Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur du Conseil économique et social, mes chers collègues, notre assemblée est réunie aujourd'hui pour débattre d'un projet de loi sur la gestion durable des matières et des déchets radioactifs.
Je tiens, tout d'abord, à souligner la qualité du travail de M. le rapporteur et des collaborateurs de la commission, ainsi que celle du rapport de Mme Anne Duthilleul.
Avant d'aborder le texte proprement dit, il me semble utile de rappeler le contexte législatif dans lequel nous travaillons.
Les orientations préconisées par le sommet de Lisbonne, les directives européennes de 1996 et de 1998 organisent l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie. Cela n'a rien d'anodin. Certains commissaires européens vont même jusqu'à dire que les déchets nucléaires sont des marchandises comme les autres.
En France, les lois relatives à la politique énergétique ainsi que le projet de loi relatif à la transparence et la sécurité en matière nucléaire se situent dans la même ligne idéologique.
Pourtant, comment ne pas reconnaître que les objectifs mêmes des partisans du libéralisme sont difficilement compatibles avec les principes qui doivent guider l'exploitation de l'énergie nucléaire ?
D'une manière générale, la recherche du profit maximum pour les actionnaires amène les entreprises à faire des économies sur tout ce qui concerne la sécurité, les salaires ou encore les conditions de travail.
Metaleurop, AZF et bien d'autres nous rappellent pourtant que la logique libérale est toujours la même. Comment donc ne pas être inquiet ?
C'est pourquoi nous estimons que seul l'État permet d'apporter des garanties réelles en matière de responsabilité, que seuls des acteurs désintéressés, dont l'objectif est de remplir une mission d'intérêt général au sein d'un service public, peuvent garantir le plus haut niveau de sécurité.
Demain, en effet, quand la concurrence sera plus vive - ce n'est pas encore le cas aujourd'hui - et quand n'importe quel grand groupe pourra devenir acteur de la filière nucléaire, qu'en sera-t-il de nos certitudes ?
Nous demandons par conséquent un contrôle public, un contrôle démocratique associant les élus, les associations, les usagers, les salariés, les scientifiques mais aussi les citoyens. Tout citoyen qui le souhaite doit être informé au mieux.
C'est pourquoi nous nous réjouissons de la mise en oeuvre du débat public par la commission ad hoc, dont le bon fonctionnement fut salué par tous et qui a permis l'expression et l'information du grand public.
Ainsi, la première conclusion de cette commission est que nous devons traiter ces questions avec une prudence extrême au regard des inquiétudes exprimées par les personnes. Cet avis est d'ailleurs partagé par l'Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire et par le Conseil économique et social. Nous ne sous-estimons ni les efforts entrepris ni les progrès réalisés, mais nous craignons, fidèles en cela à nos principes, les effets d'une politique libérale pour l'avenir.
M. le rapporteur en appelait tout à l'heure au consensus. Certes, un tel consensus est important. Je tiens néanmoins à souligner, pour mémoire, que c'est la structure publique sur laquelle cette filière a pu s'appuyer et se développer durant de longues années qui a été déterminante.
J'en viens à la deuxième partie de mon intervention.
Pour notre groupe, l'objet de ce projet de loi est bien de permettre la poursuite des recherches dans les trois axes définis par la loi Bataille et de mettre en place un système de gestion le plus fiable possible, dans l'état actuel des connaissances, tout en continuant les recherches.
Il nous semble donc inopportun de définir dans ce texte un calendrier, avec un enfouissement des déchets à l'échéance 2025.
Il s'agit non pas, comme cela est dit ici ou là, de se défausser sur les générations futures, mais simplement d'affirmer que tout choix définitif serait prématuré, compte tenu de nos connaissances.
À ce propos, la Commission nationale du débat public, si elle fait « un constat positif sur les résultats acquis dans le site de la Meuse », précise également que « les conditions d'une éventuelle décision finale de réalisation de stockage ne sont pas encore réunies, le laboratoire souterrain devant être exploité durant une durée suffisante ».
