Intervention de Jean-Luc Fichet

Réunion du 17 novembre 2010 à 14h30
Activités immobilières des établissements d'enseignement supérieur — Discussion d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Jean-Luc FichetJean-Luc Fichet :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi prolonge le rapport d’information de nos collègues Philippe Adnot et Jean-Léonce Dupont Autonomie immobilière des universités : gageure ou défi surmontable ?

L’objectif affiché est d’assouplir le cadre juridique qui régit le patrimoine immobilier universitaire afin de faciliter la rénovation de ce dernier. En réalité, elle imprime un tournant dans la stratégie sous-tendant les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, à la fois dans leurs objectifs et dans leur mise en œuvre.

Bien qu’aucun bilan n’ait encore été dressé sur les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, l’on veut passer à l’étape suivante à marche forcée ! C’est un cadeau empoisonné que l’on offre aux directeurs d’université.

Il est certes important pour notre pays d’avoir des campus d’excellence. Cependant, la méthode que vous adoptez ne nous semble pas de nature à parvenir à cet objectif. Cette réforme ne peut pas se faire au détriment des universités qui n’auront pas les moyens suffisants pour gérer leur établissement. Elle ne peut pas se faire non plus au détriment de la démocratisation de l’université et de l’aménagement du territoire.

Mes collègues socialistes et moi-même sommes opposés à la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, qui fixe des compétences optionnelles pour les universités autonomes. Seules cinq d’entre elles pourront, en 2011, profiter de la dévolution immobilière. En effet, le transfert du patrimoine implique que les universités aient préalablement accédé aux responsabilités et compétences élargies tant en matière budgétaire qu’en matière de gestion des ressources humaines. Il impose également une bonne connaissance par les établissements de leur patrimoine, du potentiel humain et, surtout, des capacités d’autofinancement. Or, aujourd’hui, 20 % des universités ont mis en place un schéma directeur immobilier et seules 50 % d’entre elles connaîtraient les coûts de fonctionnement de leurs bâtiments !

Le rapport nous apprend que 35 % du patrimoine universitaire est vétuste. Les inégalités sont très fortes entre les territoires. Le transfert de cette compétence nécessiterait donc, a minima, une remise à niveau préalable du patrimoine universitaire, donc un effort financier de l’État. Ce n’est malheureusement pas le chemin pris par le Gouvernement. En effet, les crédits consacrés à la sécurité et à la maintenance des bâtiments baissent de 166, 3 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2011. Les deux tiers de ces crédits sont consacrés au désamiantage, à la réhabilitation et à la mise en sécurité de Jussieu ; pour le reste, seule sera prise en compte la mise en sécurité des bâtiments dans le domaine de la sécurité incendie.

« La liberté dans la pauvreté et la pénurie, cela ne marche pas », pour reprendre les mots de Thomas Piketty. Le Gouvernement n’a pas donné un centime pour assurer la maintenance des bâtiments, ce qui explique que les universités ne se soient pas précipitées pour devenir propriétaires. La question des financements revêt une importance majeure pour les petites structures, notamment les universités qui se trouvent sur des territoires ruraux ainsi que de nombreux IUT. Il doit y avoir une parité de moyens entre les universités. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.

Pourquoi vouloir aller vite lorsque l’on ne sait pas où l’on va ? N’aurait-il pas fallu, avant de faciliter la conclusion des contrats de partenariat public-privé, réfléchir à une stratégie de gestion immobilière à long terme ? L’un des grands enjeux n’aurait-il pas été de sécuriser de manière pérenne l’aide de l’État, qui devra porter sur l’investissement, la maintenance et le renouvellement ? N’était-ce pas l’une des conclusions du rapport Autonomie immobilière des universités : gageure ou défi surmontable ?

L’article 2 de la proposition de loi ouvre aux établissements publics de coopération scientifique, les EPCS, la possibilité d’être habilités par le ministre chargé de l’enseignement supérieur à délivrer des diplômes nationaux. Cette mesure facilitera la délégation aux PRES de la délivrance des diplômes.

Des réserves sont pourtant apportées quant à l’efficacité des pôles de recherche et d’enseignement supérieur qui ont été mis en place par la loi de 2007.

Deux rapports, l’un de la Cour des comptes, de février 2010, sur la politique de regroupements et de coopération dans l’enseignement supérieur, et l’autre de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche de mars 2010 PRES et reconfiguration des sites universitaires, ont dressé un portrait très critique du fonctionnement des PRES.

