Séance en hémicycle du 12 janvier 2010 à 22h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle un débat d’initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient.

La parole est à M. Jean François-Poncet, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, à la fin de 2008, la commission des affaires étrangères a confié à ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga et à moi-même une mission d’information sur le Moyen-Orient, qui nous a amenés à faire le tour d’une douzaine de pays de cette région.

Je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission des affaires étrangères, M. Josselin de Rohan, de nous avoir fait l’honneur de nous confier cette mission, dont je vais vous résumer, aussi brièvement que possible, les conclusions. J’interrogerai ensuite M. le ministre des affaires étrangères sur la politique que notre pays conduit au Moyen-Orient, sur les résultats obtenus et sur ceux qui sont escomptés.

Mes chers collègues, vous êtes tous conscients que, de toutes les régions du monde, le Moyen-Orient est celle dont l’Europe est la plus proche. Elle en importe une grande partie de son énergie et elle y écoule une fraction substantielle de ses exportations. Le terrorisme y trouve son origine directe ou indirecte. Enfin, une communauté de destin lie l’Europe au Moyen-Orient, du fait de l’installation en Europe de plusieurs millions de musulmans et de juifs.

Les relations que les États européens entretiennent avec les États du Moyen-Orient varient, bien entendu, d’un pays à l’autre. Elles sont parfois bonnes, souvent tendues, toujours difficiles, et ce pour trois raisons.

En premier lieu, le souvenir du colonialisme, qui n’a duré que quelques décennies, de la fin de l’empire ottoman à l’indépendance, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, reste gravé dans les esprits.

En deuxième lieu, le retour de la religion se traduit moins par une grande passion religieuse que par une pratique plus ostentatoire de la prière, par le respect du jeûne et le retour en force du voile islamique. À cet égard, il me paraît important d’éviter les contresens : la religion ne débouche pas forcément sur l’intolérance ; elle offre à ses adeptes, pour l’essentiel, un ancrage identitaire ; elle apporte une réponse aux générations humiliées par les défaites du monde arabe face à Israël. De ce fait, l’Islam s’est progressivement imposé comme le territoire de la dignité retrouvée.

Le retour en force du port du voile, maintes fois évoqué, n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent, le signe d’une régression sociale. En réalité, le voile permet aux femmes, surtout lorsqu’elles sont issues de milieux conservateurs, d’exercer des activités professionnelles. Ce constat vaut même pour l’Arabie saoudite, où nous avons pu rencontrer un certain nombre de femmes d’affaires qui jouent un rôle important.

En troisième lieu, la rapidité et la profondeur des évolutions sociales contrastent avec l’immobilisme des régimes politiques avec lesquels l’Occident a partie liée. Ce décalage est à l’origine de nombreuses tensions.

Ces évolutions tiennent tout d’abord au choc démographique.

Ce choc est avant tout quantitatif : la population du Moyen-Orient a doublé depuis l’indépendance et elle devrait encore augmenter de 40 % au cours des deux prochaines décennies, entraînant un accroissement de près de 150 millions d’habitants.

Ce choc a également une dimension qualitative, révélée notamment par la concentration urbaine. La population du Caire est passée de 9 millions à 18 millions d’habitants entre 1976 et 2006, c’est-à-dire sur une période très brève. La ville de Ryad, qui n’existait presque pas au début du XXe siècle, compte aujourd’hui 5 millions d’habitants.

La transition démographique est en cours : le taux de natalité a rejoint à peu près celui des pays européens, en tout cas celui de la France. Malheureusement, mais c’est la force des choses, les effets de ce ralentissement ne se font sentir que progressivement.

Ensuite, un second changement mérite d’être souligné : l’évolution rapide du statut des femmes, qui exercent désormais, dans tous les pays, un rôle économique important.

Naturellement, leur ascension ne va pas sans susciter résistances et retours en arrière, mais la progression est inexorable, alimentée d’ailleurs par la scolarisation qui atteint 50 % des femmes en moyenne. L’Iran compte plus de femmes que d’hommes dans ses universités.

Face à ces évolutions, que l’on pourrait détailler, on est frappé par l’extrême immobilisme politique. Moubarak est Président de l’Égypte depuis vingt-huit ans. En Tunisie, le Président Ben Ali gouverne depuis vingt-deux ans. En Lybie, Kadhafi a pris le pouvoir en 1969 et son fils s’apprête, semble-t-il, à lui succéder. Il en va de même en Syrie avec les el-Assad, père et fils. En Jordanie, en Arabie Saoudite, dans les Émirats du Golfe, au Koweït, au Maroc, des dynasties sont en place depuis l’indépendance.

Nulle part dans ces pays la démocratie ne s’est implantée, malgré la pression exercée, en son temps, par le Président Bush. Des élections ont bien lieu, mais elles ne sont jamais pluralistes ni concurrentielles. Elles sont administrées par des régimes résolus à en contrôler les résultats, par le biais de la manipulation des lois électorales et l’interdiction des partis des candidats d’opposition.

Le résultat coule de source : peu de régimes ont une authentique légitimité. Les peuples se soumettent, mais n’accordent le plus souvent à leur gouvernement que peu ou pas de confiance.

Les ressources énergétiques constituent, il est vrai, pour les régimes qui en bénéficient, un atout et un facteur de stabilité. Ne l’oublions pas, les cinq pays du pourtour du golfe Persique détiennent les deux tiers des réserves mondiales de pétrole et de gaz et fournissent actuellement 30 % du pétrole consommé.

Les achats croissants de la Chine font désormais de ce pays l’un des principaux débouchés du pétrole moyen-oriental, ce qui amène la région à regarder vers l’Asie autant que vers l’Europe. Cette évolution est d’autant plus aisée que la Chine ne pose jamais aucune condition politique et s’abstient de toute intervention, un luxe que l’Europe peut très difficilement se permettre.

En effet, l’Europe est attendue sur au moins trois dossiers essentiels : le conflit israélo-arabe, le programme nucléaire iranien, ainsi que la lente et dangereuse désintégration du Yémen.

Permettez-moi, mes chers collègues, de formuler un bref commentaire sur ces trois dossiers.

S’agissant du conflit israélo-arabe, son importance centrale et la menace qu’il fait peser sur le destin du peuple palestinien sont au cœur des relations entre l’Occident et le monde arabe.

Ce dernier reproche aux États-Unis et à l’Europe de faire constamment deux poids et deux mesures, de tout accepter d’Israël, notamment de fouler aux pieds les résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, mais de faire preuve d’intransigeance à l’égard des Arabes. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Occident condamne les tirs de roquettes du Hamas contre Israël, mais ne dit rien, ou bien peu de chose, du blocus de Gaza qui en est la cause.

Le paradoxe du conflit israélo-palestinien est que les paramètres d’une solution sont connus. Ils ont été définis en 2000, à la suite de longues tractations conduites sous la présidence de Clinton.

Il s’agit, d’abord, de l’existence de deux États vivant côte à côte, de part et d’autre de la frontière établie en 1967, à l’issue de la dernière guerre israélo-arabe.

Ce tracé devra être corrigé, le moment venu, pour tenir compte des colonies établies par les Israéliens en territoire palestinien, rendant nécessaire une compensation territoriale par des cessions israéliennes aux Palestiniens.

Il s’agit également du partage de la capitale, Jérusalem, entre les deux États.

Il s’agit, enfin, de l’obtention par les réfugiés palestiniens de la reconnaissance d’un « droit au retour » dans les territoires affectés par les guerres israélo-palestiniennes, ce droit au retour étant conditionné par l’accord d’Israël. Or on sait très bien qu’Israël n’est aucunement prêt à accueillir des réfugiés palestiniens, si ce n’est à doses homéopathiques.

Ces paramètres, qui sont connus et sont les seuls sur lesquels on puisse fonder une paix – et à ce titre, ils ne sont pas vraiment discutés – n’ont jamais été mis en œuvre.

Plusieurs raisons expliquent une telle situation.

Tout d’abord, si l’Autorité palestinienne et le Fatah qui l’anime ont, depuis Yasser Arafat, reconnu Israël, il n’en va pas de même du Hamas, qui ne propose qu’une trêve, une oudna, d’une période de dix ans renouvelable.

On sait peut-être moins, et c’est là mon interprétation personnelle, que l’État d’Israël est incapable d’accepter officiellement les concessions minimales qui sont exigées de lui. Celles-ci impliqueraient des décisions que son système politique ne lui permet pas de prendre. En effet, les élections israéliennes ont lieu à la représentation proportionnelle intégrale, système dont on connaît bien les conséquences : des gouvernements de coalition et une paralysie de l’exécutif.

Par conséquent, les colonies connaissent une expansion ininterrompue et, lorsque l’on examine certaines cartes des territoires palestiniens, on voit apparaître une sorte de peau de léopard dont il semble difficile de faire un territoire cohérent et viable.

La position d’Israël constitue donc, au même titre que celle du Hamas, un obstacle. Pour la résumer en une formule, on peut dire que l’État d’Israël est politiquement trop faible pour faire la paix et militairement trop fort pour en avoir réellement besoin.

Ensuite, une autre cause du blocage tient, à mon sens, aux États-Unis, tout simplement parce qu’ils sont les seuls à pouvoir imposer l’ouverture de vraies négociations et qu’ils font preuve d’une retenue décevante. Contrairement à George Bush, le Président Barack Obama a pris des positions qui rejoignent celles de Bill Clinton, mais il n’a pas réussi, jusqu’ici, à persuader le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, ou à lui imposer, de prendre en compte ces concessions.

C’est pourquoi, à l’heure où nous nous réunissons, il est difficile d’apercevoir beaucoup de lumière au bout du tunnel sans fin du conflit israélo-palestinien.

Monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si cette analyse pessimiste rejoint la vôtre. Si tel est le cas, qu’envisage le Gouvernement pour tenter de sortir de l’impasse ?

L’accession de l’Iran à l’arme atomique constitue un problème beaucoup plus récent, mais non moins crucial. La menace qu’il représente pour la région est grave.

Ainsi, il est difficile d’imaginer que l’Arabie Saoudite et l’Égypte assisteraient sans réagir à l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire. Ces pays seraient alors susceptibles soit de développer leur propre programme, soit de s’adresser au Pakistan. Or il tombe sous le sens que la nucléarisation du Moyen-Orient constituerait une nouvelle désastreuse.

Téhéran affirme évidemment que son programme nucléaire est destiné à des fins exclusivement civiles. Mais l’essentiel de la communauté internationale n’en croit rien, et ce pour trois raisons. La première tient au secret dont l’Iran tente ou a tenté d’entourer son programme. Ensuite, l’Iran ne dispose d’aucune installation électronucléaire qui lui permettrait d’utiliser l’uranium enrichi à des fins civiles. Enfin, le pays se dote d’un arsenal de missiles balistiques, qui aurait peu de sens s’il ne s’agissait que de véhiculer des explosifs conventionnels.

Les États-Unis ont opté pour la voie diplomatique, mais n’ont obtenu à ce jour aucun résultat positif. Or Israël estime que la nucléarisation de l’Iran constituerait pour lui une menace existentielle.

L’orateur est victime d’un bref malaise. Ayant repris connaissance, il tient à poursuivre son intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

C’est pourquoi la nucléarisation de l’Iran, envisageable à l’échéance de 2015, est entre les mains des États-Unis, sauf à imaginer que les failles qui apparaissent dans le régime théocratique de Téhéran n’entraînent, à un moment ou à un autre, son effondrement, ce qui ne paraît pas immédiat.

Reste le problème posé par la désintégration inexorable du Yémen.

L’orateur ne peut poursuivre son intervention et doit descendre de la tribune. Il quitte l’hémicycle, salué par Mmes et MM. les sénateurs et M. le ministre, qui l’applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La séance est reprise.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je propose que Mme Cerisier-ben Guiga lise la fin de l’intervention de M. Jean François-Poncet.

Assentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Avant de lire la fin de l’intervention de M. Jean François-Poncet, je veux rendre hommage à notre collègue. Tout au long de l’année dernière, nous avons fait ensemble des voyages éreintants, au cours desquels j’ai pu admirer la lucidité avec laquelle, en dépit de son âge, il menait notre recherche.

Ce soir, je vais donc vous donner lecture de la fin du texte de son intervention en le reprenant au point concernant le Yémen, qui était le premier thème abordé lors de notre voyage.

« La désintégration inexorable du Yémen porte en elle d’autres dangers.

« Le gouvernement yéménite ne contrôle plus guère que sa capitale, Sanaa. Il ne parvient pas à mâter la rébellion houtiste qui contrôle le nord du pays ni à écarter la menace d’une sécession au sud.

