Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 31 décembre 1991, dite « loi Bataille », a eu le grand mérite de contribuer à dédramatiser le débat autour de deux sujets majeurs dans les domaines environnemental et économique, à savoir le démantèlement des installations nucléaires et la gestion durable des matières et des déchets radioactifs.
En son article 4, ce texte fixait un nouveau rendez-vous législatif quinze ans après la promulgation de la loi, soit en 2006. Le projet de loi dont nous entamons la discussion répond donc à la clause de rendez-vous de la loi Bataille. Que penser de ce nouveau texte dans sa forme actuelle ?
Le projet de loi comporte un certain nombre d'avancées, mais aussi des options avec lesquelles le groupe socialiste n'est pas d'accord.
Ainsi, comme l'a rappelé Bernard Piras, orienter de manière privilégiée les recherches vers le stockage en couche géologique profonde plutôt que vers les autres méthodes de gestion des déchets introduit une rupture au regard de la complémentarité des trois axes de recherche arrêtés par la loi Bataille.
En outre, nous ne sommes pas satisfaits du dispositif proposé pour le financement de la gestion des déchets radioactifs.
Mon intervention sera centrée sur le second aspect, c'est-à-dire la question du financement.
Une des particularités de la gestion des déchets radioactifs réside dans la longueur des périodes considérées. En effet, le projet de loi de programme qui nous est soumis aujourd'hui tend à mettre en place des mécanismes qui devront être opérationnels pendant plusieurs dizaines d'années. L'horizon temporel de la gestion des déchets nucléaires nous dépasse, puisque, pour les déchets de faible et moyenne activité, qui représentent 80 % des déchets produits en France, le temps de retour à une activité voisine de la radioactivité naturelle est estimé à environ trois cents ans...
La gestion des déchets radioactifs prend ainsi place dans une politique plus globale et, sur le très long terme, de gestion des risques, notamment environnementaux.
Depuis 2005, notre Constitution reconnaît le principe de précaution, qui doit être perçu non comme une marque de méfiance, mais comme un appel à la vigilance. Une politique responsable en matière de gestion des déchets radioactifs participe pleinement de cette exigence de précaution, d'ailleurs rappelée dans les considérants qui introduisent la Charte de l'environnement, selon lesquels « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation » et, « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Les enjeux économiques à court ou à moyen terme ne doivent donc pas faire oublier les impératifs environnementaux, qui sont de l'ordre du très long terme. Gardons toujours à l'esprit que la gestion des déchets nucléaires, telle que nous la définissons aujourd'hui, sera léguée aux générations futures, ce qui crée pour nous un devoir d'extrême exigence.
Outre la préoccupation environnementale, qui doit être omniprésente, il convient aussi de mettre en place des outils de gestion des déchets radioactifs qui soient totalement sûrs. Or, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, l'efficacité de l'action à conduire dépendra en grande partie des moyens financiers qui pourront lui être consacrés. En conséquence, une gestion durable et efficace des déchets radioactifs passe nécessairement par la mise en oeuvre d'outils de financement pérennes.
Qu'en est-il actuellement ?
Les textes en vigueur font obligation aux opérateurs de créer des provisions afin d'anticiper les frais de démantèlement. Le coût de la gestion des déchets est compris dans le prix de l'électricité : ainsi, sur une facture moyenne de 600 euros par an et par foyer, la gestion des déchets représente environ 10 euros. Il s'agit, en quelque sorte, d'une caisse commune abondée par les usagers et, à ce titre, les sommes collectées, qui ont vocation à financer, le moment venu, les charges de long terme, devraient être gérées par la collectivité.
À l'heure actuelle, EDF est l'opérateur qui détient les provisions les plus importantes. Compte tenu de la rapidité des évolutions économiques, est-il possible de dire aujourd'hui que le dispositif en vigueur permettra d'assurer le financement de la gestion des déchets radioactifs ?
Dans son rapport de janvier 2005, la Cour des comptes a relevé les incertitudes liées au système actuel. En effet, plusieurs questions se posent : les estimations sont-elles fiables et suffisantes ? Quelles sont les règles à retenir pour actualiser ces sommes ?
Au-delà, la question du financement futur s'articule, selon la Cour des comptes, autour d'une triple problématique : y aura-t-il assez d'argent pour faire face aux obligations ? Qu'adviendra-t-il en cas de défaillance d'un opérateur ? Qui va, en définitive, supporter les coûts liés aux déchets radioactifs ?
Ce texte répond-il à ce triple questionnement ?
Le projet de loi, en ses articles 11 et 11 bis, prévoit la création de deux fonds dédiés, l'un « au financement des recherches et études sur l'entreposage et le stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs », qui serait institué au sein de l'ANDRA et aurait pour ressource le produit de la taxe additionnelle dite « de recherche », l'autre « au financement de la construction, de l'exploitation, de l'arrêt définitif, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage des déchets », qui serait également institué au sein de l'ANDRA et serait alimenté par les contributions des exploitants fixées par convention.
