Intervention de Jean Bizet

Réunion du 30 mai 2006 à 16h00
Gestion durable des matières et des déchets radioactifs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la volonté du Gouvernement d'engager ce débat public et démocratique, respectant le délai prévu par la loi Bataille du 30 décembre 1991. Une telle démarche permet d'engager un véritable dialogue au sein du Parlement sur un sujet technique, complexe et particulièrement sensible.

Après la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, qui a entériné le choix d'engager la construction d'un réacteur de type EPR, et le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui est en cours de discussion parlementaire, je suis ravi que la gestion des déchets nucléaires soit également abordée dans cette assemblée. Ces trois textes démontrent la cohérence de la réflexion engagée par le Gouvernement sur nos choix énergétiques, coupant court aux propos des antinucléaires qui dénoncent l'absence de débat et de conscience de l'avenir.

Nous sommes au contraire conscients de notre responsabilité à l'égard des générations suivantes en nous préoccupant du devenir de ces déchets que nous produisons depuis plus de quarante ans.

Très sensible à l'engagement du Gouvernement sur ce dossier, en tant qu'élu d'un département où la gestion des déchets nucléaires est une réalité quotidienne depuis de nombreuses années au sein de l'usine de La Hague, j'insisterai tout particulièrement sur l'importance que revêt le traitement des déchets.

Premièrement, je voudrais évoquer en quelques mots la valeur ajoutée que représente le traitement des combustibles usés, qui permet de séparer et conditionner les déchets ultimes.

Les bénéfices d'une stratégie de traitement et de recyclage pour la fin du cycle du combustible nucléaire peuvent être dégagés à plusieurs niveaux.

Je citerai, tout d'abord, la performance du conditionnement des déchets et la réduction des volumes. Les colis de déchets vitrifiés, qui contiennent plus de 99 % de la radioactivité des déchets, sont conçus pour une grande durabilité, qui dépasse plusieurs centaines de milliers d'années en stockage géologique profond, soit un délai largement suffisant pour que la radioactivité contenue décroisse très fortement. Les volumes sont ainsi divisés au moins par cinq.

Ensuite, l'économie des ressources contribue à l'indépendance énergétique nationale, en épargnant les combustibles fossiles. Le recyclage des matières contenues dans le combustible usé permet ainsi d'économiser actuellement jusqu'à 25 % des ressources en uranium naturel.

Enfin, la toxicité des déchets diminue, puisque le traitement peut aller jusqu'à diviser par dix leur toxicité intrinsèque. C'est justement l'effet du recyclage du plutonium sous forme de combustible MOX, utilisé actuellement dans une vingtaine de réacteurs. L'uranium résiduel est, pour sa part, partiellement enrichi et recyclé en France, en lieu et place de l'uranium minier, dans deux réacteurs d'EDF.

Mais le recyclage apparaît surtout comme une très importante ressource potentielle, valorisable dans le futur, avec la mise au point de nouvelles technologies de réacteurs.

Le recyclage, immédiat ou différé, de l'uranium et du plutonium est à la base de la stratégie de traitement aujourd'hui appliquée en France. Cette voie de gestion, dite aussi « cycle fermé », se distingue du cycle sans traitement à l'étude en Suède, en Finlande et, historiquement, aux États-Unis, où les combustibles usés sont considérés comme des déchets et sont destinés à être conditionnés tels quels dans des conteneurs.

Deuxièmement, il convient de reconnaître que le traitement constitue une composante incontournable du nucléaire du futur.

En effet, une analyse des enjeux à plus long terme montre clairement que les options nucléaires durables passent par le traitement et le recyclage, comme en témoignent les travaux du forum international Génération IV, qui s'intéressent aux systèmes nucléaires envisageables d'ici à quelques décennies. Sur les six familles de réacteurs qui sont appelées à constituer le parc du futur, cinq auront recours au traitement des combustibles usés.

