Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 3 mars 2005 à 22h00
Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise — Vote sur l'ensemble

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Vous reconnaissez sans doute ces propos : ils ont été tenus voilà quatre semaines environ, sur une radio nationale, par M. Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

Quand un pays est confronté à tant de difficultés, quand il atteint la barre symbolique de 10 % de sa population active au chômage, quand les salaires stagnent, quand le coût de la vie s'envole et les fins de mois deviennent difficiles pour la majorité de ses habitants, on s'attend naïvement à ce que les résultats des entreprises reflètent ce climat de déréliction sociale : rendements en berne et bénéfices en panne. On s'attend également à ce que le Gouvernement mette tout en oeuvre pour relancer l'emploi.

En France, c'est tout le contraire : les profits flambent, ceux des entreprises du CAC 40 devraient allégrement dépasser le cap des 40 milliards d'euros en 2004, Total a vu ses résultats augmenter de 37 %, Arcelor, de 800 %, L'Oréal, de 144 %... Jamais depuis quinze ans les entreprises n'ont été aussi rentables.

Cet abîme entre la situation des Français et l'explosion des profits des entreprises est plus qu'incompréhensible : il devient obscène. Tant d'argent et si peu pour les salaires ! Tant d'accumulation et si peu de redistribution ! Tant de richesses et si peu de partage !

Si les salariés dans leur grande majorité sont les oubliés de la multiplication des profits, une petite frange de la société, elle, voit prospérer ses avantages : les actionnaires et les dirigeants des grandes entreprises.

Pour les actionnaires, des dividendes comme s'il en pleuvait : un tiers des bénéfices leur sont distribués et les exigences des marchés financiers ne font que se renforcer.

Pour les grands patrons, les émoluments ne cessent de croître, que leurs résultats soient bons ou non. En 2003, ils se sont augmentés en moyenne de 23 % et leur rémunération annuelle globale, stock-options comprises, est estimée à 6, 2 millions d'euros.

Cela veut dire que, pour gagner ce que gagne un président-directeur général en un an, un smicard devrait travailler six cents ans ! Est-il possible que, dans notre République égalitaire, un homme vaille six cents fois plus qu'un autre ?

Le pis, c'est que ces profits records ne servent en aucun cas à préparer l'avenir. Pas plus qu'elles ne créent de l'emploi, les entreprises n'ont de politique d'investissement. Elles préfèrent spéculer plutôt qu'investir, délocaliser plutôt que miser sur la productivité, augmenter le volume des heures supplémentaires plutôt qu'embaucher.

Face à une telle situation, le Gouvernement n'a pas de politique, pas de projet, encore moins de dessein ; il n'a qu'un discours, la baisse des coûts salariaux, et une seule source d'inspiration, les revendications du MEDEF.

Le résultat : une crise de la demande qui plonge l'économie française dans le marasme, alors que, depuis trente ans, la croissance mondiale n'a jamais été aussi forte.

Face à une telle absurdité, des voix s'élèvent pour réclamer un « Grenelle » sur les salaires et pour demander à l'Etat d'impulser un processus de négociation globale sur la répartition de la valeur ajoutée entre salaires et profits, en réunissant à la table des négociations les partenaires sociaux.

Mais ce gouvernement est sourd. Enfermé dans son parti pris idéologique, talonné par l'échec, il n'est que mépris pour les salariés et indifférence pour leurs conditions de vie. Plutôt que de prendre la mesure de ses erreurs, il préfère désigner un bouc émissaire.

L'économie française va mal, le pouvoir d'achat des français est trop bas : c'est la faute des salariés ! Ils sont, en France, trop coûteux, trop paresseux, trop protégés ! S'ils veulent gagner plus, qu'ils travaillent donc plus ! S'ils veulent travailler plus, qu'ils acceptent donc n'importe quelles conditions et des rémunérations rognées !

En s'attaquant au droit du travail, c'est la soumission de l'employé à l'employeur que ce texte porte toujours en germe et institue souvent.

Monsieur le ministre, votre majorité votera la présente proposition de loi, mais derrière chaque mot de ce texte, il y a des millions de salariés qui verront leurs conditions de travail au quotidien modifiées, toujours dans le sens de plus de flexibilité et de moins de rémunération. « Travailler plus pour gagner moins », telle sera leur nouvelle réalité, et de cet avenir-là, vous serez comptable.

Je ne suis dans cette enceinte que parce que, depuis trente ans, des milliers de personnes me font confiance et me désignent pour porter leur parole, pour être leur représentante et leur relais. C'est le cas pour chacun d'entre nous dans cet hémicycle. Mais, chaque jour, nous constatons à quel point les difficultés s'accroissent et le désespoir grandit : écrasés sous les charges, soumis à la pression du chômage et dépourvus de perspectives de progression, les salariés se sentent trop souvent considérés comme des marchandises.

Cette proposition de loi, qui vise à les appâter en leur faisant espérer une augmentation de pouvoir d'achat, est plus qu'une escroquerie : c'est une trahison !

Mesdames, messieurs de la majorité gouvernementale, vos électeurs ne sont pas uniquement les patrons, les restaurateurs ou les rentiers ; ce sont aussi des gens modestes, ayant adhéré à un discours qui faisait la part belle à la fracture sociale et à l'égalité républicaine.

Comment pouvez-vous aujourd'hui les manipuler ainsi ?Ils vous ont donné leur confiance ; ils vous ont confié leurs intérêts et vous ont remis leurs espoirs. Et vous, vous cédez aux caprices du MEDEF, alors même qu'en votre for intérieur, vous savez que cette loi n'améliorera en rien la situation économique des salariés, et encore moins celle de la France.

Les salariés ne gagneront pas un sou de plus, aucun emploi ne sera créé et vous porterez la responsabilité d'une dégradation sans précédent des conditions de travail.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion