Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi a pour objet, nous dit-on, de répondre aux lacunes de notre droit en ce qui concerne la répression des violences collectives, également appelées « hooliganisme », commises à l'occasion de manifestations sportives.
Au regard de l'actualité politique, j'ai toutefois le sentiment que ce texte ressemble plus à une commande s'inscrivant dans la lignée des projets de loi du ministre de l'intérieur, lesquels ont comme dénominateur commun le « tout sécuritaire ».
Cela dit, il est vrai qu'à l'instar de nos voisins anglais, néerlandais et allemands, les stades français subissent, depuis une vingtaine d'années maintenant, le phénomène du hooliganisme. Les incidents qui émaillent régulièrement les rencontres sportives, singulièrement footballistiques, en sont une bien triste démonstration. Je ne citerai que deux exemples parmi tant d'autres : les attaques racistes des supporters bastiais à l'encontre de Pascal Chimbonda, sélectionné depuis en équipe de France pour aller défendre nos couleurs lors de la prochaine Coupe du monde en Allemagne, ou encore les propos homophobes entendus lors du match de championnat PSG-OM.
Nous ne pouvons accepter - et le verbe est faible - de tels actes qui salissent l'image du football français et, plus largement, l'image du sport.
Cependant, il est utile de souligner que le hooliganisme reste un phénomène marginal parmi les supporters ; il faut bien se garder en cela de confondre le hooligan et le vrai supporter.
D'abord concentré au sein de groupes de supporters du PSG, ce phénomène s'est peu à peu étendu à d'autres clubs, de Ligue 1 ou de Ligue 2, parmi lesquels Marseille, Lyon, Lens, Lille, Saint-Étienne et Nice.
Chacun en convient, le phénomène représente un noyau dur composé de quelques centaines de personnes qui empoisonnent l'ambiance chez les supporters, notamment ceux du PSG, club le plus affecté par ces violences.
En l'espèce, il ne s'agit pas d'une délinquance classique. Nous avons affaire à des Parisiens socialement intégrés, organisés en bandes hiérarchisées, imprégnés de racisme et de violence, généralement issus de familles aisées et souvent connus des services de police. Ils sont ainsi quelques-uns, militants d'extrême droite, à sévir dans le kop « Boulogne » du Parc des Princes à coups de saluts nazis et autres cris racistes. Tout cela est véritablement intolérable, d'autant que nombre d'entre eux ont déjà été identifiés et n'ont donc rien à faire dans les tribunes ! Ils se retrouvent d'ailleurs régulièrement à la manifestation en l'honneur de Jeanne d'Arc, organisée chaque 1er mai, ou encore à la fête annuelle du Front national.
Pour tenter de lutter contre ce genre de violences, insupportables pour tout le monde, il nous est proposé pour la énième fois de modifier notre législation. C'est ainsi qu'il est prévu de créer une procédure de dissolution administrative des associations ou groupements de fait de supporters qui se livrent à des violences contre les biens ou les personnes ou incitent à la haine ou à la discrimination, mais aussi de réprimer la participation au maintien ou à la reconstitution d'une association dissoute.
Or, la loi 10 janvier 1936 prévoit déjà une procédure de dissolution administrative pouvant s'appliquer aux groupements qui incitent à la haine, à la discrimination ou à la violence envers les personnes. Certes, promulguée voilà soixante-dix ans, la portée de cette loi est naturellement limitée. Pour autant, mes chers collègues, sans remonter jusque-là, cela fait treize ans, souvent au gré de l'actualité, que notre droit est modifié pour tenter d'endiguer, mais en vain, la violence et le racisme dans les stades, phénomène, qui, je le souligne encore une fois, est essentiellement le fait de hooligans.
L'arsenal législatif s'est ainsi renforcé, souvent dans le sens d'une répression accrue et à intervalles très rapprochés, sans pour autant produire les effets escomptés. Cette inflation législative est inefficace et engendre une véritable insécurité juridique. D'ailleurs, le Conseil d'État s'en est lui-même sérieusement ému.
S'il convient de condamner sans réserve les violences commises dans et autour des stades, qui prennent racine dans le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie, nous pouvons toutefois nous interroger sur l'opportunité de légiférer alors que notre droit est loin d'être dépourvu de textes en la matière.
Ainsi, en 1993, et alors que la loi Gayssot qui permet de réprimer le racisme était déjà en vigueur, une loi fut votée, prétendument pour lutter contre le hooliganisme. En fait, il était question d'interdire l'introduction de boissons alcoolisées ou d'objets dangereux dans une enceinte sportive, mais aussi l'accès au stade pour les personnes reconnues coupables de tels faits.
