Intervention de Claude Biwer

Réunion du 30 mai 2006 à 16h00
Gestion durable des matières et des déchets radioactifs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Claude BiwerClaude Biwer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc fidèles au rendez-vous fixé par la loi Bataille adoptée en 1991, qui prévoyait que le Parlement se prononce avant la fin de la présente année sur le devenir des déchets radioactifs à durée de vie extrêmement longue.

En tout premier lieu, je vous sais gré, monsieur le ministre, d'avoir accepté que le Parlement puisse délibérer en toute sérénité de votre projet de loi, et que celui-ci puisse faire l'objet de deux lectures dans nos assemblées : déclarer l'urgence pour un tel texte, alors que nous légiférons pour les siècles à venir, n'avait en effet pas grand sens !

En second lieu, je constate avec plaisir que le débat de l'Assemblée nationale a été particulièrement fécond dans la mesure où de nombreux amendements émanant aussi bien de la commission saisie au fond, de la majorité, de l'opposition, voire du Gouvernement, ont été adoptés.

Il est vrai que, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, un sujet aussi important doit recueillir au Parlement un consensus le plus large possible - dans l'opinion publique, ce sera peut-être plus difficile.

Quoi qu'il en soit, j'espère qu'il en ira également de même au Sénat, et j'ai noté avec satisfaction les propos rassurants de M. le ministre, ainsi que les engagements de notre excellent rapporteur, M. Henri Revol.

Je suis, avec Gérard Longuet et Bruno Sido, l'un des représentants régionaux concernés. Il est donc de mon devoir d'intervenir sur le plan de l'intérêt national et de l'intérêt régional, certes, mais aussi sur celui de l'intérêt de mon département, la Meuse. Il me semble, en effet, qu'il n'y a plus qu'un seul site actuellement à l'étude pour l'éventuel enfouissement de déchets et que nous n'avons donc plus le choix qu'entre Bure et Bure !

À ce titre, nous ressentons la nécessité de parler de ces sujets et d'insister sur certains thèmes.

Dans mon esprit, l'intérêt général consiste à faire en sorte qu'en toutes circonstances nos concitoyens puissent bénéficier de l'information la plus impartiale possible sur les objectifs et les moyens mis en oeuvre par les différents opérateurs pour assurer le traitement ou l'entreposage des déchets nucléaires.

L'intérêt général consiste également à ne pas considérer une fois pour toutes le stockage comme la seule solution possible. M. le rapporteur a beaucoup insisté sur ce point : le stockage doit être un procédé réversible, et il doit le rester sur une longue durée.

L'intérêt général commande que soient poursuivies les recherches sur les trois axes qui avaient été évoqués en 1991. Même si, à l'aune de nos connaissances actuelles, certains d'entre eux peuvent paraître utopiques, qui sait si, dans dix, vingt ou trente ans, ils ne s'avéreront pas possibles ?

Vous l'aurez bien compris, je fais référence à la séparation poussée ou à la transmutation, technique pour laquelle des progrès ont d'ores et déjà été enregistrés mais qui nécessitera, ainsi que vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, que la France développe une nouvelle génération de réacteurs nucléaires capables de mieux recycler les combustibles et de réduire les déchets ultimes. Un prototype devra être mis en service vers 2020.

L'autre axe de recherche scientifique évoqué consiste en l'étude de procédés de conditionnement et d'entreposage des déchets de longue durée en surface ou en subsurface.

Le troisième axe de recherche consiste en un stockage en couche géologique profonde : là encore, de notables progrès ont été réalisés grâce, bien sûr, aux études et aux recherches conduites au laboratoire de Bure, mais également grâce aux recherches effectuées à l'étranger par l'ANDRA.

J'observe néanmoins que les conclusions des experts au sujet de la solution du stockage souterrain ne sont pas toujours concordantes. Il faut donc, à mon avis, poursuivre les recherches afin que nous ayons la quasi-certitude, le moment venu, de ne pas nous tromper.

Il convient aussi de regretter qu'un seul laboratoire souterrain ait été réalisé, alors que, au moment du vote de la loi Bataille, un minimum de deux expériences en couches géologiques différentes avait été évoqué.

En effet, à partir du moment où un seul laboratoire de recherche est en place, il va de soi que, si un centre de stockage devait être réalisé, il serait forcément implanté à proximité du laboratoire. Telle n'était pourtant pas la règle du jeu au moment où les élus de la Meuse et de la Haute-Marne ont accepté, en prenant beaucoup de risques, l'implantation de ce laboratoire sur leur territoire !

Cependant, s'il doit y avoir un jour un centre de stockage de déchets radioactifs à proximité de Bure, cela ne pourra se faire qu'en respectant un certain nombre de conditions impératives.

En tout premier lieu, il faut coûte que coûte que la réversibilité du projet de stockage soit garantie, afin de laisser aux générations futures, en fonction des connaissances alors acquises, la possibilité d'effectuer d'autres choix que ceux qui peuvent être entrevus à l'heure actuelle.

