Cet amendement concerne le droit opposable qui fait, au moins depuis 2002, l'objet de travaux approfondis de la part du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées.
Pour en décrire l'esprit, qui est très simple, je ferai mention d'un article, paru ces jours derniers dans Le Monde, du prêtre Bernard Devert : « Quelle tristesse de constater que, si des villes à fort pouvoir d'achat font venir des travailleurs pour leurs services, elles leur refusent le droit d'y vivre. [...] Rien n'est plus destructeur du lien social que le fait que l'accès au logement relève d'un exploit plutôt que d'un droit, faute d'être formulé et sécurisé. »
C'est donc à propos de ce droit que je voudrais intervenir, en me servant uniquement des documents du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, instance dont, vous le savez, la composition a toujours été marquée par le pluralisme.
Un droit opposable, c'est, premièrement, des voies de recours pour le citoyen : le droit est garanti par des voies de recours auprès d'une autorité politique responsable. Ces voies sont d'abord amiables, puis, en dernier ressort, juridictionnelles.
Deuxièmement, c'est une obligation de résultat pour la puissance publique : le droit au logement n'est plus un simple objectif pour les politiques publiques, il devient une obligation. Celle-ci ne se définit pas par rapport aux moyens employés, qui peuvent être divers, mais par rapport au résultat à obtenir : tout citoyen en difficulté pour accéder ou se maintenir dans le logement bénéficie d'une aide qui lui permet effectivement d'être logé.
Deux droits fondamentaux sont déjà opposables, que nous connaissons bien.
Il s'agit d'abord du droit à la scolarité. Si l'inscription scolaire d'un enfant se heurte à un refus, il existe des voies de recours, y compris devant le tribunal administratif.
Il s'agit ensuite du droit à la protection de la santé : on n'imagine pas un refus de soins de la part d'un hôpital. L'obligation d'assistance à personne en danger est heureusement appliquée, grâce, notamment, au caractère universel, obligatoire et solidaire de l'assurance maladie.
En quoi l'opposabilité du droit au logement est-il légitime ?
Le droit au logement est depuis longtemps proclamé par la France. Il figure dans plusieurs lois, découle de la Constitution et fait l'objet d'engagements internationaux.
S'agissant des lois, je mentionnerai la loi Quilliot, en 1982 - « le droit à l'habitat est un droit fondamental » -, la loi Mermaz, en 1989 - « le droit au logement est un droit fondamental » -, la loi Besson, en 1990 - « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation » -, et la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, en 1998 - « la présente loi tend à garantir sur l'ensemble du territoire l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement... »
Le droit au logement découle aussi des principes qui figurent dans le préambule de la Constitution, et le Conseil constitutionnel précise dans sa décision du 19 janvier 1995 que « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle ».
S'agissant des traités internationaux ratifiés par la France, je citerai le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, plus précisément son article 11, ainsi que l'article 31 de la Charte sociale européenne révisée.
Mais ce droit n'existe réellement que s'il peut être invoqué face à une autorité ou à un juge. Dans le droit anglo-saxon, par exemple, tout droit reconnu par la loi peut faire l'objet d'un recours devant un tribunal.
L'opposabilité du droit au logement est la contrepartie indispensable des restrictions imposées par la collectivité à la liberté de construire et d'habiter.
Qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités locales, la puissance publique fixe des règles : urbanisme, normes de construction et d'habitabilité, hygiène, prescriptions architecturales, protection de l'environnement, fiscalité, etc. Dans la mesure où elles restreignent la possibilité de produire du logement et affectent les prix de revient, elles ne sont acceptables que si elles sont accompagnées des mesures permettant à tous d'accéder au logement de qualité selon les exigences qu'elles définissent.
À défaut, on court le risque, en voulant que les citoyens occupent des logements confortables, de ne plus permettre aux plus pauvres de trouver un habitat décent; en voulant assurer la qualité du cadre de vie, de n'autoriser la construction de logements qu'en nombre inférieur à celui des ménages, en voulant soigner l'image de la ville, de susciter des surcoûts architecturaux incompatibles avec les revenus des plus modestes, en voulant promouvoir la mixité sociale dans des quartiers en difficulté, de ne plus permettre aux pauvres de s'y loger avant que leur ait été offerte la possibilité de le faire ailleurs.