Ce texte a rapidement montré ses limites puisque, en 1995, de nouvelles mesures législatives ont été adoptées par la loi du 21 janvier 1995 pour rendre les clubs responsables de la sécurité dans les stades et pour renforcer les interdictions de stade.
Puis, en 2003, le ministre de l'intérieur, dans sa loi pour la sécurité intérieure, est « revenu sur le métier », en autorisant les stadiers à effectuer des fouilles à l'entrée des stades, d'une part, et en permettant la communication aux clubs du nom des personnes condamnées par la justice et interdites de stade, d'autre part.
Et comme cela ne suffisait pas, c'est au sein d'une loi, consacrée cette fois à la lutte contre le terrorisme, de janvier 2006, que l'on trouve les récentes dispositions législatives concernant la sécurité dans les stades qui permettent d'interdire, administrativement en l'occurrence - c'est-à-dire sans passer par la case « justice » -, à une personne d'assister à un match.
Moins de six mois après l'entrée en vigueur de cette loi, nous légiférons de nouveau sur la sécurité dans les stades. C'est dire à quel point, en l'espèce, la seule voie législative s'avère insuffisante pour enrayer le phénomène du hooliganisme.
J'indique d'ailleurs, et pour mémoire, que les parlementaires communistes n'ont jamais voté en faveur de ces différentes mesures, estimant qu'elles n'apporteraient aucune solution concrète. Les tristes débordements qui continuent de se produire aujourd'hui encore, lors des rencontres sportives, et la surenchère législative à laquelle nous assistons nous montrent, si besoin en était, combien nous sommes dans le vrai.
L'Assemblée nationale a cru bon d'en rajouter en introduisant dans ce texte des dispositions qui ne sont pas sans nous poser problème. Je veux parler, notamment, de la disposition concernant la réserve civile de la police, sur laquelle nous sommes très réticents, et de celle concernant la possibilité de communiquer aux fédérations sportives et aux associations de supporters l'identité des personnes faisant l'objet de mesure administrative d'interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords d'une enceinte dans laquelle se déroule une manifestation sportive et ce, en dehors de tout contrôle de la CNIL.
On nous propose encore une fois une loi de circonstance, une loi d'affichage, comme pour laisser accréditer l'idée que le Gouvernement et sa majorité parlementaire s'occupent de ce problème.
C'est d'autant plus vrai que vous n'attendez même pas que les mesures qui viennent d'entrer en vigueur, et qui ont été appliquées pour la première fois lors de la rencontre PSG-AJ Auxerre du 19 mars dernier, en particulier celle qui a trait aux interdictions administratives de stades, aient porté leurs fruits.
Va-t-on continuer ainsi à légiférer au coup par coup ou sommes-nous décidés à mener une réflexion globale de fond avec tous les acteurs concernés - supporteurs, dirigeants, joueurs - sur un sujet aussi grave que celui du développement de la violence ?
On peut légitimement s'interroger sur la précipitation avec laquelle le Gouvernement a inscrit à l'ordre du jour des travaux du Parlement cette proposition de loi, alors qu'un texte concernant le statut des arbitres doit être prochainement examiné, lequel aurait pu être le support d'une réflexion plus globale sur la question de la sécurité dans les stades, qui concerne non seulement les arbitres, mais aussi, et au-delà, les rapports entre le sport et l'argent...
Vous prenez en l'occurrence le problème par le petit bout de la lorgnette en ajoutant de la répression à la répression - fichage, exclusion - le tout sur le modèle britannique.
La Grande-Bretagne, qui a été en son temps le théâtre de graves incidents causés par des hooligans, est en effet souvent citée en exemple pour avoir éradiqué ce phénomène. Mais s'il est sous contrôle, il n'a cependant pas complètement disparu outre-Manche.
Il faut savoir, en effet, que tout dispositif de sécurité peut être contourné. C'est ainsi que, chez nos voisins britanniques, les violences des hooligans se déroulent désormais dans les divisions inférieures et non plus en première ligue. On assiste également à un déplacement de la violence, qui se manifeste de plus en plus loin des stades.
Les stades britanniques ont gagné en sécurité ce qu'ils ont perdu en ambiance.
Quant aux clubs, ils pratiquent une sélection par l'argent en rendant très onéreux le prix du billet, écartant du même coup les milieux populaires. Je ne pense pas que ce soit une voie à suivre en France.
Il convient de préciser ici que la situation dans l'Hexagone, pour préoccupante qu'elle soit, est toutefois moins noire qu'il n'y paraît, dès lors qu'on la compare avec ce qui passe dans d'autres championnats européens.