Par ailleurs, quelles sont les conséquences pour les territoires ? Bien souvent, les communes ou les agglomérations sont à l’origine de la création d’une structure universitaire, faculté ou IUT. Un établissement d’enseignement supérieur est pour ces collectivités le gage d’une dynamique et d’une attractivité, d’autant que grâce à cette implantation peut naître un bassin d’emplois spécifiques autour du génie civil, par exemple, ou des biotechnologies. L’université est alors le maillon d’une chaîne essentielle en termes d’aménagement du territoire. Nous ne pouvons pas faire abstraction de cette dimension importante de l’enseignement supérieur. Or, la proposition de loi oublie tout simplement ces territoires. Avec la dévolution du patrimoine et la possibilité de passer des contrats de participation avec des tiers, les grandes universités auront les moyens d’attirer des financements privés, ce qui ne sera pas le cas des plus petites ! Dès lors, quel sera leur avenir ?

Ce dispositif sera peu attractif et les collectivités territoriales seront une nouvelle fois obligées de mettre la main à la poche pour trouver des partenariats et pour les conserver. La sollicitation des collectivités va donc s’amplifier, avec un risque de concentration de l’offre de formation sur les grands sites et de fermetures de centres universitaires. Le danger est bien de mettre en place des universités à plusieurs vitesses et de créer des déserts universitaires !

Permettez-moi d’illustrer mon propos par un exemple pris dans mon département, le Finistère. La communauté d’agglomération, parfois appelée Morlaix Communauté, est aujourd’hui maître d’ouvrage pour la création d’un deuxième département au sein de l’IUT de génie civil. La décision ministérielle de créer ce département a été prise à la fin du mois de juin 2010, pour la rentrée universitaire de septembre 2010 ! Des locaux provisoires ont donc été aménagés par Morlaix Communauté. Aujourd’hui, il n’est pas un jour sans que les élus se battent pour obtenir des financements suffisants afin de procéder à la réhabilitation des locaux et ainsi permettre l’installation définitive du département. Pour l’heure, l’avenir reste incertain. Si les élus ont obtenu des assurances sur le financement des dépenses d’investissement, rien n’est clair pour le financement des dépenses de fonctionnement. Sur quels crédits seront rémunérés les personnels techniques ? La collectivité devra-t-elle payer ? Assisterons-nous à la mise en place de nouveaux transferts financiers ?

Enfin, nous nous interrogeons sur les conséquences des partenariats public-privé pour les territoires. Je n’ai pas l’intention de stigmatiser ce mode de coopération qui peut, en effet, être une source de dynamisme et offrir une structure intéressante pour les territoires, mais seulement sous certaines conditions. La Cour des comptes elle-même a émis des réserves sur ces partenariats. Que se passera t-il si les acteurs privés n’investissent que dans des territoires attractifs ? Ne va-t-on pas se tourner une fois encore vers les collectivités territoriales pour financer une partie des opérations, notamment les opérations « non rentables » ? Il ne faut pas fermer les yeux sur la réalité des inégalités territoriales.

Par ailleurs, quelles activités gérera l’opérateur privé une fois la construction terminée ? N’y a-t-il pas un risque que le partenaire privé, afin de dégager des recettes supplémentaires, exploite les locaux à d’autres fins que celles qui auront été jugées nécessaires et relevant des missions d’enseignement et de recherche, et ce sans droit de regard de la personne publique ? Quelles garanties avons-nous en ce qui concerne l’exploitation mercantile du domaine public ? Quelles assurances avons-nous en cas de grave défaillance financière de la part du financeur privé ? Ne reviendra-t-il pas alors aux collectivités locales de se substituer aux partenaires défaillants, alors qu’elles sont déjà victimes d’un véritable étranglement financier ?

Je veux enfin dire quelques mots sur l’avenir des diplômes nationaux, remis en cause par une externalisation à outrance. Le risque est grand que les universités se recentrent sur des diplômes propres à chaque établissement avec, bien sûr, une compétition entre les universités et une dévaluation des diplômes universitaires.

Il ne s’agit pas ici de verser dans la condamnation sans nuance, ni de tomber dans l’excès de prudence ; il s’agit de poser les bonnes questions. Cette proposition de loi est une opportunité, nous le concevons, mais veillons à ce qu’elle ne se transforme pas en piège, car elle partage, avec la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, une caractéristique majeure que nous avions dénoncée : l’absence de vision et de stratégie durable.

Une démarche mieux pensée et concertée, et, surtout porteuse d’une véritable ambition progressiste pour l’enseignement public en France, reste à élaborer, au service d’une certaine idée de l’université qui ne peut être simplement assimilée à un lieu de formation professionnelle et de production d’innovations destinées au marché. C’est pourquoi, au nom de cette ambition, le groupe socialiste s’abstiendra sur cette proposition de loi.

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