cet effet, présenté tous les trois ans au Parlement ; par ailleurs, la clarification du principe de non-importation des déchets radioactifs étrangers pour les stocker, sauf pour un délai nécessaire au traitement ou à la recherche ; ensuite, le financement pérennisé, d'une part, des études et recherches et, d'autre part, du développement économique autour des sites de recherche et de stockage souterrain éventuel.

L'Assemblée nationale a ajouté le financement pérennisé des actions de formation et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques, ce qui répondra à certains souhaits, notamment exprimés par les acteurs de proximité.

Même si cela a pu être apprécié différemment par le Conseil économique et social, qui craignait l'instauration d'une « monoactivité » nucléaire dans les zones concernées, l'implication directe des producteurs de déchets dans ces projets a également été renforcée par l'Assemblée nationale, qui a prévu à ce titre de demander un rapport annuel sur leurs activités économiques locales.

Une autre avancée est constituée par le provisionnement et la couverture, par des actifs réservés et cantonnés en cas de faillite, dans les comptes des opérateurs, des montants nécessaires pour le démantèlement et la gestion des déchets des installations nucléaires actuelles sur le très long terme. En effet, ne l'oublions pas, nous raisonnons à un horizon de plus de cent ans ! J'ai noté à ce sujet qu'un travail de réflexion sur ces horizons de temps et sur la façon de les appréhender était à juste titre préconisé par la commission des affaires économiques du Sénat. Ce sont en effet des durées exceptionnellement longues pour des activités industrielles.

Tout cela représente un ensemble déjà très important, qui répond à de nombreuses questions restées en suspens en 1991.

D'ailleurs, dans son texte initial, le Gouvernement avait prévu certains ajouts : la clarification utile des définitions introduites dans la loi et de la notion de réversibilité du stockage en couche géologique profonde, auquel est assignée une durée longue, d'au moins cent ans, qui reflète nos recommandations ; la coordination des études sur l'entreposage, clairement confiée à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et se référant au plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, lequel doit permettre de mieux traiter les sujets tels que le conditionnement ou la réversibilité, qui offrent des synergies entre les deux modes de dépôts des déchets ultimes, sans préjuger les choix futurs.

Cependant, il subsiste quelques imprécisions ou lacunes qu'il serait de l'intérêt général de corriger. Je ne citerai que les principales.

Tout d'abord, le texte ne précise pas qui, au sein de l'exécutif, sera chargé concrètement, institutionnellement, de l'élaboration du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Pour le Conseil économique et social, ce pourrait être l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, qui « tiendrait la plume » sous l'autorité du ministre chargé de l'énergie, le plan étant désormais adopté par décret, par nature interministériel, ce qui est une précision utile par rapport au texte initial.

De même, rien ne figure dans le texte en ce qui concerne l'interdiction, que notre pays se fixe implicitement à lui-même, de faire reposer sur d'autres le soin de régler les problèmes de ses déchets. Il s'agit, en d'autres termes, de l'interdiction d'exporter ceux-ci, qui serait le pendant de l'interdiction d'importer les déchets étrangers pour les stocker en France.

Ensuite, pour le financement des investissements nécessaires à l'entreposage ou au stockage, un « bouclage » entre l'ANDRA et les producteurs de ces déchets s'impose, tant sur l'évaluation des devis et la mise en réserve des montants dédiés, sur lesquels nous avions proposé d'instituer un contrôle externe, que sur les modalités de transfert de ces fonds - préfinancement et tarification en coûts complets ou financement en régie -, rien n'ayant été prévu à cet égard.

Sur ces deux points très importants, l'Assemblée nationale a apporté des réponses, prévoyant, d'une part, une affectation des fonds à l'ANDRA par voie conventionnelle et, d'autre part, un contrôle par une commission nationale de douze personnes, dont les présidents des commissions compétentes du Parlement et des personnalités désignées par les deux assemblées et le Gouvernement. La rédaction actuelle du texte nous satisfait donc pleinement.

Enfin, s'agissant du contenu des études et recherches à mener, la nouvelle rédaction ne paraît pas encore de nature à lever les ambiguïtés que notre assemblée avait notées sur des points très sensibles.

D'abord, la notion de « solution de référence » pour le stockage n'impliquait pas à nos yeux qu'elle fût sûre d'être retenue à terme, ce que semble signifier aujourd'hui le texte, lequel précise que les recherches sont conduites « de sorte que » une demande d'autorisation soit déposée avant 2015, au lieu des termes « en vue de », moins contraignants, figurant dans le texte initial.

Ensuite, en ce qui concerne le lien avec les nouvelles générations de réacteurs pour la transmutation, la date de mise en exploitation du prototype « prévue », et non plus seulement présentée comme un simple « objectif », en 2020, paraît a priori trop rapprochée, sans que l'on mesure bien les conséquences de son dépassement.

Sur ce chapitre de la clarté et de la progressivité des décisions, telles sont les observations qu'appelle encore le projet de loi qui vous est soumis. Je laisse à votre assemblée, si elle le juge utile, le soin de les prendre en considération au cours de l'examen du texte.

Le chapitre suivant, relatif au contrôle démocratique, nous conduit d'ailleurs à nuancer encore ces remarques.

S'agissant de la sensibilité du sujet et du contrôle démocratique, je voudrais revenir sur certains résultats du processus parlementaire mis en place en 1991 et du débat public de 2005, qui me paraissent particulièrement importants à retenir pour la définition et la conduite de la politique qui sera décidée en 2006 et au-delà.

La loi de 1991 avait institué une véritable obligation d'évaluation et de débat démocratique, tout au long et à l'issue de ces quinze années de recherches. Ainsi, le rendez-vous parlementaire, prévu en 1991 pour l'année 2006, est aujourd'hui tenu, et ce résultat illustre tout l'intérêt d'une loi à effet temporaire, assortie d'une véritable évaluation.

C'est la raison pour laquelle le Conseil économique et social avait proposé d'inscrire très clairement dans le nouveau projet de loi un nouveau rendez-vous au Parlement, assez lointain mais pas trop, pour aiguillonner les travaux à mener et pour permettre un nouveau débat ouvert avant les décisions lourdes qui pourraient s'ensuivre, dans le respect des pouvoirs du Gouvernement et des prérogatives du Parlement, bien sûr. L'année 2015 nous paraissait à cet égard une bonne date, à l'issue de trois plans triennaux, dont le premier est attendu avant la fin de cette année.

En outre, le Gouvernement ayant pris l'initiative d'un débat public, il convenait d'en tirer quelques leçons. Notre avis a rendu hommage à la manière ferme et ouverte à la fois dont Georges Mercadal a mené ce débat pendant quatre mois, en tant que président de la commission particulière du débat public, mise en place en 2005. Tous les avis critiques ont pu être exprimés et pris en considération, dans le dossier et dans les salles, et même ceux qui se sont tenus en dehors, que nous avons pu auditionner au Conseil économique et social pour faire le tour des points de vue, reconnaissent cette ouverture.

Sur le fond, il en est résulté principalement trois voeux que notre assemblée a soutenus.

Premièrement, la totalité des matières radioactives, et non pas seulement les déchets ultimes, devraient être gérées de façon cohérente et transparente, depuis les « inventaires » de déchets des réacteurs actuels jusqu'aux futures filières de réacteurs, dont les choix de conception devront porter également sur leur capacité à réduire à la source, ou à transmuter après séparation, les déchets les plus gênants. On peut noter le caractère exceptionnel de la filière nucléaire par rapport au développement durable, au travers de cette préoccupation en amont.

Cette préoccupation s'exprime dans le projet de loi. Elle pourrait toutefois être communiquée à tous avec plus de transparence par l'institution d'un organe de pilotage réunissant toutes les parties prenantes autour de l'Agence nationale de gestion des déchets radioactifs, si cette dernière était chargée de l'élaboration des plans nationaux de gestion, conformément à nos propositions.

La rédaction actuelle du projet de loi tient compte en partie de ce premier voeu, en prévoyant de rendre publics tous les trois ans, de faire évaluer les plans de gestion par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et de rendre également publics les rapports de la Commission nationale d'évaluation : est-ce suffisant pour autant ?

Deuxièmement, il faudrait que la maîtrise technique aille de pair avec un processus de décision publique clair et participatif, autant que possible, pour construire la confiance : « les gens veulent être assurés et non rassurés », concluait le rapport de la Commission du débat public. Notre proposition de rendez-vous au Parlement à échéance de 2015, avec des rapports intermédiaires rendus publics, répondait à ce deuxième voeu, selon nous.

Il semble satisfait par le vote prévu par l'Assemblée nationale sur les conditions de la réversibilité des stockages, qui abordera naturellement ces points.

Troisièmement, il faudrait que les décisions ultérieures sur les déchets radioactifs à vie longue soient prises sans précipitation, par étapes, en fonction des avancées scientifiques et techniques et en appréciant les possibilités de progrès de nos successeurs. Prévoir des dispositifs réversibles pendant un temps très long, être assez prévoyants pour préparer aussi la solution stable pendant des millénaires et porter aujourd'hui les études et les financements nécessaires, c'est là, nous semble-t-il, la seule voie acceptable. Ainsi, nos successeurs auront en main les éléments de choix entre « faire confiance à la société » et « faire confiance à la géologie » pour maintenir nos déchets ultimes en sécurité.

C'est aussi ce que souhaite faire ce projet de loi en instituant une « solution de référence » pour le stockage, qui constitue en quelque sorte « l'enveloppe » englobant toutes les solutions susceptibles de répondre au principe de précaution pour nos successeurs, en poursuivant les études et recherches sur les trois axes et en finançant l'ensemble sur le très long terme. À condition que certaines ambiguïtés soient levées, nous ne pouvons que souscrire à cette démarche de responsabilité vis-à-vis des générations futures.

Pour conclure sur ce point, le Conseil économique et social préconise de prolonger le bénéfice reconnu de la démarche exemplaire engagée depuis 1991, en reproduisant un modèle qui a bien fonctionné, lors des prochaines échéances de 2015, en amont des décisions d'investissement sur un site de stockage en couche géologique profonde éventuel.

Je voudrais insister auprès de vous sur la nécessité absolue de débattre suffisamment, et en associant toutes les parties prenantes, des choix qui seront faits, au nom de ceux qui nous ont exprimé leur « souffrance » de ne pas se sentir entendus encore à ce stade, malgré tous les efforts réalisés en ce sens. Il me revient en effet de me faire aussi le porte-parole des expressions minoritaires sur ce sujet qui engage l'avenir de notre territoire et de notre terre à tous.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, le Conseil économique et social a adopté à une très large majorité l'avis que je viens de présenter à grands traits et l'a conclu en rappelant au premier chef le rôle de l'État, qui doit « assurer, tout particulièrement en cette matière, une gestion éclairée par la science, transparente et démocratique. »

Debut de section - Permalien
Anne Duthilleul, rapporteur du Conseil économique et social

Tel est le voeu que nous formons pour le projet de loi qui est soumis à votre examen, en vue d'établir une gestion durable des matières et des déchets radioactifs. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Revol

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur du Conseil économique et social, mes chers collègues, si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est pour respecter le rendez-vous législatif que nous nous étions fixé il y a quinze ans, lors du vote de la loi dite « loi Bataille ».

La commission des affaires économiques de l'époque m'avait déjà fait l'honneur de me nommer rapporteur du texte de 1991, ce qui me permet aujourd'hui d'apprécier tout le chemin parcouru pendant les quinze années écoulées.

Ce furent tout d'abord quinze années de recherche représentant un effort de 2, 5 milliards d'euros, essentiellement supporté par les producteurs de déchets nucléaires.

Ce furent aussi quinze années d'évaluations continues, les rapports annuels de la Commission nationale présidée par M. Tissot, à laquelle nous pouvons rendre hommage, et les travaux d'expertise menés parallèlement par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Ce fut enfin une période de concertation et de débat avec la société.

Il est toujours possible, après coup, de formuler des observations sur la façon dont l'information aurait pu être mieux réalisée dans les premières années ou, par exemple, sur le fonctionnement du comité local mis en place auprès du laboratoire de Bure, qui a parfois été plus un lieu d'agitation que de concertation.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Revol

Mais au final, reconnaissons que la gestion des déchets radioactifs restera comme un exemple inédit d'échanges entre la société civile, la communauté scientifique et les responsables politiques, dont le point d'orgue aura été un débat public national, mené à la demande du Gouvernement, et qui a été d'une qualité remarquable, en particulier en matière de pédagogie.

Au terme de ces quinze années, nous voici donc appelés à nous prononcer sur le projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, après avoir fait l'objet d'un avis du Conseil économique et social, avis que vient de nous exposer avec talent Mme le rapporteur Anne Duthilleul.

Pour résumer le rapport de la commission des affaires économiques, je dirai que ce projet de loi est à la fois un texte qui voit loin et qui voit large.

C'est un texte qui voit loin parce qu'il prolonge la démarche engagée par la loi Bataille en précisant les dates auxquelles les différentes solutions pourront entrer en vigueur, sur la base des études déjà réalisées et de celles qui restent à réaliser.

Pour la séparation et la transmutation, devront être arrêtées, en 2012, les perspectives industrielles liées aux recherches sur la quatrième génération de réacteurs. À ce propos, M. le ministre a précédemment indiqué que, en 2020, nous devrions disposer d'un premier prototype. Je ne reviens pas sur les retards occasionnés, dans ces recherches sur la transmutation, par l'arrêt du précieux outil que constituait le réacteur Superphénix.

Pour le stockage réversible en couche géologique profonde, il est prévu de réunir en 2015 tous les éléments nécessaires à une autorisation. Quant au centre éventuel, sa date de mise en fonctionnement est fixée à l'échéance 2025, ce qui est tout à fait compatible avec le calendrier de production des déchets à haute activité et à vie longue, issus du cycle nucléaire français.

C'est également un texte qui voit large puisqu'il apporte deux éléments essentiels dans des domaines non couverts par la loi de 1991.

D'une part, il propose une véritable politique de gestion nationale pour l'ensemble des déchets, mais aussi pour les matières radioactives, c'est-à-dire toutes les substances radioactives, comme l'a rappelé M. le ministre, qu'elles soient ou non valorisables, en instituant un plan national de gestion des déchets radioactifs, demandé depuis plusieurs années par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et par les associations.

D'autre part, ce texte donne enfin un cadre législatif au démantèlement des installations nucléaires, et en particulier à la question des provisions financières totalement sécurisées constituées par les exploitants pour que le montant global estimé de 69 milliards d'euros, aujourd'hui jugé nécessaire par la Cour des comptes, soit disponible le jour où l'on en aura besoin. Le Parlement participera très activement au contrôle de ces provisions financières et de leur « sanctuarisation » dans les comptes des entreprises.

Enfin, ce texte renforce l'accompagnement socio- économique des territoires concernés par un éventuel stockage. La différence avec ce que l'on pensait en 1991, c'est que la perspective d'un centre de stockage concerne aujourd'hui une seule zone : celle de Bure. Le projet de loi renforce les groupements d'intérêt public de développement local déjà créés en Meuse et en Haute-Marne ; il vise à mieux impliquer directement les industriels du nucléaire dans des projets industriels locaux et il conforte le statut de la structure locale de concertation et d'information des élus et des populations.

Ce texte a été amélioré sur plusieurs points par l'Assemblée nationale, qui a notamment clairement posé le principe de réversibilité du stockage pendant au moins cent ans. Cela signifie que, à l'issue de cette période, l'installation doit permettre aux générations futures de choisir entre trois options : la sortie des colis de déchets du centre pour les stocker ailleurs ou les traiter avec des méthodes que la science aura découvertes entre-temps; la fermeture définitive du site avec les déchets à l'intérieur ; une éventuelle prolongation de la période de réversibilité.

La commission des affaires économiques du Sénat, quant à elle, a déposé des amendements concernant, d'une part, la politique d'ensemble des déchets nucléaires et, d'autre part, l'environnement du site de l'actuel laboratoire souterrain de Bure. Sur ce dernier point, mes chers collègues, elle vous propose de donner au Parlement la possibilité de bloquer l'autorisation d'un centre de stockage réversible en couche géologique profonde si certaines conditions n'étaient pas remplies au moment où une telle décision serait sur le point d'être prise.

Permettez-moi maintenant de m'adresser plus particulièrement à certains de nos collègues siégeant dans cet hémicycle et à certains de nos concitoyens.

Je souhaite tout d'abord me tourner plus directement vers nos collègues de l'opposition. Je veux en effet leur faire part d'une conviction qui n'a cessé de grandir au cours de ces quinze années : si le processus prévu par la loi Bataille a pu être mis en oeuvre de façon aussi exemplaire, c'est parce qu'il a bénéficié d'un atout essentiel, à savoir une adoption de ce texte à l'unanimité des représentants de la nation.

On entend parfois parler de crise de la démocratie représentative. Il n'empêche que, face aux interrogations et aux inquiétudes légitimes de nos concitoyens, sur le plan tant national que local, l'existence d'un consensus sur la loi Bataille a constitué un argument fort en termes de confiance et de légitimité. C'est bien ce que nous pressentions lorsque, malgré notre opposition au gouvernement en place en 1991, nous avions décidé de voter ce texte.

La preuve nous est aujourd'hui donnée que nous avions fait le bon choix, celui de la responsabilité, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Revol

M. Henri Revol, rapporteur. ...alors qu'il eût été facile de trouver tel ou tel prétexte ou argument pour s'opposer ou pour s'abstenir.

M. Jacques Valade applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Revol

Aujourd'hui, nous savons que des décisions essentielles en matière de stockage réversible devront être prises vers 2015 et mises en oeuvre effectivement vers 2025. Cela signifie que, comme pour la loi Bataille, nous devrons pouvoir, à l'avenir, nous appuyer sur la force du choix démocratique que nous allons faire en 2006 pour résister aux tentations de la politique de l'autruche qui ne manqueront de continuer de jouer sur les peurs, politique qui aboutirait à ne rien décider, c'est-à-dire à reporter les décisions sur les générations futures. Cette force du choix démocratique sera d'autant plus réelle si, comme en 1991, elle est conférée par l'unanimité ou la quasi-unanimité d'entre nous.

Il ne faut pas que, dans dix ou vingt ans, on puisse laisser croire qu'il s'était agi en 2006 d'une loi de la droite contre la gauche, pas plus que la loi Bataille n'avait été une loi de la gauche contre la droite. Face aux inquiétudes légitimes que suscite un problème dont les effets dépassent l'horizon temporel de notre société, voire de notre civilisation, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Revol

... il est essentiel que nos choix soient clairs et pleinement assumés.

D'ailleurs, à l'image de la France de 1991, la plupart des pays démocratiques adoptent à l'unanimité les lois relatives à la gestion de leurs déchets radioactifs, notamment à leur stockage géologique. Ainsi en était-il encore récemment de la Finlande. C'est un élément très important.

Je souhaitais livrer cette réflexion à mes collègues de l'opposition. Je le fais sans aucun esprit polémique, car je connais leur sens des responsabilités.

Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Revol

Je voudrais maintenant m'adresser solennellement à nos concitoyens qui vivent dans des territoires où seraient stockés des déchets radioactifs, au travers de l'une de ses modalités que constitue le stockage géologique réversible. Même si toutes les décisions sont encore suspendues à de nombreuses expertises techniques et scientifiques qui seront menées dans les dix prochaines années, il est clair que le projet de loi qui nous est soumis précise la perspective d'un centre de stockage réversible proche de l'actuel laboratoire de Bure.

Au-delà des garanties techniques du stockage réversible et de sa sûreté, que je viens d'évoquer, je souhaite adresser trois messages à nos concitoyens les plus concernés.

En premier lieu, en ma qualité de rapporteur de ce projet de loi devant le Sénat, je veux leur indiquer la pleine conscience que nous avons de ce que représente ce texte pour ceux qui vivent aujourd'hui et qui vivront demain à proximité d'un tel centre.

En deuxième lieu, comme nous l'avons dit, nous prévoyons une possibilité pour le Parlement d'arrêter le processus d'autorisation du centre de stockage, ce qui constitue un élément essentiel de démocratie.

En troisième et dernier lieu, comme le Gouvernement l'a souhaité et grâce au travail mené au Sénat par nos collègues élus de la Meuse et de la Haute-Marne, les dispositifs d'accompagnement sont renforcés et diversifiés.

L'expérience révèle qu'il n'est pas seulement question d'argent. Il est d'abord question d'emploi et d'activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Revol

Les habitants des départements concernés peuvent compter sur nous pour veiller à ce que, conformément aux dispositions de la loi, les acteurs de la filière nucléaire rendent réellement compte de leur investissement dans le développement d'activités locales. EDF, le CEA et AREVA sont des entités entièrement ou majoritairement publiques. Nous saurons les rappeler aux engagements pris voilà quelques mois sur votre initiative, monsieur le ministre.

Il est aussi question de l'image que ces territoires ont d'eux-mêmes et qu'ils en donnent. Dans le siècle qui commence, et alors que l'énergie figure au rang des enjeux essentiels, il y a incontestablement une carte à jouer autour de Bure pour que ces territoires soient réellement perçus pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des plates-formes technologiques indispensables à l'indépendance énergétique durable de la France.

Ce nouveau regard n'est pas une façon pour les habitants concernés de positiver une mauvaise nouvelle ou de voir à moitié plein un verre à moitié vide. Non, ce qui est en cause, c'est l'appropriation du projet par l'ensemble des forces vives de la région, à commencer par les habitants, qui aiment leur territoire et qui veulent participer à son avenir. Cette appropriation est l'un des ressorts indispensables aux actions déjà menées par les collectivités et les structures locales, auxquelles le projet de loi donne un nouvel élan, notamment par ses articles 9 et 15, et que nous proposons encore d'améliorer.

Mes chers collègues, à ce stade de la discussion, telles sont les quelques convictions que le rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat, représentant des territoires, souhaitait vous faire partager.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;

Groupe socialiste, 49 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.

Avant de donner la parole aux orateurs inscrits dans la discussion générale, je tiens, en notre nom à tous, à souhaiter la bienvenue à notre nouvelle collègue des Pyrénées-Atlantiques, Mme Annie Jarraud-Mordrelle, conseillère municipale d'Anglet, qui succède à André Labarrère, sénateur-maire de Pau, récemment décédé.

Nous la saluons très cordialement et lui adressons nos meilleurs voeux.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur du Conseil économique et social, mes chers collègues, après l'examen du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, le Sénat étudie aujourd'hui un texte qui tend à renforcer la sûreté de nos installations nucléaires.

Avec près de 80 % de sa production électrique d'origine nucléaire, la France est une exception dans le monde. Nul autre pays n'a privilégié de cette façon l'industrie du nucléaire civil. Ce choix a été dicté dès la fin des années soixante et renforcé au début des années soixante-dix par la volonté d'assurer l'indépendance énergétique de notre pays, volonté d'autant plus justifiée que l'ensemble des pays importateurs d'hydrocarbures ont été touchés à deux reprises dans les années soixante-dix par les crises pétrolières.

Le nucléaire demeure pourtant un sujet tabou et a même parfois présenté un caractère de repoussoir. Il a fallu attendre les années quatre-vingt pour qu'un certain nombre de parlementaires, de toutes tendances politiques, se saisissent sans arrière-pensée de ce débat, avec un esprit de responsabilité et d'anticipation des enjeux qui se présentent à nous aujourd'hui. Cette démarche aboutit à l'adoption, à l'unanimité, comme l'a rappelé M. le rapporteur, de la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Cette dernière a confié au Parlement la définition du cadre des recherches et des décisions en matière de gestion des déchets de haute activité à vie longue.