Une décision hâtive serait d'autant plus inadaptée que la loi Bataille n'a pas été tout à fait respectée.
En effet, il était prévu, dans l'article 4 de cette loi, la mise en exploitation de plusieurs laboratoires de recherche pour le stockage géologique en couche profonde. Or, aujourd'hui, il n'en existe qu'un : celui de Bure. Malgré les grandes qualités du sol argileux sur cette zone, les éléments manquent encore à ce jour pour décider que l'enfouissement des déchets est la solution la plus adéquate.
Il faut bien voir que ce projet de loi, tout en réaffirmant que les recherches doivent être menées dans trois axes complémentaires, prévoit déjà de retenir comme solution de référence le stockage en couche géologique profonde, et ce avant même la réalisation de l'ensemble des études.
Si nous saluons l'introduction par l'Assemblée nationale de la notion de réversibilité dans le projet de loi, nous ajoutons que ce texte ne peut être l'ultima verba. Il ne représente qu'une étape de plus, et c'est pourquoi la mise en exploitation d'un site d'enfouissement doit faire l'objet d'une nouvelle loi votée par le Parlement. Toute autre décision laisserait à penser que l'on veut forcer l'allure alors même que l'expérimentation n'a pas été menée jusqu'à son terme.
Dans la troisième partie de mon intervention, je réaffirmerai notre attachement à ce que la recherche concernant la séparation-transmutation soit poursuivie, au même titre qu'il est envisagé de la continuer s'agissant des deux autres voies.
En effet, les avancées du Commissariat à l'énergie atomique permettent déjà d'envisager à long terme une gestion différenciée et efficace des différents types de radioéléments.
Ainsi, ce procédé permet de récupérer 95 % des combustibles usés pour les réutiliser et de réduire à 5 % environ la quantité des déchets dits ultimes. C'est un grand progrès.
Cependant, le recyclage est aujourd'hui largement limité par l'inexistence d'une vraie filière à neutrons rapides.
En effet, les recherches sur la séparation-transmutation sont liées à la réalisation d'un prototype de centrale de quatrième génération prévue aux alentours de 2020. Cette date paraît d'ailleurs assez irréaliste, compte tenu de l'avancement des recherches et de l'absence de réacteur expérimental après la fermeture de Phénix, en 2008. Nous le regrettons nous aussi.
Cette voie de recherche mérite alors d'être activement poursuivie, en parallèle avec les projets EPR et ITER.
Pourtant, cette voie n'est pas mentionnée dans l'article 4 du projet de loi, ce qui est assez significatif.
Ainsi, concernant les prérogatives du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, l'accent est mis sur les solutions du type de l'entreposage et du stockage, mais la séparation-transmutation n'y figure pas explicitement. Je sais bien que nous en sommes encore au stade de la recherche fondamentale, mais, malgré tout, nous aurions souhaité que la séparation-transmutation soit mentionnée.
Une autre disposition est tout aussi symbolique : il est prévu, à l'article 11 de ce projet de loi, la création d'un fonds de financement de la recherche au sein de l'ANDRA, qui serait alimenté par le produit d'une taxe additionnelle sur les installations nucléaires de base.
Si nous adhérons au principe de création d'un fonds de financement de la recherche, nous estimons pourtant que, tel qu'il est rédigé, ce projet de loi oublie la recherche sur la séparation-transmutation.
Ainsi, le financement des recherches dans cette voie est laissé à l'appréciation des producteurs dans le cadre de relations contractuelles de court terme ainsi qu'à la dotation budgétaire du Commissariat à l'énergie atomique, qui, il faut bien l'avouer, a été considérablement réduite depuis plusieurs années.