L'Assemblée nationale a précisé que le Parlement devra être saisi d'un projet de loi fixant les conditions de la réversibilité du centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, et qu'aucune autorisation ne pourra être délivrée à un centre de stockage qui ne garantirait pas sa réversibilité.

Je suis néanmoins étonné que la durée même de la période de réversibilité ait été limitée à cent ans. C'est le temps qu'il faut pour remplir un site de cette importance ! Ne vaudrait-il pas mieux prévoir une période minimum de réversibilité de trois cents ans ? C'est en tout cas ce que je proposerai par voie d'amendement.

En deuxième lieu, il faut que le Parlement soit garant du caractère démocratique de l'ensemble du processus - j'insiste sur ce dernier point - qui sera enclenché. En d'autres termes, il est impensable de se contenter d'une simple décision administrative pour autoriser un projet de stockage, et il est selon moi impératif que, le moment venu, la décision de création de ce centre de stockage revienne au Parlement. Sur ce point, je pense être d'accord avec M. le rapporteur.

Il s'agit là d'un élément très important, voire de l'élément central du projet de loi.

Aux termes du projet de loi déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale, l'autorisation de création du centre de stockage était délivrée par un simple décret en Conseil d'État, après débat public, enquête publique et avis des collectivités territoriales concernées. Cela n'était pas convenable.

L'Assemblée nationale a décidé d'organiser un nouveau rendez-vous parlementaire, la demande de création devant être transmise le moment venu à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l'évaluerait et rendrait compte de ses travaux aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Cependant, à supposer que l'avis de l'Office soit négatif, rien n'obligerait le Gouvernement alors en place de s'y conformer, et l'autorisation de création pourrait parfaitement être délivrée par décret en Conseil d'État.

Nous ne pouvons pas laisser les choses sous cette forme. Il faut absolument que le Parlement, dans son ensemble, soit saisi d'une affaire aussi importante qui engage tout de même notre pays pour une très longue période ! En conséquence, c'est à mon avis au Parlement, par le vote d'une loi, qu'il revient d'autoriser expressément le Gouvernement à délivrer, le cas échéant, l'autorisation de création d'un centre de stockage.

Tout naturellement, avant que le Parlement ne se prononce, il faut un débat public, une enquête publique, et que les collectivités territoriales concernées puissent donner leur avis sur la création de ce centre de stockage. Je proposerai deux amendements allant dans ce sens.

En troisième lieu, le Parlement devra pouvoir contrôler l'évaluation faite par l'autorité administrative sur les provisions et les fonds dédiés par les opérateurs à la gestion des déchets radioactifs et à leur éventuel stockage souterrain.

Le Gouvernement a fait un choix : les fonds constitués à cette fin demeureront la propriété des opérateurs nucléaires.

De leur côté, nos collègues socialistes préféreraient que la gestion de ces fonds considérables soit confiée à la Caisse des dépôts et consignations et que la propriété des déchets revienne à l'ANDRA.

Je comprends, bien entendu, les raisons de cette proposition essentiellement dictées par les incertitudes du devenir d'EDF et par l'expérience passée, qui n'a pas toujours été concluante. La Cour des comptes et la commission des finances du Sénat ont d'ailleurs souvent mis en cause la gestion de ces fonds et la sécurisation des actifs dédiés.

Cependant, a contrario, qu'adviendrait-il si, d'aventure, le stockage en couche géologique profonde des déchets devait finalement coûter beaucoup plus cher que prévu ?

La Cour des comptes, en 2005, estimait d'ores et déjà que ce coût pourrait connaître une augmentation dans un rapport compris entre deux et quatre.

Dans ce cas, ce serait l'État et les contribuables, et non les opérateurs, qui paieraient la note. Pourtant, les consommateurs d'électricité, qui sont aussi des contribuables, financent déjà la gestion des déchets nucléaires à hauteur - M. le ministre l'a précisé - de dix euros par an et par foyer ! Sur ce sujet, je suis d'accord avec Mme Didier, qui s'est exprimée avant moi.

Dans ces conditions, la solution retenue par le Gouvernement me paraît la moins mauvaise possible, sous réserve que le Parlement joue pleinement son rôle en vérifiant à intervalles réguliers que les provisions et les actifs dédiés à cette fin par les opérateurs de la filière nucléaire correspondent bien aux besoins futurs liés à la gestion et au traitement des déchets radioactifs, tant civils que militaires.

S'agissant du financement de la construction, de l'exploitation, de l'arrêt définitif, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage des déchets de haute ou de moyenne activité à vie longue, il faut également que le montant des contributions versées par les exploitants d'installations nucléaires de base soit fixé par l'État - et non par convention - et qu'il soit régulièrement actualisé afin de garantir la pérennité de ces financements et leur compatibilité avec les besoins réels et futurs. Tel est l'objet d'un autre amendement que je défendrai.