Le premier mérite de cette loi fut d'inscrire en principe la responsabilité des décideurs de l'époque vis-à-vis des générations futures, principe décliné autour de trois axes, à savoir la réduction de la nocivité des déchets, le stockage en formations géologiques profondes, et enfin le stockage et l'entreposage de longue durée en surface.

La loi Bataille fut également exemplaire dans la mesure où elle institua une véritable transparence par le biais de la création de la Commission nationale d'évaluation des résultats obtenus pour la recherche sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue. Le principe d'information du grand public se concrétisa également au niveau local par l'institution d'un comité local d'information et de suivi.

Le débat démocratique reprend aujourd'hui ses droits, puisque c'est en application de l'article 4 de la loi de 1991 que nous sommes amenés à discuter du nouveau cadre légal des déchets radioactifs.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est d'abord nécessaire pour ne pas remettre en cause le processus amorcé en 1991. Il est de plus indispensable pour valider certains choix qui vont engager la France au moins pour les quinze ou vingt prochaines années. Je pense en particulier à la création d'un centre de stockage géologique. En toute hypothèse, l'ensemble de ces choix devra se faire en fonction de toutes les données dont nous disposons aujourd'hui, et en toute objectivité.

Il revient à notre génération, première bénéficiaire de l'énergie nucléaire, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, de chercher les solutions les plus sûres afin que les générations futures n'aient pas à pâtir d'un manque d'impartialité de leurs prédécesseurs.

Au terme de ces quinze années, la question nucléaire s'est dépassionnée. Grâce aux nombreux rapports de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de la Commission nationale d'évaluation, du Conseil économique et social ou de 1'ANDRA, nos concitoyens disposent aujourd'hui d'une information claire et objective qui met en évidence les enjeux de long terme engendrés par le choix de l'électricité nucléaire. Cette transparence est en pleine harmonie avec l'article 7 de la Charte de l'environnement, intégrée dans notre Constitution en 2005.

Le temps de la réflexion a fait son oeuvre. L'avancement des données scientifiques a conforté les éléments concrets sur lesquels vont s'appuyer nos choix ou va en infirmer d'autres. Je tiens ici à saluer la qualité remarquable des travaux menés par notre communauté scientifique, travaux dont les résultats ont permis la constitution d'un socle technique et scientifique fiable. Ainsi, nous savons maintenant que la couche d'argile, vieille de 150 millions d'années, étudiée par le laboratoire de Bure dans la Meuse, possède toutes les caractéristiques nécessaires pour recevoir des substances radioactives de haute activité et à vie longue dans des conditions de sécurité optimales.

Cette longue période fut propice à l'insertion de la France dans un mouvement regroupant de nombreux États et évoluant vers la solution du stockage géologique.

Ce mouvement ne nous a cependant pas empêchés de différencier notre approche, notamment sur la question de la transmutation, où nous sommes à l'avant-garde. Aujourd'hui, les pays possédant une industrie électronucléaire privilégient désormais la solution du stockage. C'est le cas, par exemple, de la Suède, de la Finlande, de la Suisse et du Japon, autant de pays dont on ne peut contester les exigences en matière nucléaire.

Toutefois, le projet de loi dont nous allons discuter ne clôt pas le débat, bien au contraire. En optant pour la réversibilité de notre politique de gestion des déchets radioactifs, le Gouvernement fait preuve de responsabilité en s'appuyant sur les travaux scientifiques très rigoureux encadrant strictement la surveillance et le contrôle des installations classées.

Ce texte contient d'importantes dispositions qui sont autant d'avancées nécessaires.

En premier lieu, il vise à introduire, après tant d'années d'attente, un plan national et un programme de recherches qui seront confortés par une évaluation totalement indépendante et le renforcement de la transparence des informations données à nos concitoyens.

En deuxième lieu, il tend à confirmer le rôle clef de l'ANDRA en augmentant ses moyens financiers et décisionnaires en vue d'assurer l'efficacité de sa mission, qui, nous le savons, est cruciale, comme tout ce qui touche au domaine nucléaire. L'ANDRA verra ses missions élargies et précisées, notamment en matière de recherche sur l'entreposage et le stockage, ainsi que sur la spécification du conditionnement des déchets.

La crédibilité de l'action de l'ANDRA ne sera confortée que par un financement individualisé, transparent et pérenne.

Ainsi, il est créé, au sein de l'ANDRA, un fonds destiné à faire face aux charges de recherches et d'études sur l'entreposage et le stockage profond, alimenté par une taxe spécifique « recherche » additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base.

De plus, il est créé un second fonds destiné au financement de la construction et de l'exploitation des installations, abondé par les contributions des exploitants propriétaires des colis de déchets.

Enfin, il est prévu un financement au profit des actions de développement dans la zone de proximité.

L'ensemble de ces dispositions me semble pleinement satisfaisant pour asseoir la capacité d'expertise et d'action de l'ANDRA.

En troisième lieu, ce texte tend à définir le régime juridique des installations de stockage : la définition posée par le projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire pour ce qui concerne la gestion de l'installation et du démantèlement des activités électronucléaires y est complétée.

Le présent projet de loi permet de finaliser l'ensemble du cadre juridique de l'activité électronucléaire française, parallèlement au projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire. De l'autorisation de mise en service au traitement des déchets, en passant par le contrôle permanent des installations, les sujétions légales mises à la charge des exploitants soulignent une très forte exigence de sécurité et de transparence.

Nombre de pays de l'Union européenne s'interrogent sur la reprise de leurs activités électronucléaires. La France peut constituer un modèle, grâce à l'excellence de sa filière. Bien sûr, nous pouvons raisonner en termes de parts de marché, d'exportations et de créations d'emplois, mais cela n'exclut pas un principe d'éthique s'imposant à tous.

Monsieur le ministre, ce projet de loi a le mérite de donner au Parlement les moyens de faire des choix fondamentaux sur l'avenir énergétique de la France au cours des prochaines décennies. Nous saisissons l'opportunité de partager cette grande responsabilité. Une importante majorité, sinon l'unanimité du groupe du RDSE, votera ce texte.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur du Conseil économique et social, mes chers collègues, notre assemblée est réunie aujourd'hui pour débattre d'un projet de loi sur la gestion durable des matières et des déchets radioactifs.

Je tiens, tout d'abord, à souligner la qualité du travail de M. le rapporteur et des collaborateurs de la commission, ainsi que celle du rapport de Mme Anne Duthilleul.

Avant d'aborder le texte proprement dit, il me semble utile de rappeler le contexte législatif dans lequel nous travaillons.

Les orientations préconisées par le sommet de Lisbonne, les directives européennes de 1996 et de 1998 organisent l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie. Cela n'a rien d'anodin. Certains commissaires européens vont même jusqu'à dire que les déchets nucléaires sont des marchandises comme les autres.

En France, les lois relatives à la politique énergétique ainsi que le projet de loi relatif à la transparence et la sécurité en matière nucléaire se situent dans la même ligne idéologique.

Pourtant, comment ne pas reconnaître que les objectifs mêmes des partisans du libéralisme sont difficilement compatibles avec les principes qui doivent guider l'exploitation de l'énergie nucléaire ?

D'une manière générale, la recherche du profit maximum pour les actionnaires amène les entreprises à faire des économies sur tout ce qui concerne la sécurité, les salaires ou encore les conditions de travail.

Metaleurop, AZF et bien d'autres nous rappellent pourtant que la logique libérale est toujours la même. Comment donc ne pas être inquiet ?

C'est pourquoi nous estimons que seul l'État permet d'apporter des garanties réelles en matière de responsabilité, que seuls des acteurs désintéressés, dont l'objectif est de remplir une mission d'intérêt général au sein d'un service public, peuvent garantir le plus haut niveau de sécurité.

Demain, en effet, quand la concurrence sera plus vive - ce n'est pas encore le cas aujourd'hui - et quand n'importe quel grand groupe pourra devenir acteur de la filière nucléaire, qu'en sera-t-il de nos certitudes ?

Nous demandons par conséquent un contrôle public, un contrôle démocratique associant les élus, les associations, les usagers, les salariés, les scientifiques mais aussi les citoyens. Tout citoyen qui le souhaite doit être informé au mieux.

C'est pourquoi nous nous réjouissons de la mise en oeuvre du débat public par la commission ad hoc, dont le bon fonctionnement fut salué par tous et qui a permis l'expression et l'information du grand public.

Ainsi, la première conclusion de cette commission est que nous devons traiter ces questions avec une prudence extrême au regard des inquiétudes exprimées par les personnes. Cet avis est d'ailleurs partagé par l'Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire et par le Conseil économique et social. Nous ne sous-estimons ni les efforts entrepris ni les progrès réalisés, mais nous craignons, fidèles en cela à nos principes, les effets d'une politique libérale pour l'avenir.

M. le rapporteur en appelait tout à l'heure au consensus. Certes, un tel consensus est important. Je tiens néanmoins à souligner, pour mémoire, que c'est la structure publique sur laquelle cette filière a pu s'appuyer et se développer durant de longues années qui a été déterminante.

J'en viens à la deuxième partie de mon intervention.

Pour notre groupe, l'objet de ce projet de loi est bien de permettre la poursuite des recherches dans les trois axes définis par la loi Bataille et de mettre en place un système de gestion le plus fiable possible, dans l'état actuel des connaissances, tout en continuant les recherches.

Il nous semble donc inopportun de définir dans ce texte un calendrier, avec un enfouissement des déchets à l'échéance 2025.

Il s'agit non pas, comme cela est dit ici ou là, de se défausser sur les générations futures, mais simplement d'affirmer que tout choix définitif serait prématuré, compte tenu de nos connaissances.

À ce propos, la Commission nationale du débat public, si elle fait « un constat positif sur les résultats acquis dans le site de la Meuse », précise également que « les conditions d'une éventuelle décision finale de réalisation de stockage ne sont pas encore réunies, le laboratoire souterrain devant être exploité durant une durée suffisante ».

Une décision hâtive serait d'autant plus inadaptée que la loi Bataille n'a pas été tout à fait respectée.

En effet, il était prévu, dans l'article 4 de cette loi, la mise en exploitation de plusieurs laboratoires de recherche pour le stockage géologique en couche profonde. Or, aujourd'hui, il n'en existe qu'un : celui de Bure. Malgré les grandes qualités du sol argileux sur cette zone, les éléments manquent encore à ce jour pour décider que l'enfouissement des déchets est la solution la plus adéquate.

Il faut bien voir que ce projet de loi, tout en réaffirmant que les recherches doivent être menées dans trois axes complémentaires, prévoit déjà de retenir comme solution de référence le stockage en couche géologique profonde, et ce avant même la réalisation de l'ensemble des études.

Si nous saluons l'introduction par l'Assemblée nationale de la notion de réversibilité dans le projet de loi, nous ajoutons que ce texte ne peut être l'ultima verba. Il ne représente qu'une étape de plus, et c'est pourquoi la mise en exploitation d'un site d'enfouissement doit faire l'objet d'une nouvelle loi votée par le Parlement. Toute autre décision laisserait à penser que l'on veut forcer l'allure alors même que l'expérimentation n'a pas été menée jusqu'à son terme.

Dans la troisième partie de mon intervention, je réaffirmerai notre attachement à ce que la recherche concernant la séparation-transmutation soit poursuivie, au même titre qu'il est envisagé de la continuer s'agissant des deux autres voies.

En effet, les avancées du Commissariat à l'énergie atomique permettent déjà d'envisager à long terme une gestion différenciée et efficace des différents types de radioéléments.

Ainsi, ce procédé permet de récupérer 95 % des combustibles usés pour les réutiliser et de réduire à 5 % environ la quantité des déchets dits ultimes. C'est un grand progrès.

Cependant, le recyclage est aujourd'hui largement limité par l'inexistence d'une vraie filière à neutrons rapides.

En effet, les recherches sur la séparation-transmutation sont liées à la réalisation d'un prototype de centrale de quatrième génération prévue aux alentours de 2020. Cette date paraît d'ailleurs assez irréaliste, compte tenu de l'avancement des recherches et de l'absence de réacteur expérimental après la fermeture de Phénix, en 2008. Nous le regrettons nous aussi.

Cette voie de recherche mérite alors d'être activement poursuivie, en parallèle avec les projets EPR et ITER.

Pourtant, cette voie n'est pas mentionnée dans l'article 4 du projet de loi, ce qui est assez significatif.

Ainsi, concernant les prérogatives du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, l'accent est mis sur les solutions du type de l'entreposage et du stockage, mais la séparation-transmutation n'y figure pas explicitement. Je sais bien que nous en sommes encore au stade de la recherche fondamentale, mais, malgré tout, nous aurions souhaité que la séparation-transmutation soit mentionnée.

Une autre disposition est tout aussi symbolique : il est prévu, à l'article 11 de ce projet de loi, la création d'un fonds de financement de la recherche au sein de l'ANDRA, qui serait alimenté par le produit d'une taxe additionnelle sur les installations nucléaires de base.

Si nous adhérons au principe de création d'un fonds de financement de la recherche, nous estimons pourtant que, tel qu'il est rédigé, ce projet de loi oublie la recherche sur la séparation-transmutation.

Ainsi, le financement des recherches dans cette voie est laissé à l'appréciation des producteurs dans le cadre de relations contractuelles de court terme ainsi qu'à la dotation budgétaire du Commissariat à l'énergie atomique, qui, il faut bien l'avouer, a été considérablement réduite depuis plusieurs années.

De plus, l'évaluation des besoins de recherche est laissée, d'une part, à l'ANDRA, sur la partie stockage et entreposage, et, d'autre part, au CEA, sur la partie séparation-transmutation.

Nous regrettons donc que ni le plan national pour la gestion des matières et déchets radioactifs ni la Commission nationale d'évaluation n'aient, dans leurs attributions, l'évaluation et la définition des besoins financiers concernant les recherches.

Nous proposerons donc un amendement visant à doter la Commission nationale d'évaluation d'une mission d'évaluation des besoins de financement pour la recherche dans les trois axes définis par l'article 1er.

Parallèlement, nous proposerons que le produit de la taxe additionnelle sur les installations nucléaires de base serve également à financer les études sur la séparation-transmutation.

Concernant le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, nous aurions également souhaité que les orientations fixées par ce plan fassent l'objet d'une évaluation.

Sur les questions de financement, les exploitants nucléaires sont appelés à financer non seulement la recherche, mais également, par le biais de la constitution d'actifs dédiés, les charges de démantèlement de leurs installations et celles d'entretien et de surveillance de leurs installations de stockage de déchets radioactifs.

Cette disposition, prévue à l'article 14, a fait l'objet de débats passionnés à l'Assemblée nationale pour savoir s'il valait mieux que ce fonds reste dans l'entreprise ou qu'il soit externalisé.

Pour notre part, nous estimons que les producteurs ne doivent pas échapper à leurs responsabilités techniques et financières en ce qui concerne les déchets. En conséquence, ils doivent rester engagés dans le financement de l'aval du cycle nucléaire.

Une soulte libérant les producteurs aboutirait, à notre avis, au financement par l'État, et donc par le contribuable, lequel se verrait de ce fait soumis à une double peine, en quelque sorte, puisqu'il a déjà payé une première fois en acquittant sa facture d'électricité.

Je terminerai par un point qui me semble absolument essentiel : le besoin de transparence pour la filière nucléaire. Il s'agit là d'un enjeu de démocratie évident.

Les pouvoirs publics ne doivent pas passer en force pour faire accepter le nucléaire.

Il faut donc reconnaître que le savoir en la matière, même s'il est complexe, n'est pas uniquement un domaine réservé aux experts et que les citoyens disposent de leur propre expertise.

L'acceptation du nucléaire est à ce prix : connaissance partagée et expertise plurielle.

Ce fonctionnement démocratique que nous appelons de nos voeux passe donc par la mise en oeuvre de véritables contre-pouvoirs, ainsi que par une transparence renforcée afin d'obtenir la confiance des citoyens.

Il est vrai que beaucoup a déjà été fait dans ce domaine, mais nous souhaitons aller encore plus loin.

Ainsi, pourquoi ne pas ouvrir à la société civile les conseils de surveillance des entreprises concernées, notamment ceux de EDF, d'AREVA et du CEA ? Pourquoi ne pas associer également les commissions locales d'information, les CLI, et les salariés au contrôle des fonds ?

À ce sujet, il faut souligner la création par l'Assemblée nationale, à l'article 14, d'une Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs. Nous proposerons d'en améliorer la composition.

Pour une plus grande transparence, nous devrons également permettre des évaluations contradictoires et indépendantes. Un contrôle indépendant des installations de gestion des déchets paraît, à ce titre, nécessaire.

De plus, cette démarche implique de faire le point régulièrement afin qu'à chaque étape les citoyens soient informés et en mesure de donner leur avis sur les choix énergétiques.

Dans ce sens, la mise en oeuvre de référendums consultatifs locaux paraît constituer une étape importante dans le processus de décision.

Les départements qui font le choix d'accueillir des centres de stockage doivent également bénéficier d'aides pour la mise en oeuvre d'un projet de territoire permettant de renforcer leur attractivité. Nous le leur devons vraiment ! Ils ont eu une attitude courageuse.

Les demandes formulées par le département de la Meuse me semblent donc tout à fait légitimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

La dernière exigence est la mise en oeuvre de rendez-vous périodiques, comme le préconise la Commission particulière du débat public dans les conclusions qu'elle a présentées et qui soulignent l'importance d' « utiliser le temps pour construire une solution progressiste et prévoir des rendez-vous périodiques ».

Cet avis est d'ailleurs partagé par la Cour des comptes, qui recommande l'instauration d'une structure permanente d'information du public.

Dans ce sens, nous avons souhaité, par nos amendements, conforter la place faite par le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dont nous débattrons demain, à un Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des points qui nous tiennent particulièrement à coeur ; nous aurons également l'occasion, dans la discussion des articles, de revenir sur d'autres dispositions.

En tout état de cause, ce n'est qu'à la fin de ce débat, en fonction de l'évolution du texte au regard des préoccupations que je viens de formuler, que nous déciderons de notre vote.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. -MM. Jean Bizet et Claude Biwer applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc fidèles au rendez-vous fixé par la loi Bataille adoptée en 1991, qui prévoyait que le Parlement se prononce avant la fin de la présente année sur le devenir des déchets radioactifs à durée de vie extrêmement longue.

En tout premier lieu, je vous sais gré, monsieur le ministre, d'avoir accepté que le Parlement puisse délibérer en toute sérénité de votre projet de loi, et que celui-ci puisse faire l'objet de deux lectures dans nos assemblées : déclarer l'urgence pour un tel texte, alors que nous légiférons pour les siècles à venir, n'avait en effet pas grand sens !

En second lieu, je constate avec plaisir que le débat de l'Assemblée nationale a été particulièrement fécond dans la mesure où de nombreux amendements émanant aussi bien de la commission saisie au fond, de la majorité, de l'opposition, voire du Gouvernement, ont été adoptés.

Il est vrai que, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, un sujet aussi important doit recueillir au Parlement un consensus le plus large possible - dans l'opinion publique, ce sera peut-être plus difficile.

Quoi qu'il en soit, j'espère qu'il en ira également de même au Sénat, et j'ai noté avec satisfaction les propos rassurants de M. le ministre, ainsi que les engagements de notre excellent rapporteur, M. Henri Revol.

Je suis, avec Gérard Longuet et Bruno Sido, l'un des représentants régionaux concernés. Il est donc de mon devoir d'intervenir sur le plan de l'intérêt national et de l'intérêt régional, certes, mais aussi sur celui de l'intérêt de mon département, la Meuse. Il me semble, en effet, qu'il n'y a plus qu'un seul site actuellement à l'étude pour l'éventuel enfouissement de déchets et que nous n'avons donc plus le choix qu'entre Bure et Bure !

À ce titre, nous ressentons la nécessité de parler de ces sujets et d'insister sur certains thèmes.

Dans mon esprit, l'intérêt général consiste à faire en sorte qu'en toutes circonstances nos concitoyens puissent bénéficier de l'information la plus impartiale possible sur les objectifs et les moyens mis en oeuvre par les différents opérateurs pour assurer le traitement ou l'entreposage des déchets nucléaires.

L'intérêt général consiste également à ne pas considérer une fois pour toutes le stockage comme la seule solution possible. M. le rapporteur a beaucoup insisté sur ce point : le stockage doit être un procédé réversible, et il doit le rester sur une longue durée.

L'intérêt général commande que soient poursuivies les recherches sur les trois axes qui avaient été évoqués en 1991. Même si, à l'aune de nos connaissances actuelles, certains d'entre eux peuvent paraître utopiques, qui sait si, dans dix, vingt ou trente ans, ils ne s'avéreront pas possibles ?

Vous l'aurez bien compris, je fais référence à la séparation poussée ou à la transmutation, technique pour laquelle des progrès ont d'ores et déjà été enregistrés mais qui nécessitera, ainsi que vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, que la France développe une nouvelle génération de réacteurs nucléaires capables de mieux recycler les combustibles et de réduire les déchets ultimes. Un prototype devra être mis en service vers 2020.

L'autre axe de recherche scientifique évoqué consiste en l'étude de procédés de conditionnement et d'entreposage des déchets de longue durée en surface ou en subsurface.

Le troisième axe de recherche consiste en un stockage en couche géologique profonde : là encore, de notables progrès ont été réalisés grâce, bien sûr, aux études et aux recherches conduites au laboratoire de Bure, mais également grâce aux recherches effectuées à l'étranger par l'ANDRA.

J'observe néanmoins que les conclusions des experts au sujet de la solution du stockage souterrain ne sont pas toujours concordantes. Il faut donc, à mon avis, poursuivre les recherches afin que nous ayons la quasi-certitude, le moment venu, de ne pas nous tromper.

Il convient aussi de regretter qu'un seul laboratoire souterrain ait été réalisé, alors que, au moment du vote de la loi Bataille, un minimum de deux expériences en couches géologiques différentes avait été évoqué.

En effet, à partir du moment où un seul laboratoire de recherche est en place, il va de soi que, si un centre de stockage devait être réalisé, il serait forcément implanté à proximité du laboratoire. Telle n'était pourtant pas la règle du jeu au moment où les élus de la Meuse et de la Haute-Marne ont accepté, en prenant beaucoup de risques, l'implantation de ce laboratoire sur leur territoire !

Cependant, s'il doit y avoir un jour un centre de stockage de déchets radioactifs à proximité de Bure, cela ne pourra se faire qu'en respectant un certain nombre de conditions impératives.

En tout premier lieu, il faut coûte que coûte que la réversibilité du projet de stockage soit garantie, afin de laisser aux générations futures, en fonction des connaissances alors acquises, la possibilité d'effectuer d'autres choix que ceux qui peuvent être entrevus à l'heure actuelle.

L'Assemblée nationale a précisé que le Parlement devra être saisi d'un projet de loi fixant les conditions de la réversibilité du centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, et qu'aucune autorisation ne pourra être délivrée à un centre de stockage qui ne garantirait pas sa réversibilité.

Je suis néanmoins étonné que la durée même de la période de réversibilité ait été limitée à cent ans. C'est le temps qu'il faut pour remplir un site de cette importance ! Ne vaudrait-il pas mieux prévoir une période minimum de réversibilité de trois cents ans ? C'est en tout cas ce que je proposerai par voie d'amendement.

