Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, arguant d’un retard important dans la transposition de directives européennes, le Gouvernement a profité de cette proposition de loi pour déposer plusieurs amendements tendant à l’habiliter à transposer par ordonnances une série de textes européens touchant de multiples domaines. Je vous ferai grâce de l’énumération des treize directives et du règlement concernés, bien qu’elle montre à quel point les sujets abordés sont non seulement vastes, mais également sérieux et, pour certains d’entre eux, touchent à des enjeux de société qui auraient sans doute mérité un véritable débat démocratique. Si l’on y ajoute tous les domaines abordés par la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, c’est un vaste échantillon de dispositions que nous devons transposer.
Certes, qu’il s’agisse du Gouvernement, des auteurs de la proposition de loi ou encore de notre rapporteur, tous invoquent les retards de transposition et des risques majeurs de contentieux et de condamnations pécuniaires. Ils évoquent la dégradation du niveau de transposition du droit communautaire par la France, qui lui vaut à cet égard un mauvais classement au sein des États membres.
Mais à qui la faute ?
À qui la faute si le calendrier parlementaire est tellement chargé que le Gouvernement ne peut transposer ces directives autrement qu’en recourant, d’un côté, à l’initiative de parlementaires – ce qui n’est guère courant, avouons-le ! – et, de l’autre, à de multiples demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances, « court-circuitant » ainsi le Parlement ?
À qui la faute si le Parlement est victime d’un encombrement et croule sous un nombre de textes qui le paralyse ?
Comme aiment à le souligner régulièrement et avec une grande pertinence mes collègues Jean-Jacques Mirassou et Daniel Raoul, cette inflation législative est aussi le résultat de la navigation à vue du Gouvernement, qui fait voter des textes, pour demander ensuite très vite au Parlement de modifier, et tout cela dans une extrême précipitation ! Je pense, par exemple, au projet de loi de modernisation de l’économie, modifié par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ou encore aux multiples lois sur l’immigration, la sécurité ou le code pénal, et j’en passe !
Nous regrettons que les égarements de l’exécutif puissent ainsi pénaliser le Parlement, en le privant de la possibilité d’examiner des directives dont le contenu et les enjeux politiques sont tout sauf négligeables.
Ainsi, pour prendre un exemple que je connais bien, les directives du paquet « énergie-climat », que l’on souhaite transposer en recourant aux ordonnances, touchent de près à l’organisation de notre secteur énergétique et à celle des réseaux de transport d’électricité et de gaz.
Il se trouve en effet que nous avions demandé, en avril dernier, alors que le Gouvernement déposait son projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, la suppression d’un article de ce projet de loi qui habilitait le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour transposer les directives n° 2009/72/CE et 2009/73/CE du 13 juillet 2009 relatives aux marchés intérieurs du gaz et de l’électricité.
À l’Assemblée nationale, au cours de l’examen du projet de loi en commission, un amendement de suppression déposé par le groupe socialiste et soutenu par le rapporteur et par le président de la commission des affaires économiques a été adopté. Je vous rappelle les propos tenus alors par M. Patrick Ollier : « Le Gouvernement avait le temps de déposer un texte spécifique. Il peut toujours le faire. Le Parlement doit pouvoir appréhender toutes les conditions de la transposition et mener un dialogue républicain avec le Gouvernement. »
Cet article 10 n’avait pas été réintroduit dans le projet de loi NOME lors de sa discussion en séance publique au Sénat, mais voilà que, seulement deux mois plus tard, il réapparaît dans un autre support législatif, par le biais d’amendements du Gouvernement ! Nous ne pouvons accepter une telle manipulation, monsieur le secrétaire d’État !
En effet, ces directives ne traitent pas de sujets secondaires. Il s’agit, par exemple, du renforcement de l’indépendance des gestionnaires de réseaux, dont il est précisé dans l’exposé des motifs de l’amendement qu’il se traduira par une « adaptation du statut de ces sociétés déjà dérogatoires au droit commun du droit des sociétés, dans le sens d’un plus grand contrôle par la puissance publique ». Autrement dit, il s’agit d’un changement de statut de RTE !
Et quid des salariés ? Sur ce point, l’exposé des motifs de l’amendement gouvernemental nous laisse plus que perplexes : « Toutefois, les garanties nouvelles apportées aux salariés par cette ordonnance n’empêchent pas qu’elle soit conçue pour ne pas revisiter plus que nécessaire les droits acquis des salariés concernés de ces sociétés ». De quoi s’agit-il exactement ? Quelles seront les garanties apportées par l’ordonnance ? Le Gouvernement a-t-il au moins l’intention d’engager une concertation avec les salariés concernés ?
Autre exemple de disposition recelant des enjeux politiques importants : l’obligation pour les gestionnaires de réseaux de transport de gaz ou d’électricité de se doter d’un chargé de conformité qui « pourra notamment participer à toutes les réunions relatives aux investissements dans les réseaux, aux séances des conseils d’administration ou du directoire et avoir accès aux locaux du gestionnaire de réseau de transport de gaz ou d’électricité en toutes circonstances ». On aimerait comprendre…
J’évoquerai enfin, comme dernier exemple, l’accroissement des compétences de la CRE, la Commission de régulation de l’énergie, notamment en matière de fixation des tarifs d’utilisation des infrastructures de gaz et d’électricité.
Bref, cette proposition de loi comporte de nombreuses dispositions lourdes d’enjeux politiques.
Tirant prétexte de ce que ces sujets seraient techniques, le Gouvernement en profite pour court-circuiter le Parlement, alors que nous savons très bien que la transposition de directives européennes comporte toujours une marge d’interprétation, surtout dans les domaines que je viens d’évoquer.
Nous voterons donc contre tous les amendements déposés par le Gouvernement et tendant à lui accorder une habilitation à transposer ces directives européennes par voie d’ordonnances.