Cet amendement est presque amusant, car il tend à prévoir que tout candidat à l'ENM devra posséder une certaine connaissance du droit, alors que le précédent prévoyait, à l'opposé, que l'on ne pourrait devenir magistrat sans justifier d'une bonne expérience de la vie !
J'ai découvert, un peu par hasard, qu'un certain nombre de magistrats n'ont pas réellement fait d'études de droit. Vous disiez tout à l'heure, madame Borvo, que dès lors qu'ils ont fait Sciences-Po, ils ont passé des épreuves juridiques et possèdent une certaine connaissance du droit. Ce n'est pas la réalité, je puis en attester pour l'avoir vérifié d'assez près. M. Gélard interviendra, je l'espère, pour appuyer mon propos sur ce point. Ceux qui, comme nous, ont fait des études de droit savent ce qu'il en est : on peut toujours passer une épreuve de droit portant sur une ou deux matières après avoir bachoté pendant quelques mois. C'est presque un métier ! On obtient une bonne note, puis l'été et les vacances arrivent et, au mois de septembre, on a pratiquement tout oublié.
C'est une chose que de passer quelques épreuves de droit et d'acquérir un certain vernis juridique, c'en est une autre que de fréquenter pendant trois, quatre ou cinq ans les bancs de la faculté : participer à des travaux pratiques, à des exercices, à des groupes de travail, suivre des cours dans une forme de continuité, voilà ce qui fait que la culture juridique s'ancre dans l'esprit.
Je signale d'ailleurs que, pour être avocat, il faut avoir une maîtrise de droit. Il est curieux qu'une telle exigence ne soit pas posée pour les magistrats ! Avoir suivi de telles études est nécessaire pour connaître le langage particulier du droit et comprendre de quoi il s'agit quand il est question d'action réelle, d'action personnelle, de cause dans les contrats.
Je crois donc important et normal de prévoir que tout magistrat devra avoir fait des études de droit. À cet égard, monsieur le garde des sceaux, grâce aux chiffres que vous nous avez communiqués, nous savons désormais combien d'auditeurs de la promotion actuelle de l'École nationale de la magistrature n'ont pas suivi d'études de droit : dix-huit, soit tout de même près de 10 % de l'effectif. Ce n'est pas marginal !
Cela étant, j'aimerais connaître le nombre total de magistrats se trouvant dans cette situation, les choses pouvant d'ailleurs évoluer. Une certaine dérive se fait jour, qui fait que l'on peut devenir magistrat en ayant sans doute acquis un vernis de culture juridique, mais sans posséder de diplôme sanctionnant plusieurs années d'études dans cette discipline.
Pour ma part, je ne vois pas pourquoi la détention d'un tel diplôme, qui s'impose aux avocats, ne serait pas requise pour exercer les fonctions de magistrat. Le fait que très peu de magistrats n'aient pas suivi d'études de droit signifie seulement que la situation n'est pas encore très grave, mais elle risque d'aller en se dégradant. Je pense que M. Gélard en parlera. J'entends dire que l'on s'engage sans cesse plus avant dans cette voie, mais je ne voudrais pas que cela aboutisse à la nomination de présidents de chambre, de présidents de cour d'appel ou de membres de la Cour de cassation n'ayant pas accompli de réelles études de droit.