Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 6 février 2007 à 16h00
Recrutement formation et responsabilité des magistrats équilibre de la procédure pénale — Suite de la discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Mais j'en viens au sujet qui nous occupe.

Hélas, il a fallu le drame judiciaire d'Outreau pour que la population soit prise à témoin, malgré elle, de l'état de notre institution judiciaire.

Nous aurions pu penser que ce serait l'occasion de mener un grand débat citoyen. Il n'en est rien.

Pourtant, comme d'autres l'ont dit avant moi, un travail colossal a été effectué par la commission d'enquête parlementaire créée après le retentissant procès d'Outreau : 221 personnes furent auditionnées, pendant près de 200 heures, et 6 000 pièces du dossier furent analysées.

La commission d'enquête a ainsi pu dresser l'inventaire des dysfonctionnements de la machine judiciaire qui ont conduit au résultat que nous connaissons. Mais, surtout, elle a présenté des propositions - quatre-vingts au total, je le rappelle - destinées notamment à rendre la procédure pénale plus contradictoire et plus collégiale, à mieux protéger les intérêts des enfants et, plus généralement, des prévenus, à redéfinir le rôle des experts et à responsabiliser tant les magistrats que les médias.

Les deux textes que nous examinons aujourd'hui constituent, selon vos propres termes, monsieur le garde des sceaux, « une première étape » faisant suite aux travaux de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite d'Outreau, là où tout le monde attendait une réforme d'ampleur de la justice. Vous disiez, le 1er juin dernier, ne pas vouloir faire une « réforme bâclée » de la justice, ce en quoi vous aviez parfaitement raison, mais c'est pourtant l'impression qui domine avec cette « réformette » que vous engagez à la veille de la fin de la législature et du quinquennat.

Pourtant, le Gouvernement aurait dû s'engager dans une réflexion à long terme sur l'avenir de notre justice, sans occulter pour autant le contexte politique dans lequel eut lieu l'affaire d'Outreau.

En effet, depuis la campagne présidentielle de 2002, la logique sécuritaire et punitive domine en matière pénale, au détriment des libertés individuelles, des valeurs et principes démocratiques de notre droit pénal, tels que le droit à un procès équitable, la présomption d'innocence ou encore la culture du doute.

Largement entretenue et exploitée par le Gouvernement, cette logique sécuritaire s'est traduite par une inflation de textes durcissant notre législation et notre procédure pénales : nous en avons examiné pas moins de deux par an en moyenne depuis 2002.

Et si la justice est aujourd'hui obligée de composer avec cet empilement de textes, elle ne dispose ni des moyens financiers ni des créations de postes nécessaires, ce qui va de pair, pour les appliquer sans que cela ait des répercussions sur les justiciables.

Dans ces conditions, le juge ne pèse pas bien lourd face à un engrenage politique parfaitement relayé par les médias.

Est-ce un hasard si, depuis 2001, les détentions provisoires et la population carcérale ont augmenté ?

Est-ce un hasard si, dans le dossier d'Outreau, le juge d'instruction, qui a respecté les règles de droit et de procédure, n'a vu aucun de ses actes invalidé à la suite des recours exercés devant la chambre de l'instruction ?

Il conviendrait donc de remettre en question non seulement notre système pénal et judiciaire, mais également la direction que le Gouvernement lui a fait prendre. La procédure pénale n'est certainement pas seule en cause ; l'est au moins tout autant l'idéologie qui préside aux incessantes modifications qu'on lui fait subir et à son instrumentalisation permanente.

C'est la raison pour laquelle nous abordons cette réforme de la justice avec circonspection. Compte tenu des remarques que je viens de formuler, nous attendions une prise de recul de la part du Gouvernement en matière d'inflation pénale. Malheureusement, à travers le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, il montre qu'il n'est pas prêt, il s'en faut, à abandonner toute idée de surenchère pénale ; mais la fin de la législature nous réservera peut-être quelques surprises en la matière...

Nous attendions également un texte plus ambitieux, qui reprenne en grande partie les propositions formulées par la commission d'enquête parlementaire. Certes, je vous l'accorde, cet examen en profondeur ne peut se faire quelques jours avant la fin de la session parlementaire !

Nous ne pouvons que déplorer, entre autres, l'absence de réforme du Conseil supérieur de la magistrature - préalable indispensable à toute réforme sérieuse de la justice -, de la carte judiciaire ou encore de l'indépendance du parquet.

Le projet de loi organique est relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats. Le texte initial était, permettez-moi de le dire, assez décevant, pour ne pas dire plus, au regard de l'importance de cette question. En effet, les dispositions présentées à l'époque ne permettaient pas d'aboutir à un recrutement diversifié, pourtant nécessaire si l'on veut remédier à l'uniformité sociale et culturelle de la magistrature.