« Quant au centre du pays, dont le relief est presque aussi tourmenté que celui de l’Afghanistan, il permet aux tribus qui y vivent d’ignorer le gouvernement central.

« Du coup, Al-Qaïda y a développé des camps d’entraînement et y a replié une partie des jihadistes contraints de quitter l’Irak.

« Le Yémen est le pays le plus déshérité du Moyen-Orient. Mais avec vingt-quatre millions d’habitants, il en est le plus peuplé. Il constitue une menace pour la tranquillité de l’ensemble de la péninsule arabique. L’Arabie Saoudite en est fort inquiète et construit, pour tenter d’isoler son territoire du Yémen, une barrière électronique, dont l’efficacité future demeure toutefois à démontrer.

« Monsieur le ministre, j’arrête ici mon propos en vous demandant si cette analyse, qui a volontairement mis l’accent sur l’instabilité du Moyen-Orient et les menaces que celle-ci comporte pour l’Occident, rejoint dans ses grandes lignes la vôtre. Le Sénat souhaiterait surtout être éclairé sur les initiatives que la France prend et envisage de prendre pour parer à ces diverses menaces. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Merci, ma chère collègue, d’avoir lu la fin du discours de M. Jean François-Poncet.

Vous avez maintenant la parole pour intervenir au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviendrai à la fois au nom de la commission des affaires étrangères et en tant que membre du groupe socialiste, afin de ne pas allonger le débat.

Je tiens tout d’abord à remercier à mon tour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et particulièrement son président, de l’honneur qu’ils nous ont fait en nous confiant cette mission.

Celle-ci a pu être consensuelle parce que nous recherchions ensemble les faits. Nous espérions présenter un rapport transversal, mais la diversité des situations nous en a empêchés.

Je suis néanmoins heureuse que M. Jean François-Poncet ait repris dans son exposé l’essentiel des grands thèmes qui expliquent les convulsions du Moyen-Orient et les raisons pour lesquelles l’opposition à l’Occident – l’Europe et les États-Unis – y est si forte.

Le seul point sur lequel nous divergeons encore porte sur l’opportunité de sanctions nouvelles à l’encontre de l’Iran.

Alors qu’une grande part du peuple iranien lutte héroïquement pour l’établissement de l’état de droit, serait-il juste et efficace de le sanctionner ?

Le gouvernement iranien exerce une dictature. Il se sert de la menace internationale pour justifier la répression interne. En renforçant les sanctions aujourd’hui, ne renforcerions-nous pas la dictature plutôt que de l’affaiblir ? Il est difficile de se faire une idée, mais le moindre mal serait certainement le mieux.

Si les sanctions échouent et si l’Iran développe vraiment, sans ambiguïté, un programme nucléaire militaire, que ferons-nous ? Irons-nous le bombarder ? Aiderons-nous Israël à le faire, ou le laisserons-nous faire ? Sommes-nous prêts à une quatrième « guerre du Golfe » ? Aucune de ces hypothèses n’est acceptable.

Le réalisme commanderait probablement de s’attaquer au problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. C’est une utopie qui est peut-être plus réaliste que les perspectives de guerre. La miniaturisation des bombes rend la menace plus immédiate pour les peuples désarmés sur lesquels elle pèse. Nous ne serons crédibles qu’en promouvant un traité régional incluant Israël, qui fasse du Moyen-Orient une zone exempte d’armes nucléaires, comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est. C’est utopique, je vous le concède, mais l’utopie se révèle quelquefois plus sûre que les roulements de tambours !

Monsieur le ministre, vous avez rencontré M. George Mitchell à Bruxelles, et nous sommes heureux que, en dépit de cette journée chargée, vous ayez pu venir ce soir au Sénat pour réagir à nos propos en fonction des toutes dernières évolutions de la situation israélo-palestinienne.

Je m’attarderai sur ce sujet, qui me préoccupe particulièrement en tant que présidente du groupe d’information internationale France-Territoires palestiniens du Sénat.

Voilà un an, presque jour pour jour, le Sénat débattait des conséquences de l’opération punitive de l’État d’Israël contre Gaza, dont mon collègue Jean François-Poncet, moi-même et notre ambassadeur pour les droits de l’homme avons pu constater l’ampleur le 29 janvier 2009.

Cet événement ramenait sous les feux de l’actualité et de l’émotion un conflit occulté par les médias et que beaucoup croyaient gelé.

Après cette année 2009 qui a vu, du fait de l’armée israélienne, la mort de 29 Palestiniens en Cisjordanie, s’ajoutant aux 1 400 tués de Gaza, l’arrestation de 3 456 Cisjordaniens, la destruction de 299 maisons, il n’y a plus ni partenaires pour des négociations ni arbitre. La négociation paraît donc impossible.

Peut-être avez-vous d’autres nouvelles, monsieur le ministre ?

Aujourd'hui, nous assistons à la séparation entre la Cisjordanie occupée et Gaza assiégée, à la division entre le Fatah et le Hamas. Il n’y a donc plus de négociateur palestinien.

Quant aux Israéliens, ils veulent la sécurité plutôt que la paix. Leur majorité gouvernementale est fragile. Jean François-Poncet a bien expliqué pourquoi Israël n’était pas en état de vouloir la paix au point d’en payer le prix : militairement trop fort et politiquement trop faible, il ne peut pas payer le prix de la paix actuellement.

L’absence d’arbitre est l’un des éléments qui font que le conflit dure depuis soixante ans. Actuellement, l’arbitre américain n’est ni neutre ni fort. En outre, Israéliens et Américains excluent tout autre arbitre du conflit, en particulier l’Union européenne. Si je me trompe, dites-le moi, monsieur le ministre !

Par ailleurs, l’Europe, divisée, liée à Israël par un complexe de culpabilité et des relations économiques qui passent avant tout autre considération, n’use pas des moyens de persuasion et de pression dont elle dispose. Pourtant, sa responsabilité est lourde, aux origines historiques de la création d’Israël.

Quand l’Europe défendra-t-elle réellement les droits des Palestiniens qui paient aujourd'hui pour ses crimes passés ?

Pourquoi la France n’utilise-t-elle pas les moyens qui lui sont donnés par l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et Israël en 1995 ? Pourquoi ne pousse-t-elle pas l’Union européenne à prendre des dispositions, en application de l’article 2 de cet accord, qui permettraient de faire comprendre au gouvernement israélien qu’il ne peut pas impunément bafouer les droits de l’homme et la légalité internationale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

La question palestinienne reste centrale au Moyen-Orient. On nous en a parlé partout. Elle est l’abcès de fixation du ressentiment et des frustrations de toute la région. Si elle était résolue, les autres questions seraient sans doute moins difficiles à régler.

Or la situation dans les territoires palestiniens, en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza, se dégrade.

En Cisjordanie, je citerai les récentes exécutions extrajudiciaires en zone de souveraineté palestinienne, à Naplouse, à la suite de l’assassinat d’un colon ; les arrestations de Abdallah Abu Rahma, coordinateur du mouvement non-violent de Bil’in, de Jamal Juma, coordinateur de la campagne Stop the Wall, et de bien d’autres militants pacifiques ; la détention arbitraire de centaines de Palestiniens, dont les deux tiers depuis plus d’un an, dénoncée par l’ONG Hamoked dans un rapport récent ; enfin, le maintien en détention de notre compatriote Salah Hamouri, illégalement et injustement condamné, dont le Président de la République n’a jamais prononcé le nom.

Mme Dominique Voynet applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Nous aimerions qu’il fasse autant d’efforts pour tous les Français injustement privés de leur liberté à l’étranger que pour Gilad Shalit et pour la jeune Clotilde Reiss.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.–Mme Dominique Voynet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Le récent rapport des diplomates européens en poste à Jérusalem confirme nos observations au cours de notre voyage : toute la politique du gouvernement israélien est orientée vers « l’israélisation » de Jérusalem-Est, en violation de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Le gouvernement israélien expulse les habitants arabes ; il détruit les maisons. La colonisation se poursuit pour couper complètement Jérusalem de son environnement arabe par deux lignes de colonies.

Le statut de résident a été retiré en 2009 à 4 577 Palestiniens de Jérusalem et une loi actuellement en préparation en privera tous ceux qui ont la chance d’avoir une nationalité. Même la déléguée générale de Palestine en France risque d’être menacée par ces dispositions.

Quel est, monsieur le ministre, le statut du rapport de nos diplomates européens à Jérusalem ? Nous demandons qu’il soit rendu public et que ses conclusions inspirent la politique de la France et de l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Par ailleurs, qu’allez-vous faire du projet que l’ONG israélienne Hamoked a présenté à la France pour la défense des droits des Palestiniens de Jérusalem ?

Sur Gaza, tous les rapports convergent : on y organise le « dé-développement ». Les usines ont été rasées ; les industriels ont fait faillite ; l’agriculture périclite faute d’intrants et de semences ; l’eau potable, les eaux usées, l’électricité, tout pose problème. Le blocus, qui n’a cessé de se durcir depuis 2005, ne permet aucune reconstruction. Ne peuvent y entrer qu’une trentaine de produits sur les 9 000 recensés par l’accord de Paris. Aujourd'hui, 5 000 familles restent sans abri. Faute de ciment, l’UNRWA en arrive à construire des maisons en terre.

La vie quotidienne est sous perfusion grâce aux tunnels. Et voilà que l’Égypte les ferme par le mur d’acier de 18 mètres de profondeur qu’elle installe à sa frontière avec Gaza. Mieux vaut une économie souterraine, même mafieuse, qui permet aux Gazaouis de survivre, que pas d’économie du tout. Et si ce blocus et les tunnels renforcent le Hamas, c’est que la France, l’Union européenne et les États-Unis mènent, à son égard, une politique absurde depuis 2006, qui, loin de l’affaiblir, ne fait que le renforcer.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

J’en viens à l’État palestinien, sur lequel j’aimerais obtenir votre éclairage. Depuis quelque temps, il en est beaucoup question, mais il faut se demander si c’est pour de bonnes raisons.

L’État palestinien est la pièce manquante de la stabilité du Proche-Orient et de l’Union pour la Méditerranée.

Est-il dans l’intérêt des Palestiniens aujourd’hui que cet État soit de nouveau proclamé, alors qu’il l’a déjà été en 1988 ? Quelles garanties internationales lui seraient données ?

En Palestine, les conditions constitutives d’un État sont parfaitement remplies : un peuple animé par la volonté de vivre ensemble, un territoire historique, une culture et des frontières définies par la ligne de 1967.

Autant peut être évoqué le « dé-développement » de Gaza, autant nous assistons depuis la mort d’Itzhak Rabin à un processus de déconstruction de l’État palestinien.

Que reste-t-il des frontières potentielles du fait de l’annexion unilatérale de Jérusalem-Est et l’érection du mur de séparation ? Que reste-t-il du territoire de la Cisjordanie sinon un archipel morcelé, fragmenté par les routes de contournement et les checkpoints, par une colonisation qui progresse chaque jour, par l’israélisation de Jérusalem-Est ? Que reste-t-il de ce peuple dont la division a été savamment orchestrée, le chaos étant programmé à Gaza dès le retrait de 2005 ? Avant même de penser à un État, il faut absolument restaurer l’unité des Palestiniens.

Monsieur le ministre, peut-on concevoir un État sans souveraineté, un État purement rhétorique ? Que pensez-vous de tous ces plans qui visent, semble-t-il, à remplacer une Autorité palestinienne dont les bases juridiques disparaissent et qui est en permanence bafouée par l’occupation, ce dont elle semble être complice aux yeux d’une partie de la population, par un État qui, dans les conditions actuelles, serait fictif ? N’est-ce pas un subterfuge pour éviter le recours aux élections ?

Nos protestations auprès d’Israël ne sont ni audibles ni crédibles ; elles dissimulent bien mal notre incapacité à agir, voire notre absence de volonté.

Alors que l’Union européenne s’apprêtait, dix ans après la Déclaration de Berlin, plus de vingt ans après la Déclaration de Venise – dont je rappelle que M. Jean François-Poncet, alors ministre des affaires étrangères, était le rédacteur – à faire enfin entendre sa voix, la France a été l’artisan de la suppression de la référence à Jérusalem-Est comme capitale du futur État palestinien dans le texte proposé en décembre par la présidence suédoise. Comment pouvez-vous justifier cela, monsieur le ministre ?

Le traitement du rapport Goldstone avait déjà illustré le caractère velléitaire de la communauté internationale, et des Occidentaux en particulier.

La France accorde – à juste titre – du crédit au rapport de l’ONU sur les crimes commis en Guinée. Pourquoi rejette-t-elle alors d’entrée de jeu celui sur les crimes perpétrés à Gaza, bien qu’il ait été recoupé par les témoignages des soldats israéliens, par différentes ONG, notamment des plus sérieuses, et par des témoins étrangers dont M. Zimeray, M. François-Poncet et moi-même ?