Pourquoi le droit au logement opposable est-il nécessaire ?
Premièrement, parce que le droit au logement est aujourd'hui en panne. Bien que le nombre de mal-logés et de sans-abri soit très mal mesuré, les statistiques de l'INSEE témoignent d'un nombre constamment proche de trois millions de personnes.
Sur le terrain, les élus, comme les intervenants sociaux, constatent que le nombre de personnes se heurtant à des difficultés aiguës a augmenté au cours des dernières années : dispositif d'hébergement saturé malgré la croissance de ses capacités, allongement des listes d'attente de logements sociaux, développement du recours à l'hébergement par des tiers, au logement insalubre ou surpeuplé, etc.
Deuxièmement, parce que le droit au logement se heurte à des processus structurels qui ne peuvent pas être combattus dans l'actuel cadre des outils du logement des défavorisés. L'exclusion du logement renvoie aujourd'hui à des processus structurels lourds : le développement de la pauvreté urbaine, le fonctionnement des marchés de l'immobilier, la ségrégation spatiale.
Or le cadre d'intervention des plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées porte sur des outils marginaux tels que le FSL, le fonds de solidarité pour le logement, ou le logement très social, nécessaires mais de portée limitée. C'est sur l'ensemble des politiques qui touchent à l'habitat qu'il convient d'agir.
Troisièmement, parce que les protectionnismes locaux qui se développent à l'encontre du logement social ne peuvent être combattus que par un droit contraignant. Ces protectionnismes ne sont pas uniquement le fait de certains élus qui ignorent les obligations légales relatives aux 20 % de logements sociaux. Ils résultent de la conjonction de comportements individuels - on assiste au développement d'une tendance à l'« entre-soi », qui conduit une partie de nos concitoyens à des attitudes de frilosité ou de rejet à l'égard du logement social - et d'une organisation de la puissance publique qui laisse le droit au logement en concurrence avec d'autres objectifs de l'action publique.
Quatrièmement, parce qu'il y a défaillance structurelle de la responsabilité publique dans la mise en oeuvre du droit au logement. La responsabilité est éclatée entre l'État et les différentes collectivités territoriales : départements, communes, intercommunalités et même régions - celles-ci n'ont pas cette responsabilité, mais certaines s'y investissent. Il en résulte une irresponsabilité de fait vis-à-vis du citoyen.
J'y reviens, le droit au logement n'est actuellement défini dans la loi que comme un objectif de l'action publique. Parce qu'il est un droit fondamental, parce qu'il est la condition d'une vie digne et souvent un préalable pour accéder à d'autres droits tels que la santé, le travail ou la citoyenneté, le droit au logement ne doit plus être un objectif : il doit devenir une obligation.
C'est pourquoi le Haut comité du logement des personnes défavorisées demande qu'il fasse l'objet d'une obligation de résultat, que seule l'opposabilité, c'est-à-dire l'ouverture au citoyen de voies de recours juridictionnelles, pourra rendre effective.
On constate que cela existe ailleurs. J'ai évoqué tout à l'heure l'Angleterre. Je prendrai également l'exemple de l'Écosse, où une délégation de membres du Haut comité s'est rendue au mois de mai 2005 et qui a décidé la généralisation de ce droit opposable d'ici à la fin de 2012. Cette démarche s'appuie sur un engagement fort de l'État, qui finance le logement social et les aides à la personne tout en confiant aux autorités locales la responsabilité de la mise en oeuvre du droit sur leur territoire.
Actuellement, les trente-deux collectivités locales écossaises sont en train de développer leur propre plan. D'ores et déjà, les populations prioritaires sont assurées d'obtenir un logement durable. D'ici à 2012, le développement programmé de l'offre et des outils d'accompagnement social aura permis de supprimer la notion de catégorie prioritaire, rendant le droit effectivement opposable pour toute personne éprouvant des difficultés à se loger.
En France, où en sommes-nous ?