Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 12 janvier 2010 à 22h00
Moyen-orient — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

… nous sommes très préoccupés : au rayon politique, le maigre espoir de la communauté internationale de voir émerger dans ce pays une « bonne gouvernance » a fait long feu. C’est bien cette même communauté internationale qui a accepté en effet, après son arrivée, l’établissement en Afghanistan d’un système constitutionnel permettant, par définition, les fraudes électorales. C’est encore elle qui a validé le scrutin présidentiel truqué de 2009.

Quant au conflit israélo-palestinien, souvent qualifié de façon presque ironique de « conflit de faible intensité », il atteint aujourd’hui une tension maximale. Les risques d’explosion – et je ne parle pas là de l’arme nucléaire – sont bien réels. Devant le refus d’Israël de stopper la colonisation illégale des territoires palestiniens, dont on sait qu’elle rend chaque jour plus difficile la création d’un État palestinien digne de ce nom, le dialogue est au point mort. Les habitants de Gaza, étranglés par un blocus aux conséquences humanitaires lourdes, ont vu s’abattre sur eux une pluie de bombes meurtrière dans le cadre d’une opération militaire dont le nom, « Plomb durci », résume la somme des cynismes qui conduisent, comme le fait en ce moment même l’Égypte, à finir de clôturer, jusqu’à plusieurs mètres sous terre, la cage que constitue désormais Gaza.

Monsieur le ministre, après soixante ans de conflit, je conviens qu’il est hasardeux de prétendre résoudre une équation sur laquelle ont buté tant de dirigeants politiques. L’énoncé du problème est pourtant connu de tous. L’enchaînement argumentaire qui pourrait conduire à la constitution de deux États voisins, vivant en paix, est établi. Rien n’y fait. Il faut le dire, ici encore, la communauté internationale n’est pas avare de maladresses et de calculs coupables. Ainsi, après avoir poussé à un scrutin démocratique en 2006 dans la bande de Gaza, les Occidentaux ont refusé de reconnaître la victoire du Hamas et de considérer celui-ci comme un interlocuteur.

À cette époque, la France et ses partenaires se sont pliés à l’option des États-Unis, consistant à renier un processus qu’ils avaient pourtant soutenu. Certes, vous n’étiez pas alors en responsabilité, monsieur le ministre. Mais, aujourd’hui, alors que nos deux rapporteurs ont courageusement engagé le dialogue avec Khaled Mechaal à Damas, vous-même persistez à vous couper de l’un des principaux acteurs, quoi qu’on en dise, de ce conflit et, par la même occasion, à vous priver de la possibilité de travailler efficacement à la remise sur les rails du processus de paix.

Cette position contribue à radicaliser le Hamas et à décrédibiliser les prétentions démocratiques des Occidentaux. Cet état de fait est d’autant plus incohérent que vous avez envoyé relativement discrètement, en 2008, un diplomate Français, aujourd’hui retraité, pour établir tout de même un contact avec le Hamas. Vous le savez, ce diplomate ne cesse de clamer qu’il est temps que la France adopte une autre posture à ce sujet.

Alors, que faire ? Comment imaginer un exercice plus difficile que celui qui nous est demandé ce soir ? Que dire qui n’ait été dit mille fois ? Que suggérer qui n’ait déjà été tenté ?

J’ai évoqué le renoncement de la France à une posture singulière, qui lui a jusque-là permis de conserver une réelle crédibilité au Moyen-Orient. Je passerai rapidement sur la question européenne. L’Europe ne possède pas, à cette heure, une influence suffisante dans la résolution du conflit. L’entrée en vigueur récente du traité de Lisbonne contribuera peut-être, du moins peut-on l’espérer, au renforcement du rôle de l’Union européenne, à condition, bien entendu, que l’on s’émancipe à l’avenir des égoïsmes nationaux. Ces derniers amènent, aujourd’hui encore, à choisir une parfaite inconnue pour diriger la diplomatie européenne, comme pour mieux se prémunir de l’émergence possible d’une véritable direction politique de l’Union.

À l’heure où la crainte d’attaques terroristes de grande ampleur sur les sols américain et européen est à son paroxysme, à la suite de l’attentat manqué sur le vol Amsterdam-Detroit et de l’attentat suicide meurtrier contre la base américaine de Khost, en Afghanistan, à la fin du mois de décembre, il serait opportun, sans pour autant baisser la garde face aux terroristes, de repenser notre approche des relations internationales. Après huit ans de « guerre contre le terrorisme », si les théâtres d’opérations sont mouvants et les organisations changeantes, le constat est sans appel : la menace reste, plus que jamais, d’actualité. Et la démonstration est faite : cette guerre-là ne peut pas être gagnée, ne sera pas gagnée, par les moyens qui sont aujourd’hui déployés.

Entre-temps, la démocratie que l’on entendait exporter, imposer et voir triompher, s’est en effet égarée dans les méandres de la manipulation électorale, de la négociation des résultats, de la détention arbitraire et de la torture sous toutes ses formes.

Il s’agit non pas de renoncer à espérer voir fleurir la démocratie et se répandre les droits de l’homme dans le monde, mais plutôt de s’assurer que notre façon de mettre en œuvre et de faire vivre les principes et les règles que nous avons érigées en la matière puisse recueillir l’adhésion des autres États et de chacune des luttes et des résistances nationales.

Monsieur le ministre, je formule ainsi un vœu, qui sera aussi ma conclusion : c’est que mon pays renforce son engagement auprès de la société civile en mouvement, quand elle existe. Il fut un temps où nous sûmes le faire ; je pense notamment à l’engagement de la France auprès des démocraties de l’autre côté de ce qui était alors qualifié de « rideau de fer ». Nous étions fiers de soutenir Václav Havel et l’Assemblée européenne des citoyens.

Aujourd’hui, en Iran, en Jordanie, en Syrie, en Égypte, en Israël même, il est des hommes et des femmes qui n’attendent que notre soutien. Nous devons leur envoyer un message éclatant, renforcer nos relations avec eux, notamment sur le plan matériel. Notre pays peut et doit le faire !

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