Intervention de François Autain

Réunion du 17 novembre 2010 à 14h30
Recherches sur la personne — Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de François AutainFrançois Autain :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le faisait remarquer Mme le rapporteur, examiner un texte en deuxième lecture est devenu un exercice très rare ! Nous ne pouvons que nous féliciter que cette proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine échappe à la règle. Ces lectures successives nous ont permis de considérablement améliorer ce texte et je ne doute pas que cette lecture-ci nous permettra de progresser encore dans cette voie.

L’esprit d’ouverture et la volonté de co-élaboration législative – vous aurez remarqué que je n’ai pas utilisé le terme de coproduction que je trouve un peu connoté !– l’esprit d’ouverture et la volonté de collaboration législative, disais-je, qui ont animé notre rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, y sont pour beaucoup.

Je me réjouis qu’elle ait su retenir, dans les propositions portées par chacun de nous et par-delà les clivages politiques, les propositions les plus à même de sécuriser ces recherches d’un type particulier et de protéger le consentement, tout comme la santé de ceux qui s’y prêtent.

Il n’en demeure pas moins que je n’ai toujours pas compris les raisons qui ont poussé le député Jardé, à l’origine de cette proposition de loi, à vouloir revenir sur la loi Huriet- Sérusclat, qui date, certes, de 1988, mais qui a déjà été substantiellement modifiée en 2004. Je le comprends d’autant moins que sa proposition de réforme originelle visait à rendre la recherche plus facile au détriment de la protection des personnes humaines en assouplissant un certain nombre de règles éthiques.

Plusieurs explications peuvent être avancées. Tout d’abord, les laboratoires, pour assurer un retour rapide sur investissement et satisfaire leurs actionnaires, doivent aller de plus en plus vite, hélas ! Dans leur course à l’innovation, ils ont tendance à considérer les règles éthiques comme des contraintes, des obstacles, alors qu’elles constituent, à mon sens, des valeurs dont on ne peut s’affranchir.

C’est ainsi que de nombreux laboratoires ont délocalisé leurs recherches dans les pays où les conditions leur sont plus favorables, au risque, d’ailleurs, d’en fausser les résultats. Comme l’a souligné le ministère de la santé américain dans un rapport récent, cette délocalisation de la recherche a abouti, dans les pays où elle s’est implantée, « à l’érosion du consentement éclairé, à des atteintes à la confidentialité et à l’enrôlement de sujets normalement non éligibles ».

Je voudrais exprimer ici mon inquiétude devant l’amplification du mouvement de délocalisation des recherches sur la personne humaine actuellement à l’œuvre. Cette tendance me semble porteuse de risques importants tant pour la santé publique que pour la santé de celles et ceux qui, dans les pays émergents, se prêtent à ces recherches. Ce constat m’a conduit à déposer un amendement dont nous aurons l’occasion de débattre plus tard.

En ce qui concerne l’article 2, je dois dire que je demeure insatisfait de sa rédaction. Il confie à l’assurance maladie la prise en charge des coûts des recherches réputées non commerciales. Il prévoit également que, si une recherche en cours de réalisation ne répond plus à la définition d’une recherche à finalité non commerciale, le promoteur est alors tenu au remboursement des dépenses initialement engagées par l’assurance maladie.

Derrière cette mesure, qui pourrait être perçue comme de bon sens, se dissimule une mécanique très perverse, insidieuse et implacable : l’assurance maladie devient de la sorte un «capital-risqueur ». C’est à elle d’assumer les dépenses liées aux recherches ne débouchant pas sur la commercialisation d’un produit. Les laboratoires, quant à eux, n’investissent qu’à coup sûr et en bout de course, à partir du moment où ils sont certains de tirer profit des investigations.

Autrement dit, ce qui est en germe dans cet article, c’est la socialisation des recherches non rentables et la privatisation des autres.

Un mécanisme inverse aurait bien entendu été plus conforme à l’idée que je me fais de la recherche publique. À défaut, j’ai déposé un amendement visant à préciser les sanctions dont pourraient être passibles les promoteurs qui contreviennent au processus de reversement prévu.

Malgré cette réserve importante, je ne peux, au nom du groupe CRC-SPG, que me féliciter du travail que nous avons collectivement réalisé. Cette proposition de loi intègre en effet trois avancées majeures, qui seront maintenues, du moins je l’espère, par la commission mixte paritaire.

La première porte sur les protections, que nous avons renforcées, pour les personnes incluses dans une recherche. L’obligation inscrite dans la loi de recevoir leur consentement par écrit, pour les recherches interventionnelles, va naturellement dans le bon sens. Voilà une mesure importante, gage de sécurité et de transparence. Il nous faut toutefois rester vigilants, car le Gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires, notamment par voie réglementaire, pour que reste dérogatoire et très encadrée la disposition selon laquelle la participation à des recherches non interventionnelles ne nécessite pas de consentement écrit.

De la même manière, nous avons contribué, me semble-t-il, à encadrer législativement la participation aux recherches des personnes non affiliées à la sécurité sociale, c’est-à-dire les bénéficiaires de l’AME, l’aide médicale de l'État.

Cette participation est désormais limitée à deux cas de figure : soit la personne non affiliée à la sécurité sociale peut faire l’objet de recherches interventionnelles si elle est susceptible d’en attendre un bénéfice immédiat pour sa santé ; soit elle peut participer à des recherches non interventionnelles, à condition que ces dernières présentent un risque minime pour sa santé.

Les deux autres avancées que nous avons adoptées sont les mesures destinées à garantir l’indépendance des comités de protection des personnes, les CPP.

D’une part, nous avons confié à la Haute Autorité de santé plutôt qu’au ministère de la santé la compétence en matière de recommandation sur les orientations de la recherche et d’application des résultats obtenus pour l’évolution des soins ; nous lui avons aussi rattaché la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine. Cela me semble d’autant plus pertinent que la Haute Autorité de santé a déjà pour mission de donner un avis sur l’utilité médicale des médicaments et des dispositifs médicaux, de promouvoir les bonnes pratiques et le bon usage des soins, d’informer les professionnels de santé et le grand public, enfin, d’améliorer la qualité de l’information médicale.

D’autre part, la commission a décidé de réintégrer dans le texte l’attribution aléatoire des protocoles aux CPP, ce qui, à mon sens, est fondamental.

Il faut en effet veiller à ce que les promoteurs n’aient pas le choix du CPP qui supervisera leurs recherches, afin qu’ils ne soient pas tentés de rechercher à ne travailler que sous la direction d’un comité qui leur serait particulièrement favorable. Il sera bien évidemment toujours possible pour les promoteurs de faire appel de la décision les plaçant sous la responsabilité d’un CPP. C’est la raison pour laquelle nous sommes opposés, comme la commission d’ailleurs, à l’amendement gouvernemental visant à revenir sur cette disposition.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales du Sénat a apporté des améliorations à la proposition de loi, qui nous semble ainsi plus protectrice que sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale. Le groupe CRC-SPG votera donc ce texte, à condition, bien entendu, que son économie soit préservée au cours du débat qui va suivre !

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