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Notre diplomatie s’épuise aujourd’hui dans la gestion de menus détails, dans l’obtention de concessions infimes sur fond de brimades et de camouflets régulièrement infligés à nos diplomates, que nous n’accepterions d’aucun autre État. La seule entrée à Gaza des tuyaux pour la station d’épuration de Beit Lahia nécessite des rencontres au sommet. Je pourrais également évoquer les difficultés rencontrées pour obtenir les visas de nos coopérants ou pour faire circuler le bus scolaire du lycée français de Jérusalem, systématiquement entravé sur sa route vers Bethléem. Et vous-même, ministre de la République Française, vous êtes vu infliger le camouflet de Gaza ! Nous attendons votre réaction.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Quant aux États-Unis, ils viennent d’opérer une grande reculade. Pouvez-vous nous dire si, après l’adoption du texte sur la santé, le président Obama retrouvera des capacités d’action au Moyen-Orient ?

Nous demandons que la France contribue à faire respecter la légalité internationale. Nous ne pouvons accepter que notre pays se serve de cette légalité internationale pour lancer des négociations destinées à la contourner, dès lors qu’il s’agit de la Palestine.

Monsieur le ministre, naguère la France disait le droit et prenait des initiatives en faveur d’une résolution juste du conflit israélo-palestinien. Or, depuis 2007, à l’exception du discours du Président de la République à la Knesset, nous avons le sentiment qu’elle cherche à faire taire les voix qui dénoncent les crimes, comme celle du juge Gosdstone, ou qui rappellent la légalité internationale, comme la présidence suédoise de l’Union européenne.

Nous sommes nombreux à juger que les initiatives françaises – du moins celles que nous connaissons, car nous ne sommes pas informés de toutes – se cantonnent au plan économique et humanitaire, ce qui ne gêne en rien les offensives politiques et les velléités de conquête de l’État israélien. En conséquence, le discours de la France n’est pas assez audible et nous regrettons de ne plus y percevoir de réelle cohérence avec ses actes.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

On m’a fait savoir que l’état de santé de notre collègue Jean François-Poncet était satisfaisant.

Dans la suite du débat, la parole est M. Michel Billout.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un an, à la même époque, nous débattions de la guerre menée par Israël contre la population de la bande de Gaza.

Quelle est aujourd’hui l’évolution de la situation dans cette partie du monde qui, depuis soixante ans, a vu se succéder tant de conflits armés ?

Bien que ce débat porte sur le Moyen-Orient dans sa globalité, j’évoquerai ici, pendant les dix minutes dont je dispose, exclusivement le conflit israélo-palestinien, car il est la cause principale des tensions dans cette région. Parvenir à régler ce conflit d’une façon juste et durable permettrait précisément d’endiguer les autres sources d’instabilité dans la région.

Mettre fin à ce conflit pourrait ainsi contribuer à écarter la menace que constitue la tentative d’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran et le risque de prolifération à l’ensemble de la région, déjà mise en danger par l’arsenal nucléaire israélien.

De la même façon, trouver des solutions pour résoudre ce conflit aurait assurément des répercussions positives sur la situation du Liban, toujours au bord de l’éclatement, et sur la Syrie, dont l’hostilité envers Israël n’aurait plus de raison d’être.

Je suis donc satisfait de la tenue de ce débat, que j’avais demandé au mois de novembre, et je souhaite qu’il contribue à définir quelques étapes sur le chemin de la paix dans cette partie du monde. Je continue toutefois de regretter que M. le président de la commission des affaires étrangères refuse d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de résolution européenne de notre collègue Annie David et moi-même demandant le gel de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Cette proposition me paraît d’une extrême actualité, et j’y reviendrai dans quelques instants.

Je voudrais tout d’abord rappeler que l’offensive militaire israélienne était totalement disproportionnée par rapport aux tirs de roquettes en provenance de Gaza qui l’avait motivée : elle a fait plus de 1 400 victimes palestiniennes, dont 60 % de civils, parmi lesquels un grand nombre de femmes et d’enfants.

Les conditions mêmes de cette opération ont d’ailleurs suscité un rapport commandé par la commission des droits de l’homme de l’ONU, qui, bien qu’il mette aussi en accusation le mouvement Hamas, est accablant pour les autorités militaires israéliennes : il leur impute très précisément des crimes de guerre.

Depuis un an, la population de la bande de Gaza, qui a subi cette guerre, souffre d’un nouveau blocus total. Il prolonge celui qui avait été instauré par Israël à la suite de la prise du pouvoir par le Hamas sur ce territoire en juin 2007 au détriment de l’Autorité palestinienne.

Cette mesure s’apparente à une punition collective. Elle a de dramatiques conséquences humanitaires et sanitaires, car la population civile manque d’eau, d’électricité et a difficilement accès aux soins médicaux. Avec le blocus, la reconstruction des infrastructures et des habitations détruites est impossible, l’économie et l’agriculture sont asphyxiées.

Depuis un an, les divisions, qui se traduisent parfois par des affrontements armés entre les différentes factions palestiniennes, se sont malheureusement accentuées.

Faute d’un accord entre le Fatah et le Hamas, la direction de l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine, avait, en effet, été obligée de différer, le 16 décembre dernier, la date des élections présidentielle et législatives, et de prolonger les mandats de Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autorité palestinienne et du Parlement.

Il semblerait toutefois ces jours derniers que la réconciliation entre les différents groupes, sous les auspices de l’Égypte et de l’Arabie saoudite, puisse revenir à l’ordre du jour. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous apporter des précisions sur ce sujet.

Depuis un an également, un élément nouveau est intervenu avec le triple refus du gouvernement israélien de mettre un terme définitif à sa politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, de reconnaître Jérusalem comme capitale des deux États et de lever le blocus de Gaza. C’est le principal obstacle à une reprise des négociations entre Israël, les Palestiniens et les États arabes.

Dans ce conflit, l’impression prévaut que ce qu’il est convenu d’appeler « la communauté internationale » a laissé Israël agir en toute impunité et ignorer toutes les résolutions de l’ONU qui condamnaient sa politique. Nous devons réagir face à cette passivité de la communauté internationale qui, depuis un an, n’a pratiquement pris aucune initiative de nature à régler ce conflit.

Le Président Obama, tant dans son discours du Caire que par l’envoi du négociateur George Mitchell dans la région, avait suscité de grands espoirs. À la différence de l’administration précédente, il s’était clairement prononcé pour une solution à deux États et a demandé l’arrêt complet de la colonisation. Il a malheureusement déçu en acceptant par la suite le moratoire israélien sur cette question décisive pour la création d’un État palestinien viable.

L’Union européenne, qui a des atouts en tant que premier partenaire économique d’Israël et principal contributeur en matière d’aide aux territoires palestiniens, s’est pour sa part toujours refusée à prendre une position qui lui soit propre.

Elle se contente de suivre la stratégie de l’administration américaine.

C’est la raison pour laquelle les pays européens, bien qu’ils dénoncent la poursuite de la colonisation et se prononcent eux aussi pour une solution à deux États, se satisfont d’un moratoire de dix mois sur la colonisation en Cisjordanie excluant Jérusalem-Est.

La semaine dernière, l’émissaire spécial pour le Proche-Orient, George Mitchell, a évoqué la possibilité pour les États-Unis de retirer leur soutien aux garanties de prêt à Israël – système grâce auquel l’État hébreu a bénéficié de milliards de dollars de prêts à des taux préférentiels – afin de faire pression sur le gouvernement israélien. Aussi, une pression de l’Union Européenne concernant les conditions d’application de l’accord d’association serait pertinente. C’est encore l’objet de la proposition de résolution déposée par le groupe CRC-SPG.

Quant à la France, sa position est extrêmement ambiguë.

Après s’être abstenu de participer au vote ayant abouti à l’adoption du rapport Goldstone à l’Assemblée générale de l’ONU, notre pays a également considérablement affaibli la portée de la résolution proposée lors du Conseil Affaires étrangères le 8 décembre dernier par la présidence suédoise et prévoyant la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale d’un futur État palestinien en refusant que cette mention y figure. Et je préfère ne pas évoquer les déclarations consternantes de notre ambassadeur à Tel-Aviv qui s’interroge sur la crédibilité des crimes de guerre, la réalité du blocus de Gaza ou même, selon Le Canard enchaîné, sur la pertinence de vouloir stopper la colonisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Il faut enfin relever les divisions des pays arabes et leur impuissance à opposer à Israël une stratégie cohérente commune.

Après l’intervention militaire israélienne à Gaza, ils ne sont pas parvenus à se réunir au complet, pas plus qu’ils n’ont réussi à se mettre d’accord lors du sommet sur la reconstruction de ce territoire qui s’est tenu au Qatar à la fin du mois de mars.

Il n’est donc pas acceptable de se résigner et d’assister passivement, d’année en année, à la lente dégradation d’une situation dont les implications dépassent largement les frontières du seul Moyen-Orient.

Certes, notre débat de ce soir n’apportera pas de solution miracle.

Mais il n’est pas inutile que dans un pays démocratique comme le nôtre les diverses sensibilités politiques représentatives de la nation puissent s’exprimer au sein des assemblées parlementaires afin de soumettre des propositions sur l’élaboration de solutions politiques et pacifiques.

Pour sa part, notre groupe veut y contribuer et considère qu’au vu de l’urgence et de la gravité de la situation il est impératif, et encore possible, d’influer sur le cours des événements.

Comment agir pour que les différents protagonistes de ce conflit sortent de l’impasse dans laquelle ils se trouvent ?

Que faire pour ne pas perdre l’espoir d’une solution politique négociée, fondée sur deux États dans le cadre des résolutions de l’ONU ?

Comment contraindre efficacement le gouvernement israélien à s’engager dans cette voie ?

Telles sont les questions auxquelles notre pays et l’Union européenne doivent impérativement apporter des réponses.

L’excellent rapport d’information sur la situation au Moyen-Orient de nos collègues Monique Cerisier-ben Guiga et Jean François-Poncet dégage à propos du conflit israélo-palestinien quelques pistes que je soutiens en grande partie et dont le Gouvernement devrait s’inspirer.

Comme le constate le rapport, nous devons effectivement être réalistes et lucides et avoir conscience que le gouvernement israélien n’acceptera vraiment de changer de politique que sous la pression des États-Unis et de la communauté internationale.

C’est dans cette perspective que l’Union européenne et la France devraient jouer un rôle plus dynamique, faire preuve d’une plus grande autonomie et manifester leur spécificité en exerçant de fortes pressions sur les dirigeants israéliens.

Celles-ci doivent se concentrer sur deux points essentiels : le premier, et le plus urgent, concerne la levée du blocus de Gaza ; le second doit porter sur l’exigence d’un arrêt total de la colonisation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, car la poursuite de celle-ci morcèle ces territoires et rend de facto impossible la création d’un État palestinien.

Ce sont deux conditions préalables à une reprise des négociations entre toutes les parties prenantes de ce conflit, je dis bien « toutes » car, comme le préconise le rapport, il faudra bien un jour ou l’autre prendre contact et négocier officiellement avec le Hamas, qui est l’une des composantes du peuple palestinien.

Sur ces deux questions, la France doit retrouver sa liberté de parole et d’action, jouer l’important rôle de médiation que lui confèrent l’image et l’influence dont elle dispose dans cette partie du monde.

Notre pays doit agir sans attendre les nouvelles propositions du plan de paix que les États-Unis doivent présenter prochainement.

Telles sont les conditions pour permettre une reprise des négociations débouchant enfin sur la création d’un État palestinien libre, indépendant, souverain dans les frontières établies en 1967.

Notre pays peut aussi jouer un rôle déterminant dans une phase très délicate de la reprise du processus de paix : celle de la libération de prisonniers.

D’une part, deux de nos compatriotes sont détenus dans l’un et l’autre camp de façon totalement inacceptable. Je veux parler du soldat Shalit retenu captif par le Hamas et de Salah Hamouri détenu dans une prison israélienne. Cela nous concerne donc directement et nous donne une responsabilité particulière.

C’est pourquoi je regrette profondément que le gouvernement français n’agisse pas de façon équitable pour la libération de nos deux compatriotes. Les parents de Salah Hamouri attendent toujours d’être reçus par le Président de la République.

D’autre part, la libération de Marwan Barghouti pourrait constituer une chance de réconciliation des parties palestiniennes et donc permettre à Israël de trouver un interlocuteur fiable.

