Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 12 janvier 2010 à 22h00
Moyen-orient — Débat d'initiative sénatoriale

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord rendre hommage à M. Jean François-Poncet, qui a tenu à délivrer, à quelques phrases près – mais vous avez complété, madame Cerisier-ben Guiga –, son message. Je salue son talent et son courage.

Je tiens, madame, à vous féliciter du rapport passionnant, fruit d’une grande érudition et de beaucoup de travail, que vous avez commis tous les deux. En vous écoutant, je me disais : après tout, ce débat en est-il bien un ? Si j’étais à votre place, j’aurais sans doute tenu une grande part de vos propos. Et si vous étiez à la mienne, vous auriez vraisemblablement choisi quelques-unes des phrases que je vais prononcer.

Plutôt que de répondre point par point à chacune des interventions, je dresserai un tableau général de la situation, en m’efforçant de vous fournir le plus d’informations possible. Je reviendrai en particulier sur les événements d’aujourd'hui.

Monsieur Marini, je vous remercie d’avoir rappelé que personne plus que la France n’est en ce moment entendu, écouté, sollicité par les pays arabes et Israël, comme par les autres, sur le conflit du Moyen-Orient. Tout n’est pas parfait, mais qui le serait sur un problème aussi difficile, dont vous-même avez évoqué les racines ? Vous avez à juste titre souligné, mais peut-être faut-il le faire plus encore, que les raisons de l’existence même de l’État d’Israël sont aujourd’hui oubliées. Une très large part des générations actuelles ne sait plus que celui-ci est né d’une décision de l’ONU, après l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale, loin du théâtre du Moyen-Orient où se joue en ce moment ce jeu si cruel.

En outre, tous les intervenants l’ont signalé, il y aurait beaucoup à dire sur le rapport Goldstone, sur la façon dont certaines ONG israéliennes ont souligné les excès impardonnables commis lors de la guerre de Gaza.

Cela étant, mesdames, messieurs les sénateurs, qui a plus condamné que la France, avec une grande constance, l’entrée de l’armée israélienne à Gaza ? Le Président Sarkozy a condamné ce déchaînement de violence. Bien entendu, dans le même temps, nous avons eu la même attitude devant les tirs de roquette, qui, d’ailleurs, n’ont pas complètement cessé. De façon vraiment décisive, nous avons maintenu une telle condamnation, comme celle de la colonisation.

La publication du rapport Goldstone a entraîné, je le reconnais, un certain nombre d’incompréhensions : en la matière, on a assisté à une véritable escalade. Si, au dernier moment, nous avons refusé de prendre part au vote au Conseil des droits de l’homme avant de s’abstenir à l’ONU, ce n’est pas faute d’avoir travaillé dans le dialogue avec nos amis palestiniens sur la présentation du texte, qui, vous le savez, a entraîné une succession d’incompréhensions de leur part.

Par ailleurs, je l’ai dit, nous continuons de condamner ce qui se passe dans la bande de Gaza.

À la question de savoir ce que je fais quand on m’interdit d’aller à Gaza, je réponds que j’ai signé le jour même la convention sur la reconstruction de l’hôpital Al-Quds avec nos amis palestiniens. Et j’espère que c’est ce qui est en train de se faire, malgré les difficultés du passage. Pour avoir travaillé comme médecin à Gaza, je connais bien la situation. Elle a évolué. Maintenant, l’essentiel, c’est de maintenir la pression, d’être déterminés et d’avoir pris la décision de reconstruire cet hôpital.

Je voudrais attirer votre attention sur quelque chose que vous n’avez pas évoqué et dont on a pourtant beaucoup parlé dans les médias : je veux parler du fait que M. Mitchell s’est arrêté en France pour faire le point sur le processus politique et sur le suivi de la Conférence de Paris. Or l’intitulé de cette conférence est conférence internationale des donateurs « pour l’État palestinien », et non « pour la création d’un État palestinien ». Nous avons continué à assurer le suivi de cette conférence et ce fut un succès ; je parle non seulement en termes financiers, sous l’angle de la récolte des fonds, mais également sur le plan politique. M. George Mitchell est venu nous encourager à poursuivre cet effort rendant ainsi hommage par sa présence à ce suivi de la Conférence de Paris.

