Intervention de Simon Sutour

Réunion du 18 mai 2006 à 15h00
Prévention des violences lors des manifestations sportives — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre les violences, tant à l'intérieur qu'à proximité ou même parfois loin des enceintes sportives, est l'une de nos préoccupations constantes.

Cependant, il s'agit d'un phénomène relativement ancien, qui comporte une dimension internationale et qui, aujourd'hui, prend malheureusement de l'ampleur tout en évoluant de manière préoccupante. Ces incidents concernent le football, même s'ils n'épargnent pas d'autres disciplines sportives.

Dans notre droit interne, un arsenal juridique spécifique a été mis en place et a été progressivement consolidé pour prévenir et pour lutter efficacement contre les violences des foules sportives.

À l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, nous sommes invités à enrichir ce dispositif répressif afin, principalement, de prendre en compte l'aspect collectif d'actes répétés, constitutifs de dégradation de biens et de violences sur des personnes, en particulier lorsqu'ils sont de nature raciste, antisémite, xénophobe ou sexuelle.

Pour apprécier ces nouvelles mesures à leur juste valeur, il convient de s'interroger sur leur efficacité et sur leur lisibilité. En effet, l'objectif recherché est bien de parvenir à dissuader les supporters violents d'accomplir leurs méfaits.

Toutefois, les nouvelles règles que nous allons adopter ne pourront trouver toute leur pertinence que si elles viennent en complément de l'implication soutenue des instances sportives, car ces dernières portent une responsabilité particulière en la matière et se doivent d'assumer toutes leurs obligations.

Ce texte d'initiative parlementaire est, en réalité, un projet de loi déguisé. Les dispositions qu'il contient ont été annoncées de façon quasi-officielle par le ministre de l'intérieur dans un courrier adressé dès le mois de mars aux présidents du PSG et de la Ligue de football professionnel. Le ministre avait alors exprimé sa volonté de présenter au Parlement une nouvelle disposition permettant la dissolution des associations de supporters dont les membres se livreraient à des comportements violents.

Au fond, le véhicule législatif importe peu lorsqu'il est question, comme en la circonstance, d'agir promptement pour donner aux pouvoirs publics la capacité de lutter contre un tel fléau.

Mais dans la mesure où ce texte introduit une forme de responsabilité collective et soulève, à ce titre, un certain nombre d'interrogations, il eût été judicieux que le Gouvernement recueille l'avis préalable du Conseil d'État sur un avant-projet, qui aurait d'ailleurs pu être défendu autant par le garde des sceaux que par le ministre chargé des sports.

Tout le monde a encore en tête le bilan accablant des dramatiques événements survenus en 1985 dans le stade du Heysel. « Plus jamais ça ! », disait le monde du football au lendemain du match qui opposa Liverpool à la Juventus de Turin lors de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions. La folie meurtrière des hooligans provoqua la mort de 39 personnes, plus de 600 autres étant blessées. Les images ont marqué les esprits.

Je prends cet exemple à dessein pour insister sur le caractère international du hooliganisme. Voilà encore quelques semaines, des violences ont été signalées dans les stades en Argentine, en Roumanie, au Togo, en Turquie, en Italie, en Espagne, en Uruguay.

En France, un rapport des renseignements généraux, datant du mois de mars dernier et portant sur la première moitié de la saison en cours, met en garde contre le degré de violence préoccupant qui s'exprime dans le monde du football. Ainsi, il relève une hausse de 26 % des faits constatés, les actes à caractère raciste ayant quant à eux quadruplé. Ces chiffres confirment l'enquête de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, la LICRA, rendue publique au mois de juin 2005, qui dénonce la montée du racisme dans les stades.

Comment imaginer qu'un sport, un loisir, soit à l'origine d'un tel déchaînement de passions ? Comment accepter qu'une rencontre sportive soit également le théâtre de manifestations racistes, antisémites et xénophobes ?