En deuxième lieu, il faut que le Parlement soit garant du caractère démocratique de l'ensemble du processus - j'insiste sur ce dernier point - qui sera enclenché. En d'autres termes, il est impensable de se contenter d'une simple décision administrative pour autoriser un projet de stockage, et il est selon moi impératif que, le moment venu, la décision de création de ce centre de stockage revienne au Parlement. Sur ce point, je pense être d'accord avec M. le rapporteur.

Il s'agit là d'un élément très important, voire de l'élément central du projet de loi.

Aux termes du projet de loi déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale, l'autorisation de création du centre de stockage était délivrée par un simple décret en Conseil d'État, après débat public, enquête publique et avis des collectivités territoriales concernées. Cela n'était pas convenable.

L'Assemblée nationale a décidé d'organiser un nouveau rendez-vous parlementaire, la demande de création devant être transmise le moment venu à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l'évaluerait et rendrait compte de ses travaux aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Cependant, à supposer que l'avis de l'Office soit négatif, rien n'obligerait le Gouvernement alors en place de s'y conformer, et l'autorisation de création pourrait parfaitement être délivrée par décret en Conseil d'État.

Nous ne pouvons pas laisser les choses sous cette forme. Il faut absolument que le Parlement, dans son ensemble, soit saisi d'une affaire aussi importante qui engage tout de même notre pays pour une très longue période ! En conséquence, c'est à mon avis au Parlement, par le vote d'une loi, qu'il revient d'autoriser expressément le Gouvernement à délivrer, le cas échéant, l'autorisation de création d'un centre de stockage.

Tout naturellement, avant que le Parlement ne se prononce, il faut un débat public, une enquête publique, et que les collectivités territoriales concernées puissent donner leur avis sur la création de ce centre de stockage. Je proposerai deux amendements allant dans ce sens.

En troisième lieu, le Parlement devra pouvoir contrôler l'évaluation faite par l'autorité administrative sur les provisions et les fonds dédiés par les opérateurs à la gestion des déchets radioactifs et à leur éventuel stockage souterrain.

Le Gouvernement a fait un choix : les fonds constitués à cette fin demeureront la propriété des opérateurs nucléaires.

De leur côté, nos collègues socialistes préféreraient que la gestion de ces fonds considérables soit confiée à la Caisse des dépôts et consignations et que la propriété des déchets revienne à l'ANDRA.

Je comprends, bien entendu, les raisons de cette proposition essentiellement dictées par les incertitudes du devenir d'EDF et par l'expérience passée, qui n'a pas toujours été concluante. La Cour des comptes et la commission des finances du Sénat ont d'ailleurs souvent mis en cause la gestion de ces fonds et la sécurisation des actifs dédiés.

Cependant, a contrario, qu'adviendrait-il si, d'aventure, le stockage en couche géologique profonde des déchets devait finalement coûter beaucoup plus cher que prévu ?

La Cour des comptes, en 2005, estimait d'ores et déjà que ce coût pourrait connaître une augmentation dans un rapport compris entre deux et quatre.

Dans ce cas, ce serait l'État et les contribuables, et non les opérateurs, qui paieraient la note. Pourtant, les consommateurs d'électricité, qui sont aussi des contribuables, financent déjà la gestion des déchets nucléaires à hauteur - M. le ministre l'a précisé - de dix euros par an et par foyer ! Sur ce sujet, je suis d'accord avec Mme Didier, qui s'est exprimée avant moi.

Dans ces conditions, la solution retenue par le Gouvernement me paraît la moins mauvaise possible, sous réserve que le Parlement joue pleinement son rôle en vérifiant à intervalles réguliers que les provisions et les actifs dédiés à cette fin par les opérateurs de la filière nucléaire correspondent bien aux besoins futurs liés à la gestion et au traitement des déchets radioactifs, tant civils que militaires.

S'agissant du financement de la construction, de l'exploitation, de l'arrêt définitif, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage des déchets de haute ou de moyenne activité à vie longue, il faut également que le montant des contributions versées par les exploitants d'installations nucléaires de base soit fixé par l'État - et non par convention - et qu'il soit régulièrement actualisé afin de garantir la pérennité de ces financements et leur compatibilité avec les besoins réels et futurs. Tel est l'objet d'un autre amendement que je défendrai.

L'Assemblée nationale a prévu la création d'une Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, qui sera notamment chargée de remettre au Parlement, tous les trois ans, un rapport présentant l'évaluation du contrôle de l'adéquation des provisions et de la gestion des actifs dédiés par rapport aux charges liées à ces opérations. Cela me paraît être une très bonne chose.

En quatrième lieu, j'observe qu'un comité local d'information et de suivi chargé d'une mission générale de suivi, d'information et de concertation en matière de recherche sur la gestion des déchets radioactifs, en particulier sur le stockage de ces derniers en couche géologique profonde, sera désormais présidé par le président du conseil général du département où est situé l'accès principal du laboratoire souterrain et non plus par le préfet. Quel que soit son président, j'espère que cet organisme fonctionnera de manière plus efficace que par le passé, ce qui ne devrait pas être très difficile, et qu'il jouera pleinement son rôle en délivrant une information objective aux élus et aux populations concernées, qui est seule garante de l'acceptation par le plus grand nombre de cette technologie et de ses conséquences.

En dernier lieu, je souhaiterais évoquer l'indispensable solidarité nationale qui doit jouer en faveur des territoires concernés par la gestion des déchets radioactifs, à savoir les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, et qui s'exerce notamment par le biais de groupements d'intérêt public, ou GIP. Elle devra être amplifiée.

Voilà quinze ans, je le rappelle, les élus tant nationaux que locaux de ces deux départements ont su faire preuve d'un véritable courage politique en acceptant que soit implanté sur leur territoire le laboratoire souterrain de Bure. À l'époque, ce choix n'était pas évident, compte tenu de l'avis de la population. Ces élus n'ont pas toujours été payés de retour.

En effet, jusqu'à maintenant, les retombées économiques de la construction du laboratoire souterrain de Bure ont été plutôt limitées, en tout cas insuffisamment perceptibles par les habitants des zones concernées, ce qui explique sans doute le scepticisme grandissant à l'égard de cette installation.

Je ne suis pas persuadé que le produit de la taxe dite « d'accompagnement économique » sera suffisant pour redonner un nouveau souffle au développement économique de ce secteur, d'autant que les critères d'éligibilité des fonds ainsi dégagés ont été à juste titre élargis par l'Assemblée nationale et concernent tout naturellement les deux départements pionniers lors de l'acceptation de la création du laboratoire souterrain, notamment à travers les GIP.

J'ajoute que, pour faire bonne mesure, l'Assemblée nationale a cru devoir créer une taxe additionnelle de diffusion technologique.

Il faut en effet que les entreprises liées à la filière nucléaire contribuent au développement économique de la Meuse et de la Haute-Marne par la création d'emplois directs - elles ne l'ont pas fait jusqu'à présent - et que soient valorisées, de préférence dans cette même région, les technologies de haut niveau qui ont été développées à Bure, comme cela s'est déjà fait à Marcoule.

J'observe, une fois de plus, que les coefficients multiplicateurs de ces taxes seront fixés par décret en Conseil d'État en fonction d'une multitude de critères. On laisse ainsi le soin au Gouvernement de décider des besoins des collectivités territoriales alors que leurs élus sont bien mieux placés que quiconque pour les recenser et lancer des actions de développement économique. À cet égard, je peux vous assurer que le conseil général de la Meuse a déjà beaucoup d'idées allant dans le sens de l'intérêt général.

À tout le moins, je crois qu'il conviendrait que les minima et les maxima des coefficients multiplicateurs de la taxe d'accompagnement économique soient relevés de 0, 5 à 1, 5 et de 2 à 3. J'ai déposé un amendement en ce sens.

Par ailleurs, j'ose espérer que, dans la logique du texte voté par l'Assemblée nationale, le produit de la taxe de diffusion technologique s'ajoutera aux produits des autres taxes et ne viendra pas en déduction des précédents. Afin qu'aucun euro ne soit perdu pour les collectivités concernées, je proposerai par voie d'amendement que les lignes budgétaires soient fongibles et que les fonds non utilisés de la taxe de diffusion technologique puissent entièrement servir au développement économique de ces territoires.

Monsieur le ministre, l'examen de ce texte est l'une des rares occasions pour un homme public, au cours de sa carrière, d'engager à ce point l'avenir de son pays, et ce pour de très longues années. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je fais tout naturellement confiance aux scientifiques, mais la science a besoin d'être encadrée. Il en va souvent d'ailleurs de même de l'administration.

Les parlementaires ont sans doute bien des défauts, mais ils ont des comptes à rendre à leurs électeurs et ils savent faire prévaloir l'intérêt général. Ce sont les raisons pour lesquelles j'insiste tellement, non seulement pour que le Parlement soit associé d'un bout à l'autre du processus, mais aussi pour qu'il soit décideur. Des choix doivent s'opérer, et nous devons nous investir avec conviction dans les orientations à donner.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler à l'égard de ce projet de loi. C'est en formant l'espoir de la bonne suite qui sera réservée à nos propositions que je serai conduit à me prononcer en faveur de ce texte, qui est de bon sens et qui répond à l'intérêt général.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

M. Guy Fischer remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier les membres de la commission des affaires économiques ainsi que le rapporteur de cette dernière du bon travail qui a été accompli. Toutefois, je ne sais pas si le voeu émis par M. Revol d'aboutir à un consensus sur ce texte pourra être exaucé dans la mesure où quelques différences de points de vue persistent entre nous.

Ces dernières années, une part non négligeable de l'activité législative a été consacrée à d'importantes questions énergétiques, définissant ainsi des orientations politiques pour le moyen et le long terme et impliquant donc des choix de société.

Deux textes témoignant précisément des choix actés par le Gouvernement ont en effet été adoptés par la majorité parlementaire actuelle : la loi transformant le statut d'EDF et de GDF en société anonyme et ouvrant leur capital, et la loi libéralisant les marchés énergétiques. Rappelons-le, ces deux projets de lois, qui avaient été déclarés d'urgence, ont favorisé de façon permissive l'accélération de la dérégulation en même temps qu'ils ont ouvert la voie à la privatisation de la filière nucléaire.

À cela s'est encore ajoutée la loi d'orientation sur l'énergie, qui a défini les grands axes de la politique énergétique future sans pour autant les assortir de moyens financiers et qui a donné sa faveur, dans un contexte de repli du politique, aux instruments et aux mécanismes du marché censés pouvoir jouer un rôle primordial en matière de développement durable.

En matière de politique énergétique, j'insiste sur le fait que le développement des énergies renouvelables doit demeurer une priorité. Beaucoup de choses restent à faire dans ce domaine, tant dans le secteur de la recherche que dans celui des réalisations. Cela suppose de faire preuve d'un réel volontarisme politique.

Ce faisant, alors que le parc électronucléaire français est l'un des plus importants au monde, aucun projet de loi à part entière n'a été consacré depuis 2002 à la question du nucléaire à proprement parler. La poursuite du programme électronucléaire, avec le choix de l'EPR, le réacteur de troisième génération, a été inscrite dans la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique. Parallèlement, aucun engagement réel n'était pris à l'égard des technologies du futur - la quatrième génération de réacteur - permettant pourtant de traiter de la question de l'aval du cycle nucléaire. Un débat sur ces technologies apparaissant plutôt comme concurrentes aurait pu avoir lieu et être suivi d'un projet de loi. Reste que la loi de programme définissant les orientations de politique énergétique, sans véritable programmation budgétaire ni financière, était marquée par un réel manque d'ambition et de volontarisme politiques en laissant pratiquement au seul marché le soin de la régulation.

Enfin, certaines dispositions importantes relatives au projet international d'implantation d'un réacteur expérimental de fusion thermonucléaire - ITER - ont été introduites par le biais d'un amendement gouvernemental dans le projet de loi de programme pour la recherche, et ce alors qu'un débat public était organisé dans le cadre de la Commission nationale du débat public.

Ce constat décevant me conduit à présenter plusieurs observations.

Les grandes questions en matière nucléaire ont été éparpillées dans divers textes sans qu'une véritable cohérence apparaisse. Ce faisant, certains choix importants ont été actés. Une telle démarche d'éparpillement ne milite certainement pas en faveur de la transparence et de la cohérence de l'action de l'État alors que l'opinion publique, pour les raisons que l'on sait, a toujours été très méfiante à l'égard du nucléaire.

Cette manière de faire n'oeuvre pas dans le sens du rétablissement de la confiance. Les débats publics organisés dans le cadre de la Commission nationale du débat public ont pu apparaître à la traîne du processus législatif. Annoncer, par exemple, comme l'a fait le Président de la République, le lancement de l'EPR, alors que le débat public sur cette question organisé dans le cadre de la Commission nationale du débat public n'était pas encore terminé, portait atteinte au processus même de concertation et constituait en fait un véritable déni de démocratie.

Aucun projet de loi à part entière n'a été consacré à la question nucléaire, que ce soit pour le choix de l'EPR, réacteur de quatrième génération, ou d'ITER, alors que de tels choix le justifiaient pleinement.

Les décisions permissives relatives à l'évolution du statut des opérateurs du nucléaire ont été prises en amont de l'examen tant du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire que du projet de loi relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs. Cela manque cruellement de cohérence et rend l'intervention du Parlement dans ces domaines d'autant plus nécessaire et urgente.

S'agissant du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, notre groupe n'a cessé de réclamer son inscription à l'ordre du jour. Celle-ci est bien tardive, ce qui est paradoxal dans la mesure où des décisions importantes ont été prises en amont. Quant au projet de loi que nous examinons aujourd'hui, il était prévu par la loi Bataille du 31 décembre 1991. L'article 4 de cette dernière fixait en effet un nouveau rendez-vous législatif quinze ans après la promulgation dudit texte. C'est désormais fait, ce dont nous vous remercions, monsieur le ministre.

L'ouverture de 30 % du capital d'EDF et de GDF en août 2004 constituait en réalité un pas vers la privatisation des opérateurs historiques, ce que notre groupe avait dénoncé en séance publique lors de l'examen du projet de loi. Une fusion avec un autre groupe, dans le cadre d'une OPA par exemple, suffirait pour faire descendre le capital de l'État bien en deçà du seuil des 70 % prévu par la loi, ce qui semble se profiler dans le cas de la fusion Suez-Gaz de France. À terme, la privatisation des opérateurs historiques de la filière nucléaire - EDF, AREVA, ... - est donc promise. Dans le cadre des restructurations et de la diversification à l'échelle européenne des grands groupes de l'énergie, une telle perspective pourrait même rapidement se concrétiser.

Or un tel contexte d'opérateurs « privatisables » joue, à l'intérieur des groupes, en faveur d'une rationalisation des activités et de la recherche de réduction des coûts afin d'être à la hauteur des exigences en matière de rendement fixées par les marchés financiers. Les réclamations de hausse des tarifs de l'électricité ou du gaz par les directions d'EDF et de GDF constituent l'un des éléments de cette problématique.

Les risques d'un relâchement des exigences en matière de sécurité et de sûreté nucléaires ne sont donc pas à écarter dans un tel contexte. Il n'y a en effet aucune raison a priori pour que des groupes appartenant au secteur nucléaire ne se conforment pas aux normes de rentabilité qui prévalent actuellement.

Puiser sur les richesses créées pour atteindre des taux de rendement à deux chiffres a pour contrepartie nécessaire des recherches multiples d'économies en termes de coûts : développement de la sous-traitance, dégradation des conditions de maintenance et d'entretien des centrales nucléaires, rationalisation des emplois - variable pourtant essentielle en termes de sûreté et de sécurité -, augmentation démesurée du prix de l'énergie.

Mes collègues du groupe socialiste à l'Assemblée nationale ont d'ailleurs déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les risques en matière de sécurité et de transparence engendrés par l'ouverture du capital et la privatisation de la filière nucléaire française.

Face à une telle situation, une loi sur les déchets se doit de renforcer les obligations de service public auxquelles seront soumis les industriels du nucléaire. Au rang de ces obligations doivent figurer le démantèlement et la gestion des déchets assortis des moyens financiers nécessaires pour les assurer.

Il est donc indéniable que le texte que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans un contexte légal et économique bien différent de celui de 1991. Il est par conséquent essentiel que la loi que nous adopterons à l'issue des débats tienne compte de ces évolutions majeures aux conséquences encore mal évaluées.

J'aimerais également présenter un certain nombre de remarques sur la procédure employée pour l'examen des textes relatifs au nucléaire.

En premier lieu, le Gouvernement avait initialement déclaré l'urgence sur les deux projets de loi portant sur le nucléaire. Concernant le texte relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, il est revenu sur sa décision. Cela étant, j'ai entendu dire que le Sénat serait invité à adopter ce texte conforme, ce qui m'amène à m'interroger sur la sincérité du Gouvernement quand il déclare souhaiter la discussion de ce projet de loi selon la procédure parlementaire normale.

S'agissant du projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, un tel empressement est tout aussi incompréhensible.

En effet, ce projet de loi aborde des questions de fond relatives au stockage en couche géologique profonde, au développement économique des territoires d'accueil, sujet cher à Claude Biwer, comme à beaucoup d'autres de nos collègues, ainsi qu'au financement de la gestion à long terme des déchets. Cela mérite bien une réflexion approfondie. Il faudrait au moins, me semble-t-il, y consacrer deux lectures.

Le Gouvernement y avait d'ailleurs consenti dans un premier temps, mais il revient à présent sur sa décision. Par conséquent, j'ignore où nous en sommes ; vous nous le direz sans doute, monsieur le ministre.

En second lieu, et contrairement à ce que vous prétendez, le chevauchement de deux projets de loi portant sur le nucléaire - ils sont discutés en parallèle et de manière quasi simultanée à l'Assemblée nationale et au Sénat - ne favorise ni la cohérence ni la clarté des débats.

En effet, un jeu de renvoi d'un projet de loi à l'autre de tel ou tel élément de la discussion ou de tel ou tel amendement n'a pu être évité, tant les frontières entre les deux projets de loi sont au final très floues. Une telle pratique est préjudiciable aux débats -

En troisième lieu, le fait que les parlementaires n'aient pas eu un seul et même interlocuteur sur ces deux projets de loi nous laisse dubitatifs. Pourquoi confier le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité nucléaire à la ministre de l'écologie et du développement durable et le projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs au ministre délégué à l'industrie ?

À l'occasion de l'examen de ces deux projets de loi, si les parlementaires avaient pu bénéficier de ces deux interlocuteurs, comme ce fut le cas lors du débat organisé ici sur la gestion des déchets, cela aurait incontestablement contribué à la sérénité et à la limpidité de la discussion.

Le rappel du contexte dans lequel le présent projet de loi s'inscrit et de la méthode critiquable suivie par le Gouvernement était nécessaires au regard des enjeux, qui sont considérables. En effet, si l'industrie nucléaire n'est pas la seule filière productrice de déchets toxiques, c'est celle qui en produit aujourd'hui le plus. En outre, c'est la seule à produire des substances dont la toxicité peut s'étendre sur des dizaines de milliers d'années.

Le déchet nucléaire est bien spécifique et mérite donc une prise en charge à la hauteur du danger. Par conséquent, nous portons tous une grande responsabilité à l'égard non seulement de nos concitoyens, mais également des générations futures. Les décisions que nous serons amenés à prendre auront une portée inhabituelle pour nous, qui sommes accoutumés à travailler sur le court, le moyen ou le long terme, mais jamais sur le très long terme.

Cet exercice est rendu d'autant plus difficile que nous ne devons pas prendre de décision qui constituerait un obstacle à l'utilisation des progrès scientifiques futurs. C'est la raison pour laquelle l'obligation de prudence et de vigilance est sans doute encore plus forte que d'habitude, d'autant que le monde de l'énergie est de plus en plus mouvant !

J'ai déjà abordé ce point, mais il est crucial de ne pas l'oublier : les différentes décisions communautaires et nationales ont ouvert à la concurrence un secteur jusqu'à ces dernières années concentré en grandes entreprises publiques nationales et intégrées. Sous prétexte que la concurrence serait le nec plus ultra économique, la libéralisation de ce secteur, pourtant très spécifique, substituera progressivement aux monopoles publics des oligopoles privés qui donneront la priorité dans leur gestion à la rentabilité.

Alors que nous devrons envisager au cours de ce débat le financement de la prise en charge des déchets par leurs producteurs, l'étalage des profits et des dividendes versés aux actionnaires, d'une part, et les sommes astronomiques dilapidées dans des opérations d'acquisition, d'autre part, révèlent combien de tels groupes détiennent des montants de capitaux abyssaux, qui ne sont pas nécessairement employés de la façon la plus judicieuse.

Ainsi, dans les dernières années, 200 milliards d'euros ont été consacrés à de simples opérations d'acquisition et de prises de participations qui n'ont ni fait baisser les prix ni amélioré les conditions d'emploi. Une meilleure transparence n'est-elle pas nécessaire ?

Dans la filière nucléaire, du combustible à la gestion des déchets en passant par la production, les processus industriels s'étendent sur de très longues échelles de temps et relèvent donc de choix de société, voire d'engagements pris au nom des générations futures.

Face à cela, seules la permanence de l'État et sa recherche de l'intérêt général peuvent apporter des garanties en matière de responsabilité et de respect des engagements. C'est pourquoi les entreprises concernées doivent rester publiques, tout comme doit rester public le contrôle sur la filière des déchets. Par « publiques », j'entends non pas « étatiques et technocratiques », comme cela a trop souvent été le cas, mais bien « démocratiques ». Cela implique l'association des élus, des associations, des usagers, des salariés, des scientifiques et, bien évidemment, des citoyens.

Si le nucléaire a permis à la France de réduire son déficit extérieur et de garantir son indépendance énergétique en montrant une certaine excellence technologique en la matière, on ne peut pas occulter que le programme d'équipement nucléaire du territoire ait été réalisé dans une grande opacité.

L'information à destination des élus était limitée et les populations ont été tenues à l'écart. Les consultations des collectivités locales et du Parlement étaient alors quasiment inexistantes et le traitement des déchets radioactifs totalement absent des débats.

Rappelons que la loi Bataille fut votée à l'unanimité en 1991. Elle prévoyait que des recherches seraient conduites selon trois axes, afin que le Parlement puisse disposer de l'ensemble des données scientifiques nécessaires à une prise de décision.

Le premier axe concerne la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Il s'agit de réduire la radioactivité et la durée de vie des déchets radioactifs ou de recycler les déchets pour en faire des combustibles réutilisables. Cet axe est tout à fait intéressant ; les recherches en ce domaine doivent être poursuivies.

Le deuxième axe consiste à étudier les possibilités de stockage dans les formations géologiques profondes, la fiabilité et la sûreté du stockage des déchets à haute activité et à vie longue. Ces recherches ont été menées par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, dont la loi Bataille prévoyait la création. Cette structure a rendu son premier inventaire en 2004.

Le troisième et dernier axe porte sur l'étude des procédés de conditionnement et d'entreposage en surface de longue durée.

Ces trois axes ne peuvent pas être programmés de manière indépendante, car il ne doit exister pour l'heure aucune solution retenue de manière définitive et exclusive en matière de traitement des déchets. Aussi les trois axes de la loi Bataille ne doivent-ils pas être considérés comme concurrents.

Or, monsieur le ministre, l'exposé des motifs du projet de loi que vous nous avez présenté était clair : « Pour les déchets ne pouvant pas être stockés en surface ou en faible profondeur pour des raisons de sûreté nucléaire ou de radioprotection, le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs retient le stockage en couche géologique profonde comme solution de référence. » Une telle attitude ne plaidait certainement pas en faveur du dialogue et de la transparence.