Il a été décidé de réunir les experts autour du comité ad hoc, dirigé par nos amis norvégiens. Peut-être une autre Conférence de Paris sera-t-elle organisée en 2011, où avant si un certain nombre d’éléments politiques sont proposés.

Les conditions seront-elles réunies ? Je vous remercie d’avoir souligné que, pour jouer un rôle au Moyen-Orient, il faut être écouté de tous les côtés. Certaines positions excessives, comme celles que j’ai prises par le passé, ne sont pas productives. C’est un peu l’impression que j’ai ressentie au sortir de ma conversation avec George Mitchell. L’administration Obama se rend compte que tout peut se débloquer et que des mouvements ont eu lieu. Ils ont été salués, en particulier, par les représentants égyptiens : le ministre des affaires étrangères, M. Aboul Gheit et le général Suleiman se sont rendus à Washington pour y rencontrer George Mitchell et Hillary Clinton. Nous restons étroitement en contact avec eux depuis leur retour des États-Unis.

Aujourd’hui, M. George Mitchell a remarqué que les choses avançaient. Je crois ne pas trahir sa pensée en disant qu’il a constaté que le Premier ministre israélien, M. Netanyahou, avait décidé un moratoire, certes insuffisant, de dix mois sur la colonisation pour les territoires occupés à l’exclusion de Jérusalem. Cette proposition est connue des Palestiniens, qui peuvent, à leur tour, faire un mouvement.

Les représentants de l’Union, c’est-à-dire Mme Ashton, Tony Blair, au nom du Quartet, Miguel Moratinos, qui assure, au nom de l’Espagne, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, et moi-même avons tous répondu à M. Mitchell qu’il nous semblait possible que les Palestiniens acceptent, sinon les négociations, du moins le principe de rencontres. Nous avons également constaté que la carte proposée sous le gouvernement Olmert, en fin des discussions, après le processus d’Annapolis, était relativement satisfaisante pour les deux parties en termes de frontières. Je salue le sérieux et l’intensité avec lesquels nos amis palestiniens ont rencontré M. Olmert et Mme Tzipi Livni. Or, par rapport à cette période, nous avons régressé.

Si je voulais m’exprimer en termes beaucoup plus brutaux, beaucoup plus sommaires, je dirais que M. Mitchell proposait que nous nous mettions tous ensemble pour que les pourparlers reprennent. Mais nous n’avons jamais arrêté de dialoguer, nous l’avons fait en permanence, nous le faisons presque tous les jours ! Y a-t-il un espoir ? Bien sûr ! Tout le monde sait qu’il y aura deux États. Quand et au prix de combien de victimes encore ? Nous n’en savons rien, mais tout le monde sait que c’est la solution !

N’oublions pas que s’agissant des territoires, c’est-à-dire de la Cisjordanie, des progrès considérables ont été accomplis par les Palestiniens, sous la direction du Premier ministre Salam Fayyad. Souvenons-nous que deux cents projets au moins ont été menés à bien et qu’une liste complémentaire d’un nombre équivalent nous sera présentée dans quelques jours. J’ajoute que 50 % de l’argent de la Conférence de Paris, d’un montant finalement plus élevé que ce qui avait été prévu, sera dépensé à Gaza. De ce point de vue, la Conférence a été un succès sur le plan politique comme sur le plan économique.

Peut-on continuer ? Oui ! Comment ? Franchement, la réponse ne nous appartient pas. Je vous ai écoutés, j’ai entendu vos exigences élevées s’agissant de l’attitude de la France. Mais aucun pays n’a une attitude plus équilibrée, obstinée et profondément intangible que la France ! Je dis bien : aucun !

Vous avez dénoncé ou souligné le fait que les Américains ont quelque peu changé de position. C’est vrai : face à la réalité, du moins à la réalité telle qu’ils l’ont ressentie, ils ont changé de position.

Avons-nous changé de position ? Non ! Le moratoire, nous avons tous considéré qu’il s’agissait d’une avancée.

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