Les grandes manifestations sportives doivent rester l'occasion pour les spectateurs d'horizons différents de communier dans l'enthousiasme et la fraternité. Sans distinction d'origine, de classe ou de nationalité, tous sont appelés à partager l'intensité de ces moments privilégiés de la vie sociale, fédérés autour d'un esprit sportif fondé sur le dépassement de soi et sur le respect des règles du jeu.

En m'exprimant ainsi, je pense particulièrement aux compétitions de football. Je souhaite écarter tout amalgame qui associerait ce sport populaire, au sens noble du terme, aux actes de violence, de nationalisme, voire de racisme. Ce sport est plus porteur de fraternité que d'adversité. Il est un vecteur pour transmettre des valeurs de tolérance et constitue le meilleur sujet qui soit pour nouer des rapports dans des pays étrangers. Tout le monde connaît Zidane, Beckham ou Ronaldo. Grâce à ce sport, on apprend que l'autre existe. Comme tout sport collectif, il enseigne que l'individu est important et utile au service de la communauté. En ce sens, il véhicule des valeurs éducatives.

Compte tenu du phénomène préoccupant de la violence dans les stades, nous devons nous engager dans une démarche résolue contre ces comportements et leurs débordements.

N'oublions pas que nous disposons d'ores et déjà d'un ensemble de règles permettant d'agir efficacement, dès lors que chacun, au niveau qui est le sien, assume ses obligations.

S'il est nécessaire de modifier la législation en vigueur, encore faut-il s'assurer que ces modifications se révèleront efficientes. Cette ligne de conduite doit nous guider dans l'analyse des propositions que nous examinons aujourd'hui.

Je le dis avec d'autant plus d'humilité que, sur un sujet aussi médiatique, il est particulièrement important d'éviter de subir la pression de ce qui a été qualifié de « communication institutionnelle » par le Conseil d'État dans son dernier rapport.

En effet, il peut se révéler utile, pour ne pas ajouter à l'instabilité et à la complexité du droit, de prendre le temps nécessaire d'établir une étude d'impact, une fiche financière intégrée dans une présentation d'ensemble. À titre d'exemple, la question de la sécurité des arbitres aurait dû être prise en considération, alors que ces derniers, compte tenu de la montée de la violence dans les stades, font de plus en plus l'objet de menaces ou d'agressions physiques. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'une proposition de loi a été déposée au Sénat sur ce sujet.

Une fois ces considérations établies, j'aborderai les dispositions qui nous sont proposées en les classant globalement en deux catégories.

La première d'entre elles comporte des mesures qui visent à renforcer le dispositif existant. Notons, à cet égard, l'automaticité de l'obligation de pointage, la publicité de la liste administrative des personnes faisant l'objet d'une interdiction administrative de stade, et l'obligation du maintien en état de marche des systèmes de vidéosurveillance installés dans les enceintes sportives.

Ces dispositions n'appellent pas d'observations particulières de notre part, dès lors qu'elles renforcent le volet juridique existant.

Nous souhaitons seulement insister sur les garanties nécessaires qui doivent être assurées à l'occasion de l'enregistrement et de la transmission des fichiers relatifs aux personnes frappées d'une interdiction judiciaire ou administrative de pénétrer ou de se rendre aux abords d'une enceinte dans laquelle une manifestation sportive se déroule. Il nous semble opportun de prévoir un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, sur cette question, afin que la gestion pratique de ces fichiers se fasse en conformité avec la loi « informatique et libertés ».

Je tiens également à rappeler, pour écarter toute équivoque, que nous avions voté contre la possibilité pour les préfets d'interdire de stade les supporters violents, disposition inscrite dans la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, non pour des raisons de fond mais parce que nous avions choisi une ligne claire : un texte qui concerne la lutte contre le terrorisme ne doit comporter que des mesures contre le terrorisme. Nous avons refusé tout amalgame, notamment entre délinquance, immigration et terrorisme.