Vous vous inscrivez en porte-à-faux vis-à-vis du rapport de la Commission particulière du débat public constituée sur l'initiative de la Commission nationale du débat public. Ce rapport insistait sur la nécessité d'une étude de l'alternative à l'enfouissement géologique sous la forme d'un « entreposage de longue durée », surveillé et renouvelé. Selon les auteurs du rapport, des interrogations quant au stockage géologique demeurent toujours. Le choix entre les trois axes ne doit donc pas être précipité.

De plus, les débats publics ont fait ressortir la préférence des populations touchées pour l'entreposage. Il faut donc laisser le choix ouvert. En choisissant le stockage géologique, vous montrez votre manque manifeste de considération des populations concernées. Permettez-moi à cet égard de rappeler au passage l'épisode du « court-circuitage » du débat public sur l'EPR.

Heureusement, l'Assemblée nationale a apporté des améliorations sur différents points, notamment sur la réversibilité. Ainsi, la recherche en laboratoire souterrain porte désormais sur le stockage réversible. La notion de réversibilité témoigne de fait du caractère non définitif.

L'article 7 bis prévoit qu'un projet de loi fixant les conditions de réversibilité du centre de stockage en couche géologique profonde sera présenté au Parlement et l'article 8, qui concerne la procédure d'autorisation, apporte également quelques garanties supplémentaires.

Si le projet de loi dont nous débattons constitue une innovation, il doit toutefois demeurer un prolongement indispensable à la loi de 1991. Aujourd'hui, nous ne devons pas perdre de vue l'importance de la continuité du travail entrepris à l'époque. La complémentarité des trois axes ne doit avoir d'égale que la continuité du présent projet de loi avec la loi de 1991.

Cependant - je le répète -, la donne a changé. L'État n'a plus la totalité des cartes en main. L'entrée d'acteurs privés dans le secteur nucléaire et les évolutions économiques intervenues depuis les années quatre-vingt-dix militent pour un renforcement des contraintes et pour des obligations à faire peser sur les opérateurs en matière de transparence, de sécurité et d'anticipation.

Ainsi, il est de notre responsabilité d'inscrire dans le projet de loi la constitution de provisions pour assurer le financement de la gestion des déchets. S'il n'est pas toujours le souci premier des acteurs privés, le long terme doit être notre préoccupation majeure. Court terme, rentabilité et productivité ne peuvent pas être les mots d'ordre en matière nucléaire. Mon collègue Michel Teston interviendra plus longuement sur la question du financement.

Certes, certaines améliorations ont été apportées par les députés lors de l'examen du présent projet de loi à l'Assemblée nationale. Des garanties nouvelles ont été adoptées et nous nous en félicitons. Nous avons donc progressé et un degré supérieur de sécurisation des fonds destinés au financement de la gestion des déchets a été obtenu. Ces fonds seront donc mieux protégés.

Nous veillerons à ce que de telles améliorations soient maintenues, tout en cherchant à améliorer encore le dispositif. Ce sera l'objet de nos amendements.

Monsieur le ministre, l'anticipation est une vertu, si ce n'est un impératif politique. Dans l'impossibilité de prévoir les mouvements économiques à l'échelle de la durée de vie des installations nucléaires, nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser tomber entre les mains du privé, donc de la logique du profit, la sécurité des générations futures.

L'attitude de notre groupe sur ce dossier sera donc déterminée par l'objectif suivant : préserver la sécurité et la santé de notre descendance. La durée de vie et la dangerosité des déchets nucléaires doivent nous obliger à dépasser les intérêts de court terme et à veiller à ce que les décisions prises préservent le futur.

J'espère que nous partagerons tous cet objectif au cours du débat.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir respecté le rendez-vous que nous avions unanimement fixé lors de l'adoption de la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs.

À cette occasion, nous avions en effet décidé de proposer à la nation un rendez-vous sur le sujet difficile de la gestion des déchets, qui est sans doute aujourd'hui encore le maillon le plus faible de la chaîne de l'électronucléaire. C'est la raison pour laquelle nous devons aujourd'hui porter un regard attentif sur cette question.

Monsieur le ministre, ce rendez-vous est non seulement respectueux des délais initialement prévus, mais, grâce à vous, il est en outre utile. Cela n'était pas un exercice facile.

En effet, ce rendez-vous est utile et pertinent, et ce pour deux raisons.

D'abord, les questions d'énergie sont au coeur de l'avenir de nos sociétés. Cela vaut tant pour la France que pour les autres pays. Nul n'imagine que l'atout français du nucléaire puisse être compromis par une absence de traitement du maillon faible que constitue la gestion globale des déchets, notamment des déchets à haute activité et à vie longue.

Ensuite, l'opinion est attachée aux symboles. En ce printemps 2006, nous célébrons, hélas ! le triste anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Pour l'opinion publique, le nucléaire reste à juste titre une activité pour laquelle l'exigence de responsabilité est absolue.

Mais si ce rendez-vous est pertinent, c'est - il faut le reconnaître - grâce à l'action commune des gouvernements de droite et des gouvernements de gauche qui ont partagé les responsabilités au cours des quinze dernières années. À cet égard, je salue tout particulièrement Mme Voynet. En effet, en 1999, alors qu'elle était ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, Mme Voynet a signé avec M. Christian Pierret, alors secrétaire d'État à l'industrie, le décret autorisant l'installation d'un laboratoire d'études sur le stockage souterrain des déchets nucléaires sur la commune de Bure, dans le département de la Meuse.

Une telle gestion commune a été utile. Si les interrogations suscitées par le problème des déchets ne sont pas toutes dissipées, loin s'en faut, force est de constater le changement considérable de la relation entre nos compatriotes, leurs responsables, notamment les élus, et le secteur de l'électronucléaire.

Par le passé, ce secteur a été parfois marqué - c'est sans doute lié à ses origines militaires ou à sa réussite industrielle - par de glorieuses certitudes, qui n'ont pas toujours permis d'établir des relations de compréhension mutuelle et de confiance avec les populations, du moins avec le grand public.

Pour ma part, j'ai vécu ces quinze dernières années de manière très directe. En effet, je suis élu du département de la Meuse depuis maintenant, hélas ! vingt-huit ans. En compagnie de mes collègues Bruno Sido, Charles Guené et Claude Biwer, j'ai donc pu suivre toutes les étapes de la réaction de l'opinion.

Je voudrais m'exprimer en cet instant avec mon expérience d'élu, et non avec l'expérience du technicien que vous êtes aussi, cher Henri Revol, en plus de l'élu représentatif de son département.

À l'égard du nucléaire, les sentiments restent partagés.

Nombre de nos concitoyens sont partagés entre la confiance, parce que le système fonctionne bien en France, et l'inquiétude résiduelle. En effet, compte tenu des défaillances telles que celles que nous avons pu constater à l'étranger, notamment dans les pays de l'Est, et de la durée des systèmes en cause - je pense notamment à la longueur de la résorption progressive des radiations nocives -, nos compatriotes peuvent à tout moment être déstabilisés et plongés dans une sorte d'abîme philosophique.

À ce propos, nos collègues Évelyne Didier et Bernard Piras ont évoqué l'une des conclusions les plus spectaculaires du débat public que Bruno Sido et votre serviteur avions demandé en présence du président du conseil général de la Meuse à M. Patrick Devedjian, qui vous a précédé sur ce poste, monsieur le ministre.

Ainsi que le débat public l'a montré, la dimension extraordinaire du sujet que nous abordons, où l'unité de compte est la centaine d'années, le millénaire, voire plus encore s'agissant du géologique, confère à notre débat une gravité toute particulière.

Aussi, cette question mériterait, je le pense profondément, que nous dépassions les divisions partisanes et que nous retrouvions, face à nos compatriotes, une solidarité de responsables, même si celle-ci ne gommera pas les différences qui nous opposent.

Je conçois que la dérégulation de l'économie électrique et l'éventuelle privatisation de tel ou tel acteur changent un certain nombre de données, mais ces changements ne sont pas de nature à remettre en cause le devoir de solidarité et de responsabilité qui s'impose à tous les élus que nous sommes lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre un dispositif durable d'intérêt commun.

Monsieur le ministre, ce rendez-vous est réussi. Il y avait en effet deux risques.

Le premier risque était de constater que rien n'était prêt et donc de reporter, ce qui aurait constitué une injure pour les générations à venir, mais également un aveu de faiblesse, peut-être même un geste de désinvolture de la part d'une génération qui accepte les avantages mais refuse les efforts et renvoie les inconvénients à d'autres.

Le deuxième risque, qu'a souvent accepté la filière électronucléaire, était de prendre une décision rapide en bousculant un peu les réserves, les prudences et les réticences parfaitement légitimes des populations, qui sont de plus en plus nombreuses à s'intéresser à ce sujet, et ce avec un degré de responsabilité qui, pour l'observateur que je suis, force l'admiration.

En effet, dans nos départements, nous comptons à la fois des partisans et des adversaires dont le degré de maturité et de connaissance du sujet laisse à penser que la démocratie n'est pas un vain mot. La démocratie médiatisée, c'est-à-dire celle qui repose notamment sur les élus, permet d'avoir des débats de fond. Si nous ne sommes, en cette fin d'après-midi, que quelques petites dizaines dans cet hémicycle, nos compatriotes sont, eux, des dizaines de milliers à s'être intéressés à cette question et à s'être engagés. Des centaines d'entre eux ont acquis une compétence qu'ils n'auraient jamais imaginé avoir si, grâce à la loi Bataille, grâce à ce rendez-vous législatif, grâce au Comité local d'information et de suivi et grâce, surtout, à la Commission nationale du débat public et au débat public organisé par M. George Mercadal, ils n'avaient pas eu l'occasion d'écouter et de s'exprimer en la matière.

J'ajoute que ceux qui, depuis maintenant près de quinze ans, se sont engagés, comme moi, en faveur de ce projet sur le terrain ont également été amenés à essayer de comprendre pourquoi cette question suscitait parfois une telle incompréhension, un tel rejet.

Monsieur le ministre, entre ne rien décider et décider trop vite, vous avez trouvé un calendrier républicain et responsable, qui engage durablement tout le pays sur un projet global. C'est l'utilité d'un tel calendrier que je voulais souligner, sans m'y attarder car je souscris totalement aux conclusions de M. le rapporteur Henri Revol.

Une politique nationale pour l'ensemble des déchets a été décidée. Cette demande nous était faite de manière pressante, en particulier par les opposants les plus résolus du laboratoire, qui nous reprochaient de n'en gérer qu'un aspect. Une gestion globale était nécessaire. Avec ce texte, monsieur le ministre, vous en posez le principe. En outre, grâce au plan national triennal établi, des rendez-vous réguliers sont prévus.

Pour ma part, je souhaite, comme l'a évoqué un précédent intervenant - le rapport triennal engage le Gouvernement - que la plume soit tenue par l'ANDRA afin que cette agence acquière des compétences et devienne ainsi une référence acceptée par les uns et les autres.

Ce rendez-vous est utile, monsieur le ministre, parce qu'il vous permet de rappeler - ce qui n'était pas gagné d'avance - la volonté du Gouvernement et donc la volonté nationale - lorsque le texte sera adopté par le Parlement - de poursuivre dans les trois voies.

À cet égard, je ne crois pas qu'il faille vous faire de procès sémantique. Il n'y a pas de voie de référence, il y a simplement une voie de bon sens. Nous poursuivrons sur la voie de la séparation-transmutation. Un calendrier a été établi : une première évaluation sera effectuée en 2012, un prototype industriel sera exploité en 2020.

Le financement sera assuré pour cette première voie par le CEA et sans doute par AREVA, mais non par l'ANDRA, et ce pour une raison très simple : pourquoi diable désarticuler les capacités de recherche ? En effet, s'il s'agit de recherches sur les déchets, il s'agit également, d'abord et avant tout, de recherches de physique fondamentale ou liées à la production d'énergie. La compétence du CEA s'impose. À nous de veiller à son financement par la subvention d'État.

Vous rappelez que cette orientation sera poursuivie. À cet égard, nous aurions sans doute gagné du temps si le projet Superphoenix n'avait pas été abandonné pour les raisons que nous connaissons et que Mme Dominique Voynet, qui est à l'origine de cet abandon, rappellera sans doute au cours du débat.

Il est d'ailleurs assez amusant de constater que ceux qui nous reprochent d'abandonner le principe de deuxième laboratoire et de négliger la transmutation-séparation sont également ceux qui se mobilisent pour empêcher ce même deuxième laboratoire ou toute troisième voie ! L'importance du sujet m'interdisant de me laisser aller à la passion naturelle de l'homme politique, à savoir la polémique, je rappellerai simplement que l'on ne peut pas à la fois vouloir être sec et plonger dans la piscine. C'est l'un ou l'autre ! Si l'on veut deux laboratoires, il ne faut pas pousser les manifestants à demander, par exemple, l'interdiction de toute prospection dans le granit.

Ce texte fixe une politique nationale, consolide la recherche dans les trois voies, assure les moyens financiers. Il est plus qu'utile, indispensable, en particulier dans le nouveau contexte financier ; nous ne sommes plus, comme en 1991, dans une situation de monopole électrique. Il faut donc faire en sorte que des moyens financiers pérennes puissent être dégagés pour financer à la fois la recherche et la construction des installations de stockage et d'entreposage, mais aussi leur entretien.

J'aurai une question à vous poser, monsieur le ministre, sur la pérennité de ces moyens, mais nous en reparlerons tout à l'heure, lorsque nous évoquerons le volet du développement.

À ce stade, je souhaite faire deux propositions pour enrichir notre débat. Celles-ci sont très liées - et je recueillerai sans doute l'assentiment de mes collègues du terrain -, à ma qualité d'élu de territoire accueillant le laboratoire et sans doute le futur site de stockage.

Nous devons gérer ensemble, et dans la transparence, la transformation du laboratoire en centre de stockage. La sémantique, là encore, a évolué par rapport à la loi de 1991.

Les mots « laboratoire » et « stockage » sont utilisés ensemble, ce qui n'était pas le cas dans la loi de 1991, où seul était évoqué le stockage. Ainsi, en 1994, puis en 1997, le conseil général de la Meuse s'était prononcé en faveur d'un laboratoire d'études et non d'un centre de stockage. Aujourd'hui, vous avez la franchise de dire que, outre le laboratoire, il y aura un site de stockage, et nous l'acceptons.

Nous aimerions néanmoins que vous soyez plus précis dans la formulation. Il y a, hélas ! non pas « des » laboratoires, mais « un » laboratoire - les mots ont leur sens, la grammaire en a tout autant -, à savoir « le » laboratoire du Callovo-oxfordien de la région de Bure. Il n'y en a pas d'autres ! Il faut le rappeler afin de garantir aux populations que les mesures que vous avez prises, après les amendements adoptés par l'Assemblée nationale concernant la réversibilité, visent très précisément et exclusivement la transformation du laboratoire dans le Callovo-oxfordien de la région de Bure - la Haute-Marne et la Meuse - en centre de stockage et non un centre indéfini, immatériel, que l'on transposerait ensuite dans le cas particulier de Bure et de sa région. J'ai donc déposé des amendements en ce sens.

Si l'article 7 bis constitue un progrès considérable, je souhaite néanmoins que nous resserrions un certain nombre de boulons afin de nous assurer que d'autres rendez-vous législatifs avec les élus du suffrage universel auront lieu, la perspective du rendez-vous que nous vivons aujourd'hui ayant constitué l'atout essentiel du dialogue entre la filière électronucléaire et les élus de terrain.

Ces rendez-vous législatifs seront une sécurité pour les populations et permettront d'exercer une pression constante sur les organismes de l'électronucléaire, ainsi que sur les gouvernements qui pourraient, dans l'avenir, trouver tout cela bien cher, considérer que cela appartient au passé, qu'ils sont face à un fait accompli et qu'il n'y a plus lieu de se mobiliser, comme vous l'avez fait depuis 2002, ainsi que votre prédécesseur, afin de préparer la rencontre législative prévue par l'article 4 de la loi de 1991.

En un mot, la loi qui transforme le laboratoire en centre de stockage protège les populations et sécurise les élus en leur offrant une possibilité de dialogue et en leur donnant la certitude qu'ils ne seront pas oubliés le moment venu.

Vous me répondrez certainement, monsieur le ministre, que le décret et l'article 7 bis offrent une garantie totale. Sans doute ! Mais alors pourquoi ne pas le dire formellement en visant Bure et le Callovo-oxfordien ?

J'ajoute que, compte tenu de l'investissement considérable que représente un futur laboratoire - on peut imaginer qu'il sera prêt en 2025, une décision devant être prise dans neuf ans, soit en 2015 -, l'expérience des quinze dernières années laisse à penser qu'il est plus sûr de faire confiance aux élus du suffrage universel, en particulier aux parlementaires, plutôt qu'à une procédure administrative exclusivement. Les juridictions compétentes pourraient en effet considérer, en vertu du principe de précaution qui a désormais valeur constitutionnelle, que rien n'est possible tant que tout n'est pas certain. Or, en matière scientifique - vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, puisque vous êtes l'un et l'autre des scientifiques de formation -, il y a toujours des inconnus.

Il ne faudrait donc pas que la décision responsable des parlementaires d'accepter aujourd'hui l'éventualité de la transformation d'un laboratoire en centre de stockage puisse être cassée en 2015 par des juristes refusant de prendre un risque, au nom du principe de précaution. Vous auriez, avec les élus, plus de certitude et de sécurité.

La loi protège les populations de l'indifférence qui pourrait survenir dans quelques années lorsque, considérant le centre de stockage comme acquis, l'intérêt manifesté aujourd'hui se dissiperait, la pression du suffrage universel ayant cessé.

J'évoquerai maintenant le rendez-vous du développement. Sur ce sujet, nous devrons obtenir des précisions tout au long de l'examen du texte.

Je serai très franc : lorsque, en 1994 - j'étais alors ministre de l'industrie, le premier d'ailleurs à mettre en oeuvre la loi Bataille -, j'ai proposé au conseil général de la Meuse de présenter sa candidature, ce n'était pas seulement pour faire preuve de solidarité nationale - bien que la Meuse en ait fait preuve dans le passé, sans d'ailleurs l'avoir choisi, en ayant été bien involontairement le théâtre des grands affrontements franco-allemands -, mais parce que nous considérions que, si les conditions naturelles étaient scientifiquement et raisonnablement établies comme favorables, la Meuse aurait ainsi la possibilité d'être accrochée à une filière que nous jugions d'avenir - plus encore aujourd'hui -, à savoir la filière de l'énergie électronucléaire.

Or les mesures prévues aux articles 9 et 15 donnent le sentiment, non pas d'un flottement, mais d'une décision inachevée ou incomplète.

Certes, nous avons des zones, des taxes additionnelles et des taux.

Toutefois, s'agissant des zones, on ne sait pas combien il y en a exactement. S'il y en a une, c'est la proximité, deux, c'est l'espace du GIP, trois, c'est une zone intermédiaire entre la proximité des dix kilomètres et le département tout entier.

En ce qui concerne les taxes additionnelles, il n'y a pas de problème. Qui les utilise ? Le GIP. Cependant, monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre philosophie au regard de la pérennité du GIP, en particulier lorsque le GIP prendra en charge les taxes additionnelles issues d'un stockage et non plus d'un laboratoire, même si, apparemment, ce sont les mêmes. Le GIP a été un considérable progrès au cours des premières années d'existence de l'ANDRA, mais il faut en fixer les règles.

La Haute-Marne et la Meuse ont à peu près les mêmes types de populations et de structures économiques : ce sont des départements ruraux où les villes sont trop peu développées, où les petites communes sont nombreuses. Assurément, le conseil général, dans ces deux départements, joue un rôle important parce qu'il est la grande collectivité sur laquelle s'appuient les projets collectifs. Il n'est cependant pas le seul et il faudrait, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez dans quel esprit l'État participe au GIP, puisque les partenaires de l'électronucléaire sont des partenaires importants et équivalents du GIP, et quelles peuvent être les règles du jeu entre les divers acteurs. Nous ne nous priverons pas, au cours du débat, de vous donner nos points de vue et, peut-être, à travers certains amendements, de chercher à clarifier les responsabilités respectives.

J'en viens au dernier élément relatif au rendez-vous du développement, c'est-à-dire les taux.

Là encore, il s'agit d'un sujet extrêmement technique qui fera l'objet de discussions à l'occasion de l'examen des amendements. L'éventail ouvert dans votre texte mérite une explication si nous voulons fixer des règles du jeu stables et ne pas laisser entendre aux populations que cet éventail peut à tout moment se refermer.

Notre volonté, dans cette affaire, n'est pas simplement d'obtenir de l'argent de la filière électronucléaire mais d'accrocher un très ancien territoire français, que la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle a écarté du développement alors qu'il avait porté pendant des siècles, depuis François Ier jusqu'à la minette de Lorraine, une partie essentielle de l'activité industrielle de notre pays.

Nous avons une chance, nous n'entendons pas la gâcher. Notre but n'est pas, comme l'ont parfois dit brutalement et un peu familièrement nos opposants, de « paver d'or nos communes ». Nous souhaitons simplement qu'il soit tenu compte de ces territoires, qui ont été en marge du développement industriel du XXe siècle et qui sont aujourd'hui en marge du développement du tertiaire, lié aux grandes métropoles.

Nous voulons que ces deux territoires, qui, certes, bénéficient d'une réelle qualité de vie à travers l'accueil rural mais qui paient lourdement le prix des nouvelles productivités agricoles, qui forment un espace solidaire au-delà des limites départementales - lesquelles ne sont jamais pour nous des frontières - reçoivent un soutien durable, pérenne et respectueux. Nous souhaitons que les grands acteurs de l'électronucléaire, le CEA, AREVA, EDF et l'ANDRA - avec laquelle nous avons des relations de confiance et de coopération -, considèrent les territoires ruraux qui accueillent leur laboratoire proprement dit, les villes qui structurent nos deux départements, les appuis universitaires de nos régions comme des partenaires durables et à part entière.

J'ai vu, par exemple, le formidable impact de La Hague et de Flamanville pour le département de la Manche, qui a su saisir cette opportunité. J'ai le souvenir de Michel d'Ornano, qui, à l'époque président du conseil régional, puis ministre de l'industrie, a largement contribué à cet essor.

Toutes choses étant égales par ailleurs, c'est exactement dans le même esprit que nous envisageons cette évolution. Certes, nous nous réjouissons des soutiens financiers, mais nous voulons surtout établir une relation de confiance durable sans laquelle nos populations se détourneront du partenariat que nous appelons de nos voeux et qui constitue une voie royale pour le développement et la réussite de la filière électronucléaire française.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Gaudin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines après avoir débattu de la transparence en matière de sécurité nucléaire, nous abordons l'examen de ce texte relatif à la gestion des déchets, qui constitue en fait le second volet d'une nouvelle gouvernance de notre filière nucléaire.

Il y a quinze ans, le Parlement adoptait à l'unanimité la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », qui visait à trouver des solutions optimales au problème bien réel des déchets radioactifs, en fixant un programme de recherche selon trois axes distincts et complémentaires : la séparation poussée et la transmutation, destinées à réduire la nocivité des déchets ; le stockage des déchets en couche géologique profonde ; le conditionnement et l'entreposage de longue durée en surface.

Cette loi, qui a marqué véritablement le début d'une prise de conscience de la nation quant à la nécessité de trouver une solution fiable pour les déchets nucléaires, avait également prévu qu'avant la fin de 2006 le pays ferait le point sur ces trois axes de recherches.

