D'autant que, depuis quarante ans, la production d'énergie d'origine nucléaire a tout de même permis à la France de réduire sa dépendance énergétique, de bénéficier d'un coût du kilowattheure très compétitif et, plus récemment, de respecter ses engagements internationaux en matière de rejet de CO2 dans l'atmosphère.
Sur ce dernier point, d'aucuns regrettent sans doute que la France se soit elle-même imposée des règles très restrictives, allant au-delà de ses engagements internationaux. En effet, si la filière nucléaire rend possible le respect d'un seuil d'émission relativement bas, fallait-il pour autant renoncer à une fraction des droits à émission de gaz à effet de serre auxquels nous pouvions prétendre, renonçant par là même au produit de la cession de ces droits ?
J'en reviens au texte. Fort heureusement, des travaux très importants ont précédé le débat parlementaire. La loi du 30 décembre 1991 a en particulier permis d'importantes avancées sur trois axes de recherche : d'abord, sur la séparation-transmutation des éléments radioactifs, c'est-à-dire sur les possibilités de réutiliser une partie du combustible usé et, partant, de réduire le volume de déchets ; ensuite, sur le stockage réversible en couche géologique profonde ; enfin, sur l'entreposage et le conditionnement.
Les recherches ont été diligentées par le CEA et par l'ANDRA avec tous leurs partenaires scientifiques, notamment étrangers. La Commission nationale d'évaluation, année après année, a fait son travail d'expertise et d'évaluation. Ces travaux ont fait l'objet d'une revue internationale sous l'égide de l'OCDE, et l'Autorité de sûreté nucléaire les a examinés.
Le Parlement, par le biais de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et sous la présidence de notre rapporteur, M. Henri Revol, a réalisé un travail important, confirmant le rôle majeur que la représentation nationale entendait jouer sur ce sujet. La préparation et la publication du rapport des députés Claude Birraux et Christian Bataille a en effet constitué une contribution forte.
L'ensemble de ces travaux inspirent, à l'observateur attentif que je suis - et je suis loin d'être le seul - depuis douze ans, deux constats.
Le premier porte sur la qualité des travaux accomplis, qu'il s'agisse de la recherche elle-même ou de l'évaluation de ces travaux, même si tout n'a pas avancé aussi vite que souhaité.
Le second est relatif à la permanence des fausses « bonnes solutions », auxquelles il faut opposer inlassablement des trésors de pédagogie et de communication scientifique et technique. Parmi ces fausses bonnes solutions, j'en relève tout particulièrement deux : le statu quo et le tout-transmuté.
Pour ce qui est du statu quo, certains suggèrent de laisser les déchets là où ils se trouvent, dans leur entreposage. C'est la politique de l'autruche qui cache d'un voile léger, j'allais dire impudique, l'objet du débat.
Avec le tout-transmuté, le stockage géologique serait inutile puisque des solutions de séparation-transmutation seront possibles demain. Une telle affirmation révèle soit une foi trop naïve dans les progrès scientifiques, soit une volonté de manipuler l'opinion.
Comme l'a rappelé M. le rapporteur, chacun doit comprendre que la séparation-transmutation ne peut être que complémentaire à la solution de stockage géologique. Si la transmutation brise des molécules pour en produire d'autres à durée de vie moins longue, elle n'en génère pas moins des déchets pour lesquels le stockage réversible offre une solution adaptée.
Notons au passage que le stockage géologique est la solution unique dont disposent les pays qui souhaitent renoncer à toute industrie nucléaire. En effet, le démantèlement de toute installation nucléaire, combustibles compris, produit lui-même des déchets.
Si l'objet de la loi est bien de mettre au point une stratégie de gestion des déchets, d'organisation des recherches et des conditions de mise en oeuvre d'éventuelles solutions, il est très clair qu'il n'appartient pas à la loi de traiter du cas particulier de tel ou tel site ou de telle ou telle installation.
Pourtant, il faut bien admettre que nous avons tous à l'esprit le site du laboratoire souterrain de Bure-Saudron, entre Meuse et Haute-Marne, qu'a évoqué tout à l'heure Gérard Longuet très précisément.
Chacun sait que ce site est aujourd'hui le seul à l'étude pour un éventuel stockage de déchets à haute activité et à vie longue. Il s'agit donc du seul site pour lequel les élus locaux ont accepté, depuis 1994, de faire confiance à l'État et à la communauté scientifique, pour que les recherches prévues par la loi Bataille soient mises en oeuvre.
C'est un fait remarquable et ce soutien ne fut ni fugace, ni simplement opportuniste. Très récemment encore, les maires des communes meusiennes et haut-marnaises se sont mobilisés avec courage et détermination pour rappeler les termes de leur engagement et le rôle qu'ils entendaient jouer.
Il faut saluer avec respect l'action énergique, passionnée parfois, et efficace souvent, des élus des communes situées dans un rayon de dix kilomètres autour de Bure pour que ces dernières bénéficient de mesures d'accompagnement équitables. Par leurs actions, tous contribuent à la mise en oeuvre de ce projet d'intérêt national qu'est le laboratoire.
