Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, à la fin de 2008, la commission des affaires étrangères a confié à ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga et à moi-même une mission d’information sur le Moyen-Orient, qui nous a amenés à faire le tour d’une douzaine de pays de cette région.
Je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission des affaires étrangères, M. Josselin de Rohan, de nous avoir fait l’honneur de nous confier cette mission, dont je vais vous résumer, aussi brièvement que possible, les conclusions. J’interrogerai ensuite M. le ministre des affaires étrangères sur la politique que notre pays conduit au Moyen-Orient, sur les résultats obtenus et sur ceux qui sont escomptés.
Mes chers collègues, vous êtes tous conscients que, de toutes les régions du monde, le Moyen-Orient est celle dont l’Europe est la plus proche. Elle en importe une grande partie de son énergie et elle y écoule une fraction substantielle de ses exportations. Le terrorisme y trouve son origine directe ou indirecte. Enfin, une communauté de destin lie l’Europe au Moyen-Orient, du fait de l’installation en Europe de plusieurs millions de musulmans et de juifs.
Les relations que les États européens entretiennent avec les États du Moyen-Orient varient, bien entendu, d’un pays à l’autre. Elles sont parfois bonnes, souvent tendues, toujours difficiles, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, le souvenir du colonialisme, qui n’a duré que quelques décennies, de la fin de l’empire ottoman à l’indépendance, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, reste gravé dans les esprits.
En deuxième lieu, le retour de la religion se traduit moins par une grande passion religieuse que par une pratique plus ostentatoire de la prière, par le respect du jeûne et le retour en force du voile islamique. À cet égard, il me paraît important d’éviter les contresens : la religion ne débouche pas forcément sur l’intolérance ; elle offre à ses adeptes, pour l’essentiel, un ancrage identitaire ; elle apporte une réponse aux générations humiliées par les défaites du monde arabe face à Israël. De ce fait, l’Islam s’est progressivement imposé comme le territoire de la dignité retrouvée.
Le retour en force du port du voile, maintes fois évoqué, n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent, le signe d’une régression sociale. En réalité, le voile permet aux femmes, surtout lorsqu’elles sont issues de milieux conservateurs, d’exercer des activités professionnelles. Ce constat vaut même pour l’Arabie saoudite, où nous avons pu rencontrer un certain nombre de femmes d’affaires qui jouent un rôle important.
En troisième lieu, la rapidité et la profondeur des évolutions sociales contrastent avec l’immobilisme des régimes politiques avec lesquels l’Occident a partie liée. Ce décalage est à l’origine de nombreuses tensions.
Ces évolutions tiennent tout d’abord au choc démographique.
Ce choc est avant tout quantitatif : la population du Moyen-Orient a doublé depuis l’indépendance et elle devrait encore augmenter de 40 % au cours des deux prochaines décennies, entraînant un accroissement de près de 150 millions d’habitants.
Ce choc a également une dimension qualitative, révélée notamment par la concentration urbaine. La population du Caire est passée de 9 millions à 18 millions d’habitants entre 1976 et 2006, c’est-à-dire sur une période très brève. La ville de Ryad, qui n’existait presque pas au début du XXe siècle, compte aujourd’hui 5 millions d’habitants.
La transition démographique est en cours : le taux de natalité a rejoint à peu près celui des pays européens, en tout cas celui de la France. Malheureusement, mais c’est la force des choses, les effets de ce ralentissement ne se font sentir que progressivement.
Ensuite, un second changement mérite d’être souligné : l’évolution rapide du statut des femmes, qui exercent désormais, dans tous les pays, un rôle économique important.
Naturellement, leur ascension ne va pas sans susciter résistances et retours en arrière, mais la progression est inexorable, alimentée d’ailleurs par la scolarisation qui atteint 50 % des femmes en moyenne. L’Iran compte plus de femmes que d’hommes dans ses universités.
Face à ces évolutions, que l’on pourrait détailler, on est frappé par l’extrême immobilisme politique. Moubarak est Président de l’Égypte depuis vingt-huit ans. En Tunisie, le Président Ben Ali gouverne depuis vingt-deux ans. En Lybie, Kadhafi a pris le pouvoir en 1969 et son fils s’apprête, semble-t-il, à lui succéder. Il en va de même en Syrie avec les el-Assad, père et fils. En Jordanie, en Arabie Saoudite, dans les Émirats du Golfe, au Koweït, au Maroc, des dynasties sont en place depuis l’indépendance.
Nulle part dans ces pays la démocratie ne s’est implantée, malgré la pression exercée, en son temps, par le Président Bush. Des élections ont bien lieu, mais elles ne sont jamais pluralistes ni concurrentielles. Elles sont administrées par des régimes résolus à en contrôler les résultats, par le biais de la manipulation des lois électorales et l’interdiction des partis des candidats d’opposition.
Le résultat coule de source : peu de régimes ont une authentique légitimité. Les peuples se soumettent, mais n’accordent le plus souvent à leur gouvernement que peu ou pas de confiance.
Les ressources énergétiques constituent, il est vrai, pour les régimes qui en bénéficient, un atout et un facteur de stabilité. Ne l’oublions pas, les cinq pays du pourtour du golfe Persique détiennent les deux tiers des réserves mondiales de pétrole et de gaz et fournissent actuellement 30 % du pétrole consommé.
Les achats croissants de la Chine font désormais de ce pays l’un des principaux débouchés du pétrole moyen-oriental, ce qui amène la région à regarder vers l’Asie autant que vers l’Europe. Cette évolution est d’autant plus aisée que la Chine ne pose jamais aucune condition politique et s’abstient de toute intervention, un luxe que l’Europe peut très difficilement se permettre.