Ce projet de loi présente donc un caractère exceptionnel : par son sujet, à la fois technique et sensible, qui suscite toujours des débats passionnés et des craintes souvent irrationnelles, et par le suivi exemplaire réalisé par le Parlement au cours de ces dernières années, notamment par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, présidé par M. Henri Revol.

La décision de s'accorder le temps d'évaluer les différents modes de gestion des déchets a été bénéfique, et cette démarche doit être poursuivie.

Nous nous réjouissons d'ailleurs de l'inscription du qualificatif « durable » dans l'intitulé même du projet de loi, car c'est bien ce principe de gestion et de développement durables qui doit soutenir nos choix en matière d'énergie.

Comme nous l'avons déjà souligné lors de l'examen du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, il est indispensable que la nation ait pleinement confiance dans notre filière nucléaire, y compris en ce qui concerne la gestion des déchets.

Notre industrie nucléaire doit être au-dessus de tout soupçon et offrir toutes les garanties de rigueur et de transparence tout au long des différentes étapes, du développement des nouvelles centrales au démantèlement des anciennes, du traitement des déchets, de leur conditionnement, de leur transport jusqu'à leur entreposage et, par la suite, leur stockage. Chaque étape doit être clairement évaluée et prendre en compte les évolutions technologiques et scientifiques qui ne manqueront pas d'intervenir, car qui peut dire aujourd'hui quelles seront les innovations techniques dans les prochaines décennies ?

C'est pourquoi j'aimerais m'arrêter sur quelques points précis.

Monsieur le ministre, vous assurez que les trois axes de recherche ouverts par la loi de 1991 vont continuer à être explorés.

On peut avoir de légitimes interrogations en ce qui concerne le développement de l'axe « séparation-transmutation ».

Si la phase « séparation » ne semble pas poser de problème, celle de la transmutation paraît plus difficile.

À cet égard, permettez-moi de citer l'excellent rapport de notre collègue Henri Revol : « Si la faisabilité scientifique de la transmutation est démontrée [...], sa mise en oeuvre opérationnelle repose sur l'installation des futurs réacteurs dits de quatrième génération attendus à l'horizon 2020 ».

Les conclusions données sur le site en ligne de votre ministère, par ailleurs très intéressant, sont encore plus pessimistes sur l'avenir de cette option, qui semble repoussée vers des temps lointains, à la fois pour des raisons techniques et sans doute par manque de crédits.

Sur l'initiative de la commission saisie au fond, l'Assemblée nationale a adopté un article 11 ter qui vise essentiellement à prévoir que « les éventuelles subventions de l'État aux organismes participant aux recherches [...], sont complétées par des contributions des exploitants d'installations nucléaires ». Ne laisse-t-on pas ainsi de côté une technologie d'avenir que la France aurait pu développer, s'assurant ainsi un savoir-faire et une industrie de pointe avec des retombées économiques pour notre pays ?

En revanche, le choix du stockage en couche géologique profonde semble bien avancé. La plupart des pays étrangers qui ont une filière nucléaire semblent privilégier également ce choix.

L'important, monsieur le ministre, est d'avoir un langage clair et d'expliquer les raisons des choix retenus.

Les Français sont aptes à comprendre que les déchets actuellement entreposés en surface ne peuvent pas l'être indéfiniment, même si le traitement et le conditionnement ont progressé ces dernières années. L'important est qu'ils soient assurés que tout ce qui est fait est planifié, avec une sécurité optimale à chaque étape.

Nous avons fait le choix d'une gestion à long terme, qui engage pour longtemps notre responsabilité, notamment en ce qui concerne les générations futures. Aucune solution ne doit être écartée pour des questions de pure rentabilité.

C'est pourquoi la condition de réversibilité est si importante. Le groupe de l'Union centriste a déposé un amendement fixant cette réversibilité à 300 ans.

Cette durée n'est pas due au hasard. L'ANDRA étudie, sur la base des travaux de Bure, la possibilité établie en principe de garantir la réversibilité d'un centre de stockage pendant 300 ans.

Il est important que les choix et les décisions soient exposés devant le Parlement.

Fixons dès à présent le rendez-vous d'une prochaine étape - pourquoi pas 2015 ? -, qui pourrait prendre la forme, comme c'est le cas aujourd'hui, d'un projet de loi de programme. Ce texte serait l'occasion d'une nouvelle évaluation, suscitant informations et concertations, dans l'esprit de la politique énergétique initiée depuis quelques années.

Le financement des charges liées au démantèlement des installations et à la gestion des combustibles usés et aux déchets radioactifs qui en sont issus mérite également attention.

Le texte proposé, tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, me paraît, là encore, cohérent et équilibré.

Au nom du principe pollueur-payeur, les exploitants doivent assumer les charges de démantèlement et de gestion des déchets. Toutefois, la pérennité d'une entreprise n'est jamais complètement assurée - nous en avons eu quelques exemples récemment -, d'où la nécessité de prévoir que les fonds dédiés pourront toujours être recouvrés et affectés aux charges pour lesquelles ils ont été constitués.

L'option d'un dispositif de fonds dédiés, interne, peut se discuter. L'entreprise doit à la fois constituer des provisions dédiées à ses charges futures, tout en demeurant compétitive et attractive pour ses actionnaires. Je n'ignore pas les attentes des entreprises concernant la souplesse de gestion de cette provision. La rentabilité n'est pas un point de détail quand on sait les sommes en jeu.

Mais, là encore, la priorité a été accordée à la prudence, à la lisibilité, à la transparence de la gestion et, surtout, à la garantie qu'en aucun cas la charge ne pèserait sur le contribuable.

En conséquence, malgré la difficulté de trancher dès aujourd'hui sur des problèmes qui concernent une gestion à long terme, ces deux textes assurent à la filière nucléaire un cadre juridique qui garantit une gestion plus sûre et plus transparente.

Par la volonté d'y associer une information claire, notre pays met en oeuvre « le pacte de confiance » nécessaire à l'adhésion de la société aux choix énergétiques et technologiques qui ont été arrêtés depuis plus de quarante ans.

L'instabilité internationale, la hausse du prix du pétrole et du gaz ainsi que la baisse inéluctable des réserves légitiment aujourd'hui le choix que fit la France de développer la filière électronucléaire qui produit actuellement plus de 80 % de notre électricité, réduisant d'autant notre dépendance énergétique.

Cette légitimité est encore accrue par notre lutte contre le réchauffement climatique puisque nous émettons, par habitant, 40 % de CO2 de moins que nos voisins.

C'est pour assurer son indépendance et la maîtrise de l'énergie que la France a voulu très tôt développer son secteur nucléaire. Celui-ci bénéficie de nombreux atouts : son expérience, déjà ancienne ; la diversité de ses recherches et de ses projets prometteurs, comme le développement des réacteurs EPR, European pressurised reactor, de quatrième génération ou encore le projet de fusion nucléaire ITER, international thermonuclear experimental reactor ; enfin et surtout, le poids de nos entreprises, qui bénéficient d'une excellente image sur le plan international.

Il est vrai que le coût de l'énergie et les contraintes environnementales ont changé la donne et transformé l'image du nucléaire.

Grâce à ces deux textes qui encadrent le secteur du nucléaire, le pays attend que les entreprises de la filière puissent continuer à développer leur avance technologique et accroître encore leur réputation, leur image et leur poids économique, notamment à l'extérieur de nos frontières.

Par cette avance qu'elle a prise sur la maîtrise de la production électronucléaire, la France doit être capable d'introduire le nécessaire débat européen sur l'énergie ; celui-ci conditionne tellement la compétitivité de nos entreprises !

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je ne peux passer sous silence l'actualité : la France, qui a enregistré en un an une hausse spectaculaire de près de 50 % sur son marché dérégulé de l'électricité, détient en ce domaine un record.

Sur le marché dérégulé de l'électricité, fixer les prix pour les PME-PMI en fonction du prix du gaz et du pétrole pose un vrai problème alors que 80 % de notre électricité est d'origine nucléaire ! Cette réflexion s'éloigne bien sûr du débat, mais elle mérite d'être rapidement évoquée.

Bref, monsieur le ministre, ce texte va dans le sens de la modernité, de l'indépendance énergétique et d'un comportement responsable en matière d'environnement. C'est pourquoi le groupe Union centriste-UDF, que je représente, le soutiendra.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour compléter et renforcer les propos qu'a tenus notre collègue Bernard Piras, au nom du groupe socialiste, je voudrais revenir sur quelques points que j'avais eu l'occasion d'aborder devant vous en avril 2005, à l'occasion du débat d'une question orale sur la gestion des déchets nucléaires.

Pour commencer mon propos, je tiens à insister sur le caractère inapproprié de la déclaration d'urgence sur ce projet de loi relatif à la gestion des déchets nucléaires. Mais il semble, monsieur le ministre, que la situation ait évolué et que vous deviez annoncer des changements en la matière...

En effet, la loi Bataille, ainsi que l'a rappelé Bernard Piras, prévoyait un nouveau débat législatif en 2006 et permettait donc de préparer sereinement les éléments de réflexion. Car, s'il est un domaine où la sérénité doit primer dans la discussion, c'est bien celui de la production d'énergie et des déchets qui y sont liés.

Le Gouvernement et la représentation nationale se doivent donc d'organiser clairement les débats, car les citoyennes et les citoyens français ne sauraient accepter un manque de transparence, qu'ils dénoncent plus fortement encore depuis le terrible accident de Tchernobyl et les erreurs manifestes d'appréciation et de communication qui l'ont accompagné.

Est-il nécessaire de rappeler que la loi Bataille prévoyait la mise en place de plusieurs laboratoires souterrains afin de créer des centres de stockages ? Or nous n'en avons qu'un !

Un projet de laboratoire existait pour le site de Marcoule, installé sur la commune de Chusclan, dans le département du Gard dont je suis l'élu. Ce projet était soutenu à l'époque par l'ensemble des parlementaires du département, par le conseil régional et le conseil général à l'unanimité et par les communes. Il n'a pas été retenu pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas aujourd'hui.

Un seul site existe donc, implanté sur la commune de Bure, dans le département de la Meuse. Cette situation n'est pas satisfaisante au regard de la nécessité de disposer d'un maximum d'éléments permettant de prendre les décisions ultérieures en connaissance de cause. Nous le savons tous, il ne serait pas judicieux de jouer aux apprentis sorciers dans ce domaine. Il est donc impératif de relancer la réflexion sur la création de laboratoires souterrains afin de respecter les grands axes et les engagements de la loi Bataille.

Dans le cas de Marcoule, et depuis cette décision négative lourde de conséquences, l'avenir du site réside dans les opérations de démantèlement. Encore faudrait-il que les engagements de chacun des partenaires soient clairement définis et tenus !

J'avais déjà eu l'occasion de faire part de mes réticences et de mes interrogations quant au mode de financement de ce démantèlement. Celles-ci demeurent malheureusement d'actualité. Je vais donc reprendre mon argumentaire pour essayer, je l'espère, d'obtenir cette fois de vraies réponses.

Je vous rappelle les conclusions du rapport de la Cour des comptes qui faisait part de ses plus grandes réserves quant aux capacités du CEA et d'EDF à financer les opérations de démantèlement. En effet, le mécanisme de financement ne semblait pas sécurisé : selon la Cour des comptes, dans le cadre de l'ouverture du capital d'AREVA et d'EDF sur des marchés devenus fortement concurrentiels, le risque existait que les conséquences financières de leurs obligations de démantèlement et de gestion de leurs déchets soient mal assurées et que cette charge incombe in fine à l'État.

Or, si l'État peut seul se porter garant au regard des enjeux et des risques dans le domaine nucléaire, la crédibilité de cette industrie suppose que les engagements futurs soient assumés techniquement et financièrement et, dans la mesure du raisonnable, que les coûts encourus soient supportés par les consommateurs actuels et non transférés aux générations futures. La réponse de M. Devedjian, ministre de l'industrie de l'époque, ne faisait état d'aucun financement garanti et ne précisait aucun chiffre. C'est malheureusement toujours le cas aujourd'hui.

Il est également utile de rappeler que la COGEMA et EDF ont versé une soulte libératoire de 1, 6 milliard d'euros au CEA, correspondant aux provisions constituées, majorées d'une prime pour risque d'erreur d'évaluation. Mais certains aspects essentiels et non négligeables du démantèlement n'ont pas été intégrés dans le devis initial, à savoir la déconstruction des bâtiments et la dépollution des sols. C'est donc à l'État qu'il reviendra d'en assumer la responsabilité et le financement si EDF et la COGEMA sont libérées de leurs obligations.

En m'appuyant sur ces éléments, j'avais déposé, avec Bernard Piras et un certain nombre de collègues, une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sénatoriale chargée de vérifier les engagements d'EDF, d'AREVA et du CEA. À l'époque, la commission des affaires économiques de notre assemblée avait rejeté cette proposition, aggravant l'opacité qui prévaut quant à l'avenir de la gestion des déchets nucléaires dans notre pays.

Cette préoccupation reste d'actualité et j'envisage donc, monsieur le ministre, si je ne reçois pas de réponse claire et chiffrée de la part du Gouvernement, de déposer à l'issue de ce débat une nouvelle demande de création d'une commission d'enquête. Accepter la création de cette commission permettrait de lever certains doutes légitimes : la représentation nationale pourrait ainsi faire preuve de transparence dans la gestion de ce dossier.

Pour terminer mon propos, je reprendrai la proposition présentée par notre collègue député Christian Bataille et l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, tendant à créer un fonds dédié au financement des recherches sur les déchets radioactifs et leur gestion industrielle. Ce fonds, placé sous la responsabilité de l'État et géré par la Caisse des dépôts et consignations, collecterait les contributions des producteurs de déchets. La proposition du Gouvernement de confier la gestion de ce fonds à l'ANDRA n'est pas raisonnable, car celle-ci ne peut être à la fois gestionnaire et bénéficiaire du fonds. Dans une telle hypothèse, la sécurisation du financement et des actifs dédiés ne serait pas assurée.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous attendons aujourd'hui de votre part de véritables engagements quant à l'approfondissement des orientations tracées par la loi Bataille en matière de gestion des déchets nucléaires.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la volonté du Gouvernement d'engager ce débat public et démocratique, respectant le délai prévu par la loi Bataille du 30 décembre 1991. Une telle démarche permet d'engager un véritable dialogue au sein du Parlement sur un sujet technique, complexe et particulièrement sensible.

Après la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, qui a entériné le choix d'engager la construction d'un réacteur de type EPR, et le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui est en cours de discussion parlementaire, je suis ravi que la gestion des déchets nucléaires soit également abordée dans cette assemblée. Ces trois textes démontrent la cohérence de la réflexion engagée par le Gouvernement sur nos choix énergétiques, coupant court aux propos des antinucléaires qui dénoncent l'absence de débat et de conscience de l'avenir.

Nous sommes au contraire conscients de notre responsabilité à l'égard des générations suivantes en nous préoccupant du devenir de ces déchets que nous produisons depuis plus de quarante ans.

Très sensible à l'engagement du Gouvernement sur ce dossier, en tant qu'élu d'un département où la gestion des déchets nucléaires est une réalité quotidienne depuis de nombreuses années au sein de l'usine de La Hague, j'insisterai tout particulièrement sur l'importance que revêt le traitement des déchets.

Premièrement, je voudrais évoquer en quelques mots la valeur ajoutée que représente le traitement des combustibles usés, qui permet de séparer et conditionner les déchets ultimes.

Les bénéfices d'une stratégie de traitement et de recyclage pour la fin du cycle du combustible nucléaire peuvent être dégagés à plusieurs niveaux.

Je citerai, tout d'abord, la performance du conditionnement des déchets et la réduction des volumes. Les colis de déchets vitrifiés, qui contiennent plus de 99 % de la radioactivité des déchets, sont conçus pour une grande durabilité, qui dépasse plusieurs centaines de milliers d'années en stockage géologique profond, soit un délai largement suffisant pour que la radioactivité contenue décroisse très fortement. Les volumes sont ainsi divisés au moins par cinq.

Ensuite, l'économie des ressources contribue à l'indépendance énergétique nationale, en épargnant les combustibles fossiles. Le recyclage des matières contenues dans le combustible usé permet ainsi d'économiser actuellement jusqu'à 25 % des ressources en uranium naturel.

Enfin, la toxicité des déchets diminue, puisque le traitement peut aller jusqu'à diviser par dix leur toxicité intrinsèque. C'est justement l'effet du recyclage du plutonium sous forme de combustible MOX, utilisé actuellement dans une vingtaine de réacteurs. L'uranium résiduel est, pour sa part, partiellement enrichi et recyclé en France, en lieu et place de l'uranium minier, dans deux réacteurs d'EDF.

Mais le recyclage apparaît surtout comme une très importante ressource potentielle, valorisable dans le futur, avec la mise au point de nouvelles technologies de réacteurs.

Le recyclage, immédiat ou différé, de l'uranium et du plutonium est à la base de la stratégie de traitement aujourd'hui appliquée en France. Cette voie de gestion, dite aussi « cycle fermé », se distingue du cycle sans traitement à l'étude en Suède, en Finlande et, historiquement, aux États-Unis, où les combustibles usés sont considérés comme des déchets et sont destinés à être conditionnés tels quels dans des conteneurs.

Deuxièmement, il convient de reconnaître que le traitement constitue une composante incontournable du nucléaire du futur.

En effet, une analyse des enjeux à plus long terme montre clairement que les options nucléaires durables passent par le traitement et le recyclage, comme en témoignent les travaux du forum international Génération IV, qui s'intéressent aux systèmes nucléaires envisageables d'ici à quelques décennies. Sur les six familles de réacteurs qui sont appelées à constituer le parc du futur, cinq auront recours au traitement des combustibles usés.

Ce n'est pas un hasard : cette technologie permet de valoriser l'uranium naturel beaucoup mieux que la génération des réacteurs actuels qui ne brûlent, au mieux, que 0, 5 % de l'uranium extrait des mines. Avec les techniques nouvelles de surgénération, il sera possible de multiplier ces niveaux par un facteur de l'ordre de 100 et d'assurer à l'humanité des milliers d'années de ressources énergétiques à un prix connu et compétitif.

Troisièmement, le traitement des combustibles usés représente dès aujourd'hui une vitrine technologique pour la France, dont la stratégie fait figure de référence.

La production de l'usine de La Hague est partagée depuis plus de quinze ans entre les besoins du programme nucléaire français - la France compte 58 centrales, qui produisent 76 % de l'électricité nationale - et ceux des 29 compagnies d'électricité européennes et japonaises qui ont signé des contrats de traitement avec AREVA.

À ce jour, l'usine de La Hague a reçu et traité le combustible usé envoyé par les compagnies d'électricité de sept pays : la France, bien sûr, mais également le Japon, l'Australie, l'Allemagne, la Belgique, la Suisse et les Pays-Bas. Au 1er janvier 2006, plus de 21 644 tonnes de combustible auront été ainsi traitées sur le site de La Hague. À titre de comparaison, 17 224 tonnes traitées permettent d'économiser l'équivalent en production d'électricité de 350 millions de tonnes de pétrole, ne l'oublions pas ! En outre, les retombées économiques sont importantes sur le plan national et, bien entendu, sur le plan local.

Je tiens à souligner que la technologie française est, à mon sens, une référence mondiale. Elle a inspiré pour l'essentiel la conception de l'usine de traitement de grande capacité qui vient d'être mise en service avec succès au Japon, en mars dernier.

Par ailleurs, je note que la réflexion sur la pertinence du traitement des déchets nucléaires est relancée aux États-Unis, mettant ainsi fin à la « doctrine Carter », qui refusait l'option du cycle fermé. Que la réflexion reprenne aux États-Unis sur la stratégie d'aval du cycle à adopter est loin d'être anodin : c'est une reconnaissance forte pour cette technologie, domaine d'excellence pour la France. C'est aussi un signal fort pour ces activités qui apportent une valeur ajoutée importante à la filière nucléaire française.

Quatrièmement, enfin, le traitement des déchets nucléaires est une activité fortement encadrée. L'un des aspects importants de cet encadrement concerne le sort des colis de déchets étrangers. Il était important que le texte soumis au Parlement réaffirme l'interdiction de stockage des déchets étrangers sur le sol national, et selon des modalités plus contraignantes énoncées à l'article 5 du projet de loi.

Le nouveau texte encadre ainsi de façon beaucoup plus restrictive que la loi de 1991 les opérations de traitement en France des combustibles usés étrangers : obligation d'accords internationaux publics, fixation de délais sur les opérations et les expéditions de déchets, déclaration sur le devenir des matières valorisables.

Ces contraintes additionnelles sont indispensables à un double titre : donner un cadre clair et une stabilité juridique permettant aux exploitations de fonctionner sur le long terme et répondre aux attentes des citoyens en matière de transparence avec, en particulier, des règles claires, précises et non édictées par défaut, un contenu des accords rendu public, des dates précisées.

La discussion du projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs est suivie avec une attention toute particulière à l'étranger, où la France fait figure de modèle par ses technologies et par la gouvernance exemplaire qu'elle a su imposer. Poursuivre dans la voie de l'exemplarité, au travers de ce texte, est aujourd'hui notre responsabilité, car le monde entier nous regarde.

À cet égard, il est important que la future loi nous fasse passer d'une ère de recherche à une ère de gestion des matières radioactives. En ce sens, elle permettra à la filière industrielle du nucléaire d'envisager l'avenir avec détermination et de capitaliser sur ses technologies.

Il est également important que ce texte puisse permettre de fixer des définitions et des règles, certes toujours plus rigoureuses et contraignantes, mais qui offriront un cadre clair aux activités concernées et aux exploitants.

Pleinement conscient, monsieur le ministre, des responsabilités importantes qui sont les nôtres au regard des générations futures, j'indique que je voterai ce projet de loi, car il permettra de conjuguer sécurité, prospective, transparence et progrès technologique.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 31 décembre 1991, dite « loi Bataille », a eu le grand mérite de contribuer à dédramatiser le débat autour de deux sujets majeurs dans les domaines environnemental et économique, à savoir le démantèlement des installations nucléaires et la gestion durable des matières et des déchets radioactifs.

En son article 4, ce texte fixait un nouveau rendez-vous législatif quinze ans après la promulgation de la loi, soit en 2006. Le projet de loi dont nous entamons la discussion répond donc à la clause de rendez-vous de la loi Bataille. Que penser de ce nouveau texte dans sa forme actuelle ?

Le projet de loi comporte un certain nombre d'avancées, mais aussi des options avec lesquelles le groupe socialiste n'est pas d'accord.

Ainsi, comme l'a rappelé Bernard Piras, orienter de manière privilégiée les recherches vers le stockage en couche géologique profonde plutôt que vers les autres méthodes de gestion des déchets introduit une rupture au regard de la complémentarité des trois axes de recherche arrêtés par la loi Bataille.

En outre, nous ne sommes pas satisfaits du dispositif proposé pour le financement de la gestion des déchets radioactifs.

Mon intervention sera centrée sur le second aspect, c'est-à-dire la question du financement.

Une des particularités de la gestion des déchets radioactifs réside dans la longueur des périodes considérées. En effet, le projet de loi de programme qui nous est soumis aujourd'hui tend à mettre en place des mécanismes qui devront être opérationnels pendant plusieurs dizaines d'années. L'horizon temporel de la gestion des déchets nucléaires nous dépasse, puisque, pour les déchets de faible et moyenne activité, qui représentent 80 % des déchets produits en France, le temps de retour à une activité voisine de la radioactivité naturelle est estimé à environ trois cents ans...

La gestion des déchets radioactifs prend ainsi place dans une politique plus globale et, sur le très long terme, de gestion des risques, notamment environnementaux.