L'Assemblée nationale a prévu la création d'une Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, qui sera notamment chargée de remettre au Parlement, tous les trois ans, un rapport présentant l'évaluation du contrôle de l'adéquation des provisions et de la gestion des actifs dédiés par rapport aux charges liées à ces opérations. Cela me paraît être une très bonne chose.

En quatrième lieu, j'observe qu'un comité local d'information et de suivi chargé d'une mission générale de suivi, d'information et de concertation en matière de recherche sur la gestion des déchets radioactifs, en particulier sur le stockage de ces derniers en couche géologique profonde, sera désormais présidé par le président du conseil général du département où est situé l'accès principal du laboratoire souterrain et non plus par le préfet. Quel que soit son président, j'espère que cet organisme fonctionnera de manière plus efficace que par le passé, ce qui ne devrait pas être très difficile, et qu'il jouera pleinement son rôle en délivrant une information objective aux élus et aux populations concernées, qui est seule garante de l'acceptation par le plus grand nombre de cette technologie et de ses conséquences.

En dernier lieu, je souhaiterais évoquer l'indispensable solidarité nationale qui doit jouer en faveur des territoires concernés par la gestion des déchets radioactifs, à savoir les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, et qui s'exerce notamment par le biais de groupements d'intérêt public, ou GIP. Elle devra être amplifiée.

Voilà quinze ans, je le rappelle, les élus tant nationaux que locaux de ces deux départements ont su faire preuve d'un véritable courage politique en acceptant que soit implanté sur leur territoire le laboratoire souterrain de Bure. À l'époque, ce choix n'était pas évident, compte tenu de l'avis de la population. Ces élus n'ont pas toujours été payés de retour.

En effet, jusqu'à maintenant, les retombées économiques de la construction du laboratoire souterrain de Bure ont été plutôt limitées, en tout cas insuffisamment perceptibles par les habitants des zones concernées, ce qui explique sans doute le scepticisme grandissant à l'égard de cette installation.

Je ne suis pas persuadé que le produit de la taxe dite « d'accompagnement économique » sera suffisant pour redonner un nouveau souffle au développement économique de ce secteur, d'autant que les critères d'éligibilité des fonds ainsi dégagés ont été à juste titre élargis par l'Assemblée nationale et concernent tout naturellement les deux départements pionniers lors de l'acceptation de la création du laboratoire souterrain, notamment à travers les GIP.

J'ajoute que, pour faire bonne mesure, l'Assemblée nationale a cru devoir créer une taxe additionnelle de diffusion technologique.

Il faut en effet que les entreprises liées à la filière nucléaire contribuent au développement économique de la Meuse et de la Haute-Marne par la création d'emplois directs - elles ne l'ont pas fait jusqu'à présent - et que soient valorisées, de préférence dans cette même région, les technologies de haut niveau qui ont été développées à Bure, comme cela s'est déjà fait à Marcoule.

J'observe, une fois de plus, que les coefficients multiplicateurs de ces taxes seront fixés par décret en Conseil d'État en fonction d'une multitude de critères. On laisse ainsi le soin au Gouvernement de décider des besoins des collectivités territoriales alors que leurs élus sont bien mieux placés que quiconque pour les recenser et lancer des actions de développement économique. À cet égard, je peux vous assurer que le conseil général de la Meuse a déjà beaucoup d'idées allant dans le sens de l'intérêt général.

À tout le moins, je crois qu'il conviendrait que les minima et les maxima des coefficients multiplicateurs de la taxe d'accompagnement économique soient relevés de 0, 5 à 1, 5 et de 2 à 3. J'ai déposé un amendement en ce sens.

Par ailleurs, j'ose espérer que, dans la logique du texte voté par l'Assemblée nationale, le produit de la taxe de diffusion technologique s'ajoutera aux produits des autres taxes et ne viendra pas en déduction des précédents. Afin qu'aucun euro ne soit perdu pour les collectivités concernées, je proposerai par voie d'amendement que les lignes budgétaires soient fongibles et que les fonds non utilisés de la taxe de diffusion technologique puissent entièrement servir au développement économique de ces territoires.

Monsieur le ministre, l'examen de ce texte est l'une des rares occasions pour un homme public, au cours de sa carrière, d'engager à ce point l'avenir de son pays, et ce pour de très longues années. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je fais tout naturellement confiance aux scientifiques, mais la science a besoin d'être encadrée. Il en va souvent d'ailleurs de même de l'administration.

Les parlementaires ont sans doute bien des défauts, mais ils ont des comptes à rendre à leurs électeurs et ils savent faire prévaloir l'intérêt général. Ce sont les raisons pour lesquelles j'insiste tellement, non seulement pour que le Parlement soit associé d'un bout à l'autre du processus, mais aussi pour qu'il soit décideur. Des choix doivent s'opérer, et nous devons nous investir avec conviction dans les orientations à donner.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler à l'égard de ce projet de loi. C'est en formant l'espoir de la bonne suite qui sera réservée à nos propositions que je serai conduit à me prononcer en faveur de ce texte, qui est de bon sens et qui répond à l'intérêt général.

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