On peut, bien sûr, songer au déficit de nos comptes publics, qui s’est retrouvé bien loin de la limite de 3 % fixée par le pacte de stabilité et de croissance, et qui avait un temps valu à la France la mise en œuvre d’une procédure de déficits excessifs à son encontre, sans sanction toutefois.
Mais l’on songe surtout, avec cette proposition de loi, au déficit chronique de transposition que notre pays affiche, avec pour conséquence une surveillance étroite de la Commission européenne et, le cas échéant, de la Cour de justice de l’Union européenne.
Un rapport de 2005 de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale relevait que le déficit de transposition des directives relatives au marché intérieur était de 2, 4 % à la fin mai 2005, après avoir même été de 4, 1 % en mai 2004. Selon les chiffres de septembre dernier, ce déficit a été quelque peu corrigé – nous nous en félicitons – pour atteindre 1, 2 %. Néanmoins, ce chiffre demeure insatisfaisant au regard de l’objectif de 1 % fixé par le Conseil européen de mars 2007.
De fait, la France est toujours au-dessus de la moyenne européenne de 0, 9 % et se classe, à cet égard, au-delà du dix-huitième rang parmi les États membres.
Bien sûr, ces manquements à nos obligations européennes nous conduisent régulièrement devant la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle ne se fait pas faute de nous infliger des amendes et des astreintes journalières, qu’il revient finalement à nos compatriotes de régler.
Il nous faut nous interroger sur les raisons de ces retards.
Les arguties sur l’ordre juridique communautaire et l’ordre juridique interne n’ont plus lieu d’être : d’abord, parce que le Conseil constitutionnel a jugé en 2004 que la transposition des directives européennes était une obligation constitutionnelle à la charge du législateur dès lors qu’elles sont compatibles avec « l’identité constitutionnelle française » ; ensuite, parce que le Conseil d’État a opéré l’an dernier un revirement de jurisprudence majeur en acceptant l’applicabilité et l’invocabilité directes des dispositions « précises et inconditionnelles » d’une directive.
Non, mes chers collègues, les raisons de ces retards ne sont pas juridiques, elles sont politiques ! La révision constitutionnelle de 2008 avait, entre autres objectifs, celui de donner davantage de prérogatives au Parlement, notamment de lui permettre une meilleure maîtrise de son ordre du jour. Or la surcharge de l’ordre du jour à laquelle nous contraint le Gouvernement aboutit à cette aberration : il nous faut aujourd’hui prendre sur le temps réservé à l’initiative parlementaire pour discuter en procédure accélérée d’un texte transposant dans l’urgence une dizaine de directives. Ce n’était certainement pas le dessein originel du constituant en 2008 !
Je salue d’ailleurs l’initiative des auteurs de cette proposition de loi : l’expertise dont ils font preuve ici en matière de directives ne souffrira pas de la comparaison avec celle des administrations placées au service du Gouvernement.
Je remarque aussi que nous n’avons en conséquence pas pu profiter d’une étude d’impact. Sans doute n’est-ce qu’une fâcheuse coïncidence…
Monsieur le secrétaire d'État, toutes les directives dont il est ici question ne datent pas de la dernière pluie. Il paraît donc pour le moins discutable, pour ne pas dire autre chose, que le Gouvernement n’ait rien entrepris afin de ne pas exposer notre pays à de nouvelles procédures devant la Cour de Justice de l’Union européenne, sachant que nous totalisons déjà la moitié des arrêts pour inexécution d’un premier arrêt en manquement.
Je rappelle qu’une situation aussi absurde ne se serait pas vue si l’Assemblée nationale avait adopté la proposition de loi de notre excellent collègue Aymeri de Montesquiou que le Sénat avait votée en 2001. Ce texte prévoyait que le Gouvernement communiquerait au Parlement tout projet ou proposition d’acte de l’Union européenne tombant dans le domaine de la loi, ainsi qu’une étude d’impact et un échéancier d’adoption des textes de transposition d’une directive. Je regrette d’autant plus que cette proposition de loi n’ait pas prospéré jusqu’à son adoption définitive qu’elle répondait à la fois à des obligations juridiques impérieuses et à des considérations pratiques.
Je tiens à saluer également l’excellent travail de la commission de l’économie du Sénat, laquelle a su remettre de l’ordre dans l’imbroglio né de la multitude de textes utilisés comme « wagons » pour la transposition des directives dont il est aujourd’hui question.
L’aridité technique des sujets en cause ne saurait justifier une atteinte à l’intelligibilité de la loi et à la sincérité des données soumises à l’aval du Parlement. Or, entre l’ordonnance du 21 octobre 2010, la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit et le présent texte, les doublons étaient nombreux, comme l’a relevé à juste titre M. le rapporteur : on se trouve même, nous dit-il, à la limite de l’acrobatie…
La ratification de l’ordonnance du 21 octobre dernier par l’article 1er A a remporté cette course absurde. Encore faudra-t-il que l’encombrement du calendrier parlementaire ne mette pas à mal l’adoption de la présente proposition de loi. Or il semble difficile, monsieur le secrétaire d'État, d’espérer cette adoption avant février ou mars prochains, ce qui est trop tard par rapport aux délais de transposition requis. Sans oublier, bien sûr, la prochaine lecture de la proposition de loi du député Warsmann, qui viendra encore compliquer la donne puisque la rédaction des dispositions transposées diffère. Bien malin qui pourra s’y retrouver !