De plus, l'évaluation des besoins de recherche est laissée, d'une part, à l'ANDRA, sur la partie stockage et entreposage, et, d'autre part, au CEA, sur la partie séparation-transmutation.
Nous regrettons donc que ni le plan national pour la gestion des matières et déchets radioactifs ni la Commission nationale d'évaluation n'aient, dans leurs attributions, l'évaluation et la définition des besoins financiers concernant les recherches.
Nous proposerons donc un amendement visant à doter la Commission nationale d'évaluation d'une mission d'évaluation des besoins de financement pour la recherche dans les trois axes définis par l'article 1er.
Parallèlement, nous proposerons que le produit de la taxe additionnelle sur les installations nucléaires de base serve également à financer les études sur la séparation-transmutation.
Concernant le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, nous aurions également souhaité que les orientations fixées par ce plan fassent l'objet d'une évaluation.
Sur les questions de financement, les exploitants nucléaires sont appelés à financer non seulement la recherche, mais également, par le biais de la constitution d'actifs dédiés, les charges de démantèlement de leurs installations et celles d'entretien et de surveillance de leurs installations de stockage de déchets radioactifs.
Cette disposition, prévue à l'article 14, a fait l'objet de débats passionnés à l'Assemblée nationale pour savoir s'il valait mieux que ce fonds reste dans l'entreprise ou qu'il soit externalisé.
Pour notre part, nous estimons que les producteurs ne doivent pas échapper à leurs responsabilités techniques et financières en ce qui concerne les déchets. En conséquence, ils doivent rester engagés dans le financement de l'aval du cycle nucléaire.
Une soulte libérant les producteurs aboutirait, à notre avis, au financement par l'État, et donc par le contribuable, lequel se verrait de ce fait soumis à une double peine, en quelque sorte, puisqu'il a déjà payé une première fois en acquittant sa facture d'électricité.
Je terminerai par un point qui me semble absolument essentiel : le besoin de transparence pour la filière nucléaire. Il s'agit là d'un enjeu de démocratie évident.
Les pouvoirs publics ne doivent pas passer en force pour faire accepter le nucléaire.
Il faut donc reconnaître que le savoir en la matière, même s'il est complexe, n'est pas uniquement un domaine réservé aux experts et que les citoyens disposent de leur propre expertise.
L'acceptation du nucléaire est à ce prix : connaissance partagée et expertise plurielle.
Ce fonctionnement démocratique que nous appelons de nos voeux passe donc par la mise en oeuvre de véritables contre-pouvoirs, ainsi que par une transparence renforcée afin d'obtenir la confiance des citoyens.
Il est vrai que beaucoup a déjà été fait dans ce domaine, mais nous souhaitons aller encore plus loin.
Ainsi, pourquoi ne pas ouvrir à la société civile les conseils de surveillance des entreprises concernées, notamment ceux de EDF, d'AREVA et du CEA ? Pourquoi ne pas associer également les commissions locales d'information, les CLI, et les salariés au contrôle des fonds ?
À ce sujet, il faut souligner la création par l'Assemblée nationale, à l'article 14, d'une Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs. Nous proposerons d'en améliorer la composition.
Pour une plus grande transparence, nous devrons également permettre des évaluations contradictoires et indépendantes. Un contrôle indépendant des installations de gestion des déchets paraît, à ce titre, nécessaire.
De plus, cette démarche implique de faire le point régulièrement afin qu'à chaque étape les citoyens soient informés et en mesure de donner leur avis sur les choix énergétiques.
Dans ce sens, la mise en oeuvre de référendums consultatifs locaux paraît constituer une étape importante dans le processus de décision.
Les départements qui font le choix d'accueillir des centres de stockage doivent également bénéficier d'aides pour la mise en oeuvre d'un projet de territoire permettant de renforcer leur attractivité. Nous le leur devons vraiment ! Ils ont eu une attitude courageuse.
Les demandes formulées par le département de la Meuse me semblent donc tout à fait légitimes.