Monsieur le rapporteur, si vous avez quelque chose à ajouter je vous laisse la parole. Pour ma part, je vous ai écouté attentivement depuis plusieurs jours, sans vous interrompre, ce qui nécessite d'ailleurs un certain effort...
Monsieur de Raincourt, vous avez fondé votre vote sur plusieurs éléments. Vous avez invoqué le bouclier fiscal. Je ne vois pas le rapport qu'il peut y avoir puisqu'on intervient avant la plus-value à travers la taxe de cession. Vous soutenez que seraient alors exonérés de paiement les propriétaires depuis plus de dix-huit ans. Mais dans ce cas, il suffit d'allonger l'application de la disposition dans le temps.
Enfin, la disposition visée aurait un caractère inflationniste, celui-ci dépendant, selon les experts fonciers, non pas des taxes mais de la plus ou moins grande fluidité du marché.
Quant à M. Marini, une fois n'est pas coutume, il a exprimé un souci social.
Au moment où la majorité de notre assemblée s'apprête donc à revenir sur l'une des seules avancées substantielles de ce projet de loi, qualifiée de « révolution foncière » par le ministre en charge de ce dossier, M. Jean-Louis Borloo - que nous n'avons pas vu dans cette enceinte au cours de ce débat, mais nous savons qu'il est actuellement fort occupé - je veux tout d'abord exprimer mon étonnement devant ce revirement soudain.
Je m'étonnerai ensuite de la remise en cause d'un vote, pourtant acquis à la quasi-unanimité de notre assemblée au cours de la première lecture, qui plus est confirmé par l'Assemblée nationale, y compris par sa commission des finances, qui, saisie pour avis du projet de loi, a approuvé la disposition concernée sans réserve.
Je m'étonnerai enfin et surtout du discrédit que nous allons porter ainsi à l'institution du Sénat.
Que M. le rapporteur me comprenne bien : il n'est en aucun cas concerné par mon propos puisqu'il nous a fait part à de nombreuses reprises de ses positions personnelles sur le sujet.
À la fin de l'année dernière, la commission des affaires économiques, dans un rapport consacré au foncier et au logement, adopté à l'unanimité, mettait en lumière cette question de la plus-value engendrée par l'urbanisation des terrains.
Ce rapport démontrait que les communes font face à des charges très importantes lorsqu'elles décident de classer un terrain en zone constructible alors que, pour sa part, l'heureux propriétaire du terrain touche un « jackpot », du seul fait des aménagements financés par la commune. C'est pourquoi ce groupe de travail, composé de parlementaires de toutes tendances politiques confondues, avait proposé, afin d'aider les communes qui construisent du logement, de leur permettre de récupérer une partie de cette plus-value.
À titre personnel, je suis concerné car le prix du terrain dont je suis propriétaire sur le territoire d'une commune de 1 600 habitants est passé en six mois de un euro le mètre carré à cent soixante-neuf euros, sans que je procède au moindre aménagement.
Notre groupe de travail a ensuite souhaité interroger l'ensemble des élus, et au premier chef les maires, sur cette proposition ; 71 % d'entre eux nous ont répondu qu'ils souhaitaient l'instauration d'un tel dispositif.
Pour être parfaitement honnête, je dois dire que cette idée n'a pas été proposée par notre seul groupe de travail. Elle a en effet été avancée, non seulement dans un rapport de la commission des affaires économiques élaboré voilà maintenant dix ans par l'actuel ministre de l'emploi, notre ancien collègue Gérard Larcher, mais aussi dans le dernier rapport établi par la section agriculture du Conseil économique et social et dans le livre blanc de la FNSAFER sur les espaces périurbains.
M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, qui nous avait reçus M. Dominique Braye, en sa qualité de président du groupe de travail, et moi-même, en tant que rapporteur, nous avait précisé qu'il soutenait pleinement cette idée. Et je vous rappelle que c'est avec un avis favorable du Gouvernement que l'amendement qui en était la traduction avait été adopté.
Laissez-moi vous citer quelques extraits des propos tenus par M. Jean-Louis Borloo à cette occasion. Il indiquait que cette mesure constituait une révolution foncière de nature à permettre un équilibre « gagnant-gagnant », favorisant une reprise de la construction de logements dans notre pays.
Certes, sous les assauts répétés de Bercy, en première lecture, nous avions déjà été obligés de faire une concession importante en passant d'une logique de taxation de la plus-value à une logique de taxe sur les prix de cession.
Même si ce changement de logique était loin d'être satisfaisant, ce dispositif gardait toute sa légitimité puisqu'il revenait, au final, à ne prendre qu'une toute petite partie de cette plus-value.
Vous conviendrez donc que c'est avec une certaine surprise que je découvre ce renversement d'opinion, plutôt curieux pour ne pas dire inaccoutumé, de notre Haute Assemblée. Que s'est-il passé depuis l'adoption de cet article par l'Assemblée nationale voilà quelques semaines ?
Mes chers collègues, feriez-vous comme moi au niveau local -j'espère que tel n'est pas le cas - l'objet d'interpellations, pour ne pas dire de pressions de la part de membres d'une association qui me parlent régulièrement des prochaines échéances électorales ? Au « Courage, affrontons ! » succéderait ainsi le « Courage, fuyons ! ».
Comment se fait-il que vous soyez à ce point sourds à la colère exprimée par plus de trois millions de nos concitoyens sur un autre sujet et que les récriminations de quelques propriétaires fonciers suffisent à vous faire peur et à vous amener à renier un vote acquis voilà à peine quatre mois ?
Il faut choisir entre la préservation de l'enrichissement sans cause de quelques-uns du seul fait du classement par un conseil communal, ou plutôt du fait de décisions prises par la collectivité publique, et la résorption des difficultés de plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens à se loger.
Ne trouvez-vous pas légitime qu'une partie de cette richesse puisse être affectée à la cause du logement, cause dont il a été dit dans cet hémicycle qu'elle préoccupait tous les groupes politiques ? N'ai-je pas entendu dire par plusieurs de nos collègues que l'honneur d'un parlementaire était de ne pas légiférer sous la pression ?
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est encore temps !
Il est encore temps de se ressaisir.
Il est encore temps de bien peser la gravité de l'instant.
Il est encore temps de prouver à nos concitoyens que vous avez pris la mesure du problème du logement dans notre pays.
Il est encore temps de démontrer que, pour vous, la détresse des milliers de familles en difficulté à la recherche d'un toit prime sur le confort personnel et fiscal de quelques propriétaires.
Il est encore temps de ne pas faire preuve d'esprit partisan et de démontrer à l'opinion publique que l'intérêt général prédomine dans cette assemblée, en deuxième comme en première lecture.
Les membres du groupe socialiste prendront pour leur part leurs responsabilités et, à l'issue de ce vote, n'auront pas à rougir de leurs actes. J'invite tous nos collègues à faire de même.