Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 7 septembre 2010 à 21h45
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État à la justice, mes chers collègues, l’été n’a pas été, comme d’aucuns auraient pu le penser, une période de répit. Nous avons vu le ministre de l’intérieur se rendre sur tous les lieux où des drames humains s’étaient joués, mettant peu ou prou sur le devant de la scène policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers.

Sa présence aux côtés des représentants de l’État disait suffisamment son émotion, la part prise dans chacun de ces drames et sa détermination personnelle à apporter une solution à la violence sous toutes ses formes – violences contre les personnes, violences contre les institutions, violences contre les biens, actes criminels contre notre patrimoine naturel. Elle apparaissait un peu aussi, pour nous, sénateurs, qui avions achevé au mois de juillet dernier l’examen, au sein des commissions saisies, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, comme la justification des mesures proposées dans ce texte.

Qui de nous pourrait en effet accepter les rodéos criminels dans nos banlieues difficiles, le commerce – presque à visage découvert – de la drogue, la violence routière meurtrière, les gestes assassins destructeurs de nos forêts ?

Qui de nous ne se dirait pas favorable à une politique consacrée à protéger les personnes et les biens, à les défendre, à anticiper la menace par la prévention, à sanctionner par la répression ?

Cette politique est bien la mission du ministre de l’intérieur, une tâche certes noble, mais difficile.

Mais voilà que l’été est passé et que le tolérable est devenu intolérable à tolérer…

La LOPPSI 2 a dit son vrai visage : intolérance, suspicion systématisée, recul de toutes les valeurs qui ont fait la dignité de la France, d’une France généreuse, celle des droits de l’homme.

Comment croire ou, plutôt, qui croire ? Le ministre de l’intérieur que je voyais il y a quelques jours encore dans un petit film d’accueil diffusé aux étrangers devenus français à l’occasion de la remise de leur décret de naturalisation, leur ouvrant les bras de la grande famille libre, égale et fraternelle, ou le ministre de l’intérieur qui assène des menaces d’aggravation des peines à l’égard de délinquants étrangers ou d’expulsion des populations de Roms installées illégalement – mais, souvent, qu’y peuvent-ils ? – sur des terrains insalubres ?

Moi qui suis tintinophile, j’ai entendu, il y a quelques jours à peine, l’écrivain et philosophe Benoît Peeters parler des Bijoux de la Castafiore. Je voulais demander à M. Hortefeux, sans aucun irrespect de ma part, s’il se rappelle le passage où le bon capitaine Haddock, estimant inacceptable de maintenir une famille de Romanichels sur un dépotoir – « Comment des êtres humains peuvent-ils vivre sur un tas d’ordures ? C’est révoltant ! » –, leur propose de s’installer dans la prairie de son château de Moulinsart.

Si le Gouvernement incarnait aujourd'hui l’un des personnages de cet album, il serait Nestor, celui qui reproche vertement au capitaine Haddock d’accueillir « ces vauriens, ces voleurs ».

Et pourtant, j’aimerais tant que le Gouvernement ait la générosité, la bonté, l’humanité du capitaine Haddock, qui sait qu’il n’est pas admissible, au regard de la civilisation des droits de la personne humaine, d’assimiler toute une communauté à quelques-uns de ses membres auteurs de délits, comme s’il existait une responsabilité collective.

J’aimerais tant – mais rien qu’à utiliser ce verbe ici, je sais que je me trompe ! – que ce projet de loi retrouve la voie de la raison, du raisonnable, de l’applicable, et chasse toutes ces mauvaises manières qui consistent à pousser jusqu’à l’excès le besoin sécuritaire qui sommeille en chacun de nous.

Fallait-il vraiment traduire dans ce projet de loi les inquiétudes de l’opinion publique dans des dispositifs qui ont pour intérêt de faire de la communication et qui sont surabondants par rapport aux mesures existantes ? Je pense notamment aux sanctions pour violences aux personnes vulnérables – après le meurtre d’un couple de retraités, dans l’Oise –, à celles qui concernent la distribution de pièces et billets sur la voie publique – à la suite de l’opération de marketing menée à Paris, à la fin de l’année 2009 –, ou encore les supporters sportifs susceptibles d’occasionner des troubles graves à l’ordre public.

Entendez-moi bien : il ne s’agit en aucun cas de minimiser la gravité de faits incriminés. Je m’interroge seulement sur la nécessité d’aggraver des peines qui, on peut certes le regretter, ne sont pas appliquées lorsqu’elles existent.

Les nouvelles incriminations en matière de télésurveillance ou de cybercriminalité ne sont, sur le principe, pas contestables, mais elles emportent de nouvelles peines, plus lourdes, dont nous voudrions bien savoir comment elles peuvent être mises en œuvre.

Avec quels moyens police et gendarmerie pourront-elles exercer leurs nouvelles compétences ? Je n’entrerai pas dans ce débat comptable qui ajoute de la police là où l’on retranche de la gendarmerie ou vice versa, pas plus que je n’aborderai l’effet « statistiques », dont j’ai déjà dénoncé ici le caractère aléatoire.

Dans quelles conditions seront maintenus dans les maisons d’arrêt ou dans les centres de détention ceux dont les peines sont allongées, quand on connaît la grande misère de nos prisons et le besoin urgent d’en augmenter le nombre pour améliorer les possibilités de réinsertion dans la société ?

Dans quelles conditions les parquets pourront-ils exercer leur contrôle sur les fichiers de police pour s’assurer de leur mise à jour ? Certains d’entre eux – je pense au parquet de mon ressort – sont exsangues et dans l’incapacité absolue d’absorber des missions nouvelles.

En ce qui concerne la liberté d’aller et de venir des mineurs de treize ans, s’est-on interrogé sur la capacité des services de l’aide sociale à l’enfance de recueillir provisoirement ledit mineur alors que, globalement, les locaux d’accueil manquent et que cet accueil suscitera des dépenses dont on ne sait qui pourra les assumer ?

Comment encore ne pas relever la création d’un fonds de soutien pour la police scientifique et technique alimenté par les assurances, ce qui confirme l’incapacité dans laquelle se trouve l’État d’assurer ses propres missions régaliennes ?

J’ai délibérément choisi ici, monsieur le secrétaire d'État, de n’appeler votre attention que sur les points qui n’ont pas manqué de me rendre dubitative quant à l’application possible, effective, réelle, de ce projet de loi. Il resterait bien d’autres points à évoquer qui ne manquent pas d’inquiéter aujourd'hui nos amis policiers et gendarmes, notamment le partage de responsabilités avec les polices municipales, voire avec les polices privées, mais aussi le partage de responsabilités entre le préfet et le maire.

Mais l’examen du texte nous permettra d’aborder ces points et d’en débattre, afin peut-être de les éclaircir, de les enrichir et de faire en sorte que, à l’issue de notre discussion, cette loi soit vraiment porteuse des valeurs qui fondent notre ordre républicain.

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