On contrôle plus ou moins la violence à l'intérieur de nos stades : tout le monde est fouillé, les différents groupes de supporters sont séparés et les plus furieux sont parqués dans des secteurs grillagés, sans oublier la vidéosurveillance. D'ailleurs, la dernière rencontre PSG-OM, qui a, certes, demandé le déploiement de moyens policiers importants, s'est bien déroulée.
Mais la violence n'est-elle pas avant tout un problème de société ?
Les stades, le football ne sont pas en dehors de la société. La physionomie du Parc des Princes n'est pas différente de celle de l'Ïle-de-France Les arènes sportives peuvent même être le reflet, voire le miroir grossissant de ce qui existe à l'extérieur des enceintes sportives, dans les villes, dans les cités, où se développent malheureusement aussi les violences, les discriminations, le racisme, l'homophobie, qui restent des combats de tous les jours.
Ne voit-on pas les « Tigris Mystic », issus pour l'essentiel de l'immigration, s'affronter avec les « Boulogne Boys », situés à l'extrême droite ?
C'est dire l'ampleur de la tâche et la nécessité de s'y atteler de manière globale dans et hors des stades. Il ne suffit pas de s'en émouvoir uniquement lorsque de tels actes se produisent, à l'occasion de rencontres footballistiques retransmises à la télévision.
A cet égard, la presse a tendance à donner un peu trop d'importance à des faits devenus heureusement isolés. Il ne faut pas sous-estimer, en effet, la charge symbolique d'un délit commis lors d'un spectacle populaire fortement médiatisé.
Les violences motivées par le racisme ou l'homophobie sont insupportables : je l'ai dit et je le redis avec force. Mais comment s'étonner de ces dérives quand un Français sur trois se dit ouvertement raciste ?
Nos compatriotes ne se sentent-ils pas confortés dans leurs idées de rejet de l'autre avec le projet de loi sur l'immigration, auquel les Français semblent adhérer à 60 % selon un sondage, qui stigmatise les étrangers et tend à banaliser les idées défendues jusqu'ici par le Front national ?
On est bien loin de la France « black-blanc-beur » de 1998 !
Comment s'étonner de ces dérives quand le rapport 2006 de SOS Homophobie fait état d'une persistance des agressions physiques violentes à l'encontre des homosexuels ?
A l'évidence, le football, sport festif et populaire par essence, doit retrouver l'éthique sportive qu'il n'a plus, ainsi que ses valeurs originelles de tolérance, d'intégration, de respect mutuel, de rapprochement entre les peuples, de lutte contre le racisme, de fair-play ...
Or, depuis vingt ans, les enjeux économiques et financiers ont contribué au développement de l'agressivité et de la violence sur les terrains alors même que sport et violence sont aux antipodes l'un de l'autre. N'incite-t-on pas en effet les jeunes à pratiquer un sport afin, notamment, de les détourner de la violence ?
Le rachat récent du PSG à Canal Plus par deux fonds d'investissement étrangers montre que le football français est définitivement entré dans l'ère du business. Il est devenu, depuis l'adoption de la loi Lamour, un secteur industriel comme un autre, qui attire les investisseurs.
Professionnalisation, encadrement devenu dirigeant de société anonyme à objet sportif, droits de retransmission télévisée à 600 millions d'euros par saison à partir de 2005-2006, joueurs, entraîneurs et managers « kleenex », transferts douteux, divorce entre les groupes de supporters ultras et les directions de certains clubs...le football ne doit pas et ne peut pas être qu'une affaire d'argent ! Il faut revoir certaines règles en matière de transferts, de contrôle de gestion des clubs, par exemple, pour éviter les dérives financières que nous connaissons actuellement.
On voit jusqu'où le « tout argent » peut conduire avec l'ouverture d'une immense maison close en Allemagne, à l'occasion de la Coupe du monde du football ! Vous avouerez qu'on est bien loin des valeurs universalistes du sport et je me félicite que nombreux soient celles et ceux qui ont décidé de signer la pétition lancée par mon amie Nicole Borvo et intitulée : « Oui à la Coupe du monde de football ! Non à la Coupe de la honte ! »
Pour conclure, nous comprenons fort bien que, dans les milieux sportifs, que ce soit chez les dirigeants ou chez les supporters, une loi anti-hooligans soit attendue avec impatience. Il est effectivement légitime de vouloir mettre en place un cadre juridique pour assurer la sécurité des personnes dans et autour des stades.
Pour autant, les sénateurs du groupe CRC sont dubitatifs par rapport au contenu de la présente proposition de loi qui ne peut, à elle seule, régler le problème du racisme, des injures et autres agressions violentes qui se produisent dans les arènes sportives.
Malgré les critiques exprimées, il leur apparaît toutefois difficile de s'opposer à des dispositions présentées comme s'attaquant au phénomène du hooliganisme dans les stades français. C'est pourquoi ils s'abstiendront.