Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lors de la discussion du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités, à l’été 2007, nous avions affirmé notre opposition à un texte qui, sous couvert d’autonomie, fragilisait les universités et leurs personnels.
Ce rappel est d’autant plus nécessaire que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui se situe dans la continuité de la loi de 2007. Elle s’inscrit pleinement dans un schéma de recomposition, à marche forcée, du paysage universitaire national, faisant émerger des pôles d’excellence reconnus internationalement aux côtés de collèges universitaires indigents et limités aux formations de niveau licence.
Le texte est censé faciliter la seconde étape de l’autonomie des universités qui doit se matérialiser par la dévolution du patrimoine immobilier universitaire de l’État aux universités.
Ce transfert de propriété, autorisé par la loi LRU, reste facultatif. Peu demandé par les universités, il est relativement long à mettre en œuvre. Ainsi, sur les neuf universités citées par notre rapporteur et ayant manifesté leur intérêt, seules cinq pourraient accéder à la pleine propriété de leurs bâtiments en 2011.
Pour accélérer ce processus, la proposition de loi confère aux universités de nouveaux droits sur leur patrimoine immobilier, sans nécessairement souscrire à la dévolution prévue par la loi LRU. Ce texte leur permet ainsi de confier à une tierce personne des droits réels correspondant aux prérogatives et obligations du propriétaire, afin de développer les partenariats public-public, et surtout public-privé, qui sont privilégiés pour la mise en œuvre du plan Campus.
Nous ne pouvons accepter de favoriser le plan Campus alors que celui-ci concentre les financements destinés à la rénovation des universités sur un nombre restreint d’établissements jugés internationalement compétitifs, renforçant ainsi un système universitaire à deux vitesses.
Nous sommes en outre pour le moins réservés quant au développement des partenariats public-privé. Les universités peuvent déjà conclure de tels partenariats, mais cette loi vise à en étendre et élargir le champ, aujourd’hui limité à la construction et à la réhabilitation des bâtiments. L’université serait alors davantage ouverte au secteur privé, mettant à la disposition de ce dernier tout ou partie des locaux publics. Accueillir des congrès dans l’enceinte universitaire, louer les résidences d’accueil d’étudiants deviendrait demain possible. Il s’agit bien de promouvoir un nouveau type de partenariats public-privé, que ses promoteurs qualifient d’intelligent, en autorisant un partenaire privé à occuper à sa guise des locaux publics et à en tirer un profit financier.
Les universités, contraintes financièrement, risquent, si elles veulent survivre, de devoir céder progressivement leurs murs au secteur privé, quitte à sacrifier l’intérêt des étudiants et la qualité de leurs formations. Cela revient à demander aux universités de se financer par un développement de leurs fonds propres, ce que la plupart ne seront pas en mesure de faire.
L’autonomie immobilière que l’on cherche à favoriser n’est au fond qu’un moyen de permettre à l’État de réduire la dépense publique en se désengageant d’un patrimoine immobilier universitaire vétuste et couteux.
La loi LRU prévoit certes qu’une contribution annuelle du ministère viendra compenser la dévolution du patrimoine, mais rien ne garantit que son montant sera suffisant, alors que les besoins sont évalués, dans le rapport, à 125 millions d’euros par an. Manquant de moyens pour entretenir un patrimoine dégradé et devant faire face à la baisse des crédits de l’État, les universités ne risquent-elles pas d’être amenées, à très court terme, à devoir vendre purement et simplement une partie de leurs bâtiments ? Mais n’est ce pas là le but recherché ?
D’une manière générale, la mise en œuvre des partenariats public-privé soulève quelques questions. Le risque de voir le cahier des charges de bâtiments publics non respecté par les prestataires privés est bien réel. Rien ne garantit le bon déroulement des travaux, comme le démontre l’exemple de l’université Paris VII, actuellement confrontée aux manquements majeurs de l’entreprise Vinci en matière de normes de sécurité.
L’intérêt des partenariats public-privé réside à première vue dans une diminution des coûts d’investissement. Cependant, les universités pourront-elles supporter le paiement d’une rente pendant vingt à trente ans ? On peut en douter. La Cour des comptes elle-même, dans son rapport de 2008, soulignait les limites des partenariats public-privé qui, dans l’exploitation à long terme de secteurs technologiquement complexes et risqués, engendrent des surcoûts importants.
Au final, le coût pour la collectivité sera plus élevé, car les charges de remboursement seront très importantes, et ce d’autant que les acteurs privés empruntent à des taux moins avantageux que les acteurs publics. Au fond, il ne s’agit que d’une forme d’endettement différé qui ne résout en rien la question du financement des locaux universitaires.
Le rôle central accordé par cette proposition de loi aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur soulève également quelques difficultés. La capacité de mettre les bâtiments universitaires à la disposition de tiers est accordée aux universités, mais également aux PRES, qui se voient également octroyer la possibilité de délivrer des diplômes lorsqu’ils sont constitués en établissements publics de coopération scientifique. Les PRES voient ainsi leurs possibilités de coopération élargies.
Pourtant, ces regroupements d’établissements ès qualités ne permettent pas d’assurer les missions de service public de l’enseignement supérieur, ni dans leur fonctionnement ni par leur composition. En effet, les PRES ne sont pas des structures aussi collégiales que les universités. Pilotés par un conseil d’administration, ils ne disposent ni de conseil scientifique ni de conseil des études et de la vie universitaire, comme c’est le cas dans les universités. De plus, les PRES se créent selon la volonté des présidents d’université, incluant parfois des grandes écoles, des établissements privés et excluant le plus souvent les petites universités. Cette structure étant peu démocratique, il nous paraît dangereux de lui accorder autant de pouvoirs, notamment celui de disposer du patrimoine des universités et de délivrer des diplômes.
Actuellement, l’offre de formation proposée par l’université, son évolution et la répartition du budget sont débattues au sein des instances démocratiques des universités dans lesquelles les étudiants, les enseignants-chercheurs et les personnels sont représentés. Le transfert de l’habilitation à délivrer des diplômes des universités vers les PRES revient à retirer à ces dernières leur capacité à s’exprimer et à peser sur les orientations. Comme la LRU en son temps, cette loi fragiliserait encore un peu plus la démocratie universitaire.
On peut en outre s’interroger sur la valeur qui sera accordée aux diplômes délivrés par les petites universités qui ne seront pas intégrées dans un PRES. Il est à craindre que la nouvelle disposition ne nuise à la reconnaissance nationale des diplômes universitaires.
Enfin, cette proposition de loi offre l’opportunité aux établissements privés de bénéficier de manière abusive, par leur seule appartenance à un PRES, de l’habilitation à délivrer des diplômes nationaux. Ainsi, on peut se demander si les établissements fixant librement les frais d’inscription et pratiquant une sélection parmi les étudiants pourront disposer d’une prérogative jusqu’alors confiée aux seules universités ? Une telle mesure engendrerait un déséquilibre considérable dans notre système d’enseignement supérieur et fragiliserait indéniablement les établissements publics.
Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la droite ligne de la loi LRU dont elle va aggraver les travers. Égalité d’accès des étudiants aux établissements supérieur, investissement massif de l’État dans toutes les universités, promotion de la démocratie universitaire et des logiques de coopération entre établissements, maintien dans chaque université du lien entre recherche et enseignement supérieur qui constitue un gage de qualité des formations dispensées : tels sont les axes principaux de la conception du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche que nous défendons. Force est de constater que la finalité de ce texte tout autre. C’est pourquoi nous voterons contre cette proposition de loi.