Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 6 février 2007 à 16h00
Recrutement formation et responsabilité des magistrats équilibre de la procédure pénale — Suite de la discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Par ailleurs, s'agissant de la nouvelle sanction prévue à l'article 5, je ne puis qu'exprimer mon étonnement face à cette disposition selon laquelle la collégialité devient une sanction disciplinaire applicable aux magistrats. Cela ne peut qu'accroître la dévalorisation de la collégialité, qui doit pourtant rester le principe en matière pénale.

Enfin - et ce sera ma dernière observation sur le projet de loi organique -, je regrette que le Gouvernement ait fait le choix de réformer la loi relative au Médiateur au lieu de nous présenter un projet de loi constitutionnelle créant une saisine du CSM par les particuliers.

Nous ne sommes pas les seuls à réclamer une telle réforme. Le CSM lui-même, toujours dans sa communication du 21 décembre dernier, l'évoque en ces termes : « Le Conseil supérieur de la magistrature propose d'ailleurs d'ouvrir à tout justiciable une voie de saisine directe de ses formations disciplinaires. »

Malheureusement, on nous propose de faire du Médiateur l'interlocuteur des justiciables s'estimant victimes du comportement d'un magistrat. Or ce nouveau dispositif pose deux problèmes.

Le premier concerne la notion de « comportement » d'un magistrat, qui induit une très grande part de subjectivité pouvant conduire à des procédures abusives de la part de justiciables mécontents de la décision rendue. Mieux vaudrait, pour éviter toute dérive, se référer non pas au comportement du magistrat mais à un dysfonctionnement du service public de la justice, critère sans doute plus objectif.

Le second problème réside dans le choix de la personne du Médiateur pour constituer un filtre des réclamations des justiciables. Selon l'article 6 quinquies, le Médiateur serait chargé de vérifier si la réclamation peut recevoir une qualification disciplinaire et, dans cette hypothèse, de la transmettre au garde des sceaux, celui-ci ayant par la suite obligation de demander aux services compétents de procéder à une enquête.

À la lecture de cet article, nous voyons poindre le risque que le Médiateur ne se transforme en une simple chambre d'enregistrement des réclamations des justiciables.

Par ailleurs, notre rapporteur a raison d'évoquer la complexification de la procédure de saisine. En effet, les justiciables peuvent déjà saisir le garde des sceaux et les chefs de cour en cas de soupçon de faute disciplinaire d'un magistrat. Dès lors, pourquoi ajouter le filtre du Médiateur ?

Faute de mieux, au moins conviendrait-il que le Médiateur puisse saisir directement le CSM, comme nous le proposons ; à nos yeux, la création de ce nouveau filtre est inutile.

J'en viens maintenant au projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.

Le moins que l'on puisse dire est que le Gouvernement n'a pas fait preuve d'une grande audace dans ce domaine, si j'en crois les propositions contenues dans ce projet de loi qui ne sont pas, et de loin, à la hauteur des enjeux révélés par l'affaire dite d'Outreau.

Je ne m'attarderai pas sur les pôles de l'instruction, même s'ils ne répondent que partiellement à la collégialité et ne remplacent pas une nécessaire réforme de la carte judiciaire, à laquelle il faut avoir le courage de s'atteler.

S'agissant de la détention provisoire, nous regrettons vraiment la frilosité du Gouvernement. Nous pensions effectivement que, après l'affaire d'Outreau, ce dernier allait revoir sa position sur la présomption d'innocence, bouleverser profondément le régime de la détention provisoire, en limiter le recours et prévoir des délais butoirs, ainsi que l'avait d'ailleurs préconisé la commission d'enquête parlementaire.

Le résultat est tout autre : l'article 3 ne modifie que très superficiellement l'article 144 du code de procédure pénale ; en outre, il n'affirme pas assez fortement, c'est le moins que l'on puisse dire, le caractère exceptionnel de la détention provisoire.

