Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines après avoir débattu de la transparence en matière de sécurité nucléaire, nous abordons l'examen de ce texte relatif à la gestion des déchets, qui constitue en fait le second volet d'une nouvelle gouvernance de notre filière nucléaire.
Il y a quinze ans, le Parlement adoptait à l'unanimité la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », qui visait à trouver des solutions optimales au problème bien réel des déchets radioactifs, en fixant un programme de recherche selon trois axes distincts et complémentaires : la séparation poussée et la transmutation, destinées à réduire la nocivité des déchets ; le stockage des déchets en couche géologique profonde ; le conditionnement et l'entreposage de longue durée en surface.
Cette loi, qui a marqué véritablement le début d'une prise de conscience de la nation quant à la nécessité de trouver une solution fiable pour les déchets nucléaires, avait également prévu qu'avant la fin de 2006 le pays ferait le point sur ces trois axes de recherches.
Ce projet de loi présente donc un caractère exceptionnel : par son sujet, à la fois technique et sensible, qui suscite toujours des débats passionnés et des craintes souvent irrationnelles, et par le suivi exemplaire réalisé par le Parlement au cours de ces dernières années, notamment par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, présidé par M. Henri Revol.
La décision de s'accorder le temps d'évaluer les différents modes de gestion des déchets a été bénéfique, et cette démarche doit être poursuivie.
Nous nous réjouissons d'ailleurs de l'inscription du qualificatif « durable » dans l'intitulé même du projet de loi, car c'est bien ce principe de gestion et de développement durables qui doit soutenir nos choix en matière d'énergie.
Comme nous l'avons déjà souligné lors de l'examen du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, il est indispensable que la nation ait pleinement confiance dans notre filière nucléaire, y compris en ce qui concerne la gestion des déchets.
Notre industrie nucléaire doit être au-dessus de tout soupçon et offrir toutes les garanties de rigueur et de transparence tout au long des différentes étapes, du développement des nouvelles centrales au démantèlement des anciennes, du traitement des déchets, de leur conditionnement, de leur transport jusqu'à leur entreposage et, par la suite, leur stockage. Chaque étape doit être clairement évaluée et prendre en compte les évolutions technologiques et scientifiques qui ne manqueront pas d'intervenir, car qui peut dire aujourd'hui quelles seront les innovations techniques dans les prochaines décennies ?
C'est pourquoi j'aimerais m'arrêter sur quelques points précis.
Monsieur le ministre, vous assurez que les trois axes de recherche ouverts par la loi de 1991 vont continuer à être explorés.
On peut avoir de légitimes interrogations en ce qui concerne le développement de l'axe « séparation-transmutation ».
Si la phase « séparation » ne semble pas poser de problème, celle de la transmutation paraît plus difficile.
À cet égard, permettez-moi de citer l'excellent rapport de notre collègue Henri Revol : « Si la faisabilité scientifique de la transmutation est démontrée [...], sa mise en oeuvre opérationnelle repose sur l'installation des futurs réacteurs dits de quatrième génération attendus à l'horizon 2020 ».
Les conclusions données sur le site en ligne de votre ministère, par ailleurs très intéressant, sont encore plus pessimistes sur l'avenir de cette option, qui semble repoussée vers des temps lointains, à la fois pour des raisons techniques et sans doute par manque de crédits.
Sur l'initiative de la commission saisie au fond, l'Assemblée nationale a adopté un article 11 ter qui vise essentiellement à prévoir que « les éventuelles subventions de l'État aux organismes participant aux recherches [...], sont complétées par des contributions des exploitants d'installations nucléaires ». Ne laisse-t-on pas ainsi de côté une technologie d'avenir que la France aurait pu développer, s'assurant ainsi un savoir-faire et une industrie de pointe avec des retombées économiques pour notre pays ?
En revanche, le choix du stockage en couche géologique profonde semble bien avancé. La plupart des pays étrangers qui ont une filière nucléaire semblent privilégier également ce choix.
L'important, monsieur le ministre, est d'avoir un langage clair et d'expliquer les raisons des choix retenus.
Les Français sont aptes à comprendre que les déchets actuellement entreposés en surface ne peuvent pas l'être indéfiniment, même si le traitement et le conditionnement ont progressé ces dernières années. L'important est qu'ils soient assurés que tout ce qui est fait est planifié, avec une sécurité optimale à chaque étape.
Nous avons fait le choix d'une gestion à long terme, qui engage pour longtemps notre responsabilité, notamment en ce qui concerne les générations futures. Aucune solution ne doit être écartée pour des questions de pure rentabilité.
C'est pourquoi la condition de réversibilité est si importante. Le groupe de l'Union centriste a déposé un amendement fixant cette réversibilité à 300 ans.
