Intervention de Virginie Klès

Réunion du 7 septembre 2010 à 21h45
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Votre obstination à dogmatiser, à durcir le ton, à refuser d’écouter nos propositions, à jouer sur les peurs, fera que cette LOPPSI sera un nouveau rendez-vous raté avec les Français.

Ce texte, d’une logique purement répressive, est une succession de « mesurettes ». Patchwork de bouts de ficelles, il vise à créer ce que j’appelle des « délits faits divers ». Certes, certaines dispositions pourront s’avérer utiles, mais beaucoup ne serviront à rien, ou seront même néfastes en matière de lutte contre la délinquance.

Ce nouvel affichage inacceptable de défiance à l’égard des juges, qui se verront imposer des peines planchers et des sanctions à prononcer, marque un véritable recul de la démocratie, avec la disparition de la personnalisation de la peine, qui était pourtant un pilier de notre droit pénal depuis 1789. En outre, le seul fait que l’on envisage que quelqu’un puisse être sanctionné pénalement pour une faute commise par un autre n’évoque-t-il pas immanquablement une prise en otage ? Pour moi, si !

Ce texte mélange terrorisme, sécurité extérieure et sécurité intérieure, moyens et législation d’exception et droit ordinaire, grande criminalité et délinquance routière. Et j’en passe !

Curieux État, soucieux de la sécurité pour tous, mais qui consacre beaucoup d’énergie à se décharger de ses responsabilités et de ses missions régaliennes sur les maires, voire sur des sociétés privées. Les polices municipales, dont il a déjà été longuement question aujourd’hui, sont-elles finalement des polices de proximité ? Mais alors, c’est un aveu de votre part : les effectifs sur le terrain sont insuffisants, vous avez démantelé la police de proximité, réduit les effectifs de la police et de la gendarmerie, et vous demandez maintenant aux maires de recruter des policiers municipaux pour compenser. Bravo, le tour est bien joué !

Oui, bien sûr, il faut décharger la police nationale et la gendarmerie des tâches indues ; oui, bien sûr, il faut réorganiser ; mais sans commencer par diminuer les effectifs de façon drastique et sans réflexion préalable. Il faut réorganiser en respectant les hommes et les femmes qui œuvrent tous les jours pour notre sécurité au péril de leur vie : cela signifie les écouter et les aider à accomplir les missions qui sont les leurs, et non pas leur dire que vous allez les remplacer par des caméras, comme si le travail de proximité réalisé par un homme ou une femme sur le terrain pouvait l’être de la même façon par un système de vidéosurveillance !

D’ailleurs, je m’interroge fortement sur l’efficacité même des caméras et de la vidéosurveillance quand je vois comment le ministère manipule les chiffres et les statistiques. La vidéosurveillance est un outil dont l’usage immodéré, non contrôlé et sans objectif clairement affiché peut constituer un grave danger pour les libertés publiques et individuelles.

Oui, il est nécessaire de s’adapter à l’évolution de la société et aux nouvelles formes de délinquance, mais il vaudrait mieux anticiper celles-ci, en prenant les dispositions adéquates en amont, plutôt que de leur courir après, car il est alors déjà trop tard. Je pense en particulier à la cybercriminalité, notamment à la pédopornographie. Bloquer les sites internet aurait sans doute été pertinent voilà dix ans. On se réveille aujourd’hui, mais il est beaucoup trop tard : cette mesure est maintenant au mieux inefficace, au pire particulièrement néfaste, car elle profitera à la cybercriminalité et à la mafia des pédopornographes. Pourquoi ? Parce qu’elle ne s’attaque pas à la bonne cible ; parce que, de toute façon, toutes les méthodes de blocage peuvent être contournées ; parce que c’est méconnaître profondément l’organisation actuelle de la mafia pédopornographique que de s’imaginer qu’elle utilise toujours le réseau internet et qu’elle n’a pas anticipé le blocage des sites en mettant en place un réseau parallèle. Monsieur le ministre, il est illusoire de croire que le blocage des sites pédophiles permettra de lutter contre la pédopornographie : c’est mettre des camions et des voitures sur les routes en espérant ainsi arrêter des avions en plein ciel ! Il faut se documenter un minimum, observer et écouter si l’on veut pouvoir prendre des mesures efficaces ! Je reviendrai sur ce point lors de la discussion de l’article 4.

La LOPPSI aurait dû être un grand texte de loi. Elle aurait dû constituer un véritable programme de sécurité pluriannuel, s’attacher à la coopération internationale en matière de délinquance, et notamment de cybercriminalité. Elle aurait dû s’attaquer d’abord au nerf de la guerre : pourquoi y a-t-il de la délinquance ? Parce qu’il y a de l’argent derrière ! Occupons-nous des paradis fiscaux, du blanchiment d’argent, de la délinquance en col blanc : nous serons ainsi certainement mille fois plus efficaces qu’en adoptant les « mesurettes » que vous nous proposez, par exemple pour réprimer la vente à la sauvette… Al Capone est tombé grâce à un contrôle fiscal !

J’aurais aussi aimé trouver dans la LOPPSI un programme d’éducation, de médiation, de prévention, d’accueil des victimes, de formation des gendarmes et des policiers municipaux ou nationaux plus complet et plus efficace que celui qui nous est proposé. J’aurais aimé y trouver les moyens, pour la justice, de répondre rapidement et avec fermeté, en s’appuyant sur l’arsenal juridique préexistant, à tous les actes de délinquance, quels qu’ils soient.

Cette LOPPSI aurait dû être soutenue par des élus, des politiques, des dirigeants dont le comportement exemplaire en aurait été un fondement et la légitimation. Comment être entendu quand l’acte contredit la parole et que les discordances sont étouffées par le rideau du pouvoir et de l’argent ?

Oui, monsieur le ministre, je suis de gauche, mais je ne rêve pas, pour autant, d’une société idyllique peuplée de sauvages naturellement bons. Je ne rêve pas non plus d’une société obnubilée par les questions de délinquance, qu’elle aborderait de façon stigmatisante, caricaturale et dogmatique, où les principes fondamentaux de la démocratie seraient peu à peu remis en cause au nom de mesures de sécurité. Et quand je vois que les mesures les plus délirantes en matière de sécurité sont proposées par des personnages experts en recel de détournements de fonds publics pour les uns, en techniques pour éviter le service national pour les autres, je crains fort que l’hystérie sécuritaire n’améliore pas le monde politique.

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