Ce n'est pas un hasard : cette technologie permet de valoriser l'uranium naturel beaucoup mieux que la génération des réacteurs actuels qui ne brûlent, au mieux, que 0, 5 % de l'uranium extrait des mines. Avec les techniques nouvelles de surgénération, il sera possible de multiplier ces niveaux par un facteur de l'ordre de 100 et d'assurer à l'humanité des milliers d'années de ressources énergétiques à un prix connu et compétitif.

Troisièmement, le traitement des combustibles usés représente dès aujourd'hui une vitrine technologique pour la France, dont la stratégie fait figure de référence.

La production de l'usine de La Hague est partagée depuis plus de quinze ans entre les besoins du programme nucléaire français - la France compte 58 centrales, qui produisent 76 % de l'électricité nationale - et ceux des 29 compagnies d'électricité européennes et japonaises qui ont signé des contrats de traitement avec AREVA.

À ce jour, l'usine de La Hague a reçu et traité le combustible usé envoyé par les compagnies d'électricité de sept pays : la France, bien sûr, mais également le Japon, l'Australie, l'Allemagne, la Belgique, la Suisse et les Pays-Bas. Au 1er janvier 2006, plus de 21 644 tonnes de combustible auront été ainsi traitées sur le site de La Hague. À titre de comparaison, 17 224 tonnes traitées permettent d'économiser l'équivalent en production d'électricité de 350 millions de tonnes de pétrole, ne l'oublions pas ! En outre, les retombées économiques sont importantes sur le plan national et, bien entendu, sur le plan local.

Je tiens à souligner que la technologie française est, à mon sens, une référence mondiale. Elle a inspiré pour l'essentiel la conception de l'usine de traitement de grande capacité qui vient d'être mise en service avec succès au Japon, en mars dernier.

Par ailleurs, je note que la réflexion sur la pertinence du traitement des déchets nucléaires est relancée aux États-Unis, mettant ainsi fin à la « doctrine Carter », qui refusait l'option du cycle fermé. Que la réflexion reprenne aux États-Unis sur la stratégie d'aval du cycle à adopter est loin d'être anodin : c'est une reconnaissance forte pour cette technologie, domaine d'excellence pour la France. C'est aussi un signal fort pour ces activités qui apportent une valeur ajoutée importante à la filière nucléaire française.

Quatrièmement, enfin, le traitement des déchets nucléaires est une activité fortement encadrée. L'un des aspects importants de cet encadrement concerne le sort des colis de déchets étrangers. Il était important que le texte soumis au Parlement réaffirme l'interdiction de stockage des déchets étrangers sur le sol national, et selon des modalités plus contraignantes énoncées à l'article 5 du projet de loi.

Le nouveau texte encadre ainsi de façon beaucoup plus restrictive que la loi de 1991 les opérations de traitement en France des combustibles usés étrangers : obligation d'accords internationaux publics, fixation de délais sur les opérations et les expéditions de déchets, déclaration sur le devenir des matières valorisables.

Ces contraintes additionnelles sont indispensables à un double titre : donner un cadre clair et une stabilité juridique permettant aux exploitations de fonctionner sur le long terme et répondre aux attentes des citoyens en matière de transparence avec, en particulier, des règles claires, précises et non édictées par défaut, un contenu des accords rendu public, des dates précisées.

La discussion du projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs est suivie avec une attention toute particulière à l'étranger, où la France fait figure de modèle par ses technologies et par la gouvernance exemplaire qu'elle a su imposer. Poursuivre dans la voie de l'exemplarité, au travers de ce texte, est aujourd'hui notre responsabilité, car le monde entier nous regarde.

À cet égard, il est important que la future loi nous fasse passer d'une ère de recherche à une ère de gestion des matières radioactives. En ce sens, elle permettra à la filière industrielle du nucléaire d'envisager l'avenir avec détermination et de capitaliser sur ses technologies.

Il est également important que ce texte puisse permettre de fixer des définitions et des règles, certes toujours plus rigoureuses et contraignantes, mais qui offriront un cadre clair aux activités concernées et aux exploitants.

Pleinement conscient, monsieur le ministre, des responsabilités importantes qui sont les nôtres au regard des générations futures, j'indique que je voterai ce projet de loi, car il permettra de conjuguer sécurité, prospective, transparence et progrès technologique.

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