Au total, monsieur le ministre, le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche souhaite vivement que le gouvernement auquel vous appartenez affirme plus clairement ses positions sur l’ensemble de ces questions et qu’il manifeste enfin fermement sa volonté d’aboutir à un règlement juste et durable du conflit entre Israël, les Palestiniens et les États arabes.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais moi aussi concentrer mon propos sur la question palestinienne. J’ai sur ce sujet une assez longue et lourde hérédité.

Ce débat me fait penser à cette chanson de Barbara :

« À chaque fois, à chaque fois […],

« On refait le même chemin

« En ne se souvenant de rien

« Et l’on recommence, soumise,

« Florence et Naples

« Naples et Venise ».

Cette fois c’est Jérusalem, Naplouse. La chanson se poursuit ainsi :

« On se le dit et on y croit

« Que c’est pour la première fois ».

Monsieur le ministre, nous n’avons pas du tout envie de sourire ni même de parler d’amour, mais de haine et de violence, de menaces et d’injustice ; et nous ne faisons même plus semblant d’y croire : Ramallah, Gaza, Naplouse, Hebron, Birzeit, Jérusalem…

L’histoire bégaye mais la haine avance, se dotant de moyens nouveaux de plus en plus effrayants : Al-Qaïda, le terrorisme aveugle qui n’est que le miroir de notre inertie et de la lâcheté de la communauté internationale à imposer une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien ; il y a un an à peine, la guerre effroyable de Gaza.

Mme la déléguée générale de la Palestine, qui nous honore de sa présence, est témoin de ce débat. Monique Cerisier-ben Guiga l’a mentionné tout à l’heure : il est vrai que l’on attend quelque chose de ce Parlement, on attend quelque chose de ce Sénat.

Et combien de temps, monsieur le ministre, allons-nous nous indigner à ce pupitre sans agir, laisser nos diplomates se faire bousculer, laisser s’instaurer une sorte d’impunité dans les faits qui est ressentie comme une injustice et crée tant de soif de vengeance ?

J’ai tenté de compter les colloques, les interventions, les questions orales et écrites de ces vingt dernières années, et dans mes archives j’ai retrouvé un article de mon mari Daniel Goulet, qui présidait le groupe France-Palestine.

L’orateur montre le document.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le ministre, je crains de pouvoir reprendre mot pour mot l’article qui figure dans ce journal tant les choses n’ont pas évolué. J’ai même peur qu’elles n’aient régressé.

Quand va-t-on enfin réaliser le coût de l’humiliation et de l’injustice ? Du tramway de la honte au mur du même nom, des checkpoints à la judaïsation de Jérusalem, cette politique du fait accompli, ce « fait du prince » n’est vraiment pas acceptable.

Cela a déjà été dit, il est facile de sanctionner l’Iran. Le double standard a lui aussi déjà été évoqué. L’État d’Israël viole depuis des années des résolutions internationales. Il n’a absolument pas l’intention de respecter ce droit international et ne donne aucun signe tangible en ce sens ; ni les résolutions de l’ONU, ni les engagements pris divers et variés.

Pire, cet État use de ses relais et encourage et stimule une politique agressive à l’égard de l’Iran à l’heure où la nouvelle administration américaine tente de reprendre un indispensable dialogue rompu depuis trop longtemps.

Faut-il rappeler que l’OTAN a elle aussi instauré une politique d’approche de la méditerranée afin de pouvoir y associer Israël dont le Parlement est observateur à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN !

Dans ce cadre, les ministres européens des affaires étrangères doivent aujourd’hui tirer les conséquences en gelant tout processus de rehaussement des relations bilatérales entre l’Union européenne et l’État d’Israël, et suspendre l’accord de partenariat en raison du non-respect de son article 2.

L’Europe doit ou devrait parler d’une voix, et mettre un terme à cette humiliation institutionnalisée des populations palestiniennes et de son corollaire, l’immunité tout aussi institutionnalisée de l’État d’Israël qui entraîne des populations entières vers le désespoir et le terrorisme.

Comme mes autres collègues, monsieur le ministre, et sans beaucoup plus d’espoir, je vous pose les mêmes questions : quelle est la politique de la France seule, quelle est la politique de l’Europe ? Quelles sont les mesures tangibles que vous pourriez prendre pour donner de l’espoir à cette population et faire en sorte que nos interventions à cette tribune aient des effets un peu plus concrets sur une situation qui, malheureusement, est de plus en plus désespérante ?

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en début d’année, il est de coutume de prononcer des vœux. À l’échelle globale, nous souhaiterions que la paix s’installe davantage dans le monde.

Malheureusement, au regard des dernières évolutions géopolitiques, l’idéal de liberté et de démocratie est loin de gagner du terrain. La commission des affaires étrangères et de la défense a donc souhaité organiser ce débat sur le Moyen-Orient.

Parce qu’elle est l’épicentre des grandes turbulences politiques de la planète, cette région mérite en effet une attention particulière.

La question est assez simple : quels progrès peut-on espérer en 2010 dans cette zone ?

Pour ma part, j’hésite entre espoir et déception. Dans chacun des pays en proie à un conflit, les avancées paraissent souvent faibles face aux difficultés anciennes ou, parfois, nouvelles.

Abordons d’abord la question israélo-palestinienne, qui s’éternise depuis un demi-siècle, et qui semble, à bien des égards, orienter le destin du secteur.

Si la paix n’est toujours pas à portée de main pour les Israéliens et les Palestiniens, le processus engagé sous Jimmy Carter à Camp David et repris en 2000 par Bill Clinton a au moins progressé dans les esprits. L’idée « deux terres, deux peuples » s’est peu à peu imposée et certains des points les plus épineux font heureusement, même si c’est encore insuffisant, l’objet de certaines avancées.

Pour autant, nous est-il permis d’espérer davantage pour cette année ? Je crains que non, tant que les deux camps opposés seront incapables de résister à la pression de leurs éléments extrêmes.

D’un côté, le Fatah, concurrencé politiquement par le Hamas, peine à s’imposer à la fois au sein de la population palestinienne et comme l’interlocuteur unique des négociations de paix, alors qu’il demeure le seul représentant vraiment reconnu pour Israël et pour la communauté internationale.

De l’autre côté, nous avons un premier ministre qui tourne régulièrement le dos à ses engagements. Récemment encore, Benyamin Netanyahou a autorisé la construction de neuf cents logements dans les territoires occupés à Jérusalem-Est, contrairement à ce qu’il avait promis quelques semaines plus tôt.

Dans ces conditions, le défi qui consiste à garantir l’avenir du peuple palestinien sans compromettre l’existence d’Israël reste entier et pour le moment sans issue.

En Irak, la situation évolue également de manière contrastée. On peut observer une relative stabilité du gouvernement Maliki qui a fait de la sécurité et de l’État de droit ses priorités. On peut même se réjouir d’un certain recul de la violence par rapport au plus fort de la guerre confessionnelle entre sunnites et chiites entre 2006 et 2007. Le sursaut américain a certes porté ses fruits grâce au déploiement de 30 000 soldats supplémentaires. Le ralliement des tribus sunnites, avec la création des « conseils de réveil », a par ailleurs contribué au retour d’une relative accalmie.

Mais le retrait des troupes américaines risque de changer la donne car elles ont fortement secondé les forces irakiennes dans leur lutte contre l’insurrection. Les « conseils de réveil » dépendent désormais d’un gouvernement dirigé par les chiites.

Par ailleurs, le problème kurde, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et même mieux que quiconque, n’est toujours pas résolu. Les prochaines élections pourraient donc créer un facteur supplémentaire d’instabilité si la majorité de M. Maliki était trop mince.

Mes chers collègues, si l’Iran n’est pas un pays en guerre, il suscite bien d’autres tensions, tout aussi préoccupantes.

L’ancienne tentation de ce pays d’exporter la révolution islamique a longtemps inquiété à juste titre les Occidentaux. Aujourd’hui, ce panislamisme a été remplacé par un nationalisme teinté de paranoïa, ce qui n’est guère plus rassurant.

Dans cet esprit, l’Iran nourrit l’ambition même plus dissimulée de posséder la bombe atomique. En effet, en faisant obstacle au travail des agences de l’ONU, en refusant l’offre franco-russe d’enrichissement de son uranium et en déclarant tardivement l’existence du site de Qom, ce pays laisse entrevoir la finalité militaire de son programme nucléaire, quoiqu’en disent ses dirigeants.

En conséquence, il est essentiel que la communauté internationale reste vigilante et ferme sur ce dossier, d’autant que nous mesurons aujourd'hui la nature réelle du régime iranien, au vu des événements récents : après une élection présidentielle truquée, la brutalité avec laquelle les derniers rassemblements ont été réprimés dévoile – certes sans créer de surprise – son véritable visage, celui d’une dictature autoritaire et liberticide.

Pour la troisième fois depuis l’été dernier, l’opposition, d'ailleurs de moins en moins impressionnée par l’appareil sécuritaire, n’a pas hésité à braver les autorités pour dénoncer le régime. Son courage a été chèrement payé le 27 décembre dernier, puisque les affrontements avec les forces de sécurité et les milices ont fait au moins huit morts, dont le neveu d’Hussein Moussavi.

La multiplication des arrestations et des exécutions sommaires montre le mépris des dirigeants iraniens pour les droits de l’homme.

S’il est prématuré d’imaginer un véritable changement de régime à ce stade des événements, le réveil d’une jeunesse militante, laïque, courageuse, suscite des espoirs.

Mes chers collègues, ces trois zones d’instabilité demeurent très dangereuses pour les populations qui y vivent, mais aussi pour la sécurité du monde. En effet, le terrorisme s’y nourrit, au nom du djihad mué en haine. Si Al-Qaïda a été affaiblie par endroits, l’organisation sait renaître ailleurs. L’attentat manqué contre le vol Amsterdam-Detroit du 25 décembre dernier confirme l’émergence de nouvelles bases, en l’occurrence au Yémen.

Une fois de plus, les terroristes profitent de la faiblesse de l’État pour s’implanter. Nous le savons, le président du Yémen, bien qu’il soit au pouvoir depuis 1978, ne contrôle plus les provinces orientales de son pays.

La conférence internationale du 28 janvier prochain devrait évoquer le cas du Yémen. Si l’attentat manqué nécessite de poursuivre la lutte contre le terrorisme, il paraît toutefois difficilement envisageable de laisser naître un nouvel Afghanistan.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Compte tenu des enjeux de sécurité, qui dépassent le seul Moyen-Orient, se pose toujours la même question : quelle politique étrangère mener dans ces régions ?

Beaucoup de voies ont déjà été explorées : les sanctions, l’interposition, l’intervention militaire, la médiation... De nombreux pays se sont impliqués, au premier rang desquels les États-Unis.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurais pu évoquer encore d’autres pays de cette région et traiter de bien d’autres points de crispation. Toutefois, le sujet est tel, naturellement, qu’il est impossible d’évoquer l’ensemble des cas particuliers. La situation générale, en tout cas, demeure quant à elle incertaine et fragile.

Dans ce contexte, il est important, me semble-t-il, que la politique étrangère de la France s’inscrive dans la continuité, donc dans la recherche permanente des droits des peuples et de la paix.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ajouterai un dernier mot : si l’Union européenne pouvait se montrer plus active au Moyen-Orient, cette démarche serait utile, me semble-t-il, surtout compte tenu de nos responsabilités historiques dans cette région du monde.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de rendre hommage au courage de M. Jean François-Poncet, qui a tenu à venir spécialement de Marrakech pour participer à ce débat et qui a certainement payé cet effort du malaise qu’il a subi. Nous lui souhaitons tous un prompt et total rétablissement.

Je voudrais aussi saisir l’occasion qui m’est accordée pour féliciter et remercier de leur remarquable rapport Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean François-Poncet, qui nous ont permis d’organiser ce débat. Nous avons puisé dans leur travail des informations de tout premier ordre. Leurs analyses sont parfaitement d’actualité et éclairent nos délibérations, en particulier celles d’aujourd’hui.

Quels sont les éléments que j’en retiens ? Il s'agit de trois constats et d’une conclusion.

Le premier constat est que le Moyen-Orient compte beaucoup pour l’Europe.

Cet intérêt trouve sa source dans la géographie, l’histoire et l’économie. Le Moyen-Orient est le berceau de notre civilisation. Nous y avons exercé une présence dès les origines de notre pays, et singulièrement au XXe siècle. Notre approvisionnement énergétique en dépend. Sa géographie en fait un carrefour stratégique entre trois continents, l’Europe, l’Afrique et l’Asie, et un lieu de confrontation entre les influences et les idéologies les plus diverses.