Aujourd'hui, dans le débat, le besoin d'un second laboratoire n'est plus mentionné. Cette évolution est lourde de conséquences. Le faible intérêt du granit ou la grande qualité des argilites « meuso-haut-marnaises » rendent peut-être superflue la recherche d'un second site d'étude. On peut le concevoir d'un point de vue purement technique. La pression des opposants pèse pourtant toujours sur la population locale et sur les élus ; elle se fait même encore plus forte. Il faut aussi tenir compte des interrogations et des craintes qui subsistent.
Si les travaux scientifiques et techniques ont donc été nombreux et si des avancées importantes ont été constatées, le succès de ce projet dépend largement de ceux qui vivent auprès des installations dédiées à la gestion des déchets radioactifs. Pour cette raison, il faut impliquer les acteurs locaux en les considérant comme des protagonistes majeurs et incontournables du processus : c'est une question de respect.
Un débat public, organisé sur la base de treize réunions qui ont rassemblé quelque 3 000 personnes, a déjà eu lieu : c'est une manière efficace d'associer la population au mécanisme de prise de décision publique. Il importera dans l'avenir de renouveler l'expérience au plan local.
Ce moyen est en tout cas autrement plus adapté que l'organisation d'un référendum local, qui fait actuellement l'objet d'une pétition lancée sur l'initiative isolée d'un membre du parti communiste local. Cette pétition aurait, selon les organisateurs, recueilli près de 40 000 signatures rien qu'en Haute-Marne.
Sur ces questions complexes, éminemment techniques, avec des perspectives temporelles que pratiquement personne n'arrive à appréhender, l'outil référendaire apparaît bien inadapté. En tout état de cause, il n'appartient pas aux conseils généraux d'organiser ce type de référendum, l'article 72-1 de la Constitution s'y opposant. Seul l'État pourrait décider de l'organisation d'une telle consultation.
Au-delà des obstacles juridiques qui interdisent à quelque collectivité locale que ce soit d'organiser un référendum sur une compétence appartenant à l'État, il faut envisager la question de son opportunité même : parmi toutes les questions qui mériteraient d'être évoquées, laquelle soumettre au vote ? Quelle est la zone géographique qui serait pertinente ou légitime ? À quel moment devrait-on recourir au référendum, alors que la problématique des déchets concerne les générations futures plus que les électeurs d'aujourd'hui ?...
Il n'en reste pas moins que le besoin de consultation exprimé aujourd'hui est bien légitime. Il révèle aussi une certaine défiance vis-à-vis des procédures d'enquêtes publiques qui sont prévues dans le texte qui nous est soumis. Il est nécessaire d'associer étroitement les populations, sans s'égarer dans des voies démagogiques, voire populistes.
Pour cette raison, je propose que soit institué, en cas de demande de création d'un centre de stockage, un périmètre de consultation qui devra être fixé par décret. Je souhaite vivement que cette consultation ne se limite pas à l'organisation d'une enquête publique a minima, mais qu'elle soit précédée d'un débat public fort et d'une information de grande ampleur.
Avant de consulter, il faudra informer la population de la manière la plus intense possible, ce qui implique deux conditions.
La première est l'instauration d'un comité local d'information et de suivi qui fonctionne bien, c'est-à-dire qui permette aux différents acteurs d'exprimer leur point de vue dans un climat suffisamment serein pour que chaque membre de l'assistance en apprécie, librement, la pertinence. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je souscris au constat dressé par nos collègues députés sur ce point : le fonctionnement actuel laisse trop d'importance à la polémique entre, au mieux, des initiés.
La deuxième condition est un engagement fort de la communauté scientifique pour faire connaître ses travaux auprès du grand public et pour vulgariser les enjeux de la recherche sur la gestion des déchets radioactifs et sur les défis à venir.
La science doit descendre de son piédestal et s'impliquer davantage dans les affaires de la cité. Elle doit faire oeuvre de pédagogie pour permettre au débat de s'engager sur des bases aussi objectives et sérieuses que possible.
Ainsi, nous pourrons contredire avec raison le plus célèbre des Langrois, Denis Diderot, pour qui « les choses dont on parle le plus parmi les hommes sont assez ordinairement celles qu'on connaît le moins ».
Au-delà de la consultation des populations, la perspective d'un centre de stockage n'est pas imaginable sans la présence forte d'activités économiques et d'emplois autour de cette installation.
C'est une question d'éthique : les territoires meusien et haut-marnais méritent la reconnaissance et la solidarité de la nation, parce qu'ils assument leurs responsabilités, alors que tant d'autres les refusent, et sont à leur manière solidaires de l'ensemble du pays, qui aujourd'hui a besoin d'eux.
Le développement de l'activité économique et de l'emploi est aussi l'une des raisons de l'acceptation des installations par les populations et leurs élus, dont je fais partie.
L'acceptation d'une centrale nucléaire sur un territoire est-elle liée aux recettes fiscales générées ? Non, car l'argent n'est que peu de chose sans les projets. Ce qui fonde la confiance, c'est la présence d'une population vivant directement ou indirectement des activités de la centrale, à proximité.