Le critère selon lequel le juge des libertés et de la détention, le JLD, peut placer ou maintenir en détention provisoire une personne mise en examen en cas de trouble à l'ordre public n'a pas complètement disparu, malgré les efforts de certains, y compris ici même. Or c'est bien ce critère qui pose problème et qui autorise le recours abusif et fréquent à la détention provisoire. Pourtant, le Gouvernement maintient ce critère en matière criminelle et se contente d'interdire le fait d'y recourir pour prolonger la détention provisoire en matière délictuelle.

Permettez-moi à cet égard de constater qu'il n'est absolument pas question du juge des libertés et de la détention dans ce projet de loi. Le débat s'est focalisé sur le juge d'instruction. Certes, celui-ci souffre souvent d'une grande solitude face à un dossier complexe. Cela étant dit, en aucun cas, il ne peut décider du placement en détention provisoire. La création du JLD par la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence avait d'ailleurs pour objet de ne pas concentrer dans les mains d'un seul homme le pouvoir d'instruire et d'incarcérer.

Par conséquent, les excès du recours à la détention provisoire imposent le retour aux principes de la loi relative à la présomption d'innocence dont le dispositif n'a cessé d'être détricoté, ouvertement ou catimini, par le Gouvernement depuis 2002.

Par ailleurs, toute référence à la notion d'ordre public doit aussi être définitivement écartée, étant donné son caractère bien trop vague. C'est d'ailleurs ce que nous proposons à travers certains de nos amendements.

Je voudrais à présent aborder l'une des mesures phares de ce projet de loi, à savoir l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue et des auditions chez le juge d'instruction.

Je regrette que cet enregistrement audiovisuel soit le seul moyen trouvé par le Gouvernement pour renforcer le caractère contradictoire de la procédure pénale et garantir les droits de la défense, deux principes qui, je le rappelle, sont écornés depuis 2002.

L'article 6 prévoit ainsi que les interrogatoires des personnes gardées à vue en matière criminelle feront l'objet d'un enregistrement audiovisuel. Certes, le fait que celui-ci soit prévu au stade de la garde à vue semble justifier l'existence d'un tel dispositif, dès lors que l'avocat n'est pas présent dès le début et tout au long de la garde à vue.

Nous considérons, pour notre part, qu'il est indispensable, afin d'éviter les dérives, de rétablir le droit d'être assisté d'un avocat dès le début de la garde à vue afin que la défense soit mieux informée pour intervenir suffisamment tôt dans l'orientation initiale de l'enquête sur laquelle va ensuite se fonder l'instruction.

L'enregistrement audiovisuel des auditions dans le cabinet du juge d'instruction ne nous paraissait pas aussi nécessaire. Si un tel dispositif figure dans ce texte, c'est bien parce que le ministre de l'intérieur l'a exigé en contrepartie de l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires durant la garde à vue. Nous regrettons que la procédure pénale fasse l'objet de telles tractations !

La situation n'est pas la même lors de l'instruction, puisque l'avocat assiste déjà aux auditions chez le juge et qu'il lui appartient de veiller à ce que les propos de son client soient fidèlement retransmis. En effet, le problème récurrent, et qui motive un tel enregistrement audiovisuel, est celui de la reformulation des réponses faites au juge. Dès lors, pourquoi un simple enregistrement sonore ne serait-il pas suffisant ?

Le problème réside avant tout dans notre législation et la procédure pénale : elles doivent être repensées pour renforcer réellement les droits de la défense afin de tendre à nouveau vers un équilibre indispensable entre les parties dans le débat contradictoire.

Dans ces conditions, à lui seul, le dispositif de l'enregistrement audiovisuel, même s'il fait parler de lui, ne saurait justifier l'absence d'une réforme en profondeur de la procédure pénale.

En guise de conclusion, je dirai simplement que les deux projets de loi qui nous sont présentés aujourd'hui constituent des réformes a minima.

Le premier est partiel en ce qu'il fait l'impasse - « faute de consensus », paraît-il - sur la réforme essentielle du CSM, pourtant votée en 1998.

Quant au second, il est insuffisant en ce sens qu'il ne dit mot des atteintes portées à la présomption d'innocence, aux droits de la défense et aux libertés individuelles.

Dès lors, pour toutes les raisons que je viens de développer, nous ne vous donnerons pas notre consentement, monsieur le garde des sceaux.

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