Toutefois, du Moyen-Orient dépendent aussi notre sécurité et celle de l’Europe dans son ensemble. Le meilleur moyen de lutter contre ce que nous appelons, dans un amalgame approximatif, le « terrorisme islamique » passe par une paix juste et durable au Moyen-Orient.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Des groupes, certes islamiques, mais avant tout fanatiques et terroristes, prennent prétexte pour menacer et tenter de frapper nos territoires d’une politique censée faire deux poids deux mesures entre Israël et les Arabes et qu’ils qualifient « d’injuste et d’inéquitable » ou de « double standard ».

C’est donc parce que notre propre sécurité dépend de la situation au Moyen-Orient que nous sommes fondés à exprimer notre opinion sur ce qui s’y passe. Il s’agit non pas de distribuer le blâme ou l’éloge, mais de nous prononcer sur la politique menée par les États de la région, à l’aune de notre propre sécurité.

La seconde raison justifiant l’intérêt de l’Europe est que les communautés d’origine moyen-orientales y sont particulièrement importantes. Entre quinze et vingt millions de musulmans vivent en Europe. En France, la communauté musulmane compte plus de cinq millions de personnes. C’est la plus importante d’Europe. Tel est aussi le cas de la communauté juive, estimée à 500 000 personnes.

Malgré la retenue dont font preuve leurs responsables, une radicalisation du conflit entre les Israéliens et les Arabes ne pourrait pas ne pas retentir sur les relations entre les communautés. Une telle situation n’est pas compatible avec la vision qui est la nôtre de l’harmonie sociale et de l’unité nationale. Veillons à ne pas importer dans notre pays les querelles du Moyen-Orient et à ne pas laisser à cette occasion se développer l’antisémitisme ou son pendant, l’anti-islamisme.

Mon deuxième constat est à l’inverse du précédent : l’Europe compte peu au Moyen-Orient.

Ceux qui voyagent en Orient ont peut-être eu le sentiment d’une véritable attente d’Europe. On y loue son soft power par contraste avec le hard power américain. On nous rappelle nos liens historiques. On marque de l’intérêt pour nos entreprises ou nos produits. Toutefois, soyons lucides ! Dès que les choses se compliquent, on se tourne vers les États-Unis. Cette situation n’a jamais été aussi vraie que depuis l’élection du Président Obama, qui a su tendre la main au monde musulman dans son discours du Caire.

Pourtant, l’Europe a été la première à reconnaître la solution des deux États, à travers la déclaration de Venise en juin 1980. Elle a joué un rôle important avec la conférence de Madrid et les accords d’Oslo en 1991.

Or, depuis lors, l’Europe s’est effacée. Elle n’a pesé pour rien pendant les années Bush. La création du Quartet a entériné une distribution des rôles dans laquelle les États-Unis coordonnent les efforts diplomatiques et sont garants de la sécurité, tandis que l’Europe paye.

La contribution des pays européens pour compenser les conséquences de l’occupation israélienne en Cisjordanie s’est élevée à plus de 1 milliard d’euros en 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

L’importance de cet engagement financier contraste avec l’effacement politique de l’Union européenne.

Pourquoi ? La réponse est malheureusement simple, et ce sera mon troisième constat : si l’Europe est impuissante, c’est parce qu’elle est divisée, incapable de parler d’une même voix sur la question centrale qui focalise l’attention du Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien.

Soyons clairs : pour des raisons qui tiennent à notre histoire et aux tragédies du siècle dernier, nous éprouvons des difficultés à affronter et à apprécier les faits en tant que tels, sans considération de l’identité de celui qui les commet. Les gouvernements d’Israël le savent et en tirent avantage.

Pourtant, l’amitié franco-israélienne ne fait aucun doute. Comme l’a rappelé le Président de la République dans son discours à la Knesset, cette amitié est due « à la manière dont le judaïsme a influencé, a nourri, a enrichi la culture française », et, en sens inverse, « à l’inspiration que les Pères fondateurs d’Israël ont puisée dans les valeurs de l’universalisme français ».

Le Président de la République a donné des gages de l’amitié de la France vis-à-vis de ce pays et des preuves de son amitié personnelle pour ses dirigeants. Comme lui, nous pouvons dire : « Oui, la France est l’amie d’Israël et la France sera toujours aux côtés d’Israël lorsque sa sécurité et son existence seront menacées ». Ces paroles engagent notre pays.

Présentement, la sécurité d’Israël semble solidement établie. Ni ses voisins, ni même les menaces insensées d’Ahmadinejad ne sauraient la remettre en cause.

Aussi le temps est-il venu, me semble-t-il, où Israël peut et doit s’employer à rechercher les moyens de mettre fin à un conflit sans issue, qui, de part et d’autre, n’a engendré que la haine, la destruction et le désespoir.

Comment, alors que l’Europe vient de célébrer l’anniversaire de la chute d’un mur qui consacrait sa séparation, croire qu’un mur qui coupe en deux le territoire palestinien, empêche toute circulation entre ses parties et multiplie les vexations et les tracasseries pour les Palestiniens puisse être autre chose qu’un instrument de ressentiment et de frustration ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Comment un peuple comme celui d’Israël, qui a tant souffert de sa dispersion, de honteuses et inhumaines discriminations, mais aussi des spoliations, peut-il imposer à un autre peuple la privation d’emploi, l’expropriation de ses biens, des restrictions drastiques du droit d’aller et de venir, la possibilité même de reconstruire les logements ou les équipements détruits lors de l’opération contre Gaza ?

Comment une authentique démocratie comme Israël peut-elle s’accommoder d’atteintes aux droits de l’homme, telles qu’elles ont été établies dans le rapport Goldstone par les Nations unies, ou se satisfaire de la déstabilisation de l’Autorité palestinienne ?

Les terribles images diffusées par les télévisions du monde entier lors de l’opération « Plomb durci » en 2008, le témoignage de nos deux collègues Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga, qui se sont rendus presque immédiatement sur les lieux, jettent une bien cruelle lumière sur la tragédie de Gaza.

Aucune cause ne peut justifier la destruction délibérée d’hôpitaux, d’écoles, ou les attaques contre les populations civiles !

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

De tout temps, et c’est à l’honneur d’Israël, des voix se sont élevées pour condamner les excès de la répression. Israël a connu des dirigeants comme Menahem Begin ou Itzhak Rabin qui, un jour, ont décidé de franchir les lignes de leur propre camp et de tendre la main à l’adversaire. C’est ce processus que les États-Unis et l’Union européenne doivent encourager en joignant leurs efforts. Les pays arabes et même le Hamas ont admis que les frontières de 1967 pouvaient servir de base à un règlement.

En formulant la proposition d’un moratoire ou d’un gel de la colonisation en Cisjordanie, le gouvernement israélien a implicitement reconnu que l’implantation de communautés juives dans les territoires occupés constituait un obstacle à l’établissement de la paix.

Quel que soit le point de départ, il est urgent de reprendre les discussions, mais, dans cette perspective, il est indispensable que le gouvernement israélien dispose d’un interlocuteur crédible et représentatif de l’opinion palestinienne.

En déstabilisant l’autorité palestinienne, en lui faisant chaque fois ressentir son impuissance, en la privant de toute autonomie, on la condamne à l’inexistence, et, qui plus est, on fait apparaître le Hamas, que par ailleurs on stigmatise, comme la seule force incarnant la résistance !

Quant aux dirigeants du Fatah, ils doivent être conscients que les divisions intestines des Palestiniens s’exercent au détriment de leur cause. Elles servent d’alibi utile à la partie adverse.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Quel peut être l’effort de notre pays pour faciliter l’établissement d’une paix durable au Proche-Orient ?

La France doit agir comme aiguillon au sein de l’Union européenne, pour que celle-ci devienne à même d’élaborer des propositions concrètes permettant la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens.

Nos rapporteurs en ont énuméré quelques-unes : le gel total des colonies, la libération des prisonniers détenus dans chaque camp, celle de Marwan Barghouti comme celle de Gilad Shalit, la fin des expulsions des habitants palestiniens et la levée complète des barrages en Cisjordanie.

En revanche, l’engagement de cesser les attentats sur le territoire israélien doit être obtenu des diverses factions palestiniennes. Les aides financières de l’Union européenne pour la reconstruction à Gaza pourraient être conditionnées au respect de ces conditions.

L’avènement au pouvoir du Président Obama a fait naître un espoir au Proche-Orient, puisqu’il a marqué une plus grande attention des États-Unis à la condition des Palestiniens, une vision moins unilatérale du conflit israélo-palestinien, une prise de position claire contre l’extension de la colonisation à Jérusalem et en Cisjordanie. L’Union européenne doit être en mesure d’appuyer cette vision. Sa détermination sur ce point sera un test de sa crédibilité.

Ce qui se joue au Moyen-Orient au travers d’un conflit vieux de plus de soixante ans, ce n’est pas seulement l’avenir de la Palestine ou celui d’Israël, c’est celui de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde.

Nous n’osons imaginer les conséquences d’un raid israélien sur les installations nucléaires iraniennes et, inversement, d’une attaque iranienne contre Israël.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Nous savons que, tant qu’Israéliens et Palestiniens s’opposeront, aucune paix n’est possible entre Israël et la Syrie ou le Liban.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Depuis l’intervention israélienne dans la bande de Gaza, l’Union pour la Méditerranée, qui pourrait être un trait d’union puissant entre l’Europe, l’Asie et le continent africain, est en panne.

En conclusion, il est de l’intérêt de tous les protagonistes de sortir du face-à-face stérile et meurtrier dans lequel ils se sont enfermés. Dans l’intérêt des Palestiniens, c’est évident, il faut en finir avec le blocus de Gaza ! Quel responsable palestinien soucieux des intérêts de son peuple peut souhaiter que cette situation perdure ? Dans l’intérêt des Israéliens, c’est également évident, car le temps ne joue pas en leur faveur.

Pour sortir du statu quo, c’est au plus fort de tendre la main. C’est à Israël de faire le premier pas. Or le gouvernement israélien ne le fera que s’il est convaincu qu’il y va de son intérêt. Pour des raisons tenant au système politique israélien qu’a rappelées Jean François-Poncet, en particulier au régime électoral, ce premier pas est difficile, voire impossible. Israël ne bougera que si les pressions internationales sont plus fortes que les pressions nationales.

Pas plus qu’aucun autre pays européen, la France n’est suffisamment écoutée du gouvernement d’Israël pour l’en persuader. Les États-Unis, oui. Le veulent-ils ? Tel semble être le cas. Mais le Président Obama n’y arrivera pas tout seul. Il a besoin d’aide. L’Europe peut l’aider ! Encore faut-il que les Européens soient unis.

C’est pourquoi il est urgent de travailler à l’émergence d’un consensus européen et d’une plus grande coopération transatlantique sur ce sujet. Puisse le colloque que nous organisons dans cette enceinte les 28 et 29 janvier prochains y contribuer !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de décembre 2008, le Président de la République m’a confié une mission d’étude, d’analyse et de contacts sur le Proche-Orient. À ce titre, j’ai suivi nos rapporteurs presque à la trace

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Paradoxalement, tout au long de l’année 2009, à la suite des événements dramatiques survenus à Gaza, de grands espoirs ont pu être nourris : plusieurs fois, les négociations entre les parties palestiniennes ont failli déboucher sur un accord, notamment grâce à la médiation égyptienne. Cependant, après la divulgation du rapport Goldstone, nous avons assisté à la rupture définitive des positions et à une profonde crise politique au sein de la partie palestinienne.

Par ailleurs, au cours de l’année 2009, la France a poursuivi dans la voie d’un rapprochement avec toutes les parties en présence. Dans tous les pays du Proche-Orient, l’attente à l’égard de la France est très grande. Quel chef d’État est en mesure de s’exprimer à Ryad, à Jérusalem, à Damas devant les interlocuteurs les plus divers, que des conflits extrêmement vifs opposent, et de susciter, par sa seule parole, une grande adhésion et une grande attente sur bien des points ?

La France, en particulier dans sa relation avec la Syrie et son président Bachar el-Assad, a ouvert des portes et utilisé les ressources de cet exceptionnel carrefour de l’Orient. Ainsi, depuis 2007, elle s’est replacée au cœur du jeu et a sans doute quelque chose de plus à apporter que ses partenaires. Bien sûr, les contradictions sont à l’œuvre. Nombreux sont les orateurs à l’avoir souligné, ces sujets sont parmi les plus difficiles du monde. La question palestinienne est certainement depuis soixante ans la question la plus symbolique, la plus aiguë à laquelle toutes les diplomaties du monde entier ont été confrontées. Dans ce contexte, notre pays a certainement un rôle important à jouer.