Cette durée n'est pas due au hasard. L'ANDRA étudie, sur la base des travaux de Bure, la possibilité établie en principe de garantir la réversibilité d'un centre de stockage pendant 300 ans.
Il est important que les choix et les décisions soient exposés devant le Parlement.
Fixons dès à présent le rendez-vous d'une prochaine étape - pourquoi pas 2015 ? -, qui pourrait prendre la forme, comme c'est le cas aujourd'hui, d'un projet de loi de programme. Ce texte serait l'occasion d'une nouvelle évaluation, suscitant informations et concertations, dans l'esprit de la politique énergétique initiée depuis quelques années.
Le financement des charges liées au démantèlement des installations et à la gestion des combustibles usés et aux déchets radioactifs qui en sont issus mérite également attention.
Le texte proposé, tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, me paraît, là encore, cohérent et équilibré.
Au nom du principe pollueur-payeur, les exploitants doivent assumer les charges de démantèlement et de gestion des déchets. Toutefois, la pérennité d'une entreprise n'est jamais complètement assurée - nous en avons eu quelques exemples récemment -, d'où la nécessité de prévoir que les fonds dédiés pourront toujours être recouvrés et affectés aux charges pour lesquelles ils ont été constitués.
L'option d'un dispositif de fonds dédiés, interne, peut se discuter. L'entreprise doit à la fois constituer des provisions dédiées à ses charges futures, tout en demeurant compétitive et attractive pour ses actionnaires. Je n'ignore pas les attentes des entreprises concernant la souplesse de gestion de cette provision. La rentabilité n'est pas un point de détail quand on sait les sommes en jeu.
Mais, là encore, la priorité a été accordée à la prudence, à la lisibilité, à la transparence de la gestion et, surtout, à la garantie qu'en aucun cas la charge ne pèserait sur le contribuable.
En conséquence, malgré la difficulté de trancher dès aujourd'hui sur des problèmes qui concernent une gestion à long terme, ces deux textes assurent à la filière nucléaire un cadre juridique qui garantit une gestion plus sûre et plus transparente.
Par la volonté d'y associer une information claire, notre pays met en oeuvre « le pacte de confiance » nécessaire à l'adhésion de la société aux choix énergétiques et technologiques qui ont été arrêtés depuis plus de quarante ans.
L'instabilité internationale, la hausse du prix du pétrole et du gaz ainsi que la baisse inéluctable des réserves légitiment aujourd'hui le choix que fit la France de développer la filière électronucléaire qui produit actuellement plus de 80 % de notre électricité, réduisant d'autant notre dépendance énergétique.
Cette légitimité est encore accrue par notre lutte contre le réchauffement climatique puisque nous émettons, par habitant, 40 % de CO2 de moins que nos voisins.
C'est pour assurer son indépendance et la maîtrise de l'énergie que la France a voulu très tôt développer son secteur nucléaire. Celui-ci bénéficie de nombreux atouts : son expérience, déjà ancienne ; la diversité de ses recherches et de ses projets prometteurs, comme le développement des réacteurs EPR, European pressurised reactor, de quatrième génération ou encore le projet de fusion nucléaire ITER, international thermonuclear experimental reactor ; enfin et surtout, le poids de nos entreprises, qui bénéficient d'une excellente image sur le plan international.
Il est vrai que le coût de l'énergie et les contraintes environnementales ont changé la donne et transformé l'image du nucléaire.
Grâce à ces deux textes qui encadrent le secteur du nucléaire, le pays attend que les entreprises de la filière puissent continuer à développer leur avance technologique et accroître encore leur réputation, leur image et leur poids économique, notamment à l'extérieur de nos frontières.
Par cette avance qu'elle a prise sur la maîtrise de la production électronucléaire, la France doit être capable d'introduire le nécessaire débat européen sur l'énergie ; celui-ci conditionne tellement la compétitivité de nos entreprises !
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je ne peux passer sous silence l'actualité : la France, qui a enregistré en un an une hausse spectaculaire de près de 50 % sur son marché dérégulé de l'électricité, détient en ce domaine un record.
Sur le marché dérégulé de l'électricité, fixer les prix pour les PME-PMI en fonction du prix du gaz et du pétrole pose un vrai problème alors que 80 % de notre électricité est d'origine nucléaire ! Cette réflexion s'éloigne bien sûr du débat, mais elle mérite d'être rapidement évoquée.
Bref, monsieur le ministre, ce texte va dans le sens de la modernité, de l'indépendance énergétique et d'un comportement responsable en matière d'environnement. C'est pourquoi le groupe Union centriste-UDF, que je représente, le soutiendra.