Depuis 2005, notre Constitution reconnaît le principe de précaution, qui doit être perçu non comme une marque de méfiance, mais comme un appel à la vigilance. Une politique responsable en matière de gestion des déchets radioactifs participe pleinement de cette exigence de précaution, d'ailleurs rappelée dans les considérants qui introduisent la Charte de l'environnement, selon lesquels « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation » et, « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Les enjeux économiques à court ou à moyen terme ne doivent donc pas faire oublier les impératifs environnementaux, qui sont de l'ordre du très long terme. Gardons toujours à l'esprit que la gestion des déchets nucléaires, telle que nous la définissons aujourd'hui, sera léguée aux générations futures, ce qui crée pour nous un devoir d'extrême exigence.

Outre la préoccupation environnementale, qui doit être omniprésente, il convient aussi de mettre en place des outils de gestion des déchets radioactifs qui soient totalement sûrs. Or, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, l'efficacité de l'action à conduire dépendra en grande partie des moyens financiers qui pourront lui être consacrés. En conséquence, une gestion durable et efficace des déchets radioactifs passe nécessairement par la mise en oeuvre d'outils de financement pérennes.

Qu'en est-il actuellement ?

Les textes en vigueur font obligation aux opérateurs de créer des provisions afin d'anticiper les frais de démantèlement. Le coût de la gestion des déchets est compris dans le prix de l'électricité : ainsi, sur une facture moyenne de 600 euros par an et par foyer, la gestion des déchets représente environ 10 euros. Il s'agit, en quelque sorte, d'une caisse commune abondée par les usagers et, à ce titre, les sommes collectées, qui ont vocation à financer, le moment venu, les charges de long terme, devraient être gérées par la collectivité.

À l'heure actuelle, EDF est l'opérateur qui détient les provisions les plus importantes. Compte tenu de la rapidité des évolutions économiques, est-il possible de dire aujourd'hui que le dispositif en vigueur permettra d'assurer le financement de la gestion des déchets radioactifs ?

Dans son rapport de janvier 2005, la Cour des comptes a relevé les incertitudes liées au système actuel. En effet, plusieurs questions se posent : les estimations sont-elles fiables et suffisantes ? Quelles sont les règles à retenir pour actualiser ces sommes ?

Au-delà, la question du financement futur s'articule, selon la Cour des comptes, autour d'une triple problématique : y aura-t-il assez d'argent pour faire face aux obligations ? Qu'adviendra-t-il en cas de défaillance d'un opérateur ? Qui va, en définitive, supporter les coûts liés aux déchets radioactifs ?

Ce texte répond-il à ce triple questionnement ?

Le projet de loi, en ses articles 11 et 11 bis, prévoit la création de deux fonds dédiés, l'un « au financement des recherches et études sur l'entreposage et le stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs », qui serait institué au sein de l'ANDRA et aurait pour ressource le produit de la taxe additionnelle dite « de recherche », l'autre « au financement de la construction, de l'exploitation, de l'arrêt définitif, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage des déchets », qui serait également institué au sein de l'ANDRA et serait alimenté par les contributions des exploitants fixées par convention.

Quant à l'article 14, il met à la charge des exploitants d'installations nucléaires de base l'évaluation « prudente » des charges de démantèlement, ainsi que la constitution des provisions afférentes.

Notre groupe considère que la réponse apportée par le projet de loi, à savoir l'institution de deux fonds dédiés, certes, mais au sein de l'ANDRA, n'est pas à la hauteur des enjeux. En outre, comme l'a très bien souligné Simon Sutour, cette agence ne peut pas être à la fois gestionnaire et bénéficiaire de ces fonds.

Nous présenterons donc un amendement visant à créer un établissement public à caractère industriel et commercial appelé « fonds de gestion des déchets radioactifs », dont l'objet serait de financer la recherche et la gestion industrielle des déchets radioactifs. Ce fonds recueillerait les contributions des opérateurs et serait géré, sous la responsabilité de l'État, par la Caisse des dépôts et consignations, afin d'éviter tout risque financier.

Contrairement au Gouvernement, nous faisons le choix de la mise en place d'un fonds dédié et externalisé, d'un fonds géré par la puissance publique, avec pour objectif la mise en oeuvre effective d'un « service public de la gestion des déchets radioactifs ».

Notre choix est aussi celui de dix pays de l'Union européenne ayant opté pour une gestion des fonds dédiés distincte des comptes des exploitants : l'Espagne, la Finlande, la Hongrie, l'Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède, pays auxquels on peut adjoindre la Belgique, qui a préféré une solution médiane originale où l'État détient une part des fonds constitués, et le Royaume-Uni, pour ce qui concerne ses exploitants publics. Seule l'Allemagne a opté pour une gestion des fonds par les exploitants, qui s'inscrit dans un autre contexte, celui de l'abandon à terme - du moins est-il annoncé - de l'énergie nucléaire.

Pourquoi avons-nous fait ce choix ?

D'abord, il nous paraît essentiel que la « mission de service public de gestion des déchets radioactifs » soit sous le contrôle de l'État, comme d'ailleurs, plus généralement, la politique énergétique doit rester de la responsabilité de la puissance publique.

Par ailleurs, la mise en place d'un fonds unique répond à une double nécessité d'efficacité et de cohérence. Ainsi, nous proposons que le conseil d'administration de l'établissement public à caractère industriel et commercial dont nous prévoyons la création soit assisté d'un comité scientifique, afin de contribuer à la cohérence des politiques de recherche et de gestion.

Notre choix tient en outre au fait que la mise en oeuvre d'un fonds dédié externalisé nous semble être l'outil le plus sûr, pour les motifs suivants.

Tout d'abord, les périodes considérées sont très longues, et il est impossible de prévoir quelle sera la situation économique au moment où les actifs devront être mobilisés.

Ensuite, si les opérateurs sont actuellement sous le contrôle de l'État, on peut s'interroger sur la pérennité de cet état de choses. Je prendrai un exemple pour illustrer mon propos : qui peut assurer, dans le cas d'une privatisation d'AREVA, qui a été envisagée par la majorité actuelle et qui l'est peut-être encore, que les sommes provisionnées pour la gestion des déchets radioactifs seraient effectivement utilisées à cette unique fin ? Comment se prémunir contre des placements de ces provisions sur des actifs trop risqués ? Peut-on avoir la certitude que ce ne seront pas les contribuables qui devront finalement à nouveau intervenir, faute d'une gestion durable et efficace des actifs dédiés ? D'ailleurs, en 2005, la Cour des comptes soulignait déjà le fait que, « sans mécanisme de sécurisation, le risque existe, dans le cadre d'une ouverture de capital d'EDF et d'AREVA dans des marchés devenus fortement concurrentiels, que les conséquences financières de leurs obligations [...] soient mal assurées et que la charge en rejaillisse sur l'État ».

L'incertitude concernant la pérennité du financement peut également être illustrée par la situation actuelle d'EDF. Dans son édition du 22 mars dernier, le quotidien Les Échos titrait : « Nucléaire : EDF tarde à clarifier la gestion de ses fonds dédiés ». La constitution de provisions ne préjuge en rien de leur utilisation future si les exploitants ne se dotent pas d'outils de prévision et de gestion. Or, manifestement, tel est le cas d'EDF.

La sécurisation des fonds est donc un enjeu essentiel du financement futur de la gestion des déchets radioactifs. Dès lors, il nous semble que la création d'un fonds dédié externalisé est la solution la plus raisonnable et la plus efficace.

En mettant en place un véritable service public des déchets radioactifs, géré de manière transparente et à l'abri des aléas économiques et financiers, l'État pourra pleinement assumer sa mission, dans le domaine de la politique énergétique, mais aussi en matière de préservation de l'environnement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer le travail, tout à fait remarquable, de nos collègues députés, qui ont, sous bien des aspects, sensiblement enrichi le projet de loi initial. Je pense en particulier à la garantie des droits du Parlement, lequel se prononcera, le moment venu et le cas échéant, sur les conditions de réversibilité d'un éventuel stockage.

Je tiens aussi à saluer l'initiative du Gouvernement, heureuse et très attendue, de lever l'urgence sur ce texte. Sur une question de cette nature, qui transcende les sensibilités politiques, construire le consensus le plus large est indispensable. Pour ce faire, il faut, au préalable, prendre le temps d'échanger et de discuter.

Le sujet de la gestion des déchets nucléaires est difficile. Très technique, faisant appel à un jargon incompréhensible au non-initié, il offre aux apprentis démagogues un terrain idéal pour alimenter les craintes et les fantasmes, et semer le trouble dans les esprits. Ceux-ci ne s'en privent d'ailleurs pas.

Aussi, il me semble que notre conduite doit se fonder sur quatre principes : le sens des responsabilités, la transparence dans l'information, la pédagogie dans l'expression, l'équité envers les territoires haut-marnais et meusiens, ces quatre lignes directrices devant, à mon sens, rester au coeur de nos préoccupations et guider nos travaux.

Pour ce débat, le plus grand sens des responsabilités doit nous accompagner. Depuis plusieurs années, en matière de recherche sur la gestion des déchets radioactifs, ce sens des responsabilités n'a pas fait défaut, à droite comme à gauche.

Je salue Mme Voynet, qui en son temps, en qualité de ministre de l'écologie, a signé le décret d'autorisation d'implantation et d'exploitation du laboratoire de Bure, exploité par l'ANDRA.

Nous avons à débattre d'un texte qui constitue l'aboutissement de multiples travaux menés depuis le vote de la loi du 30 décembre 1991, dite loi Bataille. Cette loi portait en elle-même son terme, lequel arrive à échéance en décembre 2006. Il s'agit donc pour nous d'en renouveler l'ambition.

L'ambition de la loi du 30 décembre 1991 était, d'après son article 1er, d'assurer une gestion des déchets radioactifs à haute activité « dans le respect de la protection de la nature, de l'environnement et de la santé, en prenant en considération les droits des générations futures ».

La prise en compte des générations futures, du long et du très long terme, voilà l'originalité, la difficulté et la véritable ambition de la gestion des déchets radioactifs. Cette réflexion sur le très long terme est réellement une difficulté pour tous. « Gouverner, c'est prévoir », disait Émile de Girardin ; prévoir à long terme, c'est donc mieux gouverner.

Sans cette perspective, le développement durable restera un concept pour spécialistes, et nos concitoyens n'auront pas pleinement conscience des tendances lourdes qui se dessinent, puis se confirment et dont il nous appartient d'anticiper les conséquences.

Ici, sur un sujet complexe, qui exige de recourir à des données scientifiques variées, nous avons l'ambition de travailler pour le très long terme. Ne soyons pas myopes, ne sacrifions pas l'avenir aux facilités du présent. Il s'agit d'un principe éthique : puisque nous avons décidé, il y a quarante ans, de produire des déchets, nous devons en assumer financièrement et techniquement la gestion, sans nous défausser lâchement sur nos enfants et petits-enfants.

D'ailleurs, monsieur le ministre, pourquoi avoir attendu si longtemps, c'est-à-dire la fin des années 1980, pour rechercher des solutions ? C'est dès le lancement du programme en 1973, à la suite du choc pétrolier, qu'il aurait fallu, me semble-t-il, s'en préoccuper !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

D'autant que, depuis quarante ans, la production d'énergie d'origine nucléaire a tout de même permis à la France de réduire sa dépendance énergétique, de bénéficier d'un coût du kilowattheure très compétitif et, plus récemment, de respecter ses engagements internationaux en matière de rejet de CO2 dans l'atmosphère.

Sur ce dernier point, d'aucuns regrettent sans doute que la France se soit elle-même imposée des règles très restrictives, allant au-delà de ses engagements internationaux. En effet, si la filière nucléaire rend possible le respect d'un seuil d'émission relativement bas, fallait-il pour autant renoncer à une fraction des droits à émission de gaz à effet de serre auxquels nous pouvions prétendre, renonçant par là même au produit de la cession de ces droits ?

J'en reviens au texte. Fort heureusement, des travaux très importants ont précédé le débat parlementaire. La loi du 30 décembre 1991 a en particulier permis d'importantes avancées sur trois axes de recherche : d'abord, sur la séparation-transmutation des éléments radioactifs, c'est-à-dire sur les possibilités de réutiliser une partie du combustible usé et, partant, de réduire le volume de déchets ; ensuite, sur le stockage réversible en couche géologique profonde ; enfin, sur l'entreposage et le conditionnement.

Les recherches ont été diligentées par le CEA et par l'ANDRA avec tous leurs partenaires scientifiques, notamment étrangers. La Commission nationale d'évaluation, année après année, a fait son travail d'expertise et d'évaluation. Ces travaux ont fait l'objet d'une revue internationale sous l'égide de l'OCDE, et l'Autorité de sûreté nucléaire les a examinés.

Le Parlement, par le biais de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et sous la présidence de notre rapporteur, M. Henri Revol, a réalisé un travail important, confirmant le rôle majeur que la représentation nationale entendait jouer sur ce sujet. La préparation et la publication du rapport des députés Claude Birraux et Christian Bataille a en effet constitué une contribution forte.

L'ensemble de ces travaux inspirent, à l'observateur attentif que je suis - et je suis loin d'être le seul - depuis douze ans, deux constats.

Le premier porte sur la qualité des travaux accomplis, qu'il s'agisse de la recherche elle-même ou de l'évaluation de ces travaux, même si tout n'a pas avancé aussi vite que souhaité.

Le second est relatif à la permanence des fausses « bonnes solutions », auxquelles il faut opposer inlassablement des trésors de pédagogie et de communication scientifique et technique. Parmi ces fausses bonnes solutions, j'en relève tout particulièrement deux : le statu quo et le tout-transmuté.

Pour ce qui est du statu quo, certains suggèrent de laisser les déchets là où ils se trouvent, dans leur entreposage. C'est la politique de l'autruche qui cache d'un voile léger, j'allais dire impudique, l'objet du débat.

Avec le tout-transmuté, le stockage géologique serait inutile puisque des solutions de séparation-transmutation seront possibles demain. Une telle affirmation révèle soit une foi trop naïve dans les progrès scientifiques, soit une volonté de manipuler l'opinion.

Comme l'a rappelé M. le rapporteur, chacun doit comprendre que la séparation-transmutation ne peut être que complémentaire à la solution de stockage géologique. Si la transmutation brise des molécules pour en produire d'autres à durée de vie moins longue, elle n'en génère pas moins des déchets pour lesquels le stockage réversible offre une solution adaptée.

Notons au passage que le stockage géologique est la solution unique dont disposent les pays qui souhaitent renoncer à toute industrie nucléaire. En effet, le démantèlement de toute installation nucléaire, combustibles compris, produit lui-même des déchets.

Si l'objet de la loi est bien de mettre au point une stratégie de gestion des déchets, d'organisation des recherches et des conditions de mise en oeuvre d'éventuelles solutions, il est très clair qu'il n'appartient pas à la loi de traiter du cas particulier de tel ou tel site ou de telle ou telle installation.

Pourtant, il faut bien admettre que nous avons tous à l'esprit le site du laboratoire souterrain de Bure-Saudron, entre Meuse et Haute-Marne, qu'a évoqué tout à l'heure Gérard Longuet très précisément.

Chacun sait que ce site est aujourd'hui le seul à l'étude pour un éventuel stockage de déchets à haute activité et à vie longue. Il s'agit donc du seul site pour lequel les élus locaux ont accepté, depuis 1994, de faire confiance à l'État et à la communauté scientifique, pour que les recherches prévues par la loi Bataille soient mises en oeuvre.

C'est un fait remarquable et ce soutien ne fut ni fugace, ni simplement opportuniste. Très récemment encore, les maires des communes meusiennes et haut-marnaises se sont mobilisés avec courage et détermination pour rappeler les termes de leur engagement et le rôle qu'ils entendaient jouer.

Il faut saluer avec respect l'action énergique, passionnée parfois, et efficace souvent, des élus des communes situées dans un rayon de dix kilomètres autour de Bure pour que ces dernières bénéficient de mesures d'accompagnement équitables. Par leurs actions, tous contribuent à la mise en oeuvre de ce projet d'intérêt national qu'est le laboratoire.

Aujourd'hui, dans le débat, le besoin d'un second laboratoire n'est plus mentionné. Cette évolution est lourde de conséquences. Le faible intérêt du granit ou la grande qualité des argilites « meuso-haut-marnaises » rendent peut-être superflue la recherche d'un second site d'étude. On peut le concevoir d'un point de vue purement technique. La pression des opposants pèse pourtant toujours sur la population locale et sur les élus ; elle se fait même encore plus forte. Il faut aussi tenir compte des interrogations et des craintes qui subsistent.

Si les travaux scientifiques et techniques ont donc été nombreux et si des avancées importantes ont été constatées, le succès de ce projet dépend largement de ceux qui vivent auprès des installations dédiées à la gestion des déchets radioactifs. Pour cette raison, il faut impliquer les acteurs locaux en les considérant comme des protagonistes majeurs et incontournables du processus : c'est une question de respect.

Un débat public, organisé sur la base de treize réunions qui ont rassemblé quelque 3 000 personnes, a déjà eu lieu : c'est une manière efficace d'associer la population au mécanisme de prise de décision publique. Il importera dans l'avenir de renouveler l'expérience au plan local.

Ce moyen est en tout cas autrement plus adapté que l'organisation d'un référendum local, qui fait actuellement l'objet d'une pétition lancée sur l'initiative isolée d'un membre du parti communiste local. Cette pétition aurait, selon les organisateurs, recueilli près de 40 000 signatures rien qu'en Haute-Marne.

Sur ces questions complexes, éminemment techniques, avec des perspectives temporelles que pratiquement personne n'arrive à appréhender, l'outil référendaire apparaît bien inadapté. En tout état de cause, il n'appartient pas aux conseils généraux d'organiser ce type de référendum, l'article 72-1 de la Constitution s'y opposant. Seul l'État pourrait décider de l'organisation d'une telle consultation.

Au-delà des obstacles juridiques qui interdisent à quelque collectivité locale que ce soit d'organiser un référendum sur une compétence appartenant à l'État, il faut envisager la question de son opportunité même : parmi toutes les questions qui mériteraient d'être évoquées, laquelle soumettre au vote ? Quelle est la zone géographique qui serait pertinente ou légitime ? À quel moment devrait-on recourir au référendum, alors que la problématique des déchets concerne les générations futures plus que les électeurs d'aujourd'hui ?...

Il n'en reste pas moins que le besoin de consultation exprimé aujourd'hui est bien légitime. Il révèle aussi une certaine défiance vis-à-vis des procédures d'enquêtes publiques qui sont prévues dans le texte qui nous est soumis. Il est nécessaire d'associer étroitement les populations, sans s'égarer dans des voies démagogiques, voire populistes.

Pour cette raison, je propose que soit institué, en cas de demande de création d'un centre de stockage, un périmètre de consultation qui devra être fixé par décret. Je souhaite vivement que cette consultation ne se limite pas à l'organisation d'une enquête publique a minima, mais qu'elle soit précédée d'un débat public fort et d'une information de grande ampleur.

Avant de consulter, il faudra informer la population de la manière la plus intense possible, ce qui implique deux conditions.

La première est l'instauration d'un comité local d'information et de suivi qui fonctionne bien, c'est-à-dire qui permette aux différents acteurs d'exprimer leur point de vue dans un climat suffisamment serein pour que chaque membre de l'assistance en apprécie, librement, la pertinence. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je souscris au constat dressé par nos collègues députés sur ce point : le fonctionnement actuel laisse trop d'importance à la polémique entre, au mieux, des initiés.

La deuxième condition est un engagement fort de la communauté scientifique pour faire connaître ses travaux auprès du grand public et pour vulgariser les enjeux de la recherche sur la gestion des déchets radioactifs et sur les défis à venir.

La science doit descendre de son piédestal et s'impliquer davantage dans les affaires de la cité. Elle doit faire oeuvre de pédagogie pour permettre au débat de s'engager sur des bases aussi objectives et sérieuses que possible.

Ainsi, nous pourrons contredire avec raison le plus célèbre des Langrois, Denis Diderot, pour qui « les choses dont on parle le plus parmi les hommes sont assez ordinairement celles qu'on connaît le moins ».

Au-delà de la consultation des populations, la perspective d'un centre de stockage n'est pas imaginable sans la présence forte d'activités économiques et d'emplois autour de cette installation.

C'est une question d'éthique : les territoires meusien et haut-marnais méritent la reconnaissance et la solidarité de la nation, parce qu'ils assument leurs responsabilités, alors que tant d'autres les refusent, et sont à leur manière solidaires de l'ensemble du pays, qui aujourd'hui a besoin d'eux.

Le développement de l'activité économique et de l'emploi est aussi l'une des raisons de l'acceptation des installations par les populations et leurs élus, dont je fais partie.

L'acceptation d'une centrale nucléaire sur un territoire est-elle liée aux recettes fiscales générées ? Non, car l'argent n'est que peu de chose sans les projets. Ce qui fonde la confiance, c'est la présence d'une population vivant directement ou indirectement des activités de la centrale, à proximité.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Non seulement les gens en vivent, mais ils représentent une certaine expertise rassurante ; ils savent ce qui s'y passe. Près d'une centrale, ce qui inspire confiance, c'est la connaissance des agents d'EDF ou des sous-traitants, leur implication dans la vie locale.

C'est un élément très important ; les installations industrielles se sont développées car elles font vivre un territoire qui les accepte. Ce n'est d'ailleurs pas spécifique à l'industrie : la Côte d'Azur a accepté les inconvénients de la pression touristique car le tourisme est le poumon économique du littoral.

Il doit en être de même pour les installations de l'aval du cycle nucléaire : elles doivent faire vivre directement ou indirectement un territoire, une population qui en assurera une forme de surveillance.

L'impact socioéconomique d'une centrale est donc bien de deux natures : la fiscalité locale générée, mais aussi et surtout l'activité économique induite. J'aborderai ces deux points distincts.

Je commence par l'impact financier.

Depuis l'an 2000, des groupements d'intérêt public ont été créés en Meuse et en Haute-Marne - je préside celui de la Haute-Marne ; ils ont fonctionné de manière satisfaisante et ont pu soutenir le développement des entreprises sur l'ensemble du territoire départemental, le déploiement des infrastructures et des superstructures, ainsi que les initiatives locales à proximité du site du laboratoire de Bure.

Il faut conforter ces moyens pour développer ces territoires au niveau départemental, tout particulièrement là où les enjeux de l'emploi sont les plus prégnants. M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'a reconnu et nous a invités à persévérer dans la voie qui est la nôtre pour la défense de l'emploi et de l'entreprise, tout particulièrement dans le bassin de vie de Saint-Dizier.

Le territoire de la Haute-Marne fait face à des évolutions démographiques pénalisantes et son tissu industriel connaît des mutations douloureuses. Or l'année 2007 sera marquée par la refonte de la politique régionale européenne, par le nouveau zonage de la prime à l'aménagement du territoire, la PAT, ainsi que par les nouveaux contrats de projets État-région, autant d'éléments qui préfigurent des modalités de financement public plus restrictives, plus contraintes. Il faut donc absolument que les territoires meusiens et haut-marnais disposent des moyens nécessaires pour investir et accompagner les projets de développement.

Sur ce point, je trouverais légitime que les dispositions de l'article 15 relatives au financement soient telles que, a minima, les dotations soient supérieures aux dotations actuelles, de l'ordre de 10 millions d'euros par an et par département.