Nous assistons de nouveau à une montée des périls. Il convient de souligner l’extrême sensibilité de la zone. Les incidents survenus cet automne à Jérusalem ont bien montré que d’une étincelle pouvaient résulter de très grands désordres. Pour ma part, je crois que la communauté internationale sous-estime la situation. Plusieurs intervenants ont très justement mis l’accent sur cette politique insidieuse et tenace de transformation de Jérusalem. C’est bien là le cœur du sujet : pour des centaines de millions de personnes dans le monde, il s’agit de l’aspect le plus symbolique. Tout cela ne peut qu’inspirer de très grandes inquiétudes.

Ce problème est politique mais aussi religieux, miroir de nos différentes identités.

Comment espérer esquiver le principal et ne régler que l’accessoire ?

Cette remarque semble s’imposer à écouter les personnalités infiniment savantes, grands techniciens, voire technocrates des négociations internationales, dont l’approche a peut-être piégé la mission Mitchell. Je me pose très sérieusement la question. Monsieur le ministre, puisque vous avez rencontré Georges Mitchell – Monique Cerisier-ben Guiga l’a souligné –, sans doute pourrez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point.

Par la qualité de la personnalité désignée par le président des États-Unis, son antériorité, son ouverture d’esprit, son objectivité, cette espèce de correspondance et de similitude entre l’Irlande et la Palestine, la mission Mitchell a suscité un très grand espoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Cependant, elle a travaillé très lentement et, quand les sujets ont commencé à être déblayés, l’état de grâce du Président Obama était terminé. Ce qui était possible au printemps, au début du mandat du président américain, ne l’était plus à l’automne.

Quelle est la situation actuelle ? Le patrimoine de la communauté internationale se réduit aux accords d’Oslo et au peu d’institutions palestiniennes qui existe. Il est le fruit de persévérantes et difficiles négociations et il a fallu résoudre de multiples contradictions pour en arriver là.

Or où en sont les institutions palestiniennes aujourd’hui ? Les mandats sont achevés et la situation commence à ressembler à celle du Parlement libanais pendant la guerre civile. Nous faisons semblant de ne pas avoir remarqué que le temps était révolu et qu’il faudrait une légitimité plus fraîche. La menace est réelle : si nous laissons se déliter ce patrimoine, que restera-t-il et que pourrons-nous opposer à la montée des périls ?

Quelle est l’autre solution à un schéma à deux États, autour duquel, en théorie, s’accorde la communauté internationale ? C’est le schéma à un État. Si Israël occupe tout l’espace entre la ligne de 1967 et le Jourdain, ce sera, à terme, un État avec une très puissante minorité qui, un jour, deviendra majorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Il s’agit là d’un profond levier de déstabilisation tant sur une rive du Jourdain que sur l’autre ! L’existence même de la Jordanie est en cause. Dès lors, l’onde de déstabilisation peut s’étendre à la péninsule arabique, à l’Égypte et à bien d’autres pays.

Nous avons peine à imaginer comment évoluerait la situation si le schéma de deux États sur le sol de la Palestine mandataire devait ne pas se concrétiser.

À mon sens, seule la perspective de deux négociations parallèles peut faire renaître l’espoir : l’une interétatique, l’autre interpalestinienne.

Il ne faut pas négliger que l’État d’Israël est toujours en guerre avec l’un de ses voisins, la Syrie, et que la position de cette dernière détermine celle du Liban. Si une paix peut intervenir sur la piste syrienne – ce que beaucoup d’Israéliens appellent le Syrian track –, un pas en avant considérable aura été franchi. Régler la question du plateau du Golan, c’est-à-dire rendre à un pays sa propre terre, et faire ainsi en sorte que la Syrie soit encore plus incitée à se réformer, à s’ouvrir vers l’Occident, à diversifier ses relations, à compter sur la France et sur l’Europe, voilà un enjeu de taille. Nous savons que nous pouvons y travailler de concert avec la Turquie.

Je tiens d’ailleurs à souligner que la vision et l’analyse de la France correspondent dans une très large mesure à celles de la Turquie. Pour des raisons historiques différentes, Turcs et Français connaissent la réalité complexe et multiforme de cette région et peuvent rassembler leurs efforts vers un but commun.

La négociation essentielle reste israélo-palestinienne. Mais pour négocier, il faut des interlocuteurs légitimes et, à ce titre, l’unité palestinienne est un préalable catégorique.

Chacun en convient, la politique du cordon sanitaire autour du Hamas, si on peut en comprendre l’origine et les motivations, s’est révélée dramatiquement inefficace.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Beaucoup ont rappelé à cette tribune que, paradoxalement, l’exclusive lancée contre le Hamas, dont il est d’ailleurs largement responsable, l’a renforcé et en a fait le pôle légitime de la résistance.

Le Hamas peut évoluer. Après tout, pourquoi serait-il si différent du Hezbollah ? La communauté internationale a admis, au sein du gouvernement libanais, une force militaire qui a joué le jeu des institutions, qui possède un groupe parlementaire et des ministres. Ce modèle est-il fatalement inapplicable au Hamas ?

Personne ne doit être naïf, monsieur le ministre, surtout pas les représentants de la France. Bien sûr, les efforts pour en arriver là doivent être partagés mais encore faut-il que les objectifs de ce mouvement soient compatibles avec les valeurs de la communauté internationale, avec l’existence et la sécurité de l’État d’Israël dans ses limites de 1967, à quelques ajustements ou échanges près.

Monsieur le ministre, tout cela peut redémarrer, j’en ai la conviction. Les deux pistes sont utiles et, selon les circonstances, l’une permettra d’avancer davantage, puis ce sera l’autre, puis peut-être, un jour, les deux.

Pour terminer, j’insisterai sur le rôle que la France peut jouer. Notre pays est crédible auprès de tous les interlocuteurs. Il est important qu’il le demeure vis-à-vis d’Israël. M. Josselin de Rohan a eu infiniment raison d’insister sur ce point. Si l’on veut jouer un rôle de médiation, que ce soit sur un terrain ou sur l’autre, d’un côté, avec la Turquie, de l’autre côté, avec l’Égypte ou l’Arabie Saoudite, il faut être agréé par les deux parties.

Cela suppose une analyse qui fasse preuve de réserve, même si, parfois, on aurait envie d’en dire plus et même si, comme l’a dit une très haute personnalité morale du XXe siècle, mieux vaut construire des ponts que construire des murs !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mon propos sera, lui aussi, centré sur le conflit israélo-palestinien, et probablement plus sur la Palestine.

Je salue Mme la déléguée générale de la Palestine et celui qui nous accompagne à Ramallah régulièrement. Autrement dit, les Palestiniens sont présents dans nos tribunes pour écouter notre débat.

La situation est bloquée, monsieur le ministre. À qui profite ce statu quo ? Sûrement au Hamas à Gaza en ce moment, mais à Israël aussi probablement.

Au-delà du statu quo, l’enlisement est une réalité et le recul en est une autre. On évoque les deux États mais le principe même des deux États semble être aujourd’hui atteint : la question se pose à nouveau. C’est la réalité et l’existence des deux États qui est sans doute le problème majeur.

Nous l’avons tous dit et nous le répétons, car c’est essentiel, l’État palestinien est un État fantôme, il est occupé, colonisé et morcelé. Jérusalem-Est palestinienne est grignotée et Jérusalem-Est disparaît. Vous venez de le dire, monsieur Marini, actuellement, il n’y a plus de gouvernement ni de légitimité, et le président Abbas est simplement prolongé dans ses fonctions. La situation actuelle est particulière ; elle n’a jamais été aussi grave !

Bien sûr l’État d’Israël lui-même existe, est reconnu, et il doit l’être. Mais sans la création d’un État palestinien, son existence est-elle assurée dans la durée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Les Palestiniens sont divisés, nous l’avons également tous dit. Monsieur le ministre, nous avons une lourde responsabilité concernant les élections de 2006 remportées par le Hamas. C’est un déni de démocratie : on ne reconnaît pas le résultat d’élections que nous sommes allés observer et que nous avons pourtant validées ! Nous devons en assumer les conséquences : la guerre et le blocus de Gaza.

La réconciliation, on le sait, passera par de nouvelles élections. Mais nous ne sommes pas en mesure de faire que ces élections puissent se dérouler : elles sont sans cesse reportées. Quand auront-elles lieu ?

On a fondé beaucoup d’espoirs dans le nouveau président des États-Unis, Barack Obama. Il ne pouvait sûrement pas tout faire ; il a néanmoins essayé et il faudra pourtant bien qu’il parvienne à faire quelque chose !

L’intention était bonne : il a remis au centre du débat le problème israélo-palestinien. La centralisation de ce problème était indispensable, il l’a dit. La stratégie initiale était judicieuse. Le sénateur George Mitchell a fait une tournée, certes sans succès, mais le Président Obama avait probablement investi le meilleur des émissaires. Les discours étaient bons mais ils n’ont pas abouti. Ensuite, il y a eu ce que certains appellent la volte-face du Président, et les discours malheureux de Mme Clinton.

Où en sommes-nous maintenant ?

L’Union européenne, chacun d’entre nous le dit, est un nain politique, mais c’est aussi un bon payeur. Monsieur le ministre, nous avons accompagné et financé des projets en leur accordant des sommes importantes de plusieurs millions voire de plusieurs milliards d’euros.

Le projet ASYCUDA, mis en place en 2001, concerne le contrôle des douanes. Or on ne contrôle rien dans un pays qui n’a pas de frontières ! On pourrait au moins contrôler la frontière entre Gaza et l’Égypte mais ce fameux logiciel, qui est l’un des plus performants du monde, ne fonctionne pas à Rafah. C’est bien dommage !

Dans le cadre du projet Seyada de renforcement du système judiciaire palestinien, mis en place en 2009, on crée des structures, on forme des juges et on crée des réseaux entre les tribunaux de Cisjordanie. Est-ce vraiment la priorité aujourd’hui ?

La formation de la police était en revanche une excellente démarche. Les policiers ne pouvant être formés en Palestine, ils le sont à l’étranger. Mais à quoi servent-ils puisque 80 % du territoire est maîtrisé par Tsahal ? Cependant, ces policiers sont efficaces là où ils se trouvent, à Naplouse notamment.

Que penser de cette opération sur l’enregistrement foncier, le cadastre en Cisjordanie aujourd’hui ?

On se préparait sans doute à faire vivre un État le jour où il a été créé. Mais, monsieur le ministre, jusqu’à présent combien d’argent a été engagé par la Communauté européenne et par la France ? Jusqu’à quand va-t-on continuer dans ces conditions ?

Certes, cet état des lieux est rapide ; d’autres en ont proposé un plus complet et différent.

J’en viens aux raisons de cette situation et aux responsabilités de chacun. Bien sûr, il faut citer George Bush et Tony Blair – George Bush, surtout. Il faut évoquer aussi la faiblesse de l’Europe, on l’a dit et on ne cessera de le dire.

Mais pourquoi une telle obstination destructrice d’Israël ? Comme le dit toujours le diplomate et historien Elie Barnavi – que vous connaissez sans doute personnellement, monsieur le ministre –, si ça continue, il en sera fini du rêve israélien !

La politique menée par Israël est destructrice. Qui peut le faire comprendre aux gens sensés – et il y en a – de ce pays ?

Il faudrait connaître un peu plus le rapport Goldstone qui, au-delà des murs et des miradors, évoque ces pratiques et ces méthodes tout à fait condamnables.

Concernant la communauté internationale, c’est-à-dire nous, monsieur le ministre, je reviendrai sur un certain nombre de principes qui vous sont chers, j’en suis sûre.

On ne peut déposséder les Palestiniens à la fois de leur terre et de leurs droits !

À la suite des élections de 2006 a été commis un déni de démocratie. L’élection du Hamas était probablement prévisible ; elle a été consternante. Mais, vous avez raison, monsieur Marini, il fallait l’accepter, par la force des choses. On ne pouvait pas aboutir à un résultat pire que celui-ci ! Il fallait faire évoluer le Hamas. Pouvait-il évoluer ? Quoi qu’il en soit, il était un interlocuteur incontournable et il le reste : nous ne sommes pas plus avancés aujourd’hui.

Par ailleurs, nous, l’Europe et la France, surtout, comment pouvons-nous ne pas rappeler des droits qui sont également ceux des Palestiniens et des peuples du Moyen-Orient ?

Monsieur le ministre, au-delà du respect du droit au retour pour les réfugiés, il faudra maintenir ce principe, dont les modalités d’application seront bien sûr modulées, et on le sait très bien.

Comme Yasser Arafat me l’avait dit à la Mouqata’a, les Palestiniens installés au Chili ne reviendront évidemment pas, mais le droit au retour est un principe sacré.

