L'article 2 du projet de loi portant engagement national pour le logement prévoit la possibilité pour les PLU de délimiter des secteurs dans lesquels « en cas de réalisation d'un programme de logements, un pourcentage doit être affecté à des catégories de logements locatifs qu'il définit dans le respect des objectifs de mixité sociale ». Dans ces secteurs, les propriétaires bénéficient d'un droit de délaissement, c'est-à-dire qu'ils peuvent mettre la collectivité en demeure d'acquérir leur bien.
Cette application du droit de délaissement aux projets de réalisation de logements sociaux laisse entendre que ces derniers représentent un préjudice, ce qui n'est pas acceptable.
En effet, le principe du droit de délaissement est appliqué aux propriétaires d'un terrain frappé d'une servitude instituée en prévision de la réalisation d'un équipement public. Cela peut intéresser tous les candidats à des fonctions municipales.
Son terrain étant rendu inconstructible et quasiment invendable, le propriétaire subit un préjudice économique évident. Dans ce cas, il est parfaitement légitime qu'il puisse « délaisser » son bien et être indemnisé comme en matière d'expropriation.
Mais lorsqu'un terrain est réservé pour la réalisation d'un programme de logements, fussent-ils sociaux, monsieur le ministre, où est le préjudice ? Le terrain demeure constructible, il reste également vendable. Le propriétaire peut soit le garder en l'état, soit y construire lui-même dans le respect des règles d'urbanisme, soit, enfin, le vendre à un constructeur qui y réalisera les programmes de logements prévus.
La seule restriction au droit de propriété réside dans le fait que la nature des constructions possibles est définie par le PLU. C'est, certes, une contrainte, mais ce n'est en aucun cas un préjudice. Il n'est pas porté atteinte à la valeur du bien. Dans certains cas, celle-ci pourra même être accrue si le conseil municipal utilise la disposition nouvelle introduite au paragraphe VII de l'article 2 qui permet une majoration du COS dans certains secteurs en cas de réalisation de logements sociaux.
À titre de comparaison, je rappellerai simplement que le préjudice que subit le propriétaire d'un terrain classé en espace boisé protégé ou en zone naturelle inconstructible est autrement plus important. Pourtant, bien que son terrain soit déclaré inconstructible selon le PLU, ce préjudice n'ouvre droit à aucune indemnisation ni droit de délaissement.
Ainsi, le droit de délaissement ouvert par le III de l'article 2 recèle un double effet pervers.
D'abord, il crée un préjudice injustifié et réduira donc considérablement la portée de cet alinéa, décourageant les communes de délimiter des périmètres où toute nouvelle construction doit comprendre un pourcentage de logements sociaux, de peur de devoir indemniser les propriétaires actuels.
Ensuite, il assimile le logement social à une servitude, pire, à un préjudice qui ouvre droit à indemnisation ! Les quatre millions de locataires du parc social apprécieront cette définition du logement social.