La seconde catégorie de dispositions comporte, d'une part, la mesure relative à la participation de la réserve civile de la police nationale à la prévention des violences à l'occasion des manifestations sportives et, d'autre part, la mesure phare de cette proposition de loi, à savoir la nouvelle dissolution administrative des associations et groupements de fait dont les membres commettent des violences lors des manifestations sportives.

S'agissant de ces deux derniers cas, je souhaite attirer votre attention sur le risque de dérives auquel peut nous conduire l'adoption de ces nouvelles mesures.

Sur le premier point, nous comprenons tout à fait l'objectif visé par cette disposition. Le monde sportif amateur n'est pas épargné par les actes de violence, et les réservistes de la police nationale sont des personnes disponibles et recherchées pour leur expérience professionnelle.

Toutefois, rappelons que, aux termes de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, la réserve civile de la police nationale a été créée à des fins particulièrement exceptionnelles, à savoir « effectuer des missions de soutien aux forces de sécurité intérieure et des missions de solidarité ».

Il est clairement précisé qu'il s'agit d'appuyer directement les forces de sécurité intérieure. Même si l'on procède à une lecture extensive de la circulaire du 16 juin 2004 relative à la mise en oeuvre de la réserve civile, ce texte d'application ne contredit pas les termes de l'article 4 de la loi précitée.

Or, en ouvrant la faculté aux fédérations sportives agréées d'être assistées régulièrement par des membres de la réserve civile, on procède à une extension déguisée du champ d'intervention de cette catégorie d'intervenants qui permet finalement aux pouvoirs publics de pratiquer une forme de délestage sans mobiliser les forces de l'ordre qu'ils jugent habituellement nécessaires.

Cette crainte est également justifiée par la volonté du ministre de l'intérieur de créer une réserve citoyenne composée de personnes « qui veulent donner un peu de leur temps pour apporter une contribution à la création d'une meilleure sécurité ».

Enfin, rien n'est prévu dans ce nouvel article sur les modalités pratiques de ces recours et sur les conditions de rétribution des réservistes, alors que ces derniers sont tenus à un nombre restreint de missions.

À propos de l'article 1er de la proposition de loi, qui vise à permettre la dissolution par décret de toute association violente et raciste, on peut être étonné du choix de créer une commission nationale consultative de prévention alors que le ministre de l'intérieur vient de nommer un coordonnateur national chargé du football, au ministère de l'intérieur.

De plus, cette nouvelle configuration semble paradoxale. Le recours à une nouvelle instance de temporisation correspond à une forme de démembrement de l'autorité de l'État, qui n'ose plus prendre directement ses responsabilités.

Pourtant, le Gouvernement dispose sans conteste des moyens d'agir en se fondant sur la loi du 10 janvier 1936, dont le champ d'application a été progressivement étendu pour prendre en compte les incitations à la discrimination, à la haine ou à la violence. Cette disposition vise manifestement les cas des violences collectives exercées par des membres d'organisation de supporters.

Par ailleurs, les services du ministère de l'intérieur semblent connaître les fauteurs de troubles puisque les renseignements généraux estiment le nombre de hooligans dans notre pays à 700, dont 250 à Paris.

Enfin, je crains que l'application de l'article 1er de la proposition de loi ne soit source de contentieux à venir, car ce texte introduit une forme de responsabilité collective dont les conditions cumulatives vont aisément prêter à contestation.

L'objectif visé par les rédacteurs de cette proposition de loi est légitime et mérite notre adhésion, mais nous ne pouvons passer sous silence l'ensemble des interrogations que la mise en application de ce texte ne va pas manquer de soulever.

Il faut se méfier des solutions qui semblent attractives mais qui, au final, se révèlent impraticables. Dans cet esprit, je pense à la mesure envisagée un temps par la Fédération internationale de football, la FIFA, de supprimer les hymnes nationaux joués avant le début des rencontres internationales.

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