Le droit à la résistance et à l’oppression existe : il est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Nous, Français, oserons-nous un jour rendre leurs droits à ces hommes et à ces femmes ? En tant que fille de résistant, je n’ai pas envie que ce droit à la résistance soit identifié au terrorisme. On peut transformer des résistants en terroristes quand on ne les entend pas, et c’est évidemment ce qui se passe. Il faudrait de temps à autre parler du droit à la résistance et définir réellement ce qu’est le terrorisme.

Lors de vos déplacements, vous devez souvent entendre parler, monsieur le ministre, de cette politique de « deux poids deux mesures » à laquelle faisait référence Jean François-Poncet. Il ne s’agit pas seulement des résolutions de l’ONU, qui ne sont jamais respectées par les Israéliens. Il s’agit aussi de l’ambiguïté par rapport au problème du nucléaire.

On veut éviter la prolifération du nucléaire en le refusant à l’Iran, soit ! Mais comment peut-on accepter l’armement nucléaire de l’Inde et du Pakistan, qui ont signé le traité de non-prolifération, …

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Mme Josette Durrieu. … et laisser planer l’ambiguïté sur Israël, lequel détient la bombe sans le dire ?

Mme Nathalie Goulet applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Il faut remettre les choses à leur place. Monsieur le ministre, ce n’est pas sur l’injustice ni sur le cynisme que l’on pourra bâtir la paix. Nous devons remettre un peu de morale dans cette situation.

Soixante ans après, la paix est loin, comme le dit Bachar el-Assad, que j’ai eu la chance de rencontrer deux fois cette année. L’absence de guerre – ou le statu quo, pour certains, pas pour moi – est peut-être ce dont on peut se satisfaire.

Monsieur le ministre, comment peut-on assurer la sécurité et la paix des Israéliens et des Palestiniens de la région ? Quels sont les risques nucléaires et les risques de prolifération nucléaire au Moyen-Orient si la situation ne change pas ? Quelles solutions et avec quels acteurs sont possibles ? « Pouvons-nous vivre sans solution ? », disait Moshe Dayan. Certainement pas !

Dans l’immédiat, nous avons quelques objectifs qui sont des postulats premiers : arrêt de la colonisation et de l’occupation, levée du blocus à Gaza et libération des prisonniers.

D’ailleurs, pour moi, il n’y a pas un prisonnier de chaque côté. L’équation n’est pas si simple : d’un côté, le soldat franco-israélien Gilad Shalit est prisonnier mais de l’autre, 12 000 Palestiniens sont détenus ! Comment peut-on ramener la situation à un contre un ?

Les seuls qui ne pourront pas être les protagonistes directs de la paix, ce sont les Israéliens et les Palestiniens ! Ils en sont incapables pour des raisons différentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Je termine monsieur le président.

On demande aux États musulmans de s’impliquer davantage. Ils ont fait une grande partie du chemin, notamment avec le plan de paix du roi Fahd d’Arabie saoudite lancé à Beyrouth en 2002.

Il existe des États médiateurs, comme l’Égypte et la Turquie, que vous avez mentionnés, et auxquels j’ajoute la Syrie. Qu’il s’agisse du plateau du Golan, du Hezbollah, du Hamas ou du Liban, la Syrie est concernée. Elle veut normaliser sa situation et sans doute protéger la résistance palestinienne.

Monsieur le ministre, je partage la position exprimée par M. Solana juste avant de quitter ses fonctions : devant l’incapacité des uns et des autres, il faudra mettre une solution sur la table. Puisque vous avez rencontré des émissaires de haut rang, pouvez-nous nous dire si les États-Unis préparent réellement un plan de paix pour régler ce conflit dans les deux ans, comme l’affirme le journal Maariv ? Ce sera ma dernière question, tout autant qu’un vœu !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est-il utile ? Voilà une question qui, au fil du temps, aura fait couler beaucoup d’encre. Certains saluent sa prudence, sa sagesse, et s’en réjouissent. D’autres dénoncent son conformisme, et le déplorent.

Ce soir, en tout cas, cette question ne se pose pas, car le rapport qui sert de support à notre débat fournit, sur des sujets aussi sensibles et complexes que ceux qui sont relatifs à la situation au Moyen-Orient, un diagnostic minutieux, alliant précision et discernement, et ce sans exonérer quiconque de ses responsabilités dans les déséquilibres et les blocages constatés aujourd’hui, je tiens aussi à le souligner Il faut ici reconnaître et saluer comme il le mérite le travail considérable de Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga.

Seulement voilà : si ce rapport est remarquable, il est malheureusement presque certain qu’il n’aura guère d’impact sur ceux qui auraient tout intérêt à le lire. La raison en est toute simple : bon nombre de ses recommandations n’ont manifestement pas été portées à la connaissance de ceux qui, à l’Élysée, décident des orientations de la diplomatie française, de ceux qui, chaque fin de semaine, portent la bonne parole dans les capitales du Moyen-Orient.

Monsieur le ministre, il est permis de s’interroger : quelle est réellement la position de la France et comment nos interlocuteurs peuvent-ils s’y retrouver face aux signaux contradictoires envoyés par notre pays ?

Le temps qui nous est imparti pour ce débat ne permet pas de revenir en profondeur sur chacune des crises que connaît la région, mais leur simple évocation suffit à traduire l’ampleur des inquiétudes en la matière.

En Iran, les aspirations démocratiques exprimées par une large partie de la population, lors des fêtes religieuses de l’Achoura, ont été réprimées dans le sang par un régime dont on sait qu’il ambitionne de se doter de l’arme nucléaire.

L’Irak, dont il est à présent admis que l’invasion a été décidée sur la base d’arguments fallacieux, reste confronté au défi du maintien de son unité, les États-Unis ayant imposé, après la destitution de Saddam Hussein, une architecture institutionnelle ignorante de la donne locale et propice à un éclatement confessionnel, matérialisé, comme nous l’avons vu, par plusieurs années de chaos.

L’Afghanistan, déjà handicapé par l’affrontement des expansionnismes sur son territoire au xixe siècle, instrumentalisé durant la Guerre froide par la mobilisation des intégrismes pour des causes étrangères, connaît une nouvelle intervention de la communauté internationale. Si elle est juridiquement légitime, elle n’a pas évité les faux pas stratégiques. Manque de cohérence et de coordination entre les différents intervenants, insuffisante prise en compte du tissu multiethnique et religieux, nombreuses sont les raisons qui expliquent l’enlisement actuellement constaté.

« La France n’enverra pas un soldat de plus [en Afghanistan] », a annoncé le Président de la République en octobre dernier, alors que le Président Obama était encore dans sa phase de réflexion sur l’ajustement de la stratégie américaine. Aujourd’hui, c’est Nicolas Sarkozy qui semble encore en train de réfléchir, puisqu’il n’exclut plus d’envoyer également des troupes pour venir gonfler le contingent français sur place. Rien n’est décidé, bien sûr.

Après le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ici, et alors qu’il est patent que cette décision n’a pas contribué à renforcer l’autonomie décisionnelle de la France, …

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

… nous sommes très préoccupés : au rayon politique, le maigre espoir de la communauté internationale de voir émerger dans ce pays une « bonne gouvernance » a fait long feu. C’est bien cette même communauté internationale qui a accepté en effet, après son arrivée, l’établissement en Afghanistan d’un système constitutionnel permettant, par définition, les fraudes électorales. C’est encore elle qui a validé le scrutin présidentiel truqué de 2009.

Quant au conflit israélo-palestinien, souvent qualifié de façon presque ironique de « conflit de faible intensité », il atteint aujourd’hui une tension maximale. Les risques d’explosion – et je ne parle pas là de l’arme nucléaire – sont bien réels. Devant le refus d’Israël de stopper la colonisation illégale des territoires palestiniens, dont on sait qu’elle rend chaque jour plus difficile la création d’un État palestinien digne de ce nom, le dialogue est au point mort. Les habitants de Gaza, étranglés par un blocus aux conséquences humanitaires lourdes, ont vu s’abattre sur eux une pluie de bombes meurtrière dans le cadre d’une opération militaire dont le nom, « Plomb durci », résume la somme des cynismes qui conduisent, comme le fait en ce moment même l’Égypte, à finir de clôturer, jusqu’à plusieurs mètres sous terre, la cage que constitue désormais Gaza.

Monsieur le ministre, après soixante ans de conflit, je conviens qu’il est hasardeux de prétendre résoudre une équation sur laquelle ont buté tant de dirigeants politiques. L’énoncé du problème est pourtant connu de tous. L’enchaînement argumentaire qui pourrait conduire à la constitution de deux États voisins, vivant en paix, est établi. Rien n’y fait. Il faut le dire, ici encore, la communauté internationale n’est pas avare de maladresses et de calculs coupables. Ainsi, après avoir poussé à un scrutin démocratique en 2006 dans la bande de Gaza, les Occidentaux ont refusé de reconnaître la victoire du Hamas et de considérer celui-ci comme un interlocuteur.

À cette époque, la France et ses partenaires se sont pliés à l’option des États-Unis, consistant à renier un processus qu’ils avaient pourtant soutenu. Certes, vous n’étiez pas alors en responsabilité, monsieur le ministre. Mais, aujourd’hui, alors que nos deux rapporteurs ont courageusement engagé le dialogue avec Khaled Mechaal à Damas, vous-même persistez à vous couper de l’un des principaux acteurs, quoi qu’on en dise, de ce conflit et, par la même occasion, à vous priver de la possibilité de travailler efficacement à la remise sur les rails du processus de paix.

Cette position contribue à radicaliser le Hamas et à décrédibiliser les prétentions démocratiques des Occidentaux. Cet état de fait est d’autant plus incohérent que vous avez envoyé relativement discrètement, en 2008, un diplomate Français, aujourd’hui retraité, pour établir tout de même un contact avec le Hamas. Vous le savez, ce diplomate ne cesse de clamer qu’il est temps que la France adopte une autre posture à ce sujet.

Alors, que faire ? Comment imaginer un exercice plus difficile que celui qui nous est demandé ce soir ? Que dire qui n’ait été dit mille fois ? Que suggérer qui n’ait déjà été tenté ?

J’ai évoqué le renoncement de la France à une posture singulière, qui lui a jusque-là permis de conserver une réelle crédibilité au Moyen-Orient. Je passerai rapidement sur la question européenne. L’Europe ne possède pas, à cette heure, une influence suffisante dans la résolution du conflit. L’entrée en vigueur récente du traité de Lisbonne contribuera peut-être, du moins peut-on l’espérer, au renforcement du rôle de l’Union européenne, à condition, bien entendu, que l’on s’émancipe à l’avenir des égoïsmes nationaux. Ces derniers amènent, aujourd’hui encore, à choisir une parfaite inconnue pour diriger la diplomatie européenne, comme pour mieux se prémunir de l’émergence possible d’une véritable direction politique de l’Union.

À l’heure où la crainte d’attaques terroristes de grande ampleur sur les sols américain et européen est à son paroxysme, à la suite de l’attentat manqué sur le vol Amsterdam-Detroit et de l’attentat suicide meurtrier contre la base américaine de Khost, en Afghanistan, à la fin du mois de décembre, il serait opportun, sans pour autant baisser la garde face aux terroristes, de repenser notre approche des relations internationales. Après huit ans de « guerre contre le terrorisme », si les théâtres d’opérations sont mouvants et les organisations changeantes, le constat est sans appel : la menace reste, plus que jamais, d’actualité. Et la démonstration est faite : cette guerre-là ne peut pas être gagnée, ne sera pas gagnée, par les moyens qui sont aujourd’hui déployés.

Entre-temps, la démocratie que l’on entendait exporter, imposer et voir triompher, s’est en effet égarée dans les méandres de la manipulation électorale, de la négociation des résultats, de la détention arbitraire et de la torture sous toutes ses formes.

Il s’agit non pas de renoncer à espérer voir fleurir la démocratie et se répandre les droits de l’homme dans le monde, mais plutôt de s’assurer que notre façon de mettre en œuvre et de faire vivre les principes et les règles que nous avons érigées en la matière puisse recueillir l’adhésion des autres États et de chacune des luttes et des résistances nationales.

Monsieur le ministre, je formule ainsi un vœu, qui sera aussi ma conclusion : c’est que mon pays renforce son engagement auprès de la société civile en mouvement, quand elle existe. Il fut un temps où nous sûmes le faire ; je pense notamment à l’engagement de la France auprès des démocraties de l’autre côté de ce qui était alors qualifié de « rideau de fer ». Nous étions fiers de soutenir Václav Havel et l’Assemblée européenne des citoyens.

