Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 17 novembre 2010 à 14h30
Recherches sur la personne — Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai en m’associant aux remerciements des orateurs qui m’ont précédée et ont souligné combien cette proposition de loi était le fruit d’un vrai travail de dialogue : dialogue entre le Sénat et l’Assemblée nationale, qui ont su éviter un examen trop rapide de ce texte, mais aussi dialogue en interne, dans notre Haute Assemblée, laquelle a écouté les points de vue de chacun, des points de vue d’autant plus précieux qu’ils venaient le plus souvent de praticiens.

Cette qualité d’écoute mutuelle mérite d’être soulignée, car il n’est pas si fréquent de parvenir à pareil niveau d’attention à l’autre. Et il n’est pas exclu que le débat d’aujourd’hui vienne encore renforcer ce constat.

Peut-être faut-il en chercher la raison, au-delà de la qualité du rapport de notre collègue, dans la spécificité d’un débat qui touche à l’essentiel puisqu’il concerne des enjeux d’humanité qui nécessitent de trouver la voie juste et vraie.

Et cette voie est étroite, qui est le lieu de confrontation du progrès, avec ses nécessaires avancées techniques dues au génie de l’homme, d’un côté, et, de l’autre, la nécessité tout aussi absolue de respecter le développement de l’homme dans toute sa dignité, dans toute son intégrité.

Je formulerai néanmoins quelques regrets, dont l’un sur lequel il n’y a plus lieu d’épiloguer : le fait que ce texte ait été dissocié de la prochaine loi de révision de la loi de bioéthique. Je déplore aussi que l’Assemblée nationale soit revenue, en deuxième lecture, sur des amendements adoptés par le Sénat qui visaient, d’une part, à clairement dissocier la recherche du soin, d’autre part, à faire en sorte que les comités de protection des personnes, professionnalisés et renforcés, soient coordonnés par une instance nationale dont l’indépendance aurait pu être garantie par la Haute Autorité de santé.

Avant de revenir sur ces points, je voudrais, au préalable, me réjouir d’un texte qui, sans les avoir gommées, a du moins, au final, amenuisé les inquiétudes que j’avais exprimées ici, il y a juste un an, au nom de mon groupe, le RDSE. Ma crainte était que ne soit pas trouvé l’équilibre indispensable entre la protection des personnes et le développement de la recherche impliquant la personne humaine.

Je voudrais souligner, d’abord, que le texte qui nous est aujourd’hui proposé a le mérite de mettre en cohérence notre droit avec le droit communautaire, le code de la santé publique avec le code de l’environnement. Il veille à simplifier les procédures qui encadrent les recherches en confortant la place et le rôle de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et de la Haute Autorité de santé.

Il me faut maintenant relever quelques points d’achoppement avec nos collègues de l’Assemblée nationale. L’un portait sur la conception qu‘a défendue notre Haute Assemblée en première lecture, selon laquelle la liberté des personnes qui se prêtent aux recherches biomédicales doit être garantie. Leur consentement écrit était alors le garant de leur protection contre des recherches interventionnelles dont il nous paraissait qu’elles devaient, dans tous les cas, être distinguées des soins.

Or la formulation retenue, qui distingue dans les recherches interventionnelles celles qui « ne comportent que des risques et des contraintes minimes », peut être source d’ambiguïté, une ambiguïté que ne lève pas, me semble-t-il, l’expression « consentement libre et éclairé ». Que sont exactement des risques « minimes » ? Qu’est-ce qu’un consentement « éclairé » ? La définition des deux qualificatifs reste bien approximative et sujette à appréciations aléatoires !

Avec prudence, notre rapporteur a proposé de garantir le recueil du consentement libre et éclairé par la saisine des comités de protection des personnes, CPP, dont j’ai rappelé qu’ils sont, de par leur composition, des instances professionnalisées.

Un autre point du débat a précisément porté sur le fonctionnement de ces comités, dont l’impartialité et l’indépendance doivent être les premières vertus : impartialité, pour ôter tout soupçon de collusion entre un comité et un promoteur particulier ; indépendance, avec la création d’une instance nationale responsable de l’harmonisation des analyses des comités et de leur mise en cohérence.

Le principe de la distribution aléatoire des protocoles me paraît fondamental, car il est le seul garant de cette impartialité. La possibilité de recours des promoteurs contre une décision qui leur ferait grief est, dans ce dispositif, une mesure de sagesse.

Enfin, si le rattachement à la Haute Autorité de santé n’est que la demi-mesure de la garantie d’indépendance de la commission nationale des recherches, il a l’avantage de ne pas créer une nouvelle instance, une nouvelle structure qui serait venue alourdir les procédures déjà complexes.

Je dois vous dire l’inquiétude qui a été la mienne s’agissant du nouvel article L. 1121–8–1, qui prévoit : « Les personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale ou bénéficiaires d’un tel régime peuvent être sollicitées pour se prêter à des recherches non interventionnelles. »

Certes, le comité de protection des personnes doit être saisi. Certes, l’autorisation accordée ne peut l’être qu’au regard du bénéfice escompté. Il n’en reste pas moins qu’il faudra exercer une grande vigilance à l’égard de situations dans lesquelles ces personnes pourraient devenir, en l’absence d’opposition « éclairée », des terrains d’expérimentation contre leur gré. Je me range néanmoins à l’avis de collègues qui ont souligné que l’on ne saurait priver une personne, au motif qu’elle n’est pas assurée sociale, du bénéfice de pareille recherche.

Enfin, nous avons tous été, je crois, sensibles aux arguments développés par notre collègue Nicolas About pour expliciter son amendement tendant à interdire d’administrer la dose maximale d’un médicament sans lien avec la pathologie du patient – le plus souvent en fin de vie – dans le but d’en tester les limites de prescription.

Vous aurez compris, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que les dispositions de cette proposition de loi, si elle reste en l’état, donnent satisfaction aux membres du groupe RDSE auquel j’ai l’honneur d’appartenir.

Elles protègent très largement chacun contre les dérives mercantiles, les expérimentations et les pratiques qui bafouent le principe d’intégrité du corps humain. Parce qu’elles permettent de concilier dignité humaine et liberté individuelle, celle-ci mise au service de celle-là, nous voterons ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion