Avec cet article 32, madame la ministre, vous inventez la carte de séjour gold. Comme cela devient habituel en matière de droit des étrangers, le Gouvernement prétend agir par pragmatisme. Mais je crains que d’autres considérations ne le guident…
Fait révélateur, les dispositions régissant le droit des étrangers sont inscrites non plus dans des textes spécifiques, mais dans un texte économique. Or une personne étrangère ne se réduit ni à sa force de travail, ni à son compte en banque.
Cet article 32 prévoit donc la possibilité d’attribuer à certains étrangers une carte de résident de dix ans renouvelable, en raison de leur « contribution économique exceptionnelle à la France ». Alors que le droit constitutionnel d’asile a été réduit par vos lois successives, vous créez un droit d’asile des plus riches.
Lors des débats à l’Assemblée nationale, Mme la ministre a donné trois exemples de personnes qui pourraient bénéficier de cette carte. Chaque fois, il s’agissait de faciliter les allées et venues de ces personnes entre la France et d’autres pays.
Même lorsque tous les critères sont réunis, il devient impossible d’obtenir la délivrance d’une carte de résident. Pourtant, vous proposez d’en accorder à des personnes qui ne désirent pas résider en France et y établir leur domicile fiscal, mais qui le mériteraient par leur seule richesse. C’est une étrange inversion du droit et des valeurs !
La question des aller et retour entre la France et d’autres pays est intéressante et réelle, mais nous ne pouvons l’appliquer qu’aux plus riches. Elle concerne tout aussi bien les artistes, les scientifiques, les personnes désireuses d’étudier en France et bien d’autres travailleurs. Vous ne la réglerez pas de façon dérogatoire et vous devrez bien envisager la création de visas de circulation longue durée délivrés de façon assez large.
Quelle est donc la « contribution économique exceptionnelle » qui vaut ce passe-droit ? Vous citez les PDG de filiales françaises de sociétés étrangères ou les grands investisseurs individuels. Plutôt que de contribution économique, vous auriez donc dû parler de contribution financière, puisque la richesse semble bien être le principal critère. Les compétences et les talents que vous défendiez tant voilà deux ans ont disparu. Parmi les critères de délivrance évoqués, on trouve aussi la notoriété. Nous assistons donc à la « peopolisation » du droit des étrangers avec, pour juges, les préfets et les fonctionnaires de la République.
Cette « prime à l’argent » est réellement choquante. Un prix Nobel, un musicien virtuose, un plasticien ou un architecte célèbre, désireux de s’installer en France, contribue « de façon exceptionnelle » à l’aura et au rayonnement de la France dans le monde. Pour eux, vous avez créé voilà deux ans une carte de séjour de trois ans, dite « compétences et talents ». Selon Le Figaro, seulement quarante-deux de ces cartes ont été délivrées.
Aujourd’hui, pour les plus riches, vous proposez la délivrance d’une carte de résident de dix ans. Non contents de trier les étrangers entre désirables et indésirables, vous établissez à présent une hiérarchie entre les « bons étrangers ». Cette hiérarchie est d’ailleurs intéressante, puisque vous semblez préférer l’argent au mérite et au talent.
Cette disposition est d’autant plus choquante que la délivrance d’une carte de séjour nécessite normalement une durée de séjour minimum en France et des conditions strictes – que vous avez vous-mêmes fixées – d’intégration dans la société française. Dans le cadre de cet article 32, aucun de ces critères n’est applicable. Il s’agit donc bien d’une carte de résident « coupe-file », attribuée discrétionnairement pour éviter à certains étrangers de faire régulièrement la queue à partir de trois heures du matin devant les préfectures pour obtenir le renouvellement aléatoire de leur titre de séjour. Ne devrait-on pas aller plus loin et proposer une livraison par coursier de cette carte d’exception ?
Madame la ministre, nous avons tous, sur nos bureaux, des demandes d’intervention en faveur de la régularisation de jeunes brillants qui ont étudié en France, qui sont parfaitement intégrés et à qui l’on demande de partir.
J’ai entre les mains le dossier d’un jeune qui travaille dans l’un des secteurs que vous avez désignés sous tension et à qui l’on refuse un titre de séjour. J’ai également le dossier d’une jeune fille titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire, désireuse de faire profiter la France de sa compétence et de ses talents, mais placée sous le coup d’une obligation de quitter le territoire. Par leurs compétences et leurs talents, ces jeunes contribueraient de façon exceptionnelle à l’économie française. Pourtant, on ne leur en laisse pas le droit.
Nos universités et nos grandes écoles forment chaque année des étudiants étrangers brillants, à qui l’on interdit de travailler en France. Je souligne d’ailleurs que les décrets d’application des dernières lois sur l’immigration, censées faciliter la vie des étudiants étrangers, n’ont toujours pas été pris.
Et je ne parle pas des milliers de travailleurs sans papiers dont le travail est essentiel à la survie de certains secteurs et que vous refusez de régulariser.
Cela peut vous sembler désuet, mais nous croyons que le travail, le désir de vivre en France et de contribuer à notre économie justifient pleinement l’attribution d’un titre de séjour. Nous croyons également au principe d’égalité devant la loi et nous pensons qu’il est parfaitement indigne de notre République d’établir ainsi une distinction entre les étrangers selon leur richesse.
C’est pourquoi, madame la ministre, nous ne voterons évidemment pas cet article 32. C’est aussi la raison pour laquelle je plaide pour sa suppression par le biais de l’amendement n° 368.