Aujourd’hui, en Iran, en Jordanie, en Syrie, en Égypte, en Israël même, il est des hommes et des femmes qui n’attendent que notre soutien. Nous devons leur envoyer un message éclatant, renforcer nos relations avec eux, notamment sur le plan matériel. Notre pays peut et doit le faire !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord rendre hommage à M. Jean François-Poncet, qui a tenu à délivrer, à quelques phrases près – mais vous avez complété, madame Cerisier-ben Guiga –, son message. Je salue son talent et son courage.

Je tiens, madame, à vous féliciter du rapport passionnant, fruit d’une grande érudition et de beaucoup de travail, que vous avez commis tous les deux. En vous écoutant, je me disais : après tout, ce débat en est-il bien un ? Si j’étais à votre place, j’aurais sans doute tenu une grande part de vos propos. Et si vous étiez à la mienne, vous auriez vraisemblablement choisi quelques-unes des phrases que je vais prononcer.

Plutôt que de répondre point par point à chacune des interventions, je dresserai un tableau général de la situation, en m’efforçant de vous fournir le plus d’informations possible. Je reviendrai en particulier sur les événements d’aujourd'hui.

Monsieur Marini, je vous remercie d’avoir rappelé que personne plus que la France n’est en ce moment entendu, écouté, sollicité par les pays arabes et Israël, comme par les autres, sur le conflit du Moyen-Orient. Tout n’est pas parfait, mais qui le serait sur un problème aussi difficile, dont vous-même avez évoqué les racines ? Vous avez à juste titre souligné, mais peut-être faut-il le faire plus encore, que les raisons de l’existence même de l’État d’Israël sont aujourd’hui oubliées. Une très large part des générations actuelles ne sait plus que celui-ci est né d’une décision de l’ONU, après l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale, loin du théâtre du Moyen-Orient où se joue en ce moment ce jeu si cruel.

En outre, tous les intervenants l’ont signalé, il y aurait beaucoup à dire sur le rapport Goldstone, sur la façon dont certaines ONG israéliennes ont souligné les excès impardonnables commis lors de la guerre de Gaza.

Cela étant, mesdames, messieurs les sénateurs, qui a plus condamné que la France, avec une grande constance, l’entrée de l’armée israélienne à Gaza ? Le Président Sarkozy a condamné ce déchaînement de violence. Bien entendu, dans le même temps, nous avons eu la même attitude devant les tirs de roquette, qui, d’ailleurs, n’ont pas complètement cessé. De façon vraiment décisive, nous avons maintenu une telle condamnation, comme celle de la colonisation.

La publication du rapport Goldstone a entraîné, je le reconnais, un certain nombre d’incompréhensions : en la matière, on a assisté à une véritable escalade. Si, au dernier moment, nous avons refusé de prendre part au vote au Conseil des droits de l’homme avant de s’abstenir à l’ONU, ce n’est pas faute d’avoir travaillé dans le dialogue avec nos amis palestiniens sur la présentation du texte, qui, vous le savez, a entraîné une succession d’incompréhensions de leur part.

Par ailleurs, je l’ai dit, nous continuons de condamner ce qui se passe dans la bande de Gaza.

À la question de savoir ce que je fais quand on m’interdit d’aller à Gaza, je réponds que j’ai signé le jour même la convention sur la reconstruction de l’hôpital Al-Quds avec nos amis palestiniens. Et j’espère que c’est ce qui est en train de se faire, malgré les difficultés du passage. Pour avoir travaillé comme médecin à Gaza, je connais bien la situation. Elle a évolué. Maintenant, l’essentiel, c’est de maintenir la pression, d’être déterminés et d’avoir pris la décision de reconstruire cet hôpital.

Je voudrais attirer votre attention sur quelque chose que vous n’avez pas évoqué et dont on a pourtant beaucoup parlé dans les médias : je veux parler du fait que M. Mitchell s’est arrêté en France pour faire le point sur le processus politique et sur le suivi de la Conférence de Paris. Or l’intitulé de cette conférence est conférence internationale des donateurs « pour l’État palestinien », et non « pour la création d’un État palestinien ». Nous avons continué à assurer le suivi de cette conférence et ce fut un succès ; je parle non seulement en termes financiers, sous l’angle de la récolte des fonds, mais également sur le plan politique. M. George Mitchell est venu nous encourager à poursuivre cet effort rendant ainsi hommage par sa présence à ce suivi de la Conférence de Paris.

Il a été décidé de réunir les experts autour du comité ad hoc, dirigé par nos amis norvégiens. Peut-être une autre Conférence de Paris sera-t-elle organisée en 2011, où avant si un certain nombre d’éléments politiques sont proposés.

Les conditions seront-elles réunies ? Je vous remercie d’avoir souligné que, pour jouer un rôle au Moyen-Orient, il faut être écouté de tous les côtés. Certaines positions excessives, comme celles que j’ai prises par le passé, ne sont pas productives. C’est un peu l’impression que j’ai ressentie au sortir de ma conversation avec George Mitchell. L’administration Obama se rend compte que tout peut se débloquer et que des mouvements ont eu lieu. Ils ont été salués, en particulier, par les représentants égyptiens : le ministre des affaires étrangères, M. Aboul Gheit et le général Suleiman se sont rendus à Washington pour y rencontrer George Mitchell et Hillary Clinton. Nous restons étroitement en contact avec eux depuis leur retour des États-Unis.

Aujourd’hui, M. George Mitchell a remarqué que les choses avançaient. Je crois ne pas trahir sa pensée en disant qu’il a constaté que le Premier ministre israélien, M. Netanyahou, avait décidé un moratoire, certes insuffisant, de dix mois sur la colonisation pour les territoires occupés à l’exclusion de Jérusalem. Cette proposition est connue des Palestiniens, qui peuvent, à leur tour, faire un mouvement.

Les représentants de l’Union, c’est-à-dire Mme Ashton, Tony Blair, au nom du Quartet, Miguel Moratinos, qui assure, au nom de l’Espagne, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, et moi-même avons tous répondu à M. Mitchell qu’il nous semblait possible que les Palestiniens acceptent, sinon les négociations, du moins le principe de rencontres. Nous avons également constaté que la carte proposée sous le gouvernement Olmert, en fin des discussions, après le processus d’Annapolis, était relativement satisfaisante pour les deux parties en termes de frontières. Je salue le sérieux et l’intensité avec lesquels nos amis palestiniens ont rencontré M. Olmert et Mme Tzipi Livni. Or, par rapport à cette période, nous avons régressé.

Si je voulais m’exprimer en termes beaucoup plus brutaux, beaucoup plus sommaires, je dirais que M. Mitchell proposait que nous nous mettions tous ensemble pour que les pourparlers reprennent. Mais nous n’avons jamais arrêté de dialoguer, nous l’avons fait en permanence, nous le faisons presque tous les jours ! Y a-t-il un espoir ? Bien sûr ! Tout le monde sait qu’il y aura deux États. Quand et au prix de combien de victimes encore ? Nous n’en savons rien, mais tout le monde sait que c’est la solution !

N’oublions pas que s’agissant des territoires, c’est-à-dire de la Cisjordanie, des progrès considérables ont été accomplis par les Palestiniens, sous la direction du Premier ministre Salam Fayyad. Souvenons-nous que deux cents projets au moins ont été menés à bien et qu’une liste complémentaire d’un nombre équivalent nous sera présentée dans quelques jours. J’ajoute que 50 % de l’argent de la Conférence de Paris, d’un montant finalement plus élevé que ce qui avait été prévu, sera dépensé à Gaza. De ce point de vue, la Conférence a été un succès sur le plan politique comme sur le plan économique.

Peut-on continuer ? Oui ! Comment ? Franchement, la réponse ne nous appartient pas. Je vous ai écoutés, j’ai entendu vos exigences élevées s’agissant de l’attitude de la France. Mais aucun pays n’a une attitude plus équilibrée, obstinée et profondément intangible que la France ! Je dis bien : aucun !

Vous avez dénoncé ou souligné le fait que les Américains ont quelque peu changé de position. C’est vrai : face à la réalité, du moins à la réalité telle qu’ils l’ont ressentie, ils ont changé de position.

Avons-nous changé de position ? Non ! Le moratoire, nous avons tous considéré qu’il s’agissait d’une avancée.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

commission des affaires étrangères. Quelle avancée ?

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

George Mitchell a dit aujourd’hui que M. Netanyahou se situe désormais au centre de l’arène politique israélienne. Selon lui, le Premier ministre est non plus à droite, mais au centre. N’oublions pas que, d’après les derniers sondages, 70 % des Israéliens se prononcent en faveur de la création de deux États et que 57 % acceptent que Jérusalem soit la capitale de ces deux États.

Ne me cherchez pas querelle à propos du manque de cohésion de l’Union européenne. J’ai sous les yeux le texte de la position de l’Union européenne.

M. le ministre brandit le document.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

La présidence suédoise avait, quant à elle, proposé « Jérusalem-Est capitale de l’État de Palestine ». Notre formulation est assez simple et recouvre la même chose. Finissons-en avec cette mauvaise querelle ! Si vous voulez une position commune, sur le fond comme sur le calendrier, je vous invite à lire ce texte des Vingt-Sept. C’est le texte le plus avancé qu’on n’ait jamais eu !

Les vingt-sept États membres de l’Union européenne sont-ils d’accord sur tous les points ? Non ! C’est bien ce qui fait à la fois la difficulté et la réussite de ce texte de la présidence suédoise, accepté par tout le monde.

Voilà ! Franchement, en dehors de ce que nous avons constaté hier comme aujourd’hui, je veux parler de la bonne volonté témoignée par M. George Mitchell et de la solidité de son engagement, il y a également un mouvement du côté des pays arabes.

Merci d’avoir souligné que la France, qui n’a jamais rompu les relations avec la Syrie, a engagé le dialogue diplomatique et politique avec cette dernière, malgré les réserves de certains de nos plus proches partenaires. C’est non seulement une avancée, mais peut-être l’un des éléments de la stratégie de demain.

Tout ce qui pourra soustraire la Syrie à une influence de l’Iran que nous n’acceptons pas sera bénéfique pour la paix au Moyen-Orient. Merci de l’avoir constaté et reconnu !

Quant à notre reconnaissance éventuelle du Hamas comme interlocuteur, ne soyons pas plus palestiniens que les Palestiniens, qui n’y sont pas favorables ! Je vous sais gré de m’avoir rappelé que l’on peut y penser. Mais, pour le moment, cela fausserait complètement le jeu qui revient à la France, un jeu d’avancées et de propositions.

Est-il possible de convaincre le Président Abbas que c’est à lui de s’engager, alors qu’il n’est pas dans une bonne position face à ses amis arabes ? Je rappelle qu’il y a eu du côté arabe une initiative que nous avons saluée et que nous continuons de saluer, qui s’appelle l’initiative arabe de paix. N’oublions pas que cela aussi, nous l’avons fait.

Est-il possible de lui demander maintenant un geste de générosité analogue à celui qu’avait accepté Anouar El-Sadate ? Peut-être est-ce à lui de le faire parce que lui seul en est capable. Il faut, pour cela, beaucoup de fermeté, d’engagements, peut-être même écrits. Ils pourraient prendre la forme d’assurances, en tout cas de certitudes qu’on pourrait lui offrir et qui iraient – pourquoi pas ? – jusqu’à la reconnaissance de l’État palestinien le moment venu.

C’était en tout cas le souhait commun autour de M. George Mitchell. Il ne nous a pas apporté d’élément autre que cette nécessité d’agir ensemble, les États-Unis et l’Europe, l’Europe et les États-Unis, car il ne conçoit pas d’avancée, de progrès sur ce dossier sans cette indispensable unité entre les deux rives de l’Atlantique.

Le débat de ce soir, à l’occasion duquel nos rôles respectifs étaient interchangeables, était-il utile ? Certainement ! Je vous remercie de l’avoir mené avec des talents aussi divers que nettement perceptibles. Les quelques accusations contre la politique de notre pays qui ont émaillé notre débat, on ne les entend qu’ici, pas là-bas !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Nous en avons terminé avec ce débat d’initiative sénatoriale.

Avant de lever la séance, je tiens à m’associer aux propos qui ont été tenus sur le courage de notre collègue Jean François-Poncet. Je veux, en notre nom à tous, l’assurer de notre souhait de parfait et total rétablissement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 13 janvier 2010 :

À quatorze heures trente :

1. Désignation d’un membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de Mme Esther Sittler.

2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie (223 rectifié, 2008-2009).

Rapport de M. Gilbert Barbier, fait au nom de la commission des affaires sociales (172, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 173, 2009-2010).

À vingt et une heures :

3. Débat d’initiative sénatoriale sur l’évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le mercredi 13 janvier 2010, à zéro heure trente.