De même, en termes de culture commune entre les magistrats et les avocats et d'échanges entre ces deux professions, le texte initial était bien silencieux.

L'Assemblée nationale a quelque peu modifié cette orientation première. En effet, tout en maintenant le principe du concours d'entrée à L'École nationale de la magistrature, l'ENM, auquel notre groupe est particulièrement attaché - les concours valant mieux que le copinage ou le népotisme -, elle a élargi les possibilités de recrutement sur titres pour les auditeurs de justice et d'intégration directe pour les magistrats, prévues à l'article 1er B.

Je regrette néanmoins qu'une réflexion plus approfondie sur la démocratisation de l'accès aux concours - et cela vaut pour tous les concours de la haute fonction publique - ne soit en aucune façon envisagée.

L'autre point positif réside dans l'obligation - alors qu'il ne s'agit actuellement que d'une simple possibilité - d'effectuer durant la scolarité à l'ENM, et à titre bénévole, un stage d'une durée de six mois en tant que collaborateur d'un avocat inscrit à un barreau.

Enfin, s'il est évidemment judicieux de prévoir que les magistrats seront soumis à une obligation de formation continue, il est fort probable que cette disposition restera lettre morte si elle n'est pas accompagnée des moyens financiers nécessaires à sa mise en oeuvre.

C'est d'ailleurs l'un des reproches que l'on peut formuler à l'encontre de ce projet de loi, et notamment à ses dispositions relatives à la formation.

En effet, compte tenu de la faiblesse du budget de la justice - sans doute me direz-vous que vous l'avez augmenté, monsieur le garde des sceaux, mais je vous répondrai qu'il reste très faible au regard des besoins et en comparaison des dépenses judiciaires moyennes en Europe -, comment ne pas redouter que des intentions qui, de prime abord, peuvent paraître louables ne restent virtuelles ?

Je regrette également que la formation initiale à l'ENM ne soit pas ouverte aux sciences sociales et humaines. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons déposé un amendement tendant à inscrire dans cette formation un enseignement de criminologie ; l'une des critiques formulées à la suite de l'affaire dite d'Outreau portait d'ailleurs sur ce point précis.

L'aspect humain n'est pas à négliger dans la phase de formation et dans les programmes pédagogiques des futurs magistrats. Nous espérons, par conséquent, que notre amendement retiendra toute l'attention.

Si les dispositions relatives à la formation constituent un progrès, il n'en va pas de même de celles qui sont relatives à la discipline et à la responsabilité des magistrats.

Tout d'abord, je le répète, ces questions ne pouvaient, à nos yeux, être abordées qu'une fois la réforme du CSM engagée, à défaut d'être adoptée. Une telle réforme aurait nécessairement conduit à une refonte du système d'évaluation des magistrats.

En l'espèce, le Gouvernement procède de façon inverse : il n'est pas question de réformer le CSM avant les échéances électorales. En revanche, nous est proposée une nouvelle définition, qui n'est pas satisfaisante, de la faute disciplinaire.

Je m'interroge, tout d'abord, sur l'opportunité de cette nouvelle formulation.

Même si l'actuelle définition peut paraître quelque peu désuète, elle n'empêche absolument pas le Conseil supérieur de la magistrature de sanctionner des magistrats en cas de faute commise dans l'exercice de leurs fonctions, mais détachable de l'activité juridictionnelle.

En matière disciplinaire, la jurisprudence du CSM est donc bien établie et constitue une base solide. Le CSM lui-même, dans une communication du 21 décembre 2006, rappelle « qu'il a contribué à la définition de la déontologie des magistrats par les décisions qu'il a rendues depuis quarante ans. [...] Ces décisions démontrent que les textes actuels permettent au Conseil, lorsqu'il est saisi, de se prononcer sur des situations extrêmement diverses, sans laisser en dehors du champ de la responsabilité disciplinaire l'activité et les carences des magistrats. »

Par conséquent, il ne faudrait pas, d'une part, que la formulation retenue laisse à penser que l'ordonnance de 1958 ne permet aucune sanction et, d'autre part, qu'une brèche soit ouverte dans la contestation des décisions de justice.

Les voies de recours constituent la seule procédure pour contester une décision juridictionnelle. Nous tenons à ce que ce principe reste inchangé. La procédure disciplinaire ne doit en aucun cas être détournée de son objectif et permettre, même insidieusement, de contester une décision de justice.

Si la rédaction proposée par la commission des lois en lieu et place de celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale est un peu plus claire, nous souhaitons néanmoins, afin d'éviter toute ambiguïté, que les décisions ayant été validées par les voies de recours soient explicitement exclues d'éventuelles poursuites disciplinaires.

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