En effet, l’Europe est attendue sur au moins trois dossiers essentiels : le conflit israélo-arabe, le programme nucléaire iranien, ainsi que la lente et dangereuse désintégration du Yémen.
Permettez-moi, mes chers collègues, de formuler un bref commentaire sur ces trois dossiers.
S’agissant du conflit israélo-arabe, son importance centrale et la menace qu’il fait peser sur le destin du peuple palestinien sont au cœur des relations entre l’Occident et le monde arabe.
Ce dernier reproche aux États-Unis et à l’Europe de faire constamment deux poids et deux mesures, de tout accepter d’Israël, notamment de fouler aux pieds les résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, mais de faire preuve d’intransigeance à l’égard des Arabes. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Occident condamne les tirs de roquettes du Hamas contre Israël, mais ne dit rien, ou bien peu de chose, du blocus de Gaza qui en est la cause.
Le paradoxe du conflit israélo-palestinien est que les paramètres d’une solution sont connus. Ils ont été définis en 2000, à la suite de longues tractations conduites sous la présidence de Clinton.
Il s’agit, d’abord, de l’existence de deux États vivant côte à côte, de part et d’autre de la frontière établie en 1967, à l’issue de la dernière guerre israélo-arabe.
Ce tracé devra être corrigé, le moment venu, pour tenir compte des colonies établies par les Israéliens en territoire palestinien, rendant nécessaire une compensation territoriale par des cessions israéliennes aux Palestiniens.
Il s’agit également du partage de la capitale, Jérusalem, entre les deux États.
Il s’agit, enfin, de l’obtention par les réfugiés palestiniens de la reconnaissance d’un « droit au retour » dans les territoires affectés par les guerres israélo-palestiniennes, ce droit au retour étant conditionné par l’accord d’Israël. Or on sait très bien qu’Israël n’est aucunement prêt à accueillir des réfugiés palestiniens, si ce n’est à doses homéopathiques.
Ces paramètres, qui sont connus et sont les seuls sur lesquels on puisse fonder une paix – et à ce titre, ils ne sont pas vraiment discutés – n’ont jamais été mis en œuvre.
Plusieurs raisons expliquent une telle situation.
Tout d’abord, si l’Autorité palestinienne et le Fatah qui l’anime ont, depuis Yasser Arafat, reconnu Israël, il n’en va pas de même du Hamas, qui ne propose qu’une trêve, une oudna, d’une période de dix ans renouvelable.
On sait peut-être moins, et c’est là mon interprétation personnelle, que l’État d’Israël est incapable d’accepter officiellement les concessions minimales qui sont exigées de lui. Celles-ci impliqueraient des décisions que son système politique ne lui permet pas de prendre. En effet, les élections israéliennes ont lieu à la représentation proportionnelle intégrale, système dont on connaît bien les conséquences : des gouvernements de coalition et une paralysie de l’exécutif.
Par conséquent, les colonies connaissent une expansion ininterrompue et, lorsque l’on examine certaines cartes des territoires palestiniens, on voit apparaître une sorte de peau de léopard dont il semble difficile de faire un territoire cohérent et viable.
La position d’Israël constitue donc, au même titre que celle du Hamas, un obstacle. Pour la résumer en une formule, on peut dire que l’État d’Israël est politiquement trop faible pour faire la paix et militairement trop fort pour en avoir réellement besoin.
Ensuite, une autre cause du blocage tient, à mon sens, aux États-Unis, tout simplement parce qu’ils sont les seuls à pouvoir imposer l’ouverture de vraies négociations et qu’ils font preuve d’une retenue décevante. Contrairement à George Bush, le Président Barack Obama a pris des positions qui rejoignent celles de Bill Clinton, mais il n’a pas réussi, jusqu’ici, à persuader le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, ou à lui imposer, de prendre en compte ces concessions.
C’est pourquoi, à l’heure où nous nous réunissons, il est difficile d’apercevoir beaucoup de lumière au bout du tunnel sans fin du conflit israélo-palestinien.
Monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si cette analyse pessimiste rejoint la vôtre. Si tel est le cas, qu’envisage le Gouvernement pour tenter de sortir de l’impasse ?
L’accession de l’Iran à l’arme atomique constitue un problème beaucoup plus récent, mais non moins crucial. La menace qu’il représente pour la région est grave.
Ainsi, il est difficile d’imaginer que l’Arabie Saoudite et l’Égypte assisteraient sans réagir à l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire. Ces pays seraient alors susceptibles soit de développer leur propre programme, soit de s’adresser au Pakistan. Or il tombe sous le sens que la nucléarisation du Moyen-Orient constituerait une nouvelle désastreuse.
Téhéran affirme évidemment que son programme nucléaire est destiné à des fins exclusivement civiles. Mais l’essentiel de la communauté internationale n’en croit rien, et ce pour trois raisons. La première tient au secret dont l’Iran tente ou a tenté d’entourer son programme. Ensuite, l’Iran ne dispose d’aucune installation électronucléaire qui lui permettrait d’utiliser l’uranium enrichi à des fins civiles. Enfin, le pays se dote d’un arsenal de missiles balistiques, qui aurait peu de sens s’il ne s’agissait que de véhiculer des explosifs conventionnels.
Les États-Unis ont opté pour la voie diplomatique, mais n’ont obtenu à ce jour aucun résultat positif. Or Israël estime que la nucléarisation de l’Iran constituerait pour lui une menace existentielle.