Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 6 février 2007 à 16h00
Recrutement formation et responsabilité des magistrats équilibre de la procédure pénale — Suite de la discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

D'autre part, et surtout, cette réforme s'assigne des objectifs dont l'ambition ne peut guère être mise en doute.

De quoi s'agit-il ?

Pour le projet de loi organique, il s'agit de la responsabilisation - au sens large - des magistrats, visant à la fois à prévenir les dysfonctionnements de l'institution judiciaire par l'amélioration de la formation, la diversification du recrutement, une ouverture du corps des magistrats sur l'extérieur, et à s'assurer que le respect de l'indépendance des magistrats ne s'oppose pas, lorsque cela est nécessaire, à la mise en cause de leur responsabilité.

En ce qui concerne le projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, il s'agit de lutter contre la solitude ou l'individualisme des magistrats, d'assurer le caractère exceptionnel de la détention provisoire, d'améliorer le contradictoire lors de l'enquête et de l'instruction, de lutter contre l'encombrement des juridictions et de favoriser la célérité de la justice.

S'il s'agit là d'une « réformette », c'est que les mots ont perdu leur sens ! Je préfère, pour ma part, parler de l'acte I de la réforme, qui facilitera considérablement la tâche de la majorité de demain lorsqu'elle en abordera l'acte II, lequel demeurera indispensable.

Concernant la responsabilité des magistrats, je rappellerai trois prises de position.

Premièrement, M. Jean-Denis Bredin s'interroge : « Le juge indépendant peut-il être irresponsable ? ».

Deuxièmement, M. Nicolas Sarkozy, dans un entretien au Recueil Dalloz, affirme : « La justice est aujourd'hui un pouvoir, au même titre que l'exécutif ou le législatif et on doit lui appliquer les mêmes règles : pas de pouvoir sans responsabilité ! »

Troisièmement, M. Jean-Claude Magendie constate : « Il est normal qu'aux pouvoirs qui sont désormais reconnus aux magistrats réponde une responsabilité accrue. En d'autres termes, la responsabilité du magistrat est la contrepartie de son indépendance. ».

Or on ne peut que constater aujourd'hui l'absence de responsabilité civile des magistrats et le caractère exceptionnel de la mise en cause de leur responsabilité disciplinaire.

Alors que l'obligation pour l'État de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice est appréhendée de façon de plus en plus compréhensive - l'exigence d'une faute lourde ayant été considérablement assouplie par la jurisprudence -, on ne compte à ce jour aucune action récursoire contre un magistrat judiciaire ayant commis une faute personnelle. Pourtant, si l'on reprend la célèbre formule d'Édouard Laferrière voyant dans la faute personnelle « celle qui révèle l'homme avec ses faiblesses, ses passions, son imprudence », ce ne sont pas les exemples qui manquent, selon les magistrats eux-mêmes ! Je vous renvoie sur ce point au livre de Mme Laurence Vichnievsky, Sans Instructions.

Peut-on à tout le moins espérer que les poursuites disciplinaires permettront la mise en cause de la responsabilité individuelle du magistrat fautif ?

Je ne peux que me référer, une fois encore, à la commission d'enquête présidée par M. André Vallini qui précise qu'un examen attentif du recueil des décisions disciplinaires du CSM depuis 1959 montre que le nombre effectif de décisions disciplinaires stricto sensu pour les magistrats du siège s'élève à 92 sanctions, dont 19 sanctions doubles, soit 73 personnes sanctionnées, c'est-à-dire moins de deux sanctions par an pour les seuls magistrats du siège en près de cinquante ans et 50 avis pour les magistrats du parquet. D'aucuns considéreront que sur un total de 7 000 magistrats, ces chiffres constituent la preuve de la qualité des membres de ce corps. D'autres ne dissimuleront pas leur inquiétude et supputeront que ces chiffres révèlent l'absence d'une réelle politique disciplinaire. » En dehors des syndicats de magistrats, mes chers collègues je ne pense pas que beaucoup partageront la première interprétation.

Ajouterai-je que, récemment encore, dans un grand quotidien du matin, le renvoi d'un magistrat devant le CSM est assimilé « à une mise au ban de l'infamie judiciaire » ? C'est dire le chemin qu'il reste à parcourir !

Le problème de l'effectivité de l'action récursoire contre le magistrat qui aurait commis une faute lourde reste donc posé, comme l'est celui de l'engagement de la responsabilité personnelle d'un magistrat ayant commis une « erreur manifeste d'appréciation », notion empruntée à la jurisprudence administrative et que M. Guy Braibant définit comme l'erreur apparente et grave, si évidente qu'elle serait décelable par toute personne dotée de bon sens.

En revanche, le projet de loi organique permet de remédier à la faiblesse essentielle du Conseil supérieur de la magistrature, qui repose dans les conditions de sa saisine.

Ainsi, si on relève quatre saisines sur le terrain disciplinaire en 1970, on n'en dénombre aucune en 1989, on en compte dix en 2005 et moins encore en 2006. La modestie de l'augmentation n'autorise pas à se satisfaire de la réforme récente, qui permet aux chefs de cour de saisir directement le CSM des fautes disciplinaires commises par les magistrats de leur ressort.

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