Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 7 septembre 2010 à 21h45
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Après la suppression de postes dans la police, la fusion de la police et de la gendarmerie, vous franchissez un cap décisif avec ce texte : en effet, vous créez un ministère de l’intérieur bis sous le nom de Conseil national des activités privées. Vous vous dites préoccupé par la sécurité des Français, alors que vous confiez la surveillance de l’espace public à des entreprises privées.

Sous couvert de l’annonce médiatique d’un retour en force de l’État, ce texte organise en réalité le désinvestissement de celui-ci de nos villes : la police nationale est remplacée par des caméras de surveillance et des agents de police municipale, la charge financière reposant d’abord sur les communes.

La généralisation de la vidéosurveillance opérée par ce projet de loi est un indice grave de cette orientation. Le texte légalise l’avènement d’une société de surveillance terrifiante, sous prétexte de lutte contre la délinquance. Rebaptisée « vidéoprotection », la vidéosurveillance apparaît comme la solution miracle à la délinquance, assurant un quadrillage de plus en plus serré du territoire et renforçant un contrôle social permanent, au détriment du respect de la vie privée des personnes.

Ce projet de loi ne se borne pas à renforcer l’usage de la vidéosurveillance par les pouvoirs publics ; il organise également sa délégation aux entreprises privées, qui pourront elles-mêmes investir en lieu et place de l’État pour surveiller le domaine public.

C’est là une dérive grave, intolérable, qui consiste à déléguer des missions régaliennes à des opérateurs privés : l’État se défausse de sa mission de lutte contre l’insécurité en favorisant l’investissement privé !

Nous refusons cette logique de surveillance, comme nous contestons l’utilité de la vidéosurveillance pour lutter contre la délinquance, d’ailleurs mise en doute par plusieurs études.

La vidéosurveillance n’agit que sur les effets de la délinquance, non sur les causes. Que fait le Gouvernement en termes de prévention ? Il se contente de proposer un placébo, qui masque l’indigence de ses positions sur le terrain préventif.

Ce texte est également une marque cinglante de mépris à l’égard de la justice. L’actualité nous a donné l’occasion de mesurer à quel point le Gouvernement a entrepris un véritable travail de sape de l’autorité judiciaire, dont l’indépendance est chaque jour entamée, chaque jour remise en question par les ministres eux-mêmes.

La contestation de la décision du juge des libertés et de la détention de Grenoble est un parfait exemple de la manière, devenue systématique, dont vous jetez le discrédit sur les décisions de justice et les juges en reprochant à ces derniers leur prétendu laxisme.

Dois-je vous rappeler, à la suite de mon collègue Alain Anziani, que le fait de commenter une décision de justice, comme le font certains membres du Gouvernement et de la majorité, constitue une infraction pénale ? Il existe des procédures d’appel lorsque l’on est mécontent d’une décision de justice, monsieur le ministre.

Une telle attitude n’est pas digne de notre pays, surtout lorsqu’il s’agit de la libération d’un prévenu. Les ministres, plus que quiconque, doivent respecter le principe de la présomption d’innocence, qui n’est pas à géométrie variable : il est valable pour tout le monde.

Cette méthode, intolérable, laisse à penser que ce sont les juges qui sont responsables de la délinquance et de l’insécurité. C’est là le modus vivendi du Gouvernement en matière de sécurité : désigner des coupables.

Cette attitude de méfiance à l’égard des juges trouve également sa traduction dans ce projet de loi, au travers d’un certain nombre de mesures qui visent à les museler, à réduire encore un peu plus leur indépendance, sans hésiter à bafouer des principes fondamentaux. Je pense en premier lieu aux mesures visant une fois encore à réduire leur pouvoir d’individualisation et de personnalisation des peines en leur imposant un quantum minimal de peine à prononcer.

La suspicion de laxisme conduit même à court-circuiter le juge, comme c’est d’ailleurs le cas dans la procédure d’évacuation forcée des campements illicites que le Gouvernement souhaite imposer par ce texte.

La généralisation des visioconférences dans les procès conduit également à désincarner davantage le juge, en mettant en place une justice virtuelle, où les principes les plus élémentaires du procès équitable sont bafoués, au profit d’une politique du chiffre qui privilégie l’économie et le rendement.

Monsieur le ministre, vous atteignez, avec ce projet de loi, l’apogée du cynisme et du mépris de nos valeurs républicaines. Ce cynisme et ce mépris, nous ne les partageons pas ; c’est pourquoi les parlementaires verts voteront contre ce texte.

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