Par ailleurs, sur proposition du rapporteur, la commission a proposé d'introduire une fongibilité temporaire entre les dotations d'accompagnement économique et les dotations de diffusion technologique. Je soutiens cette proposition, à même de donner aux GIP la souplesse dont ils ont besoin pour soutenir les bons projets, au bon moment, au niveau financier le mieux adapté.

De fait, même si nous le regrettons vivement, les territoires de la Meuse et de la Haute-Marne sont, comparativement à d'autres départements, moins bien lotis en termes d'équipements scientifiques et technologiques. En l'absence de centres de recherche et de formations supérieures dans les domaines technologiques, les projets répondant aux critères de diffusion technologique pourraient se faire attendre et les dotations afférentes ne pas résister au principe de l'annualité budgétaire...

À l'inverse, les projets d'accompagnement économique seront vraisemblablement les plus nombreux, au moins dans un premier temps, nécessitant un appui financier des GIP en conséquence. Les fonds confiés aux GIP doivent donc pouvoir être mobilisés à bon escient, avec pragmatisme, suivant l'évolution du contexte et des opportunités.

La notion de fongibilité constitue un réel principe d'efficacité ; je proposerai donc qu'elle soit portée de 50 % à 80 % du montant des dotations.

J'en viens à l'activité économique induite.

Au-delà des mesures financières, les entreprises concernées par la production de déchets radioactifs doivent s'impliquer dans le développement d'activités sur le territoire.

En créant un Comité de haut niveau, lors du CIADT - le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire - du 12 juillet 2005, vous avez accédé, monsieur le ministre, à une requête que je formulais depuis plusieurs années avec mes collègues meusiens. Nous nous en félicitons.

Il est, en effet, de la responsabilité des producteurs de déchets de développer de nouvelles activités génératrices d'emplois autour des sites ; c'est une condition du succès de toute démarche engagée dans le cadre de la loi Bataille.

Il faut se féliciter des premiers engagements d'EDF, d'AREVA et du CEA sur cet enjeu difficile. Mais il faut que les acteurs du nucléaire amplifient et pérennisent ces engagements sur les territoires de la Meuse et de la Haute-Marne.

Leurs premières initiatives portent sur la biomasse, notamment d'origine sylvicole, sur la maîtrise de la demande d'énergie et sur les énergies renouvelables, ainsi que sur des partenariats industriels locaux. Certaines de leurs actions seront rapidement couronnées de succès, d'autres pourraient connaître un sort moins heureux. C'est pourquoi il est nécessaire que nous puissions apprécier régulièrement l'évolution des projets.

La publication, prévue à l'article 9 du projet de loi, de rapports annuels sur le développement économique des territoires, induit par l'action économique des acteurs de la filière, s'avérera à ce titre indispensable. Je peux vous dire, monsieur le ministre, que nous examinerons ces rapports avec beaucoup de vigilance.

En guise de conclusion, je formulerai une remarque. Qu'il s'agisse de faire avancer la recherche sur les trois axes retenus, de mieux informer les populations, avec l'aide de la communauté scientifique, pour organiser, le moment venu, une consultation réelle des habitants comme des collectivités les plus concernées, qu'il s'agisse également d'inscrire dans les textes et sur le terrain la priorité accordée à un développement économique porteur d'emplois, les éléments qui nous permettront d'avancer sur des bases solides sont connus : le Parlement doit aujourd'hui les conforter !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me souviens des débats, ô combien réduits, qui ont accompagné la mise en service de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Ceux qui, à l'époque, sans acrimonie, posaient des questions sur le devenir des déchets produits par cette centrale n'étaient pas forcément antinucléaires. Beaucoup le sont devenus à l'écoute des arguments péremptoires qui leur furent opposés alors : une solution sûre serait trouvée avant même que cette centrale ne soit démantelée grâce aux progrès de la science...Trente ans plus tard, aucune solution acceptable ne s'est imposée. Aujourd'hui comme hier, l'aval du cycle reste, plus que les questions de sûreté et au même titre que le risque de prolifération, le maillon faible de la filière nucléaire.

Quinze ans après la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », nous avons de nouveau rendez-vous pour examiner l'état d'avancement des recherches sur les déchets radioactifs portant sur les trois axes que sont la séparation-transmutation, l'entreposage de longue durée et le stockage en couche géologique profonde.

Ce nouveau rendez-vous devait se dérouler après un grand débat public, en considérant qu'il s'agissait non pas seulement d'examiner la faisabilité technique des différentes pistes mais d'opérer un véritable choix de société engageant notre pays pour plusieurs générations.

Ce texte semble n'avoir été présenté que pour tenir l'engagement pris en 1991, alors même que tous s'accordent à reconnaître que les études sont insuffisantes. Que les choses soient claires : je crois utile que le Parlement soit amené à se prononcer sur ce sujet important, mais je doute que le moment soit venu de marquer, dans le brouillard, une préférence prématurée, en la qualifiant de solution de référence, pour la solution du stockage profond.

Tous les acteurs, et non des moindres, s'accordent à dire que les études menées sont insuffisantes : la Commission nationale d'évaluation, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'Autorité de sûreté nucléaire, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, tous conviennent que les recherches doivent être poursuivies.

Que penser d'un texte qui ne tire aucun bilan des résultats décevants des recherches menées sur la transmutation ? Comment peut-on à la fois reconnaître l'insuffisance des résultats obtenus et présenter, l'instant d'après, un texte qui entérine ces options comme si de rien n'était ? Je n'y vois que deux explications : une foi aveugle en la science ou une irresponsabilité à l'égard de nos concitoyens et des générations futures.

Les trois axes de recherche définis dans la loi Bataille ont été mis en oeuvre inégalement depuis 1991.

Le premier axe est celui de la séparation et de la transmutation.

Il semblerait que les recherches sur la séparation aient pas mal avancé. Encore faut-il souligner que rien n'est dit des quantités d'énergie considérables qui seraient nécessaires pour séparer les différents produits de fission à l'échelle industrielle.

Concernant la transmutation, nous n'en sommes pas aussi loin. L'utilisation de ce système à l'échelle industrielle n'est pas pour demain. Elle suppose l'utilisation de réacteurs nucléaires de quatrième génération, beaucoup plus performants, utilisant moins de combustible, produisant moins de déchets, faute de quoi la technique de la transmutation pourrait nécessiter autant d'énergie pour transformer certaines matières radioactives que l'énergie obtenue par la fission des atomes d'uranium au départ. Le choix de cette technique est donc étroitement lié à l'option de pérennisation du nucléaire et à la modernisation du parc français, ainsi que le font remarquer MM. Dessus, Laponche et Marignac dans leur contribution à la Commission nationale du débat public.

Ainsi, on saute plusieurs étapes importantes et on se contente d'établir un calendrier totalement irréaliste, sans avoir réfléchi aux implications en termes de choix économiques et de société.

Dans l'article 1er du projet de loi, il est écrit que l'on évaluera « les perspectives industrielles de ces filières » et que l'on mettra « en exploitation un prototype d'installation avant le 31 décembre 2020 » : ce n'est pas très cohérent, monsieur le ministre !

On note une réelle perplexité dans le milieu scientifique. M. Tissot, président de la Commission nationale d'évaluation, le souligne. Il émet une réserve importante sur la transmutation et considère qu'entre la transmutation et le réacteur de quatrième génération un rêve mangera l'autre au fur et à mesure que se précisera la faisabilité technique.

M. Birraux, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, souligne lui aussi, à la page 16 de son rapport, que les recherches n'ont pas encore réellement porté leurs fruits et que bien des décisions doivent être prises avant de poursuivre le travail. Ainsi souligne-t-il qu'il faudrait choisir entre les réacteurs de génération IV et les réacteurs pilotés par des accélérateurs de type ADS.

Pas un mot dans ce texte n'évoque la liaison entre, d'une part, les choix technologiques et, d'autre part, les choix énergétiques. Les Françaises et les Français souhaitent-ils que l'escalade nucléaire se poursuive et que, sous couvert de choix en matière de déchets, des décisions importantes concernant l'avenir même de la filière nucléaire soient prises ? Je ne le crois pas.

Évidemment, certains, comme Christian Gaudin, ont évoqué des craintes irrationnelles. C'est à la fois exaspérant et dégradant, comme si le soutien de certains fanatiques du nucléaire ne revêtait pas, lui aussi, un caractère parfois irrationnel.

Je voudrais tout de même vous rappeler le consensus qui semblait s'être opéré, toutes forces politiques confondues, autour d'une volonté de maîtrise de la demande énergétique associant efficacité énergétique, choix des meilleures technologies disponibles - les plus efficaces, les plus souples, les plus riches en emplois, les plus sûres - et diversification des choix énergétiques. Avec ce texte, nous en sommes loin !

J'en viens au deuxième axe de la loi Bataille : le stockage en couche géologique profonde.

La loi Bataille prévoyait que des recherches soient effectuées sur plusieurs formations géologiques différentes. Elle prévoyait que soit testée la capacité, dans ces différentes formations géologiques, d'assurer l'isolement, l'étanchéité, le confinement des déchets, en tenant compte des failles, des circulations d'eau, de la diffusion dans les matériaux.

À la suite d'un important travail préparatoire, effectué notamment par la Commission nationale d'évaluation, la décision a été prise de rechercher en priorité les conditions de la réversibilité du stockage.

MM. Longuet et Sido ont rappelé, pour s'en féliciter, que j'avais apposé ma signature au bas du décret autorisant la mise en service du laboratoire de Bure. J'avais effectivement signé ce texte parce que, à l'époque, il était question d'ouvrir plusieurs laboratoires et de mener des recherches afin de fournir au public des éléments concernant à la fois l'étanchéité et la réversibilité. Je m'étais alors assurée qu'aucune source radioactive ne serait placée dans ce laboratoire. Or j'ai le sentiment que ma confiance, tout comme celle des Lorrains, a été trahie.

Je regrette, monsieur Sido, d'avoir apporté ma caution à ce qui m'apparaît aujourd'hui, s'il s'avère que tous les termes du contrat ne sont pas remplis, comme une manipulation scandaleuse.

Vous avez eu raison de le souligner, il s'agit d'un sujet complexe, propice, selon vos propres termes, « aux manipulations des démagogues ». Il s'en trouve dans les deux camps ! Je pense être une personne assez responsable et il m'est arrivé d'assumer des décisions difficiles, résultant de choix techniques qui n'ont jamais été ceux de mon parti. Mais je ne peux pas accepter la disqualification permanente de toute voix discordante.

La complexité n'est qu'apparente. Elle est amplifiée par le jargon ad hoc, par l'usage constant de termes inappropriés et par l'abus du secret.

Tous les experts s'accordent à dire que les études doivent être poursuivies. Y a-t-il urgence à décider ? Je ne le crois pas car, dans leur quasi-totalité, les déchets doivent d'abord refroidir et ils sont stockés pour des durées excédant parfois plusieurs décennies, à proximité des sites de production.

Poursuivons donc ces recherches et décidons plus tard. Rien ne presse ! En tout cas, gardons-nous de prendre de façon hâtive une décision irréparable.

J'entends Mme Dupuis, directrice de l'ANDRA, dire que de l'iode radioactif remontera certainement à la surface d'ici un millier d'années, mais que cela n'est pas très grave, car d'ici là l'iode aura perdu une partie de son activité. Puis-je vraiment être rassurée ?

J'entends les experts de l'IRSN évoquer la présence de failles sur le site de Bure, puis, quelques mois plus tard, affirmer que cet élément inquiétant n'est pas avéré. Pouvez-vous m'expliquer, monsieur le ministre, comment, en quelques mois, et sans présenter le moindre argument, des experts publics passent d'une attitude de prudence, expliquant que les études doivent être poursuivies, à l'affirmation que rien n'empêche, malgré tout, de commencer l'exploitation d'un site de stockage ? N'est-ce pas quelque peu étrange ?

Il me semble en tout cas qu'aucun engagement ne devrait être pris tant que les objectifs de la loi Bataille n'ont pas été atteints. Malgré l'amélioration apportée au texte lors de son examen par l'Assemblée nationale, la rédaction actuelle laisse penser que le stockage se fera même si nous ne sommes pas capables d'avancer sur la question de la réversibilité.

Ainsi, l'article 3 du projet de loi dispose que « le stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est le stockage de ces substances dans une installation souterraine spécialement aménagée à cet effet, dans le respect du principe de réversibilité ».

La réversibilité est en effet un principe auquel on ne devrait pas pouvoir déroger lorsqu'il s'agit de déchets à haute activité et à vie longue, HA-VL, dont on nous dit par ailleurs qu'il faudrait être en mesure de les reprendre pour le cas où des avancées notables dans le domaine de la séparation-transmutation seraient réalisées.

La réversibilité totale d'un stockage, monsieur le ministre, ça n'existe pas ! Vous-même le reconnaissez à l'article 8 du projet de loi : « L'autorisation fixe la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée. Cette durée ne peut être inférieure à cent ans. » Soit c'est réversible, soit ça ne l'est pas ! D'ailleurs, parmi les personnalités auditionnées au Sénat, certaines, comme M. Tissot, considèrent qu'un site ne pourra garantir la réversibilité que pendant trente ans après la fin de son exploitation, tandis que d'autres, tel M. Repussard, de l'IRSN, ne cachent pas que la fin de l'exploitation d'un stockage, c'est la fin de la réversibilité.

Pour ma part, je suis plus prudente encore : je garde en effet en mémoire le fait que nous ne savons toujours pas, quelques décennies à peine après la fin des activités, ce qui existe sur le site du fort d'Aubervilliers, ni ce qui a été immergé exactement, et en quelle quantité, dans les fosses océaniques ; nous ne savons pas non plus ce qui est stocké à Marcoule et à Valduc.

Par ailleurs, je n'ai qu'une confiance très mesurée dans la sagesse et dans la stabilité des sociétés humaines.

Je crois, monsieur le ministre, que la réversibilité est d'abord un concept destiné à rassurer le chaland, ce qui n'en fait pas un choix plus acceptable.

J'en viens à la troisième voie : l'entreposage.

Certes, ce n'est pas la panacée, en premier lieu parce que, quelle que soit la solution technique retenue, la charge du devenir ultime des déchets pèsera sur les générations futures. Mais il me semble que l'on évacue un peu vite cette piste, en faisant mine de l'opposer au stockage, comme si tous les déchets nucléaires n'étaient pas d'abord entreposés, parfois pendant des décennies, avant d'être éventuellement stockés ; car certains seront peut-être même définitivement entreposés.

Je note d'ailleurs que, si les données scientifiques ne permettent pas pour l'heure d'envisager la fabrication de béton résistant au-delà de quatre-vingts ans, ce qui nécessitera des opérations de renouvellement, la Commission nationale du débat public, que vous avez sollicitée, pointe le fait que la seule piste compatible avec la reprise des colis, c'est l'entreposage. La Commission du débat public a étudié la solution d'un entreposage pérenne, comme l'a rappelé lors de son audition son président, Georges Mercadal, qui n'est pas homme, monsieur Sido, à adopter la politique de l'autruche.

Je veux évoquer une dernière dimension de ce problème.

Le comédien Claude Piéplu, récemment décédé, disait dans le dessin animé qui l'a rendu célèbre : « S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème. » Je pense pour ma part que, s'il n'y a pas de solution, c'est peut-être parce que le problème est mal posé et que l'on n'examine pas plusieurs scénarios possibles, en l'occurrence en se penchant sur la question du devenir de l'ensemble des déchets et des matières nucléaires.

Cette préoccupation a émergé à plusieurs reprises dans les débats de la Commission particulière du débat public. En prenant en compte tous les déchets et toutes les matières nucléaires - le combustible usé, les matières séparées, les déchets ultimes -, on s'assure que les futurs choix énergétiques ne dépendront pas de l'endroit où l'on place le curseur entre déchets et matières radioactives supposées recyclables.

La dimension démocratique semble vous avoir totalement échappé. Pourtant, il me semble que le travail de la Commission du débat public doit être examiné de près, car elle a inventé les outils démocratiques qui permettent d'échapper au face-à-face stérile opposant les « pro » et les « anti » nucléaires.

Cette commission a élargi sa réflexion à l'ensemble des déchets et des matières nucléaires. Elle a formulé des propositions visant à organiser et à clarifier les rôles de chacun : par exemple, la création d'une autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté. Elle a insisté sur la participation du public et le partage des connaissances. Elle a également proposé d'assouplir les règles de confidentialité, de légitimer et de financer les CLI, et enfin d'organiser des rendez-vous périodiques avec les citoyens.

Quelles sont les conclusions de la Commission du débat public ?

Après avoir imposé l'EPR à nos concitoyens, au mépris du débat public qui était en train de se dérouler, vous nous mettez une fois de plus devant le fait accompli, sans retenir la moindre idée parmi les recommandations et les conclusions du débat public sur les déchets nucléaires.

Pourtant, si l'évaluation du risque et la formulation des alternatives incombent aux experts, l'acceptation du risque revient au citoyen.

Or qu'a dit le citoyen ?

Premièrement, il a estimé que les choix technologiques à opérer étaient indissociables des choix énergétiques de la France. Si cela n'était pas pris en considération, nous pourrions nous retrouver dans la situation où le choix d'une gestion ambitieuse des déchets entraînerait une escalade de la production d'énergie d'origine nucléaire et, au final, engendrerait des quantités de plus en plus importantes de déchets ultimes et de matières radioactives à gérer. L'option de non-production des déchets est à examiner au même titre que celle qui voit dans l'électronucléaire la composante majeure du système énergétique français.

Deuxièmement, les recherches n'ont pas encore porté tous leurs fruits, qu'il s'agisse de la transmutation, du stockage ou du conditionnement des déchets pour une durée supérieure à cent ans. Les objectifs fixés par la loi Bataille n'étant pas encore atteints, il convient de n'entériner aucune décision avant l'heure.

Troisièmement, la question se pose de la place du citoyen dans le processus décisionnel. Il doit y avoir un véritable partage des connaissances, et non une confrontation entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas.

Enfin, la Commission particulière du débat public insiste sur la réversibilité : celle des choix, avec la reprise des déchets stockés, mais aussi celle des décisions, avec le refus de s'engager dans une démarche linéaire d'enchaînement automatique de décisions gigognes soigneusement verrouillées.

Les citoyens restent réticents à l'égard du stockage profond, car ils ont l'impression que cette démarche relève d'un comportement un peu infantile, consistant à cacher ce qui déplaît en espérant s'en être débarrassé, mais aussi parce qu'ils ne sont pas dupes : ils pressentent que le concept d'irréversibilité est une commodité rhétorique utilisée pour leur faire accepter une solution éthiquement très contestable.

Enfin, ils éprouvent un grand trouble eu égard aux conditions dans lesquelles leur consentement et celui de leurs élus ont été obtenus. Certes, on peut ne pas employer de termes humiliants et éviter de dire que le consentement a été acheté. Mais il faut convenir que, dans ces zones parfois déshéritées, cet élément a été tout à fait déterminant dans le choix de certains.

S'agissant du détail du texte, je tiens à souligner qu'il n'y est à aucun moment question du principe de la réduction des déchets à la source. Non seulement cette formule n'est jamais utilisée, mais, dans l'article 4, un « notamment » a été astucieusement supprimé - au cas où ! -, afin de bien montrer que la réduction des déchets à la source n'a pas sa place dans ce projet de loi. Vous entérinez ainsi le principe du retraitement des déchets radioactifs et de l'abandon des déchets les plus dangereux au fond d'un trou.

Je souhaite ici m'interroger sur les effets pervers du choix qui a été opéré, de façon totalement antidémocratique et dans un contexte diplomatique et historique très différent, du « retraitement » - terme impropre puisque rien, en fait, n'est retraité - et de l'isolement du plutonium, dont la criticité, la toxicité et le potentiel proliférant ont été sous-estimés.

Ce choix a été mis en oeuvre pendant plusieurs dizaines d'années, à une époque où le plutonium, au moment de la guerre froide, pouvait être considéré comme une matière première pour le nucléaire militaire.

Aujourd'hui, on peine à utiliser le plutonium. Une filière mixte uranium-plutonium a été développée, mais elle pose à son tour des problèmes majeurs de gestion des déchets puisque ce MOX usé irradié doit lui-même, compte tenu de sa température, être entreposé pendant quatre-vingts à cent ans, avant de faire l'objet d'un stockage définitif.

Par ailleurs, vous revenez sur l'interdiction de stockage des déchets radioactifs étrangers, en procédant selon votre habitude, c'est-à-dire en disant tout et son contraire dans le même article, voire dans la même phrase.

Ainsi, dans l'article 5, vous réaffirmez une interdiction déjà en vigueur pour mieux la torpiller quelques lignes plus loin, en renvoyant la durée de stockage de ces déchets radioactifs étrangers à des accords internationaux bilatéraux, et ce au mépris de la transparence et du droit de regard de notre société sur les activités de la COGEMA, principes pourtant réaffirmés par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 décembre 2005.

Quels sont, en réalité, les intérêts des pays qui nous envoient leurs déchets et ceux de la COGEMA, censée les retraiter ? Ils sont parfaitement convergents : il s'agit, dans un cas, de se débarrasser de ces déchets pour une durée maximale et, dans l'autre, de les garder le plus longtemps possible, au nom de la rentabilité économique. Car tout se paie, et l'entreposage de déchets étrangers est facturé très cher par la COGEMA.

J'évoquerai enfin la manière scandaleuse dont est traité le problème de l'indemnisation des conséquences des accidents éventuels.

Je rappelle que la construction d'une installation classée ne peut être autorisée que si son exploitant justifie de garanties financières lui permettant de faire face aux conséquences éventuelles d'accidents nucléaires. Mais l'article 14 « parle » de lui-même : « Les exploitants d'installations nucléaires de base évaluent, de manière prudente, les charges du démantèlement de leurs installations ou, pour leurs installations de stockage de déchets radioactifs, leurs charges d'arrêt définitif, d'entretien et de surveillance. »

En abandonnant à l'exploitant, déjà dispensé d'assurer son installation, le soin de définir lui-même le montant des garanties financières, on écarte en réalité tout mécanisme d'assurance de l'industrie nucléaire.

Ma conclusion portera sur le lien que nous ne pouvons manquer d'établir entre ce texte et le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dont nous débattrons - pour la forme, si j'ai bien compris - demain ou après-demain.

En comparant ces deux textes, on voit émerger distinctement deux principes gouvernementaux : premièrement, l'abandon des pouvoirs régaliens de l'État sur la sûreté nucléaire, son abandon de la maîtrise des risques d'accidents nucléaires ainsi que de la conduite d'une politique de gestion des déchets, confiée aux exploitants et non plus au politique ; deuxièmement, l'abandon des principes de transparence, mais aussi l'abandon du respect du public, de sa liberté, ainsi que du respect dû aux assemblées parlementaires par la confiscation de principe et quasi systématique de l'étape de la deuxième lecture.

Monsieur le ministre, avez-vous donc aussi abandonné les principes démocratiques de base ?

Je suivrai ce débat avec intérêt, mais je doute de pouvoir approuver ce texte compte tenu de la nature des arguments qui ont d'ores et déjà été échangés lors de son examen à l'Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord exprimer, en tant que parlementaire d'un des départements concernés de très près, la Haute-Marne, la satisfaction que me procure, par sa qualité, le projet de loi qui nous est soumis.

Nous pouvons tous nous féliciter du délai que celui-ci nous accorde, résultat d'un constat lucide de la communauté scientifique et de la classe politique, mais aussi du dispositif national qui est mis en oeuvre pour toute la filière.