Quant à l'article 14, il met à la charge des exploitants d'installations nucléaires de base l'évaluation « prudente » des charges de démantèlement, ainsi que la constitution des provisions afférentes.
Notre groupe considère que la réponse apportée par le projet de loi, à savoir l'institution de deux fonds dédiés, certes, mais au sein de l'ANDRA, n'est pas à la hauteur des enjeux. En outre, comme l'a très bien souligné Simon Sutour, cette agence ne peut pas être à la fois gestionnaire et bénéficiaire de ces fonds.
Nous présenterons donc un amendement visant à créer un établissement public à caractère industriel et commercial appelé « fonds de gestion des déchets radioactifs », dont l'objet serait de financer la recherche et la gestion industrielle des déchets radioactifs. Ce fonds recueillerait les contributions des opérateurs et serait géré, sous la responsabilité de l'État, par la Caisse des dépôts et consignations, afin d'éviter tout risque financier.
Contrairement au Gouvernement, nous faisons le choix de la mise en place d'un fonds dédié et externalisé, d'un fonds géré par la puissance publique, avec pour objectif la mise en oeuvre effective d'un « service public de la gestion des déchets radioactifs ».
Notre choix est aussi celui de dix pays de l'Union européenne ayant opté pour une gestion des fonds dédiés distincte des comptes des exploitants : l'Espagne, la Finlande, la Hongrie, l'Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède, pays auxquels on peut adjoindre la Belgique, qui a préféré une solution médiane originale où l'État détient une part des fonds constitués, et le Royaume-Uni, pour ce qui concerne ses exploitants publics. Seule l'Allemagne a opté pour une gestion des fonds par les exploitants, qui s'inscrit dans un autre contexte, celui de l'abandon à terme - du moins est-il annoncé - de l'énergie nucléaire.
Pourquoi avons-nous fait ce choix ?
D'abord, il nous paraît essentiel que la « mission de service public de gestion des déchets radioactifs » soit sous le contrôle de l'État, comme d'ailleurs, plus généralement, la politique énergétique doit rester de la responsabilité de la puissance publique.
Par ailleurs, la mise en place d'un fonds unique répond à une double nécessité d'efficacité et de cohérence. Ainsi, nous proposons que le conseil d'administration de l'établissement public à caractère industriel et commercial dont nous prévoyons la création soit assisté d'un comité scientifique, afin de contribuer à la cohérence des politiques de recherche et de gestion.
Notre choix tient en outre au fait que la mise en oeuvre d'un fonds dédié externalisé nous semble être l'outil le plus sûr, pour les motifs suivants.
Tout d'abord, les périodes considérées sont très longues, et il est impossible de prévoir quelle sera la situation économique au moment où les actifs devront être mobilisés.
Ensuite, si les opérateurs sont actuellement sous le contrôle de l'État, on peut s'interroger sur la pérennité de cet état de choses. Je prendrai un exemple pour illustrer mon propos : qui peut assurer, dans le cas d'une privatisation d'AREVA, qui a été envisagée par la majorité actuelle et qui l'est peut-être encore, que les sommes provisionnées pour la gestion des déchets radioactifs seraient effectivement utilisées à cette unique fin ? Comment se prémunir contre des placements de ces provisions sur des actifs trop risqués ? Peut-on avoir la certitude que ce ne seront pas les contribuables qui devront finalement à nouveau intervenir, faute d'une gestion durable et efficace des actifs dédiés ? D'ailleurs, en 2005, la Cour des comptes soulignait déjà le fait que, « sans mécanisme de sécurisation, le risque existe, dans le cadre d'une ouverture de capital d'EDF et d'AREVA dans des marchés devenus fortement concurrentiels, que les conséquences financières de leurs obligations [...] soient mal assurées et que la charge en rejaillisse sur l'État ».
L'incertitude concernant la pérennité du financement peut également être illustrée par la situation actuelle d'EDF. Dans son édition du 22 mars dernier, le quotidien Les Échos titrait : « Nucléaire : EDF tarde à clarifier la gestion de ses fonds dédiés ». La constitution de provisions ne préjuge en rien de leur utilisation future si les exploitants ne se dotent pas d'outils de prévision et de gestion. Or, manifestement, tel est le cas d'EDF.
La sécurisation des fonds est donc un enjeu essentiel du financement futur de la gestion des déchets radioactifs. Dès lors, il nous semble que la création d'un fonds dédié externalisé est la solution la plus raisonnable et la plus efficace.
En mettant en place un véritable service public des déchets radioactifs, géré de manière transparente et à l'abri des aléas économiques et financiers, l'État pourra pleinement assumer sa mission, dans le domaine de la politique énergétique, mais aussi en matière de préservation de l'environnement.