Indépendamment des modifications que pourront apporter les travaux de la commission des affaires économiques du Sénat, sous la houlette experte de notre collègue Henri Revol, je souhaiterais vous remercier, monsieur le ministre, du dialogue que vous avez su instaurer autour de ce texte majeur pour notre avenir et qui a déjà porté ses fruits lors de sa lecture à l'Assemblée nationale.

Mes excellents collègues s'étant consacrés aux aspects techniques et scientifiques du dossier, et la commission des lois n'étant pas saisie, j'ai pensé opportun d'intervenir plus particulièrement sur la dimension humaine et politique du projet de loi.

À travers l'ensemble des débats et entretiens qui se sont déroulés au cours des dernières années, deux constantes se font jour : la nécessité de fixer le cadre des décisions au regard des populations et le besoin impérieux de rendre crédible le projet de développement des territoires concernés.

Je m'attacherai tout d'abord au processus décisionnel.

Il est évident que nous sommes en face d'une problématique de dimension planétaire. Même si les approches sont parfois différentes, elles convergent toutes vers la recherche du consensus. Encore faut-il s'accorder sur la nature des décisions et sur les modalités des processus mis en place.

Aussi je crois utile de rappeler que les décisions en la matière sont au nombre de deux : d'abord, la décision relative à la nature de la solution de référence, tout particulièrement s'agissant de la pertinence du stockage géologique en profondeur, qui fait l'objet de l'article 7 bis, introduit à l'Assemblée nationale à la suite de l'adoption de l'amendement de MM. Birraux et Chatel ; ensuite, la décision même de créer à un endroit donné un centre de stockage, dont le processus fait l'objet des dispositions de l'article 8 du projet de loi.

Nous nous situerons dans le contexte international pour mieux éclairer les choix actuels et ceux qu'ouvre le texte que nous examinons.

Les réponses internationales à ces questions sont variées. À l'exception de la Finlande, les nations n'ont pas cherché à lier ces deux questions et la plupart d'entre elles réservent au Parlement le choix de principe de la solution technique, laissant au niveau local le choix du site.

Sur le plan local, suivant les cultures, on cherche à sécuriser l'investissement public par des procédures référendaires, comme en Suisse, ou l'on s'en remet à des procédures plus empiriques et au fil de l'évolution, comme au Canada.

Pour être tout à fait exhaustif, disons également que l'idée d'un « paquet nucléaire », soutenue par l'Autriche et la France, a germé en Europe et que l'on s'achemine actuellement vers une directive-cadre préconisant des plans nationaux. Notre débat se situe donc résolument, au seuil de notre décision, dans un environnement national.

Le Gouvernement, et M. le ministre ne me démentira pas, entend avec nous laisser au Parlement la décision de principe quant au stockage profond. Je reste convaincu qu'il s'agit de la bonne solution. Il eût été néfaste, à mon sens, d'exiger un chèque en blanc de la part du Parlement, et je me réjouis que l'Assemblée nationale ait pu enrichir le texte d'un dispositif permettant à nouveau l'intervention de la représentation parlementaire, ce qui constitue un véritable prolongement des dispositions de la loi Bataille, et cela pour dix années.

Même si la formulation reste alambiquée, nous devons considérer que le processus démocratique est ainsi satisfait, puisque les conditions n'étaient pas réunies sur les plans techniques et scientifiques. Prenons toutefois ensemble la mesure du fait que, même si le principe est tranché, il s'agit d'un moratoire.

J'en viens maintenant au second point, c'est-à-dire au choix du site lui-même pour un stockage en profondeur, tout particulièrement au regard de la démocratie participative locale.

Comme mon excellent collègue et ami Bruno Sido l'a dit, la Haute-Marne et la Meuse sont actuellement « agitées » par la pétition en vue d'obtenir un référendum sur « la constitution d'un centre d'enfouissement à Bure ». L'examen du présent projet de loi est pour nous l'occasion de répondre à cette sollicitation en faisant le point du droit.

Nous avons vu que la décision de principe quant au choix du mode de stockage stricto sensu reste inscrite dans le processus institué par la loi Bataille et qu'il ne peut donc être question de transférer la décision à un référendum d'origine locale. On pourrait cependant s'interroger sur la possibilité de soumettre à une semblable procédure la décision concernant le choix du lieu de ce stockage.

Les nouvelles dispositions relatives à la démocratie participative comme la jurisprudence sont édifiantes à cet égard et fixent précisément le cadre d'une telle démarche.

Le droit de pétition visé au premier alinéa de l'article 72-1 de la Constitution doit se limiter à adresser un voeu à des autorités locales, libres de l'inscrire ou non à l'ordre du jour de leur assemblée. Cependant, les règles d'application sont strictes, et le texte du 18 mars 2003 a renforcé leur caractère impératif : il doit s'agir d'une question relevant de la compétence de la collectivité.

Ces conditions ne sont manifestement pas remplies aujourd'hui puisque les collectivités territoriales ne disposent ni du pouvoir de décider du stockage en couche profonde ni, a fortiori, de celui d'en choisir le lieu.

De la même manière, les collectivités territoriales ne peuvent de leur propre chef organiser un référendum dans les conditions de la loi organique, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 72-1, puisque le référendum ne peut porter que sur un projet de délibération relevant de leur compétence.

Par conséquent, pour l'heure, le juge administratif serait contraint d'annuler toute délibération dans ce sens, et toute inscription d'un tel projet à l'ordre du jour serait frappée d'illégalité. Nos débats de 2003 ont été sans ambiguïté à cet égard : notre République reste une démocratie représentative et n'a pas « versé » dans la démocratie directe.

Ces choses étant dites, il est important de mesurer l'apport du texte que nous nous apprêtons à voter.

Avec l'articulation proposée à l'article 7 bis, il y a statu quo et report de la forme de décision organisée par la loi Bataille ; le Parlement devra voter un nouveau projet de loi fixant les règles de réversibilité, ce qui conditionnera en réalité toute création d'un centre de stockage en profondeur.

En revanche, en ce qui concerne la localisation même du centre, laquelle relève du domaine réglementaire, il est prévu que la décision devra être précédée d'un avis des collectivités territoriales concernées.

À ce niveau, il s'agit d'une innovation. En effet, le juge administratif admet, selon la jurisprudence Saint-Michel-de-Maurienne - Conseil d'État, 1er mars 1996 -, que l'intérêt local subsiste lorsqu'il y a intervention de la collectivité, même si la décision finale échoit à une autre autorité.

On peut dès lors estimer qu'une pétition sera recevable, pour peu qu'elle soit bien formulée, et que l'inscription à l'ordre du jour pourra être demandée. Bien évidemment, les collectivités pourront également soumettre leur projet de délibération spontanément à référendum.

Il y a là une ouverture non négligeable, et, à titre personnel, je m'en réjouis car cette faculté vient enrichir le débat et le mode de gouvernance du dossier pour l'avenir.

Il convient de noter que cette hypothèse est reportée à dix ans, date à laquelle des paramètres nouveaux interviendront et permettront certainement de mieux appréhender les questions posées. Je veux parler de l'évolution des règles du débat démocratique et des usages en matière de démocratie participative, mais également de la pression accrue exercée par l'évolution du contexte en termes de ressources énergétiques ou d'environnement, tous éléments qui affecteront nécessairement la maturité citoyenne.

Je m'interroge toutefois sur la concurrence possible entre les recours concomitants de collectivités territoriales à l'utilisation du référendum, puisque, dans le cadre de l'article 72-1 de la Constitution, elles seront toutes compétentes ! Si je ne dépose pas d'amendement pour préciser la hiérarchie, c'est parce qu'il nous reste dix ans pour régler les modalités, et je pense, monsieur le ministre, que vous m'en saurez gré, ...

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

...mais vous aurez la possibilité de vous prononcez sur la pertinence de procéder par décret, comme l'a dit Bruno Sido à l'instant.

Ma seconde préoccupation concerne le dispositif d'aménagement et de développement du territoire concerné par le laboratoire et le futur site de stockage.

Je crois pouvoir affirmer que l'ensemble des acteurs et des bons auteurs convergent sur ce point à l'échelle internationale : les sites retenus doivent devenir des lieux de haute technologie et induire, voire impulser la création d'autres activités.

L'accompagnement économique doit être au coeur de la démarche de tout projet de gestion des matières et déchets radioactifs. Il est le corollaire indissociable de l'approche démocratique du dossier.

À cet égard, je reconnais que le projet de loi qui nous est présenté est de qualité : le zonage et l'action du GIP ont été plus largement appréciés, les modalités du financement ont été fixées et de nouveaux amendements viendront utilement compléter le dispositif.

Le volet « stockage des déchets » est en passe de cesser d'être le talon d'Achille de la filière. Le stockage a été hissé au rang des installations de base et bénéficiera désormais de taxes nouvelles, d'un niveau satisfaisant. L'Assemblée nationale a apporté sa pierre à l'édifice, et j'en remercie nos collègues députés Luc Chatel et François Cornut-Gentille.

Si nous avons besoin de temps pour convaincre sur le plan scientifique, où des évolutions sont attendues, et si le consensus politique repose sur des arguments subjectifs, la réalité sur le terrain est, quant à elle, très palpable et sera jugée à l'aune des réalités matérielles.

Aussi, le délai qui nous est consenti par ce texte vient à point nommé, car il laisse dix années supplémentaires aux GIP et aux acteurs de la filière comme à l'État pour constituer un partenariat tangible et concret avec le territoire. En dépendront la légitimité du projet et son assise locale.

La réussite de cet accompagnement est un élément clé sur les plans sociologique et politique, car, plus que la manne financière, les habitants de Meuse et de Haute-Marne attendent des créations d'entreprises et des emplois. S'il est difficile dans ce texte d'en fixer les termes précis, puisque les décisions revêtent un caractère réglementaire, je crois qu'il faut donner à la population locale des signes forts qui dépassent le cadre des bonnes intentions.

Le 6 mars 2006, le comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires lançait un appel national pour la recherche d'un site pour la création du pôle de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. J'ai, bien sûr, attiré immédiatement l'attention du Premier ministre et la vôtre, monsieur le ministre, sur l'opportunité de localiser un tel équipement sur l'aire du laboratoire actuel. Vous avez eu l'amabilité de signaler la pertinence d'une telle localisation à Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable, et je vous en remercie. Admettez cependant que les Hauts-Marnais et les Meusiens ne comprennent pas qu'on ne mette pas tout en oeuvre pour que des équipements aussi prédestinés que celui-ci ne soient pas dirigés vers la zone concernée.

Je vous proposerai donc, monsieur le ministre, une modification de nature à rendre offensive la politique de développement, en initialisant véritablement un partenariat. Il est capital que nous parvenions ensemble à créer une masse critique susceptible de faire décoller le volet économique.

Nous avons peu mis à profit les quinze premières années. Qu'il nous en soit proposé dix autres est une aubaine, mais cela constitue aussi un risque. Si je ne mésestime pas le potentiel de la filière, notamment avec les perspectives de la biomasse, j'affirme que l'État doit, lui aussi, donner le « coup de pouce » nécessaire. Il s'agit d'un défi national en même temps que d'une responsabilité nationale, et je souhaite que vous réserviez toute votre attention à l'amendement que je proposerai dans ce sens.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour avoir insisté sur les deux pivots de la démarche que sont la validation politique et l'accompagnement économique du territoire, j'espère avoir démontré qu'ils sont intimement liés et qu'ils sont le complément indispensable du dossier scientifique.

Nous évoluons en effet dans un domaine où l'absolu n'est pas de mise. Dès lors, si nous faisons avec ce projet de loi le choix de la sagesse en « laissant du temps au temps » afin de saisir de nouvelles opportunités scientifiques, sachons que ce délai peut jouer contre nous si nous ne marquons pas tous les points qui sont à notre portée sur le volet territorial. C'est là que se trouve le ferment du contrat de confiance global.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier M. le rapporteur de la qualité du travail que, avec la commission des affaires économiques, il a accompli sur ce projet de loi et de la présentation qu'il en a faite.

Je vais maintenant tenter de répondre de manière aussi exhaustive que possible aux diverses observations qui ont été formulées.

Je sais gré à Aymeri de Montesquiou d'avoir bien mis en perspective nos choix avec ceux que font les Allemands, les Finlandais, les Suédois ou les Japonais. De nombreux pays sont en effet confrontés aux mêmes problèmes, qu'ils aient ou non décidé de continuer à utiliser de l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité.

Madame Didier, c'est parce que nous souhaitons, comme vous, qu'il y ait le temps nécessaire pour que les décisions soient prises sans précipitation que nous avons arrêté, dans ce texte, un calendrier, à mes yeux tout à fait raisonnable. C'est ainsi que nous avons fait valider par la Commission nationale d'évaluation la date de 2015.

Vous avez insisté sur l'importance de l'axe 1, c'est-à-dire la séparation-transmutation. Peut-être ne la savez-vous pas mais, pour que la recherche sur ce sujet soit menée à bien, nous avons déjà décidé d'augmenter de 30 % sur quatre ans les crédits du CEA. Ce n'est évidemment pas par hasard : il s'agit d'assurer la cohérence des décisions que nous prenons.

Vous avez également souligné votre refus de voir l'État transférer la propriété des déchets. Eh bien le texte que nous présentons va exactement dans ce sens. C'est une responsabilité qu'il faut laisser au niveau des exploitants, mais de manière très encadrée, ce à quoi le texte pourvoit. Nous y reviendrons sans doute abondamment au cours du débat.

M. Biwer s'est soucié de l'implication du Parlement. C'est un débat que nous avons déjà eu à l'Assemblée nationale. Je vous l'ai dit d'emblée, je souhaite que le rendez-vous parlementaire existe, rejoignant en cela la préoccupation de M. Guené. Il est clair que c'est à l'échelon national que nous prenons une responsabilité. Il ne s'agit pas ici d'une question de jurisprudence : c'est le Parlement qui fait la loi, et cette loi sera l'instrument de l'action.

M. Biwer a, bien entendu, insisté sur tous les enjeux locaux. Il a raison de considérer que, au-delà des questions d'argent, ce sont surtout les enjeux en termes d'emplois et de projets économiques qu'il importe de traiter. Il faut que la rédaction finale de la loi traduise cette orientation et suscite la confiance.

Il ne suffit pas d'affirmer dans la loi que l'on veut réussir des projets économiques et industriels, il ne suffit pas de claquer des doigts pour que ça marche ! Dans la loi, il faut écrire ce qui est de l'ordre de la loi, et, d'un autre côté, mener les actions nécessaires. C'est ce que nous faisons avec le Haut comité de Bure. J'ai tenu à ce qu'il soit créé par le Premier ministre : c'est chose faite depuis juillet 2005. Nous allons prochainement le réunir de nouveau.

Cette force de conviction que nous exprimons auprès des opérateurs, EDF, Areva et CEA, porte ses fruits. Elle a aussi permis que soit décidée l'implantation à Bar-le-Duc d'une usine de trituration et de fabrication des biocarburants. Ces décisions qu'il est difficile d'inscrire dans un texte de loi sont néanmoins révélatrices de l'orientation sur laquelle nous travaillons.

M. Piras m'a interrogé sur notre action concernant les énergies renouvelables. Je rappelle qu'en 2005 l'effort public en faveur de celles-ci et pour les économies d'énergie a représenté plus de un milliard d'euros : 450 millions d'euros au titre des crédits d'impôt pour les économies d'énergie dans le logement, 200 millions d'euros au titre de la défiscalisation des biocarburants, 200 millions d'euros pour l'électricité renouvelable et 120 millions d'euros pour la recherche menée au CEA, à l'ADEME ou à travers l'ANR. Nous sommes donc extrêmement actifs à l'égard de toutes les possibilités que sont susceptibles d'offrir les énergies renouvelables.

Vous m'avez aussi, monsieur le sénateur, interrogé sur l'urgence. Il convient en effet, sur un texte qui nous engage pour aussi longtemps et concernant un dossier aussi essentiel, d'avoir un débat de qualité. C'est la raison pour laquelle je ne vois pas pourquoi nous devrions faire usage de l'urgence.

Bien entendu, j'espère que ce texte sera effectivement voté et que nous pourrons aller tous ensemble jusqu'au bout du chemin. Certes, après avoir entendu Mme Voynet, je n'imagine guère que ce texte puisse être consensuel !

Sourires

Debut de section - Permalien
François Loos, ministre délégué

Il ne s'agit pas de forcer sa nature, mais ma volonté est claire : toute question qui mérite d'être débattue le sera. Il ne saurait ici y avoir d'impasse. Il ne faut pas retomber dans certains travers qui avaient cours voilà trente ans. Nous avons une position responsable, celle de faire des choix qui nous engagent, et c'est avec cette façon de travailler que je vous invite à poursuivre nos échanges.

S'agissant de la comparaison entre les déchets radioactifs et les déchets toxiques en général, on insiste sur la longue durée des premiers. Mais il ne faut pas se voiler la face : les déchets toxiques ont une durée de vie infinie !

Des déchets toxiques, la France en produit 100 kilos par an et par habitant, mais des déchets radioactifs, elle en produit 5 grammes par an et par habitant. Cela ne veut pas dire que ce n'est pas important. C'est même si important qu'on y consacre une loi, ainsi que des moyens et de la conviction. Mais il n'y a pas que les déchets radioactifs : il y en a aussi d'autres qui doivent être traités.

La durée de vie des sites d'entreposage constitue une vraie question. Aujourd'hui, cette durée de vie est de 100 ans. C'est ce qui ressort de l'expérience que nous avons des bétons. Rappelons qu'il s'agit tout de même de déchets radioactifs. On le sait, la demi-vie du plutonium, c'est 24 000 ans ! Il faut 300 000 ans pour arriver à seulement 10 % de radioactivité. Autrement dit, nous avons affaire à des déchets qui conservent une dangerosité bien au-delà des 100 ou 200 ans des entreposages que nous connaissons. Ce sujet, il faut l'aborder sans tabou.

Gérard Longuet a parfaitement situé le sujet, en soulignant toute la gravité de la responsabilité que nous avons à prendre, compte tenu de cette échelle de temps.

Il est important de fixer les futurs rendez-vous parlementaires, qui permettront de traiter précisément de ces questions.

Il faut également être le plus clair possible sur le point qu'a évoqué M. Biwer : comment, sur le plan local, les GIP fonctionnent et comment on inscrit dans la réalité l'objectif que nous visons à travers un texte de loi qui n'est jamais qu'un texte.

Il ne doit pas y avoir d'attitude ambiguë et il n'est pas question de laisser un territoire en marge. Au contraire, cette activité nouvelle qui peut arriver sur un territoire de stockage doit, dès maintenant, être porteuse de croissance et d'emplois.

M. Christian Gaudin a insisté sur le rôle de la transmutation et sur son lien avec le projet de création d'un générateur de quatrième génération. Une centrale nucléaire de ce type a vocation à consommer plus de déchets. La séparation-transmutation, c'est la séparation des déchets nucléaires, donc une séparation chimique et physique, certains de ces déchets pouvant être consommés par un réacteur. L'association de la séparation-transmutation et du générateur de quatrième génération permet de réduire aussi substantiellement que possible les déchets et leur activité. Nous y travaillons et, comme je le disais à Mme Didier, nous avons d'ores et déjà apporté des crédits supplémentaires au CEA au titre de ce programme.

Nous travaillons aussi en concertation avec les États-unis, le Japon et la Russie sur ces questions : le réacteur de quatrième génération est en fait un programme international auquel nous participons. La décision de créer une centrale pour 2020, fût-ce un prototype, est un coup d'accélérateur par rapport au programme international qui ne visait pas a priori cette date de 2020.

M. Sutour a évoqué le financement du démantèlement et de la gestion des déchets. Nous aurons l'occasion d'y revenir longuement au cours du débat, mais, à ce stade, je dirai simplement que notre choix s'explique par des raisons tout à fait objectives et non par des raisons idéologiques qui voudraient que l'on ait plus confiance dans les entreprises que dans l'État.

Sur ces questions de financement, je répondrai aussi bien à M. Sutour qu'à MM. Teston et Bizet que l'évaluation du démantèlement qui est réalisée aujourd'hui s'inspire des recommandations formulées par la Cour des comptes.

Certains mettent en cause le fait de confier aux entreprises les fonds grâce auxquels elles vont démanteler et gérer les déchets, au lieu de les confier à un établissement public ou à l'État. Mais on n'est absolument pas sûr que les montants resteront constants dans le temps. Au fur et à mesure que les démantèlements vont se faire, au fur et à mesure que la gestion des déchets prendra corps, au fur et à mesure que les études avanceront, on constatera que les montants en jeu évoluent. C'est probablement ce que remarquera d'emblée un auditeur d'EDF, qui demandera de constituer des provisions par rapport à un coût supplémentaire généré plus tard.

Par conséquent, en sortant ces fonds des entreprises, on se retrouverait, en fait, avec des fonds à l'extérieur tout en gardant des provisions à l'intérieur. En d'autres termes, la gestion de ces fonds serait deux fois plus compliquée, deux fois plus lourde, entraînant une déresponsabilisation qui n'est absolument pas souhaitable compte tenu de l'enjeu et de la technicité de ces programmes.

Notre choix des fonds internes, assorti d'un encadrement très serré, fait d'ailleurs suite à l'observation de la situation que connaît actuellement la Suède, où se posent différents problèmes liés aux normes comptables internationales que chacun se doit d'appliquer.

Monsieur Sido, vous avez, en des termes remarquables, mis l'accent sur tous les enjeux de ce dossier, qui engage non seulement les générations présentes vis-à-vis des générations futures, mais aussi l'ensemble des Français vis-à-vis des populations meusiennes et haut-marnaises.

Vous avez su montrer le besoin de consultation, tout en faisant état des limites des référendums et des enquêtes publiques. Souscrivant pleinement à vos propos, je serai favorable à l'amendement que vous avez déposé à cet égard.

Vous avez également souligné l'importance de l'accompagnement économique et proposé une hausse effective, mais raisonnable, que je ne saurais sans doute refuser.

Cela étant dit, je suis, comme vous, convaincu que la question principale est non pas « combien d'argent ? », mais « pour quoi faire ? » C'est la raison pour laquelle je poursuis l'action engagée par mon prédécesseur, à votre demande, en mobilisant le Comité de haut niveau.

De l'intervention de Mme Voynet, j'ai surtout cru devoir retenir que rien ne trouvait grâce à ses yeux. Toutefois, après l'avoir écoutée très attentivement, je me suis aperçu que nous étions tout de même d'accord sur deux ou trois points.

Ainsi souhaite-t-elle que des études supplémentaires soient réalisées. Or cela est d'ores et déjà prévu dans le présent projet de loi. En outre, elle affirme qu'il convient de confronter tous les points de vue, ce que nous n'avons pas manqué de faire en essayant de les prendre en compte de la façon la plus objective possible.

Ne rien décider tout de suite ? Il faut tout de même décider de décider bientôt, sous réserve que certaines conditions soient remplies : c'est sur cette base qu'est construit ce texte.

En conséquence, je suis tout à fait ouvert à un dialogue avec Mme Voynet, si elle le souhaite, même si je ne partage pas du tout ses a priori. En la matière, nous tenons à nous montrer prudents. Cependant, au regard des engagements que nous prenons dans ce projet de loi, on ne peut pas dire que nous cherchons à faire prendre des risques à qui que ce soit.

Enfin, je tiens à remercier M. Guené d'avoir mis en avant la dimension humaine du sujet, tout en insistant sur les perspectives internationales.

Bien entendu, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aurai à coeur de revenir, dans la discussion des articles, sur les points à propos desquels je n'ai pu apporter les éclaircissements souhaités.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante.